10.22108/relf.2634.20327
Résumé
Tâ ÇÉÅ wx W|xâ
Revue des Études de la Langue Française
Revue semestrielle de la Faculté des Langues Étrangères de l'Université d'Ispahan
Cinquième année, N° 8
Printemps-Eté 2013, ISSN 2008- 6571
ISSN électronique 2322-469X
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Livres: Mounin, G. (2008). Les problèmes théoriques de la traduction. Paris: Gallimard.
Articles: Thoiron, Ph. & Béjoint, H. (2010). La terminologie, une question de termes?. Meta,
55/1: 105-118.
Sitographie: Rheaume, J. (1998). Apprivoiser la technologie éducative, éléments de cours.
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Revue des Études de la Langue Française
Revue semestrielle de la Faculté des Langues Étrangères de l'Université d'Ispahan
Cinquième année, N° 8, Printemps-Eté 2013
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Table des matières
Ressorts écofictionnels de la nouvelle
«Fragment du livre de la mer» de Roland Wagner
E. Esfandi
La négation en tant que processus de la signification: le cas des discours
littéraires
S. Kariminejad, H.R. Shairi, P. Safa & L. Nabavi
Décepteur des contes renardiens et déstructuration de la cellule familiale:
fonctionnalité et significations
J. R. K. Kouacou
De la linguistique descriptive à la linguistique appliquée en côte
d’ivoire: analyse et propositions
P. A. Kouadio
Etude de la structure narratologique dans
«Carnet d’assurance maladie» de Jalāl Al-é Ahmad
M. Nazri-Doust
Étude du portfolio de la production orale des apprenants iraniens du FLE
(De l’évaluation formative à l’autoévaluation)
R. Rahmatian, M. Mehrabi & J. Kahnemouipour
1-14
15-24
25-36
37-46
47-56
57- 66
Abstract
67
Résumés en persan
Ressorts écofictionnels de la nouvelle
« Fragment du livre de la mer » de Roland Wagner
Esfandi, Esfandiar
Maître assistant, Université de Téhéran, Téhéran, Iran
esfandi@ut.ac.ir
Reçu: 12.3.2013 Accepté: 11.6.2013
Résumé
Les «Ecofictions», désignent les objets narratifs (filmiques ou textuels) produits grâce au «régime de
médiatisation» pluriel, massif, et surtout très actuel des «thèses environnementales» la nouvelle de
Wagner en l’occurrence, illustre efficacement la part prise par l’auteur de L’Odyssée de l’Espèce, à l’esprit
éco-environnementaliste. Aucune prouesse technique, aucune innovation dans ce texte dont l’intérêt
essentiel réside dans la manière dont il exemplifie la trace laissée par un paradigme riche de ses enjeux
collectifs dans l’imaginaire culturel d’un auteur. Le «Fragment du livre de la mer» est une histoire
ingénument narrée, ouverte au passé par son caractère merveilleux, et tournée vers l’avenir dont il établit
un timide état des lieux. Par l’analyse de la structure symbolique, générique, et par la déclinaison de ses
pans thématiques subséquents sera mise en valeur dans le présent article l’esthétique générale de la
nouvelle. Au-delà, il s’agira pour nous de mettre à jour les soubassements contextuels et idéologiques à
partir desquels se déploie la thématique écofictionnelle qui continue, depuis ses origines postindustrielles,
à irriguer les consciences.
Mots-clés: Roland Wagner, écofiction, science-fiction, environnement, techno-science, New Age.
Introduction
En 1998, au moment de la première
publication de la nouvelle de R. Wagner,
«Fragment du livre de la mer», l’heure est,
depuis deux décennies au moins, au
catastrophisme en matière d’environnementalisme.
Aujourd’hui encore, les alarmantes
hypothèses d’un James Hansen à propos du
réchauffement climatique en 1980 n’ont rien
perdu de leur actualité. Bien au contraire,
elles ont conduit de fils en aiguilles au
protocole de Montréal relatif à la maîtrise
drastique de l’usage des chlorofluorocarbures
qu’on accuse volontiers de
détériorer gravement le précieux revêtement
d’ozone de l’atmosphère. Le débat fait
depuis rage, entre les environnementalistes
de tous bords les uns fustigeant
l’irresponsabilité grandissante des nations
industrialisées ou en voie de développement
vis-à-vis de la préservation de la nature et de
ses écosystèmes les autres, pour minimiser
le drame «médiatique» voire «trop
médiatisé» du réchauffement de la planète et
partant, la part de responsabilité effective de
l’homme dans cette supposée dégradation
environnementale et climatique. «L’écologie
contemporaine sème l’effroi en pointant du
doigt les signes avant-coureurs du futur
qu’elle prédit» (Chelbourg, 2012: 9).
Elle s’exprime majoritairement via les
mass médias et par la voix et à travers
l’action de figures médiatiques et populaires
comme Al Gore, ex-prétendant au fauteuil
2/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
de la maison blanche, et Nicolas Hulot en
France, qui ne lésinent pas à faire don de
leur personne pour rendre visible les termes
d’un combat aujourd’hui d’avant-garde,
nourrit en amont parla philosophie morale et
globalement anti-techniciste des émules
d’un Engelhardt ou d’un Jonas dont les
paroles sonnent comme autant de mises en
garde face à l’irresponsabilité des
multinationales pollueuses et de la
complaisance aveugle des états1. Dans ce
positionnement idéologique, la fiction n’est
pas en reste. Du côté de l’image, l’abondante
production Hollywoodienne occupe depuis
quelques décennies déjà (logique
commerciale oblige) le terrain fructueux de
l’alarmisme à coup de scénarios catastrophes
grands spectacles, climatiques (The Day
after toomorow) ou bio-centrés (Omega
Man, Soleil vert).
Le filon est porteur et mise sur la
propension de l’être humain à rechercher
dans le confort de son imaginaire des
sentiments mêlés d’inquiétude et de
consolation, d’espoir et de désespoir, etc.
Elle s’abreuve souvent à la source d’une
littérature postindustrielle, consciente de par
sa modernité, de la force relative et des
faiblesses inhérentes à l’espèce humaine, de
ses interactions avec le milieu, aujourd’hui
et à l’avenir. Il s’agit dès lors pour la fiction
«(…) de rendre l’avenir présent, de le mettre
sous nos yeux, afin de le maîtriser par
l’imagination» dixit Chelbourg (2012: 10)
qui définit ainsi, en suivant Gilbert Durand,
l’impératif anthropologique (une
«hypotypose future») duquel participe
l’imaginaire en général, et pour ce qui
1. Voir Le principe responsabilité de Hans Jonas
(Flammarion, Paris, 2008).
concerne notre étude, la littérature de fiction
(Durand, 1969: 408).Un imaginaire de
l’urgence écologique a donc vu le jour pour
produire une ribambelle plus ou moins
heureuse de fictions écologiques. Les
«Ecofictions», désignent à ce titre les objets
narratifs (filmiques ou textuels) produits
grâce au «régime de médiatisation» pluriel,
massif, et surtout très actuel des thèses
environnementales (Chelbourg, 2012: 10) la
nouvelle de Wagner en l’occurrence, qui
illustre efficacement la part prise par
l’auteur de L’Odyssée de l’Espèce à l’esprit
éco-environnementaliste.
On ne trouve aucune prouesse technique,
aucune innovation formelle dans ce texte
dont l’intérêt essentiel réside dans la
manière dont il exemplifie la trace laissée
par un paradigme riche de ses enjeux
collectifs dans l’imaginaire culturel d’un
auteur. Le «Fragment du livre de la mer» est
un livre ouvert, une histoire ingénument
narrée, ouverte au passé par son caractère
merveilleux, et tournée vers le futur dont il
établit un timide état des lieux. Par l’analyse
de la structure symbolique, générique, et par
la déclinaison de ses pans thématiques
subséquents sera mise en valeur dans cette
étude, l’esthétique générale de la nouvelle.
Au-delà, il s’agira pour nous de mettre à jour
les soubassements contextuels et
idéologiques à partir desquels se déploie la
thématique écofictionnelle qui continue,
depuis ses origines postindustrielles, à
irriguer les consciences.
1. Structure et symbolique d’une fiction
écologique
Sacrifions au réductionnisme d’usage et
présentons Roland Wagner pour ce qu’il est:
Ressorts écofictionnels de la nouvelle…/3
un auteur de science-fiction. Le cadre et les
motifs de la nouvelle l’attestent, et bien
avant, l’anthologie d’accueil dont le titre,
Nouvelles des siècles futures, ne laisse aucun
doute quant au contenu de l’ouvrage, publié
par les éditions Omnibus en 2004. Celui-ci
regroupe un ensemble de nouvelles
produites par des auteurs de tous horizons et
de tous les temps. On y croise aussi bien les
textes des initiateurs du genre tels que Jules
Vernes ou H.G. Wells, des Maîtres anglosaxons
de l’âge d’or de la SF tels qu’Isaac
Asimov et Arthur C. Clarke, que des
continentaux, russes ou allemands. La
présentation est également diachronique :
elle débute par un texte de Lovecraft,
traverse le siècle de toutes les inventions et
se clôt sur les écrits les plus récents en
matière de SF.
Le français Wagner représente pour sa part
la génération d’après 1980. Son premier
roman, Serpent d’angoisse date de 1987 et
inscrit directement son auteur dans la lignée
des créatifs de l’imaginaire francophone de
sa génération, au côté des Ligny, Genefort
ou Brussolo. Première date et premier
support de parution pour la nouvelle qui
nous concerne: 1995 dans Le Journal de la
ville de Paris (avec en prime un prix Eiffel).
Il va sans dire que le format final d’accueil,
l’anthologie générique, permet un meilleur
ciblage de la catégorie lectorielle à laquelle
est adressée le «Fragment du livre de la
mer». Car c’est un fait, l’imaginaire
spéculatif, prospectif, le merveilleux
scientifique (selon le mot de Maurice
Renard) science-fictionnel en somme,
continue de produire un profil type de
lecteur ouvert aux caractéristiques d’univers
du récit d’anticipation. Accoutumés au Sens
of Wonder et aux anomalies référentielles,
au xéno-encyclopédisme assumé des récits
et à la prodigalité inventive des auteurs et à
la singularité de leurs canevas narratifs
(parfois décalés sur le plan de la
vraisemblance) les adeptes de la SF sont
souvent sinon des convertis, du moins des
familiers de la chose: l’univers, l’espèce et
son devenir, déclinés suivant une liste non
close d’entrées diégétiques (le voyage, la
découverte, l’amour, le conflit, etc.).
Le récit SF est celui-là même qui optimise
le questionnement relatif à l’avenir de
l’homme, sous forme d’hypothèses plus ou
moins colorées, en proposant des cadres
diégétiques et conceptuels conformes aux
questions inférées1. La SF ne se distingue
cependant pas de l’ensemble de la
production littéraire, fictionnelle ou non,
quand il s’agit de sa dimension morale.
Nous disons bien morale et non moralisante
au sens où celle-ci n’a pas pour vocation de
conduire à des assertions édifiantes. Prises
dans leur ensemble, les oeuvres produites,
littéraires ou cinématographiques, autorisent
«(…) une analyse distanciée et pourtant
empathique des ‘perplexités’ morales»
(Gangloff, Helfrich, 2010: 16). Le régime
SF impose en revanche non seulement une
variation d’amplitude aux perplexités
existentielles mises à jour dans la littérature
1. Des mondes possibles par exemple, flanqués d’une
temporalité alternative. Le roman Spin du Canadien
Robert Charles WILSON (Gallimard, 2007) offre en
l’espèce un cas exemplaire de traitement du concept
de relativité. L’univers du récit fait cohabiter
temporairement deux régimes de temporalité
incommensurables, celle de la terre engoncée dans
son « revêtement spin » dont la fonction est de
ralentir au millionième le déroulement du temps réel,
et celle du reste de l’univers, conséquemment
démultipliée par rapport au temps tellurique.
4/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
générale1, mais de surcroit, un changement
d’échelle (qui s’apparente à un véritable
changement de référentiel) en passant de
l’individu à la collectivité, à l’homme dans
son universalité. Le «Fragment du livre de la
mer» de Roland Wagner exemplifie
précisément, en la personnalisant avec les
moyens habituels de la littérature
d’anticipation (en particulier l’extrapolation
scientifique ou pseudo-scientifique) et sur un
mode mineur, les inquiétudes bioenvironnementales
de notre espèce.
1. a. Suspension générique pour forme
brève à définir
Le «Fragment du livre de la mer» est un
texte court qui participe d’une définition
succincte de la nouvelle science-fictionnelle:
«une aventure possible à plus ou moins
longue échéance» (Godenne, 1995: 118). La
formule donne, il est vrai, l’impression de
seller le sort du genre de manière pour le
moins expéditive. Elle suffit cependant à
particulariser la nouvelle SF comme sousgenre
de la «nouvelle». Par définition
généralement courte et fortement cohésive,
celle-ci «(…) procure au lecteur
l’impression d’être fermement structurée
(…)» autour donc, d’une thématique
restreinte (Didier, 1996: 7). La définition
vaut pour le texte de Wagner et pour tous les
récits regroupés par Jacques Goimard et
Denis Guiot dans l’imposant recueil
Nouvelles des siècles futurs, à cette
différence près que le «Fragment…» est
également, nous le constaterons plus loin,
redevable du «conte» ou du moins, du type
1. Variation également visible dans le plus terre à
terre des romans noirs (pour ce qui est de l’angoisse)
ou des romans à l’eau de rose (quand il s’agit
d’amour).
narratif identifié comme tel par le sens
commun.
La nuance a son intérêt. Elle évite
d’assimiler trop hâtivement les deux notions
car, s’il est vrai que depuis le 19ème, on laisse
volontiers se superposer les termes
«nouvelle» et «conte», au 18ème en revanche,
le second renvoyait systématiquement à
«(…) une aventure fondée sur des incidents
d’une autre nature (…) ou d’un autre ordre
(…)», des contes de fées, orientaux ou
allégoriques donc, ou bien philosophiques et
moraux (Godenne, 1995: 55). Au siècle
suivant, il n’était plus question, pour Nodier
ou Gautier par exemple, de démarquer les
deux genres et les Contes en prose et en vers
(1837) du premier, ainsi que les Romans et
Contes (1872) du suivant mélangent
allègrement les deux appellations pour des
textes dont la brièveté seule (et le talent)
aura permis le rassemblement en volume. La
distinction reste en revanche de mise
aujourd’hui pour le sens commun qui
n’hésite pas à relever, à la lecture du conte,
certaines de ses proéminences:
l’«irréalité»du contexte, l’«ingénuité» de ton
et surtout, la présence textuellement marqué
du locuteur par l’intermédiaire duquel le
récit nous est littéralement «conté». La
«nouvelle» sera par opposition perçue
comme un condensé de roman un roman
dépouillé de ses «fioritures», débarrassé du
déploiement interminable de ses
composantes au fil des pages (son personnel,
ses thèmes et ses motifs, ses «voix»
multiples, etc.).
«Fragment du livre de la mer» répond au
format éditorial de la nouvelle tout en
véhiculant la charge d’irréalité et d’ingénuité
nécessaire au conte. Il y est question de
Ressorts écofictionnels de la nouvelle…/5
notre future proche et d’un traitement
alternatif de la problématique trinité,
moderne, post et hypermoderne1: l’Homme /
la machine (la technologie) / la nature. Ce
récit à la troisième personne (dans la
tradition du roman réaliste) campe un
personnage seul (et solitaire) sur un bateau
de pêche high tech, automatisé, suspendu à
«six cents milles au large d’Ouessant»
(Wagner, 1998: 1228). Le décor est
minimaliste pour une action cadre que l’on
peut résumer de la sorte: une pêche cybercommandé
dans un contexte d’urgence
environnementale (l’époque est à la
disparition progressive des mammifères
marins) où règne paradoxalement un calme
trompeur précédant l’apparition dans les
mailles du filet du chalutier, d’un «gosse»
ayant l’air «tout à fait vivant» (Wagner,
1998: 1229). Facteur perturbateur dans une
scène liminaire tout en vraisemblance,
l’improbable individu va générer
l’incertitude quand à son existence effective
ou imaginée (par le pêcheur Belkacem Le
Louët) qui se traduira au niveau de la
représentation par l’alternance toujours
hypothétique du rêve et de la réalité.
L’histoire est donc centrée sur un unique
personnage auquel viendra se greffer un
actant nébuleux, alibi verbal d’une thèse
plutôt qu’entité anthropomorphe dûment
concrétisée. Cette thèse: la néantisation
progressive de la créativité humaine suite à
la dégradation progressive du milieu pour
cause d’impact environnemental (I.E)
négatif de l’homme sur la biosphère, le tout
conduisant au départ des mammifères
1. Voir sur ce thème, Gilles Lipovetsky, Les temps
hypermodernes, Nouveau Collège de Philosophie,
Paris, Grasset, 2004.
marins, principaux vecteurs de créativité
humaine, vers une dimension parallèle. La
thèse, science-fictionnelle s’il en est,
interprète le concept d’«héritage
bioculturel» en fictionnalisant le lien nature /
société, en réifiant l’interaction entre les
organismes vivants et l’environnement sous
la forme féerique d’une symbiose entre
l’homme et l’animal. Il s’agit donc d’une
écofiction, autrement dit d’une souscatégorie
de la science-fiction avec laquelle
il faut compter, au moins depuis la parution
en 1965 de l’emblématique roman-univers
Dune de Frank Herbert2. La nouvelle de
Wagner prend des airs de conte quand elle
flirte avec la fable animalière. Elle donne
également lieu à un exposé didactique et
édifiant relatif à la débâcle bio-culturelle,
formulé dans les termes du darwinisme et de
la biologie environnementale, dans un style
qui prévient le risque de dérive jargonnesque
en restant d’une lisibilité cristalline (trop
cristalline ?). Frôlerait-elle alors (nous-y
reviendrons) le traitement «bon enfant» et le
risque d’être pour partie considérée comme
simple historiette pour jouvenceau en mal de
révolte. Nous pensons que non car fort
heureusement, l’actualité de la thématique
(l’écologisme, la critique techniciste de la
dialectique homme / machine,l’inquiétude
éco-environnementale) et le traitement
particulier que l’auteur réserve à son
morceau didactique (le point de vue de
l’homme-enfant) permettent au récit de
2. Rappelons pour mémoire qu’on parle également de
« Fiction spéculative » concernant des romans ou
nouvelles futuristes qui, contrairement à la Hard SF,
minorisent la place de la science. Voir par exemple
Sécheresse de James G. Ballard (1964) ou Le Monde
vert de Brian Aldiss (1962).
6/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
déployer sa charge d’imaginaire au-delà de
l’apparent premier degré de dénonciation.
1. b. Les entrées thématiques explicites:
Techno-science et éthique de
l’environnement
Le récit ouvre donc un champ thématique à
l’alarmisme écologique et à la technoperplexité
ambiante. Celle-ci n’a
évidemment pas attendu les années 90 pour
s’exprimer à travers le médium artistique,
élitiste ou populaire, dans les ouvrages de
Jacques Ellul ou sur grand écran. On se
souvient de l’impact sociétal du film Soleil
Vert qui incita, image de marque et
philanthropie obligent, les grandes firmes,
usines et manufactures des pays développés
à reconsidérer la douteuse efficience du
traitement de leurs rejets industriels.Le
débats des «antis» à pris aujourd’hui des
allures de méli-mélo où viennent se croiser
sous une même bannière, les préoccupations
technophobes, pro-environnementales ou
anti-progressistes, chacune légitimes malgré
la cacophonie médiatique à laquelle elles
sont susceptibles de donner lieu (pour
preuve les multiples sommets qui se croisent
sans se rencontrer).
Dans ce contexte l’écofiction gagne, en sus
de sa vocation à divertir, celle de rendre
compte de l’angoisse ambiante face à
l’apparent dérèglement de l’équilibre
biologique nécessaire à la survie des espèces
(la nôtre comprise) et de leur habitat. Elle est
«(…) une manière d’entrer en résonnance
avec l’imaginaire d’une époque fascinée par
sa puissance et terrifiée par un avenir dans
lequel elle ne sait plus lire que des
promesses de déclin» (Chelbourg, 2012:
229). Ces préoccupations comblent, sous la
forme de constats dramatisés et à faible
renfort de personnages, la vacance
topographique projetée par le «Fragment du
livre de la mer», dont le principal
protagoniste sait pertinemment que sa
«machine» (son chalutier) est (…) plus
compétente que lui (Wagner, 1998: 1233). Il
reconnaît l’infime place réservée à l’humain
dans un monde «automatisé» où les
campagnes de pêche se satisfont d’un seul et
unique membre d’équipage, et ce, malgré la
législation maritime faussement humaniste
qui stipule qu’«(…) aucun ordinateur ou
réseau d’ordinateurs ne [doit] être laissé sans
surveillance humaine aux commandes d’un
engin motorisé» (Wagner, 1998: 1228). La
remarque a valeur d’aveu et dépouille le
facteur humain de sa qualité d’agissant. Il
s’inscrit ainsi en filigrane du récit, une
image dystopique du progrès technologique
que l’évolution du texte et son dénouement
viennent définitivement conforter: Belkacem
cède à l’appel de la mer et s’en va rejoindre
les mammifères en partance vers une énième
utopie, cette fois pareillement partagée par
l’homme et l’animal. «Il subsistait si peu de
poisson dans les océans (…)» (Wagner,
1998: 1229) nous dit le narrateur. Citation à
laquelle répond en échos cette information
déjà ancienne: «L’:::union::: Internationale pour
la Conservation de la Nature (l’UICN)
estimait en 2008, que plus de 20% des 5400
mammifères de la planète étaient menacés»
(Vernier, 2011: 92).La disparition apparente
des mammifères marins est alors
contrebalancée, en imagination, par leur
scission d’avec l’actuel règne humain et leur
accession à un «(…) univers où avait fui
toute l’imagination du monde» (Wagner,
1998: 1238). La nouvelle exemplifie
Ressorts écofictionnels de la nouvelle…/7
concrètement et symboliquement le technoscepticisme
et l’importance de l’«empreinte
écologique» de l’homme1. Elle laisse
apparaître d’une part une non-relation entre
le personnage principal et la «machine» en
déplaçant la part constructive de l’action
vers le chalutier «entièrement automatisé»,
en neutralisant l’habituel statut actantiel de
l’homme, en réduisant son rôle à celui
d’observateur passif d’autre part, elle met
en scène les conséquences de la
surexploitation de la nature, la situation
d’«overshoot» (Viel, 2006: 34) à laquelle est
actuellement confrontée notre civilisation,
en la déplaçant vers la fable futuriste. Ainsi
thématisé et finalisé, le récit prend la forme
d’une chronique dysphorique (pour une fin
annoncée) et rend synthétiquement compte,
le format de la nouvelle aidant, d’un état de
civilisation à venir.
1. c. Le recourt au nivellement
représentationnel
L’événement central autour duquel se
construit le récit est sans conteste la
découverte de l’enfant dans les mailles du
filet du chalutier. L’invraisemblance de la
situation ouvre d’emblée la porte au
nivellement représentationnel et à la
modélisation de la réalité intratextuelle: «[Le
navigateur] crut tout d’abord se trouver en
présence d’un poisson d’une espèce
inconnue, dont la forme évoquait celle d’une
main. Puis il vit le poignet, et une partie de
l’avant-bras qui y était attaché, et il comprit
1. Le concept d’«empreinte écologique» a été
développé conjointement par Mathis Wackernagel et
William Rocs dans les années 1990 et consiste, très
schématiquement, en «(…) une mesure simplifiée de
la pression exercée par l’homme sur la nature»
(Dominique VIEL, Ecologie de l’apocalypse, 2006,
p. 33).
qu’il ne s’agissait pas d’un poisson »
(Wagner, 1998: 1229). La suite du récit sera
fortement tributaire du point de vue de
Belkacem et du degré de réalité qu’il confère
à l’apparition. Le rêve et la réalité vont dès
lors se partager alternativement l’espace du
texte pour finalement se superposer au terme
du récit.
Quatre moments sont à prendre en compte
dans l’ensemble de la représentation.
1/ La scène d’exposition qui, par la vacuité
du cadre présenté (l’eau et le chalutier) fait
office d’«appel d’air» à l’événement
«singulier» et à sa charge fictionnelle.
2/ L’événement en tant que tel (l’enfant)
qui s’insinue dans la diégèse comme un
motif fantastique pour faire entrer le récit
dans sa phase alternative: rêve et réalité,
rationalisme et irrationalité vont se partager
les trois quart restant de la nouvelle.
3/ Le rêve est ensuite explicitement
introduit en prévision d’un prochain et
imminent basculement onirique: «(…) il
s’était laissé emporter par le flot onirique
jusqu’au petit matin (…) la couchette était
vide (…). Etrangement, il éprouva plus de
difficulté à envisager la réalité de cette
rencontre impossible qu’il n’en avait
rencontré un instant plus tôt pour admettre
qu’il s’agissait seulement d’un rêve de marin
trop solitaire» (Wagner, 1998: 1231).
L’introduction du thème du rêve est
précédée de son contexte, un jeu de motscroisés
dont «(…) les grilles à demi remplies
le poussèrent à prendre un crayon» et à
rejoindre le royaume de Morphé.
4/ Escamotage de la scène rêvée,
ultérieurement retranscrite sous forme d’un
monologue au statut ontologique incertain.
Durant son sommeil, Belkacem a pris des
8/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
notes qu’il s’applique à remettre dans
l’ordre à son réveil. Une fable scientiste
s’ensuivra sous les traits d’un long discours
rapporté, au cours duquel l’énigme de
l’enfant trouvé trouvera sa résolution.
Durant son sommeil (provoqué ?)
Belkacem rédige à son corps défendant
(télépathie oblige) une manière de charte
racontée en faveur de la préservation de
l’environnement. Il en ressort un récit
enchâssé, sorte d’îlot énonciatif quasi
autonome et fortement axiologique. Il relate
une histoire alternative de la Terre qui doit
beaucoup à la logique darwinienne de la
prolifération sélective des espèces, aux
discours relatifs à leur capacité d’adaptation,
ainsi qu’à leur complémentarité. Ce morceau
didactique offre une vue succincte de «(…)
L’histoire de la planète. L’histoire de la vie,
de son évolution obstinée, de ses
innombrables mutations» (Wagner,
1998:1234). Le texte associe allègrement
lecture et interprétation naturaliste du vivant,
au spiritualisme New Age dont il sera plus
loin question: «La symbiose qui unit
l’ensemble des créatures vivantes est plus
profonde qu’il n’y paraît. Il ne s’agit pas
seulement d’un système fonctionnant en
vase clos, d’un processus pour ainsi dire
mécanique d’association entre les espèces.
Elle possède également une dimension
spirituelle – dont les cétacés, et plus
particulièrement les dauphins, sont les
catalyseurs. Nous régulons l’harmonie
psychique de ce monde» (Wagner, 1998:
1234)1. La sobriété de ton, tire le discours
vers le compte rendu zoologique alors même
que le traitement réservé au motif du
dauphin le rattache à la féerie animalière. Le
1. C’est nous qui soulignons.
rêve est le lieu d’une inférence surnaturelle
qui rationnalise l’inconcevable. Paroles
positives et fantasmagorie onirique traverse
le récit en suspendant sa charge de réalité.
Et c’est bien à l’omniprésent motif de la
rêverie que le récit doit le maintient de son
atmosphère d’incertitude tant représentationnelle
que générique. Car d’une part,
la posture psychologique dubitative du
personnage se répercute sur l’ensemble du
récit et suspend l’identification ontologique
de l’univers configuré par celui-ci, et d’autre
part, la sauvegarde de cette incertitude
ontologique empêche la cristallisation
générique de l’histoire jusqu’à son
dénouement. Autrement dit, le
positionnement générique du lecteur ne
cesse de balancer entre récit merveilleux et
science-fiction. Les motifs de la fable
(l’enfant, les mammifères, la poésie marine)
interfèrent avec ceux du discours rationnel
sur la préservation de la nature, de la beauté
et de la créativité. Des profondeurs de la
mémoire de Belkacem «des bribes de
légendes anciennes remontèrent, nous est-il
dit, telle une déferlante sur la crête de
laquelle surfaient cités englouties, hommespoissons,
sirènes à la voix enchanteresse,
dieux atrabilaires armés de tridents et
déesses voluptueuses juchées sur des
coquillages géants» (Wagner, 1998: 1230).
Des images fantasmagoriques en puissance,
et qui le disputent, répétons-le, à la
retranscription par le navigateur de
l’idiolecte scientifique des naturalistes et des
protecteurs de la nature, à même les pages
d’un magazine (état de transe ou de sommeil
aidant).
Ressorts écofictionnels de la nouvelle…/9
2. Les soubassements New Age de la
nouvelle
Un récit naturaliste donc, qui choisit
comme décors l’océan, niche écologique à
l’échelle du monde, et comme mode de
narration, celle à la troisième personne qui
permet d’établir avec objectivité (le sujet est
sérieux et présenté comme tel) une distance
respectable avec l’événement décrit. La
focalisation interne et l’adoption du point de
vue du personnage par le narrateur confère
alors ponctuellement à l’histoire un
supplément d’intensité (psychologique) et
permet aux lecteurs d’en percevoir toutes les
virtualités (le monde objectivement décrit en
même temps que les doutes du personnage).
L’auteur, par l’intermédiaire du décor et de
la perspective narrative compose ainsi, avec
un art consommé du dépouillement, une
nouvelle dont la seule dimension dénotative
suffit à asseoir le caractère édifiant. Or, une
esthétique impliquant toujours des
présupposés, c’est sur d’autres thèses,
contemporaines et particulièrement
prégnantes dans le contexte d’urgence
environnemental actuel que l’on débouche
en remontant le fil de la symbolique
écofictionnelle de ce bien nommé
«Fragment du livre de la mer».
2. a. La nébuleuse de «l’Age du Verseau»
Qu’on les considère comme spiritualistes,
millénaristes, animistes, ces thèses associent
indistinctement des croyances mystiques
anti-créationnistes qu’il serait malaisé de
rattacher à une chapelle particulière. On
parle alors de New Age pour désigner dans
leur ensemble, toutes les philosophies qui
prônent l’«éveil spirituel» moyennant un
retour de l’individu sur lui-même et sur le
monde. «(…) il n’y a donc rien de moins
nouveau que le New Age» comme le note
Massimo Introvigne, spécialiste du
mouvement, qui ajoute que tout ce qui
relève de «l’idée de changement d’époque»,
millénarisme oblige, peut être considéré
comme «point de départ» du New Age
(Introvigne, 2005: 52).
On considère malgré tout que c’est dans la
Californie des années 1960 et sa contreculture
«Hippie» que le New Age aura
trouvé sa géographie d’élection, avant d’être
théoriser par Marilyn Ferguson en 1980,
dans son ouvrage, Les Enfants du Verseau.
Le titre du livre fait référence à un ouvrage
bien antérieur, L’Ere du Verseau, rédigé en
1937 par le Français Paul le Cour (1871-
1954) un féru d’astrologie qui plaçait dans le
signe du Verseau une espérance toute
particulière.1 De cette «Ere du Verseau»
chère aux plus ésotériques parmi les adeptes
de l’astrologie, il est dit qu’«(…) elle débute
lorsque le lever du soleil à l’équinoxe de
printemps passe du signe zodiacal des
Poissons à celui du Verseau (sic)» et par la
suite et surtout plus prosaïquement, que le
signe du Verseau symbolise «(…) l’effusion
bénéfique et fertilisante de la prospérité et de
la paix» (Vernette, 1993: 3).Cette aspiration
à une nouvelle ère de béatitude, en vogue
depuis les années 1960, s’est un temps
généralisée en puisant son inspiration dans
les sources orientales (indouisme, tantrisme,
etc.). Elle signale par-dessus tout le retour
d’une forme d’animisme contemporain qui
jadis «(…) caractéris[ait] l’alchimie de la
renaissance italienne» (Chelbourg, 2012: 32)
et constitue à ce titre une aspiration
1. Comme l’indique le sous-titre de son livre: «Le
secret du zodiaque, le proche avenir de l’humanité».
10/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
également occidentale qui s’est décliné aussi
bien dans les termes de la religion chrétienne
d’une Alice Bailey (théosophe qui, dans
entre les années 20 et 30 professa le retour
du Christ) que dans ceux, écologiques, de
James Lovelock, scientifique britannique
dont l’ouvrage La terre est un être vivant fut
publié en 1980, parallèlement au livre Les
Enfants du Verseau de M. Ferguson.
Le thème de la quasi-sacralisation de la
Terre-Mère était déjà présent chez Goethe
ou Novalis. Pour Lovelock en revanche,
dont la vision du monde rejoint celle
projetée par l’univers configuré par Roland
Wagner dans sa nouvelle, le thème de la
préservation vient doubler le panthéisme des
romantiques allemands: la planète terre est
un organisme vivant dont l’interconnexion
des parties, évidente en tant que telle, force
la conscience humaine à muer en conscience
écologique1. L’enfant de la nouvelle qui s’en
est allé rejoindre les dauphins au large
d’Ouessant, qui entre en symbiose avec le
règne des cétacés, qui fait office d’interface
entre ce règne et celui de l’homme pour
communiquer un solennel message de mise
en garde contre la destruction des biotopes et
la déperdition des équilibres
environnementaux et plus particulièrement,
contre «le véritable empoisonnement de
certaines mers» (Wagner, 1998: 1235). Cet
enfant actualise symboliquement l’accession
à une forme symbiotique d’unité ingénument
prônée par les partisans du Verseau et autres
1. Dans son ouvrage, il regroupe ses hypothèses quasi
animistes sous le titre générique d’ « hypothèse Gaïa
(terre mère) ».
adeptes du MDPH (Mouvement de
Développement du Potentiel Humain).2
2. b. Channeling et imaginaire du lien
Par la mise en scène de l’interdépendance
d’entités organiques supérieurs telles que
l’homme et le dauphin, la nouvelle de
Wagner prend donc le chemin de la fable
mystique. Elle laisse ressurgir d’anciennes
conceptions animistes, celle chère à Kepler
d’une «âme du monde» par exemple, ou
bien celles de Giordano Bruno et de
Tommaso Campanella qui, comme le note
Chelbourg, s’appuyant sur des visions issues
de la tradition stoïcienne, «(…) présentaient
l’univers comme un gigantesque animal
dans lequel les autres êtres vivants, et
notamment la terre, étaient comme
emboîtés.» (Chelbourg, 2012: 28). Le lien
fictionnel dont il est question dans le
«Fragment…», la voix sublimée de l’enfant
l’exprime dans les termes de la
«complémentarité» et de la «cohésion»:
«Nous ne faisons qu’un. Nous sommes le
biote. Le Tout plus grand que la somme de
ses parties, où chacun joue un rôle, de
l’humble bactérie à la pensive baleine»
(Wagner, 1998: 1234). La vision mystique
précité qui est également celle du tantrisme
moniste pour lequel «tout est Un», est ici
réinvestie par le discours scientiste où
viennent se mêler les résurgences New Age
du vitalisme (perçu sur un mode ludique par
les enfants en bas âge, et parfois désiré par
les adultes): «Peut-être est-ce cette vague
mémoire de son histoire génétique qui a
permis à la Vie de se montrer si efficace»
2. Voir sur ce sujet la liste exhaustive des différents
mouvements prétendument d’ « éveil spirituel » dans
l’ouvrage de Jean Vernette cité dans la bibliographie.
Ressorts écofictionnels de la nouvelle…/11
(Wagner, 1998: 1234) nous est-il dit du
miracle de l’existence, sur un mode pour le
moins anthropomorphique et des créatures
enfin, il nous est dit que «(…) toutes [celles]
composant le biote sont nos soeurs»
(Wagner, 1998: 1234) en rattachant cette
nouvelle version de l’imaginaire du lien au
registre religieux.
A propos du lien toujours, et de la
déclinaison thématique qu’il autorise, il faut
noter qu’elle mise sur une autre entrée (et
non des moindres) de la nébuleuse New Age,
le Channeling ou le principe de
communication des êtres par-delà les
dimensions1. Ici encore le syncrétisme prime
et englobe, derrière l’idée d’un type
transcendantal de communication, des
références à la gnose des lointaines limites
de la Méditerranée et du Moyen-Orient, et
d’autres références tirées du vocabulaire de
la moderne Société Théosophique2. La
gnose ou «connaissance» oeuvra en son
temps pour la mise en valeur de la part de
réalité invisible contenue, inégalement, dans
les trois systèmes platoniciens,
pythagoriciens et stoïcien. Elle «(…) visait à
permettre à l’âme humaine émanée des
mondes supérieurs, d’en retrouver le chemin
et de les rejoindre en réintégrant son
appartenance au ‘plérôme’ [la plénitude]
éternel» (Vernette, 1993: 25). La Société de
Théosophie de son côté, a contribué à
mythifier cette même réalité inaccessible au
profane en imaginant la catégorie pour nous
1. Pour une vue exhaustive du Channeling, voir
l’ouvrage de référence de Wouter Hanegraaf, New
Age Religion and Western Culture, State University
of New York Press, 1998.
2. Association fondée en 1875 par Helena Petrovna
Blavatsky pour promouvoir et diffuser la doctrine
théosophique néo spiritualiste inspirée par cette
dernière.
merveilleuse des «Ascended Masters» qui
comprend «(…) des êtres humains qui,
libérés du cycle des réincarnations,
continuent cependant par compassion à
s’intéresser à la vie historique des hommes
et des femmes (…)» (Introvigne, 2005: 14) à
maintenir avec ceux-ci un lien spirituel (ô
miracle de la magie!) par transmission de
pensées3. Le Channeling actualise ces
originelles versions de la télépathie transindividuelle
réservée aux initiés d’un
ésotérisme antique et élitiste par un procès
de désenchantement (relatif), en rendant la
communication spirituelle accessible à tous
moyennant la pratique de techniques
d’«élargissement de l’âme». Dans cette
optique, et «(…) à mesure que la conscience
individuelle devient plus consciente d’ellemême,
nous est-il dit, elle se découvre
comme simple parcelle de la Conscience
cosmique» (Vernette, 1993: 13) et les parties
peuvent ainsi communiquer entre elles et
avec le grand Tout4.
Quand à notre fable marine, s’il est vrai
qu’elle participe de la mystique
explicitement formulée de la correspondance
des choses, sa parenté directe avec le
registre New Age reste à prouver. De
sérieux liens d’homologie apparaissent
néanmoins, qui permettent d’associer le récit
de la transsubstantiation merveilleuse d’un
homme à l’univers aquatique des cétacés
supérieurs. «Mon peuple sait depuis
longtemps comment employer les courants
transversaux qui franchissent les univers»
3. L’Inde bien évidemment connaît ce type de
divinités, des « Maîtres de lumière », aptes selon
certaines croyances populaires à entrer en
comm:::union::: télépathique avec leurs ouailles.
4.« Dans le meilleur des mondes possibles » serionsnous
tenté de dire ironiquement à propos de ce
spiritualisme pour le moins arbitraire.
12/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
affirme l’enfant-dauphin (Wagner, 1998:
1235) qui clame par ailleurs
péremptoirement : « Nous régulons
l’harmonie psychique de ce monde »
(Wagner, 1998: 1234) mais aussi: «Nous
étions le moteur de ce monde. Son esprit de
création, son inventivité» (Wagner, 1998:
1235). Cette phrase enfin, qui tombe comme
une sentence à rebours: «(…) vous avez
détruit notre biotope» (Wagner, 1998: 1235)
et qui associe définitivement le récit à la
mystique écologique de la nébuleuse du
Verseau. Autant d’assertions qui orientent (à
son corps défendant?) la fiction de Wagner à
l’intérieur de la sphère d’influence du New
Age en la parant des attributs récréatifs de la
science-fiction.
3. L’«Esprit dauphin»: ouverture
thématique
Que le New Age soit susceptible de donner
du grain à moudre au moulin de la sciencefiction,
c’est un fait que le récit de Wagner
illustre à sa façon. Il serait cependant
réducteur de limiter la compréhension du
texte à une interprétation de type
idéologique quand on constate à quelle autre
source de l’imaginaire populaire mais aussi
scientifique, le bestiaire (il est vrai limité) de
la nouvelle peut aisément être associé.
Une figure pour le moins annexe renvoie
plaisamment l’imaginaire de l’enfantpoisson
du «Fragment…» aux planches et
aux bulles du 9ème art, en format de poche et
en noir et blanc. En octobre 1978 paraissait
en effet aux éditions Mon Journal, la bandedessinée
Antarès (du nom de son personnage
principal) de Juan Escandell. La BD en
question est une chronique de la vie
aventureuse d’Antarès, un jeune garçon
amphibie aux origines extraterrestre
incertaines qui hante les océans du globe en
compagnie d’un fidèle et loquasse dauphin
Tursiops. Réservé à un lectorat de jeunes, le
récit d’Antarès est en tout point sommaire
(c’est la règle du genre). La BD permet
néanmoins d’actualiser l’immémoriale
figure de l’homme-poisson, idéalement
incarné par le mythologique Poséidon et les
multiples déclinaisons du mythe de
l’Atlantide et de ses habitants. Par le biais de
l’homme-poisson se voit ici réalisé
l’infantile phantasme de la communication
homme / animal (auquel ne seront pas les
derniers à souscrire les actuels passionnés de
la gente canine toutes tranches d’âge
comprises (sic)). Le cas n’est pas rare dans
la science-fiction dont l’une des
caractéristiques (et non des moindres) est
d’accueillir dans ses pages les craintes et les
angoisses les plus primitives et les plus
instinctives de l’homme. L’animal y tient
souvent une place de choix, dans sa version
anthropomorphe ou franchement antianthropomorphe
(de par son étrangeté) 1.
«La science-fiction est plutôt un des derniers
refuges où l’imaginaire se donne des
monstres à haïr et à détruire, où l’animal à
encore sa fonction de repoussoir d’humanité
(…)» note Alexandre Hougron dans des
pages consacrées, entre autres et dans une
optique psycho-sociologique, au statut de
l’animal dans la SF (Hougron, 2000: 44). Il
s’agit de la part d’animalité inscrite en
l’homme, honni et traquée aux moyen-âge
déjà par la société et les gardiens de sa
1. Les exemples ne manquent pas de romans qui
misent sur l’aversion ressentie au contact des bêtes ou
de leurs ersatz fictionnels. L’île du Docteur Moreau
et Les Premiers Hommes dans la lune de H. G. Wells
en constituent deux exemples canoniques.
Ressorts écofictionnels de la nouvelle…/13
morale, et dont il resterait encore, dans la
SF, «(…) quelque chose du côté de
l’exutoire ou du fixateur d’un
incompréhensible résidu (d’animalité,
précisément) et ce malgré toute la
civilisation et la technologie accumulée»
(Hougron, 2000: 44). Il est d’ailleurs
significatif que le chaos consubstantiel au
monde était anciennement représenté par un
animal d’origine aquatique. Seulement,
modernité et conscience écologique
obligent, une autre vision de la bête est
venue supplanter la charge négative de
l’image véhiculée par l’animal. Et c’est donc
à un juste retournement des choses que nous
convie Wagner dans sa nouvelle en
réinvestissant l’eau et sa faune de vertus
bénéfiques, positives comme celle évoquée
par le symbole du porteur d’eau étancheur
de soif de l’ancien Zodiac.
Les dauphins «(…) avaient autrefois
symbolisés la migration des âmes» (Wagner,
1998: 1237). comme le découvre Belkacem
dans ses lectures, en attendant de rallier les
profondeurs de la mer à dos de dauphin,
«(…) dans cette autre univers où l’océan
était propre» (Wagner, 1998: 1238).
L’écofiction moderne suit le sillon freudien
de la déculpabilisation vis-à-vis des instincts
primaires et de leurs récipiendaires
symboliques, les bêtes. Elle illustre, comme
le fait en général toute fiction soucieuse de
puiser dans les différents discours
épistémiques de quoi nourrir sa propre
matière et sa propre évolution. Les
correspondances ne manquent pas, réelles et
symboliques entre l’ordre de la création et
celui des sciences, historiques, humaines ou
positives. A ce titre, un dernier lien
mériterait d’être établit, entre notre nouvelle
et l’ouverture d’une certaine perspective de
recherche rendue officielle lors d’une
assemblée scientifique des plus sérieuses, la
huitième International Daulphin and Whale
Conference qui s’est tenue à Paris en
novembre 1999. Les débats, organisés par
Communicare, une association installée en
Australie, s’était fixée pour objectif «(…) de
rassembler des spécialistes de différentes
disciplines afin qu’ils puissent, ensemble
résoudre l’énigme des messages
qu’adressent les dauphins et les baleines aux
humains» (Servais, 2000). Et l’on ne peut
s’empêcher d’inscrire avec amusement la
perspective adoptée par les naturalistes à ce
moment présents à Paris, dans la continuité
du texte de Wagner, car pour nombre d’entre
eux, tous en quête de l’«Esprit dauphin»,
celui-ci «(…) représente un état d’animalité
qui, exceptionnellement, n’est pas synonyme
de régression mais de progression: il est
l’étape suivante de l’évolution humaine»
(Servais, 2000) celle qui fera de l’homme, à
l’image du dauphin, un être «plus
pacifique», «plus sage», «plus fraternel», et
finalement, «plus humain».
Conclusion
Le «Fragment du livre de la mer» est une
courte nouvelle, un épiphénomène
écofictionnel qui peut difficilement tenir la
distance face à des monuments du genre tels
que le Troupeau aveugle de John Bruner
(1972), Le Monde vert de Brian Aldiss
(1962) ou Le Monde englouti de James G.
Ballard (1962). Tous ces romans font de la
veine environnementaliste un domaine
thématiquement bigarré et prospectivement
porteur, parfois fantaisiste à l’extrême
comme l’exemplaire planète verte d’Aldiss
14/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
et sa végétation débordante. Les auteurs de
cette tendance semblent se soucier de
l’avenir économique et environnemental
projeté par les futurologues des soucis il est
vrai, autrement dramatique en comparaison
aux préoccupations de chapelle et d’avantgarde
littéraire. Il est également vrai que le
Main Stream littéraire n’a pas tardé à s’y
frotter, à cette fiction écologique, à travers
des ouvrages tels que le collectif Les mondes
d’après, nouvelles d’anticipation écologique
publié par les Editions Golias, et qu’on peut
difficilement associer à l’imaginaire sciencefictionnel.
«Fragment du livre de la mer» est
cependant emblématique de cette tendance,
en ce qu’elle articule et traite, en sa qualité
de texte fictionnel et sur le mode
merveilleux, une multitude de thèmes
profondément enracinés dans l’imaginaire
contemporain du déclin technoenvironnemental
auxquelles la littérature
générale gagnerait (pragmatisme oblige) à
s’intéresser de plus près.
Bibliographie
Chelebourg, C. (2012). Les Ecofictions. Mythologies
de la fin du monde. Clamay: Les Impressions
Nouvelles.
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stratégie de la fin, Boccace, Cervantès, Marguerite
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mise en récit de l’argument de la pente fatale. in La
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Nouvelles des siècles futurs (2004), textes réunis par
Jacques Goimard & Denis Guiot. Paris: Omnibus.
La négation en tant que processus de la signification: le cas des discours
littéraires
Kariminejad, Somayeh
Doctorante en didactique du FLE, Université Tarbiat Modares, Téhéran, Iran
Somaye.kariminejad@yahoo.com
Shairi, Hamid Reza
Maître de conférence, Université Tarbiat Modares, Téhéran, Iran
shairih@yahoo.fr
Safa, Parivash
Maître assisante, Université Tarbiat Modares, Téhéran, Iran
safap@modares.ac.ir
Nabavi, Lotfollah
Maître assisant, Université Tarbiat Modares, Téhéran, Iran
nabavi@modares.ac.ir
Reçu:5.2.2013 Accepté: 21.5.2013
Résumé
Depuis longtemps la négation était le sujet d’étude de différents domaines, surtout en philosophie,
en logique et certainement en linguistique. La sémiotique, en tant que réflexion générale sur les
systèmes de signes et de significations et en tant que science, associe la négation à la signification et si
une quelconque positivité émerge d’un processus des significations, c’est que l’élan initial a eu lieu
grâce à une négation génératrice. En général les approches et les typologies de la négation sont
nombreuses. Cette pluralité s'explique par la complexité et la diversité des négations. Dans notre
recherche, on essaie de montrer que faire du discours, n’est qu’une émergence de la relativité. En effet,
du point de vue sémiotique, la négativité devient inhérente aux modalités du processus de
signification d’une part c’est à partir de la commination négative sur le fond amorphe du sens, et
d’autre part par la commination négative sur la première différence qui fait apparaître la signification.
Alors Cet article tente d'examiner la notion de la négation ainsi que son rôle dans l'analyse du
processus de la signification à travers les discours littéraires français et persan. Et aussi on voudrait
savoir comment le discours est modelé par la négation ? Autrement dit, l'objectif de cet article est de
décrire les modes du fonctionnement de la négation dans le discours littéraire français et persan.
Mots clés: négation, différence, discours littéraire, signification, sémiotique
Introduction
La conception de la négation est une
réalité indéniable dans toutes les langues
vivantes. La négation nous met en présence
d'un terme abstrait qui a des racines dans la
philosophie, la logique et la sémiotique et
qui n'est pas facile à définir. Du point de
vue sémiotique, cette notion fait référence à
une opération par laquelle est nié soit un
terme soit un actant, et grâce à laquelle la
différence entre deux unités sémantiques ou
la disjonction entre le sujet et l’objet de
valeur est établie. Selon la sémiotique, la
négation est inhérente aux modalités du
processus de signification. En effet la
négation participe à la production de
laignification de plusieurs manières : soit à
partir de la prise en considération de la
structure différentielle et de la relation
oppositionnelle soit en se fondant sur la
structure tensive. La négation fonctionne en
fait comme une procédure dynamique qui
réorganise notre compréhension du monde
et des choses. Etant donné que la négation
occupe une place primordiale au sein du
langage, dans cet article nous aborderons
les modes de son fonctionnement dans le
16/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
discours littéraire à partir d'un corpus
extrait de la littérature française (les poèmes
de Jaques Prévert) et persane (les poèmes
de Sohrab Sepehri et de Mawlana ainsi
qu’une pièce de théâtre de Radi).
Cela dit, après avoir fait une brève
récapitulation historique de la notion de
négation, nous tenterons de répondre aux
questions suivantes: En quoi la négation
fonctionne comme un moteur de sens dans
les discours littéraires? Quels rapports y a-til
entre la négation et l’acte de l’énonciation
littéraire? Comment le discours est-il
modelé par la négation? Quelle place est
donnée à la négation de la part de différents
sémioticiens?
Historicité sur les origines sémiotiques de
la négation
Négation vient du latin «negatio», action
de nier. Selon le dictionnaire latin-français
«Action, attitude qui va à l’encontre d’une
chose, qui n’en tient aucun compte». En
effet, si nous adoptons le point de vue
sémiotique, selon Zepeda et Moreno (2011:
2): «la négativité qui provient de ce qui est
négatif ou qui y conduit, devient inhérente
aux modalités du processus de signification,
du fait qu’il possède ou produit du sens et
partage, avec la positivité et dans des
conditions égales, sa place dans la
structure».
Du point de vue philosophique et
logique, la négation a été proposée par
Platon, Aristote, Hegel, et Marx. A cet
égard, on pourrait mentionner la théorie du
syllogisme d'Aristote (2005: 97), qui a été
présentée pour la première fois dans le livre
Organon, (1994: 61) qui repose sur une
théorie de l'assertion. Selon cette théorie,
chaque proposition assertorique est soit une
affirmation soit une négation. Une
affirmation est une proposition dans
laquelle un prédicat est affirmé d'un sujet,
comme dans «Socrate est juste» ou
«Socrate court». Une négation est une
proposition dans laquelle un prédicat est nié
d'un sujet, comme dans «Socrate n'est pas
juste» ou «Socrate ne court pas». Selon
Aristote, les négations ont la même
structure que les affirmations: toutes deux
sont simples. A noter aussi qu'Aristote
utilise normalement l’«affirmatif» et le
«négatif» pour distinguer les affirmations
des négations mais il lui arrive aussi
d'utiliser synonymie le «positif» à la place
de l’«affirmatif» et le «privatif» à la place
du négatif.
On peut présenter les idées d'Aristote
sous forme d'un digramme qui nous donne
le fameux carré d’opposition:
Dans cette étape sera abordé le point de
vue de Hegel (1991: 68-81) sur le terme
«négation», à ce propos il faut dire qu’il
développe un système philosophique en
fondant toute sa pensée: la dialectique.
Cette dialectique hégélienne désigne l’accès
à la vérité et à l’idéalisme absolu via des
idées contradictoires. C’est de la
confrontation des contraires et de leur
dépassement dans la synthèse des deux que
la pensée se construit pour le philosophe.
Ainsi, la négation n’est jamais pensée
comme un échec chez Hegel, mais plutôt
comme une étape nécessaire et constructive
La négation en tant que processus de la signification …/17
vers la vérité. L'essentiel du parcours
dialectique hégélien va de l’affirmation à la
négation et de la négation à la négation de
la négation (on dit parfois: thèse, antithèse,
synthèse1). Le devenir s'opère en fait par les
dépassements successifs des contradictions.
Dépasser, ici, c'est de nier mais en
conservant, sans anéantir. Par exemple, la
fleur nie le bouton mais en même temps le
conserve puisqu'elle en est le prolongement.
De même le fruit nie la fleur tout en la
conservant. Chaque terme nié est intégré.
Les termes opposés ne sont pas isolés mais
en échange permanent l'un avec l'autre. La
contradiction joue donc un rôle essentiel.
Toute réalité est un jeu de contradiction :
mort et vie, être et néant etc. en bref le
négatif est créateur.
La dialectique prend toute sa
signification avec Marx et Engels. Selon
Engels : «La dialectique considère les
choses et les concepts dans leur
enchaînement, leur relation mutuelle, leur
action réciproque et la modification qui en
résulte, leur naissance, leur développement
et leur déclin » (1950: 392). Ce sont en effet
eux qui feront de la dialectique une théorie
générale des développements, en accord
avec les acquisitions théoriques des
sciences. Pour Marx il faut partir de la
dialectique de Hegel : qu’est-ce donc que la
dialectique pour Marx: « C’est la science
des lois générales du mouvement et du
développement de la nature, de la société et
de la pensée » (1998: 4). Cette science
consiste en trois principes généraux: 1) la
loi de l’unité des contraires et de leur lutte:
toute chose a deux aspects opposés, un pôle
négatif et un pôle positif en quelque sorte,
amenant le développement et le mouvement
de la chose en question 2) la loi de l’unité
1 ‐ces trois termes ont été empruntés du site :
sos.philosophie.free.fr
de l’évolution et de la révolution, du
quantitatif et du qualitatif: le
développement ne se fait pas sur le plan
quantitatif, il progresse par bonds
révolutionnaires 3) la loi de la négation de
la négation: la négation n’est pas simple
destruction de l’ancien, mais dépassement
de celui-ci on conserve de l’ancien ce qui
est valable: la négation est dialectique. De
fait Staline résume cette idée de la manière
suivante :
«Contrairement à la métaphysique, la dialectique
part du point de vue que les objets et les
phénomènes de la nature impliquent des
contradictions internes, car ils ont tous un côté
négatif et un côté positif, un passé et un avenir, tous
ont des éléments qui disparaissent ou qui se
développent la lutte de ces contraires, la lutte entre
l'ancien et le nouveau, entre ce qui meurt et ce qui
naît entre ce qui dépérit et ce qui se développe, est le
contenu interne du processus de développement»
(2003:7).
En linguistique, la négation est le plus
souvent exprimée par un élément
invariable, simple ou composé, que les
grammairiens traitent en général comme
une particule, ou, plus rarement, comme un
adverbe (dans la tradition française par
exemple). On ne discutera pas pour l'instant
ce problème de terminologie, mais on peut
faire cependant remarquer que la
«particule» n'a jamais reçu une définition
satisfaisante en linguistique, pas plus
d'ailleurs que ľ«adverbe». Mais on trouve
aussi d'autres possibilités: des auxiliaires de
négation qui portent tout ou partie des
renseignements habituellement véhiculés
par le verbe simple, et des paradigmes
verbaux particuliers où la négation est
amalgamée à d'autres marquants.
Les points de vue des philosophes du
langage et des logiciens sur la négation ont
profondément marqué les théories
linguistiques modernes concernant ce
phénomène complexe. Dans les recherches
18/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
récentes, on distingue couramment la
négation descriptive de la négation
polémique. Cette distinction, classique
depuis Ducrot (1973: 123-131), nous
permet de dire que si la négation
descriptive, propre à la phrase, «est
l'affirmation d'un contenu négatif, sans
référence à une affirmation antithétique»
(1973: 124) la négation polémique, par
contre, «est un acte de négation, la
réfutation d'un contenu positif exprimé
antérieurement par un énonciateur différent
du locuteur ou l'instance énonciative qui
produit cet acte.» (1973: 123). La négation
polémique est une stratégie argumentative,
basée sur la contestation d'un énoncé
antérieur. Sa valeur polyphonique est
incontestable elle fait intervenir deux
instances énonciatives: l'énonciateur de
l'affirmation antérieure et le locuteur de
l'énoncé qui rejette celle-ci. La négation
polémique a ainsi un caractère dialogique,
réfutatif, réplicatif, polyphonique.
Pourtant après avoir montré une brève
présentation de négation dans les différents
domaines on pourrait dire que parler du
négatif n'est pas une tâche simple pour
preuve de ce constat, on peut se référer à
l’inventaire que Denis Bertrand (2011: 2) a
fait des horizons théoriques:
«le sens ontologique du négatif d’abord (qui
s’exprime dans le rien, dans le non être), le sens
dialectique (triomphant avec Hegel, où le négatif
médiatise le passage d’un argument à un autre), le
sens axiologique (prégnant dans le champ éthique,
comme l’atteste le «négationnisme» par exemple,
mais aussi dans le champ esthétique, avec la laideur
ou la figure du «poète maudit», (…), le sens
linguistique (où les termes de la négation définissent
un type de proposition, un «ne pas» différent du sens
logique), le sens narratif (la négation narrativisée
dans le manque et dans le conflit, ou encore
envisagée d’un point de vue pragmatique et
adversatif), le sens passionnel (celui du rejet, de la
répulsion, du dégoût ou de l’aversion».
Il faudrait savoir cependant que cet
inventaire n'épuise pas le concept de la
négation qui s'approprie une place très
importante dans le langage. Et on peut dire
le négatif, c’est la moitié du langage, bref,
immense domaine, immense chantier.
La différence, l'opposition entre les
termes
La différence surgit au moins par la mise
en relation de deux termes et c’est
justement grâce à cette relation que chacun
d’eux acquiert de la valeur. Au niveau de la
relation d’opposition qui émerge entre les
valeurs, l’une d’elles a un contenu délimité,
elle s’affirme et domine l’autre, elle
s’intègre aux autres valeurs en présence en
établissant un système et en générant de ce
fait une positivité, c’est-à-dire une existence
pleine. Selon Zepeda et Moreno (2011: 9):
«Le terme positif est celui qui se réalise, en effet
sa présence dans la relation s’intensifie, tandis que le
terme négatif est déplacé vers le "fond" ou
"l’horizon", potentialise, et en" attente" d’une
nouvelle mise en relation, absente mais tout en étant
d’une certaine manière présente par l’intermédiaire
de la relation qui a eu lieu, et, par conséquent,
présente dans le processus».
Le terme positif serait, selon les propres
mots de Jacques Fontanille (1995: 1-25):
«une présentification de la présence, une
plénitude» le terme négatif, quant à lui,
«serait une présentification de l’absence».
Nous pouvons dire, en utilisant le
métalangage propre à la sémiotique tensive
proposée par Jacques Fontanille et Claude
Zilberberg (1998), que le terme positif
s’instaure de cette manière par la tonicité
qu’il acquiert. Et le terme négatif, quant à
lui, resterait atone. La présence ou
l’absence, la partie tonique ou atone des
éléments en relation d’opposition nous
permettent de commencer à voir la
dimension tensive entre le positif et le
La négation en tant que processus de la signification …/19
négatif, de même que sa densité et ses
différentes modulations.
گریه بدم خنده شدم مرده بدم زنده شدم
J’étais tout pleur je suis devenu tout joie, J’étais
tout mort je suis devenu tout vivant
2008 )دولت عشق آمد و من دولت پاینده شدم : 804)
Le royaume de l'amour arriva et je suis devenu le
bonheur éternel (traduit par les auteurs)
Dans ce verset de Mawlana, on constate la
différence entre les termes «le rire» et «le
pleur» et ainsi de suite entre «la mort» et
«la vie». Il paraît qu'un système est ici
organisé sur l'opposition entre des termes
«la mort» et «la vie» et «le rire» et «le
pleur»
Selon Louis Hjelmslev, cette opposition
laissera la place à l'opposition entre le terme
«intensif» et le terme «extensif»: «la case
qui est choisie comme intensive a une
tendance à concentrer la signification sur
les autres cases de façon à envahir
l'ensemble du domaine sémantique occupé
par la zone.» (1972: 112-113). Les termes
négatifs c'est-à-dire «le pleur» et «la mort»
sont déplacé vers le «fond» potentialisé, et
en «attente» d'une nouvelle mise en relation
et à l'inverse, les termes «le rire» et «la vie»
obtiennent la tonicité et apparaissent
comme les termes positifs.
La négation du point de vue de Greimas
Les propos de Greimas au sujet de la
négation ont été publiés dans Sémiotique en
jeu (1991), sous le titre «Algirdas Julien
Greimas mis à la question». Bertrand cite
quelques extraits de ces propos (pp. 313-
314) : Quel serait l’acte de jugement
premier qui serait un geste fondateur de
l’apparition du sens?
«(…) La perception, c’est être placé devant un
monde bariolé. Quand l’enfant ouvre les yeux
devant le monde pendant les deux premières
semaines de sa vie, il perçoit un mélange de couleurs
et de formes indéterminées: c’est sous cette forme
que le monde se présente devant lui. C’est là
qu’apparaît ce que j’appelle le sens négatif, c’est-àdire
les ombres de ressemblances et de différences,
les plaques ou les taches qui affirment une sorte de
différence …» (2010: 3).
Le sens négatif est donc envisagé ici au
foyer même de la signification perceptive.
Un exemple littéraire emprunté chez J.
Prévert peut nous aider à éclaircir ces
ombres de ressemblance et de différence
issue de la perception de l’énonciateur:
Trois allumettes une à une allumées dans la nuit
La première pour voir ton visage tout entier
La seconde pour voir tes yeux
La dernière pour voir ta bouche
Et l'obscurité tout entière pour me rappeler tout
cela
En te serrant dans mes bras (2004: 15).
Comme nous pouvons en être témoin, le
poète utilise trois fois le terme allumette.
Au niveau de l'essence il y a certainement
des ressemblances entre ces termes. Tous
les trois sont tout simplement des
allumettes, mais on voit qu'à chaque fois
qu'on allume une allumette on profite de sa
lumière de manière appropriée et différente.
Ainsi, la première allumette est celle qui
permet de voir le visage entier voir «tout
entier» est déjà la négation de voir à moitié
ou à demi. Tandis que la deuxième est celle
qui nous conduit à voir les yeux. Or, voir
les yeux c’est déjà une manière de nier le
reste du visage. (Voir les yeux/ ne pas voir
le reste du visage). Et enfin le troisième
nous fait accéder à la perception visuelle de
la bouche. Ce qui signifie que la perception
visuelle de la bouche est une façon de nier
celle des yeux (voir la bouche/ ne pas voir
les yeux). Ou bien même si le sujet a encore
une vision des yeux ce n’est qu’à partir
d’une certaine ombre qui fait la différence
avec un acte de voir complet. Nous
constatons que les trois allumettes décrites
20/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
par Prévert sont d'une part à la source d’une
ressemblance puisqu'elles favorisent toutes
les trois l'acte de voir, et de l'autre à la
source d'une différence en ce qui concerne
la cible visuelle distincte. En effet les
lumières tirées des allumettes nous
permettent de nous rendre compte à la fois
des ressemblances et des différences. Et
dans la suite du discours, l’obscurité toute
entière vient s’opposer à la lumière. Ce qui
transforme le «voir» en «rappel».
Cependant, au plus profond de cette
opposition réside une ressemblance qui se
justifie par le fait que le sujet se rappelle de
tout ce qu’il a vu. Il est étonnant de
constater que l’obscurité constitue d’une
part une source d’opposition avec la
lumière et devient de l’autre une source de
ressemblance avec elle. En effet, l'obscurité
est le contraire de la lumière mais en même
temps, elle est le moyen de «se rappeler» de
tout ce qui doit sa présence à la lumière.
On peut constater aussi les idées de
Greimas dans l'exemple suivant tiré du
discours poétique de Sohrab Sepehri.
Quelquefois le fait de sélectionner ou de
préférer un élément parmi tous les autres
possibles correspond à l’acte de la négation.
On peut prendre pour exemple ce vers de
Sepehri:
و در آن عشق به اندازه ی پرهای صداقت آبی است
Où l'amour est tout aussi bleu que les plumages
de la sincérité (2005:25).
On voit que de toutes les couleurs que
l’amour peut s’attribuer, il y en a une
préférée par le poète: le bleu. Ce qui
signifie que les autres couleurs sont exclues
du champ lexical et donc niées par lui. Mais
cet amour ressemble en même temps aux
plumes de l’honnêteté qui sont aussi bleues.
La négation est en fait intégrée au plus
profond du texte poétique.
La négation et le carré sémiotique
Pour Greimas, le geste fondateur c’est la
négation des termes différentiels. Selon
Greimas cité par Bertrand: «L’acte du
jugement, c’est la négation du négatif qui
fait apparaître la positivité. Dans cette
perspective, le concept de relation peut être
compris comme un phénomène positif et
non pas négatif» (2011: 3). C’est ainsi que
Greimas pose alors la contradiction comme
relation fondatrice dans le carré sémiotique.
La contradiction ne doit pas être comprise
comme une structure privative de type
présence/absence, car «c’est la sommation
du terme A1 qui fait apparaître le terme
contradictoire non A1. (…) C’est l’absence
faisant surgir la présence: non A1 est déjà le
premier terme positif» (1991: 314). Le
foyer du négatif, ce qu’est la contradiction,
comprend donc le principe de la positivité.
De plus, en surgissant, le terme
contradictoire fait disparaître A1 et impose
du même coup la discontinuité. On
comprend alors que la relation de
contradiction détermine un double
phénomène fondateur du sens, celui de la
positivité et celui du discontinu. Mais du
même coup, Greimas introduit la
complexité du négatif et son ambiguïté
essentielle, au sein même de la relation
élémentaire qui l’incarne.
On peut illustrer ces théories de Greimas
au sujet de la narrativité à partir d’un
exemple tiré d’une pièce de théâtre intitulée
Pelekan "Escalier" de Akbar Radi (1990).
L'histoire y commence dans un café situé
dans les forêts de Gilan. On nous dépeint
une nuit pluvieuse où la métamorphose du
protagoniste, nommé Bolbol, commence.
Ce dernier est un homme pauvre, un
archand ambulant, au début de l'histoire au
La négation en tant que processus de la signification …/21
fur et à mesure il se transforme en
personnage riche qui choisit une fausse
identité pour lui-même « ingénieur Masoud
Taj ».
Dans cette pièce de théâtre, le sens n'est
saisissable que dans le changement, établi
après coup: il n'y a pas de sens «figé»,
affecté à une situation détachée de tout
contexte, à un état unique, à un terme isolé
le sens naît dans le passage d'une situation,
la pauvreté, à une autre, la richesse, d'un
état à un autre un homme rural plein de
pureté et de naïveté devient après son
immigration en ville un trompeur et
imposteur.
Ainsi il n'y a de sens que dans la
différence entre les termes, et non dans les
termes en eux-mêmes, et, comme, dans le
discours, les termes d'une différence
occupent chacun une position et le sens ne
peut être saisi que dans le passage d'une
position à l'autre, c'est-à-dire dans la
transformation, qui peut alors être définie
comme la version syntagmatique de la
différence.
Mais la transformation ne peut être
reconnue qu'après-coup, une fois qu'on sait
en quel terme second s'est transformé le
terme premier, en quelle situation finale
s'est transformée la situation initiale. C'est
dire que ce qui est saisi dans l'analyse
narrative, c'est une transformation
accomplie, une signification déjà advenue
et figée, et non une signification en acte,
sous le contrôle d'une énonciation présente
et vivante.
2. La négation du point de vue de la
sémiotique tensive
Le schéma tensif est constitué de deux
axes vertical et horizontal. L'axe vertical est
celui de l’intensité et l'axe horizontal
intègre l'extensité.
Dans la sémiotique tensive proposée et
développée par Jacques Fontanille et
Claude Zilberberg (1998), les notions de
négation et de négativité sont mentionnées,
soit comme point de départ, soit implicites
dans certaines entrées de Tension et de
signification.
Avant d'élargir ces notions, nous
tenterons de représenter les schémas tensifs.
D’après la définition de Fontanille (1998:
100) ces schémas régulent l'interaction du
sensible et de l'intelligible. On pourra
définir l'ensemble des schémas discursifs
comme des variations d'équilibre entre ces
deux dimensions, variations conduisant soit
à une augmentation de la tension affective,
soit à une détente cognitive. L'augmentation
de l'intensité apporte la tension
l'augmentation de l'étendue apporte la
détente. En général l'espace tensif
comprend deux grands axes d'affectivité et
d'intelligibilité. Quand l'affectivité est
dominée par le négatif, la force de
+
_
_ Valeurs d’univers +
(Extensité)
Valeurs
d’absolu
(Intensité)
22/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
l'intelligibilité peut augmenter. L'inverse est
aussi valable. A l'intérieur de ces axes, on
peut voir apparaître quatre zones qui se
décident à partir de ces jeux de négativité et
de positivité. Zone de décadence,
d'ascendance d'amplification et
d'atténuation.
L’abaissement de l'intensité et le
déploiement de l'étendue donne lieu à la
décadence alors que l'augmentation de
l'intensité et la réduction de l'étendue
procure une zone d’ascendance.
Quant à l'amplification, on pourrait dire
que l'augmentation simultanée de l'intensité
et de l’extensité réalise une tension
affectivo-cognitive or l’atténuation est juste
l’inverse de l’amplification.
Au sein de la proposition générale de
cette sémiotique –consistant aux différentes
relations tensives entre l’intensité et
l’extension, avec ses corrélations sensibles
et intelligibles selon Zepeda et Moreno
(2011: 7) nous pouvons voir qu’au niveau
des relations inverses (à plus grande
extension correspond moindre intensité, et
vice-versa), il y a une négation constante
qui permet de délimiter un espace dans la
zone de tension, laissant l’autre espace en
«négatif», bien que présent dans la mémoire
du processus. De cette manière, par
exemple, si c’est l’extension qui avance,
l’intensité est niée et devient négative. En
effet, le processus est dominé par
l’extension.
Inversement, si l’intensité domine,
l’extensité, quant à elle, est niée. Ce qui
serait un exemple de positivité et de
négativité relative: la positivité est positive
grâce à sa dominance sur l’espace tensif.
Dans ce cas, les relations peuvent être
réversibles.
A cet égard, nous pouvons rappeler que la
négation dans le carré sémiotique est
privative et qu'elle repose sur la chaîne
jonctive «disjonction/conjonction» alors
qu'au sujet de la tensivité, la négativité est
relative et celle-ci dépend de la situation de
la sensibilité et de l'intelligibilité dans la
zone tensive. La présence de chacun
engendre l'absence d'autrui. La négativité
apparaît d'emblée sur l'axe de l'intelligibilité
par un manque cognitif et dans ce cas-là on
confrontera à une dominance des stimuli
sensibles. On pourrait dire que dans la
sémiotique tensive, le cas de la décadence
et de l’ascendance, il y a un négatif de
suspension et un négatif graduel et fluide.
Pour ces deux schémas on essaie de
présenter des exemples tirés de la littérature
persane.
Comme on voit dans ce discours on est
confronté à la décadence de l'intensité «est
morte, il n'y a aucun mouvement, a enduit,
a effacé».
D'une part tous ces éléments témoignent
de l'amoindrissement des éléments affectifs
cequi signifie que l'intensité est dominée
par le négatif d'autre part le développement
de l'étendue procure l'extension des
éléments cognitifs du texte comme
«longtemps». Le schéma correspondant à ce
texte est comme suit:
Schéma de la
décadence
Schéma de
l'ascendance
La négation en tant que processus de la signification …/23
Dans ce schéma d'après la théorie de
Zepeda et Moreno l'intensité est niée et
devient négative. En effet on pourrait voir
cette négation dans les éléments
émotionnels de ce discours tel que «mort,
fadé, silence ténébreux, pas de lucarne»
Le schéma suivant qui est l'opposé du
schéma ci-dessus, nous conduit vers
l'ascendance de l'intensité. Cette situation
est ici confrontée à l'abaissement de
l'extensité qui a pour résultat un schéma qui
montre un axe de l'étendu dominé par le
négatif.
La vie n'est point vide (1980 : 348)
زندگی خالی نیست
Il y a aussi la tendresse, la pomme et la ferveur de la
foi.
مهربانی هست، سیب هست، ایمان هست.
Et, oui! آری
Il faut vivre tant que demeurent les coquelicots.
تا شقایق هست، زندگی باید کرد
La vie signifie: un sansonnet s'est envolé.
زندگی یعنی: یک سار پرید.
Pourquoi en es-tu si affecté?
از چه دلتنگ شدی؟
Les plaisirs pourtant ne manquent pas: ce rayon de
soleil دلخوشی ها کم نیست: مثلا این خورشید
L'enfant de l'après-demain ، کودک پس فردا
Le pigeon de la semaine à venir (2008 :37).
کفتر آن هفته
Dans ces exemples, l'extensité de la vie
du point de vue de la quantité importe peu.
La vie n'est pas vide du point de vue de tout
ce qui constitue son contenu, c'est-à-dire du
point de vue affectif et sur le plan de la
qualité. Ainsi, «la vie n'est point vide» nous
met en présence d'une négativité
quantitative de la vie: peu importe si la vie
n'a pas d'étendu physique ce qui compte
c'est qu'elle a une plénitude au niveau de
son contenu. Cet exemple montre bien que
quelque fois la négation correspond à une
positivité qu'il faudrait chercher sur un
autre plan du discours, ici, le plan du
contenu. Il faut donc comprendre «la vie
n'est point vide» comme une négativité
dynamique qui convoque immédiatement
une positivité intense sur un autre plan,
celui de l'affectivité. Ceci prouve à quel
point la négation peut participer au
processus dynamique de la signification,
puisqu'elle fonctionne comme un
renversement du sens ou même comme une
invitation à la découverte de ce qui se passe
derrière le signe apparent ou le sens apparu
des discours. Tendresse, pomme, ferveur,
soleil et pigeon renvoient tous au contenu
de la vie et ils nient par leur présence son
contenu vide.
Longtemps
Euphorie
est morte
La vie n’est pas vide
Le contenu
de la vie
Pomme,
tendresse
+
+
_
_
24/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
Conclusion
La négativité existe puisque la différence
existe de même que des termes négatifs qui
restent au fond du processus, en tant que
résidus, mais potentialisés, sont en attente
d'être convoqués. En d'autres termes, pour
qu'un terme acquière à la fois plénitude et
identité, il doit entrer en relation
différentielle avec d'autres termes, et pour
que la différence se produise, une opération
de négation doit avoir lieu.
Comme nous l'avons constaté, la
négativité devient une figure qui se charge
du contenu, et nous pourrions en quelque
sorte dire qu’elle se charge de la positivité.
En effet, la négativité se constitue comme
un univers sémiotique complexe, vaste et
relatif à la positivité-même, aux discours,
aux praxis énonciatives et aux cultures qui
finalement définissent ce qui est positif et
ce qui est négatif.
Pour conclure on peut dire que la
négativité est réversible et relative aux
discours et à leurs usagers. Et quant à la
sémiotique tensive, on pourrait dire que la
négation s'éloigne de la forme figée que
représente le carré sémiotique et elle se
soumet à quelques nouveaux aspects
comme gradualité, fluidité et réversibilité.
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Décepteur des contes renardiens et déstructuration de la cellule familiale:
fonctionnalité et significations
Kouacou, Jacques Raymond Koffi
Maître-assistant, Université Alassane Ouattara de Bouaké, Côte d’Ivoire
jrkouacou@gmail.com
Reçu: 21.1.2013 Accepté: 14.8.2013
Résumé
La construction du décepteur renardien tient compte des différentes interactions du personnage
avec les réalités de la société où il mène son existence. Au nombre de celles-ci se trouve la cellule
familiale dont il est l’émanation et face à laquelle il doit définir les modalités actantielles. Dans la
plupart des récits, Renart n’accorde aucune considération pour l’éthique familiale qui recommande que
l’on respecte son ou sa conjoint (e) et la valeur inestimable des liens de parenté. Ses relations sont
d’ordre conflictuel avec la famille, cette cellule de base de la société, que les actes du rusé tendent à
déstabiliser. La présente étude se propose d’analyser le fonctionnement de cette confrontation entre le
décepteur des contes de la France médiévale et la société dont la structure familiale en est une
représentation en miniature, et l’intérêt du discours dénonciateur que les conteurs tiennent, à juste titre,
sur le comportement de l’homme et sur la société.
Mots-clés: Décepteur, contes renardiens, famille, parenté, déstabilisation, dénonciation.
Introduction
Ensemble de personnes vivant d’une
façon organisée et structurée par des
institutions et des conventions, la société
est constituée par un ensemble de
familles1. Même s’il existe des aspects
universels dans la définition de la famille
(procréation, prohibition de l’inceste,
alliance, etc.), chaque société humaine en
présente une image, en relation avec sa
structure démographique, son organisation
sociale ou religieuse, ses croyances. Au
Moyen Age, époque d’émergence du
Roman de Renart2, le modèle familial3
1 Groupes formés par des personnes apparentées ou
étroitement unies par alliance ou par accord mutuel.
2 Le corpus renardien sur lequel porte la présente
analyse s’étend sur la période médiévale française
couvrant la fin du XIIe siècle à la fin du XIIIe
siècle.
3 A l’instar de Didier Lett, des chercheurs,
intéressés par l’organisation familiale au Moyen
Age, ont entrepris des travaux visant à restituer à ce
siècle ses lettres de noblesse dans la mise en place
imposé sous le règne de Charlemagne et
par le pouvoir de l’Eglise, après l’adoption
de «la famille large» au très haut Moyen
Age, est «la famille conjugale» ou «famille
étroite».
Au sujet de ce changement notable
survenu dans l’histoire de la famille,
cellule de base de toute société humaine,
Thomas Ribémont, dans une étude sur
l’ouvrage de Didier Lett intitulé Famille et
parenté dans l’occident médiéval Ve-XVe
siècle, écrit:
d’une structure de base devant servir de modèle à
l’émergence de la famille moderne. Ce sont
respectivement :
Georges Duby, Jacques Le Goff (dir.), Famille et
parenté dans l’Occident médiéval, Rome, Ecole
française de Rome, 1977.
André Burguière, Christiane Klapisch-Zuber,
Martine Segalen, Françoise Zonabend (dir.),
Histoire de la famille, t. 1, Paris, Armand Colin
(rééd. Livre de Poche/Références), 1986.
26/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
«On sait combien la famille constitue aujourd’hui
un objet d’étude privilégié pour le chercheur en
sciences sociales (...). A l’inverse de ce qui s’est
produit dans d’autres disciplines (la sociologie et le
droit notamment), les historiens ont pourtant
relativement tardé à en faire l’analyse. Certes, il y a
bien, dans les années 1960-1970, des travaux
d’histoire portant sur le sujet – en particulier
l’ouvrage de Philippe Ariès intitulé L’Enfant et la
Vie familiale sous l’Ancien Régime ou encore
Naissance de la famille moderne, XVIIIe-
XXe siècle d’Edward Shorter –, mais Didier Lett
conteste la vision évolutionniste adoptée dans ses
études qui considèrent «que la famille occidentale
‘moderne’ fondée sur un mariage monogame, sur
une cellule étroite ou nucléaire, sur une résidence
indépendante des nouveaux époux et sur une
profonde affection entre mari et femme et entre
parents et enfants était une invention récente qui se
serait mise en place surtout à partir des XVIIe et
XVIIIe siècles» (Ribémont, 2000: 5).
Toutefois, ces recherches, à visée
anthropologique, sociologique ou
historique, n’ont pas permis de lever le
voile sur l’appropriation du
fonctionnement de cette structure familiale
du Moyen Age par le monde de la
littérature. Ainsi, la présente étude, tout en
prenant appui sur les acquis ou les résultats
des recherches menées par les sciences
sociales, montrera comment la littérature
médiévale4, par le phénomène de
narrativation5, se fait l’écho de la longue
marche de cette organisation familiale dans
sa quête de la stabilité.
Nous aborderons cette question en nous
servant des récits contenus dans Le Roman
4 La littérature du Moyen Age est fondée sur
l’oralité. Les aventures des héros chevaleresques
(Chanson de geste ou roman courtois) ou héros
décepteurs de la littérature animalière étaient, avant
tout, racontées par les jongleurs. Le passage de
l’oral à l’écrit s’est réalisé par le «phénomène de
narrativation».
5 La narrativation renvoie à la théorie de la
narativité. C’est le fait de mettre sous forme de
narration (forme littéraire) un récit ou une histoire,
de transformer en forme narrative, de donner à un
récit la forme de la narration.
de Renart6, recueil de contes de la France
médiévale, avec, pour indices, la
représentation du décepteur et la
conflictualité en actes de ses rapports dans
le réseau relationnel familial de l’oeuvre.
D’où les raisons du choix du sujet suivant:
Décepteur des contes renardiens et
déstructuration de la cellule familiale:
fonctionnalité et significations.
Quelle structure familiale Le Roman de
Renart présente-il? Quel rôle les conteurs
attribuent-ils au héros renardien dans sa
cellule familiale? Comment ce décepteur
des contes renardiens considère-t-il la vie
en famille et quels rapports entretient-il
avec les membres des autres familles
représentées dans le corpus? En quoi ces
rapports visent-ils à déstructurer ces
cellules familiales? Quelles sont les enjeux
d’une telle représentation?
L’analyse proposée se situe dans une
double perspective sémiotique et
sociocritique et permettra de montrer que
bien que sujette à des attaques visant à le
déstabiliser, la cellule familiale doit
demeurer le fondement de l’équilibre
social.
I. Contes renardiens et représentation
de la structure familiale médiévale
Couvrant la période allant de la fin du
XIIe siècle à la fin du XIIIe siècle, Le
Roman de Renart laisse découvrir une
structure familiale qui, bien que fondée sur
l’imaginaire des conteurs, est identique à
celle que l’on retrouve dans la société
6 Les indices textuels illustratifs de nos propos
pourront se découvrir dans la version du Roman de
Renart selon Jean Dufournet et Andrée Méline en
deux volumes publiée à Paris, en 1985 aux éditions
Flammarion. Cette version contient 26 contes
dénommés ‘‘branches’’ (par leurs auteurs) dont 6
pour le premier volume (de la branche I à la
branche VI) et 20 pour le second (de la branche VII
à la branche XXVI).
Décepteur des contes renardiens et déstructuration …/27
réelle du Moyen Age. Il s’agit de ce que
Émile Durkheim (1858-1917), sociologue
français et co-fondateur de la sociologie
moderne, appelle la famille conjugale7
dont les conditions d’émergence sont
rappelées par Henri Bresc en ces termes:
«Dans le récent ouvrage de Suzanne Wemple
consacré à l’évolution de la situation féminine dans
la société franque (1981), l’idée d’un passage de la
«famille large» à la «famille étroite» entre l’époque
mérovingienne et l’époque carolingienne est
acceptée sans discussion. Avant le IXe siècle, pense
l’auteur, existeraient des groupes de parenté,
presque des «clans familiaux», dont les femmes
«transmettent l’idéologie» (p. 190) et servent
l’ascension par les alliances matrimoniales dans
lesquelles elles sont engagées (…). L’Eglise et le
pouvoir carolingien imposent une stricte
monogamie, élément important du resserrement
familial et de la promotion de la «famille
conjugale». La situation de la femme s’en trouve
modifiée dans la mesure où une seule épouse
produit désormais les enfants qui pouvaient naître
auparavant des :::union:::s concomitantes ou
successives d’un homme avec plusieurs femmes
légitimes ou concubines» (Bresc et al., 2005: 101).
Cette famille est dite conjugale en ce
sens qu’elle ne repose désormais que sur
7 Au sujet de la famille restreinte ou famille
conjugale, Émile Durkheim fait la précision
suivante: «J'appelle de ce nom la famille telle
qu'elle s'est constituée chez les sociétés issues des
sociétés germaniques, c'est-à-dire chez les peuples
les plus civilisés de l'Europe moderne. Je vais en
décrire les caractères les plus essentiels, tels qu'ils
se sont dégagés d'une longue évolution pour se fixer
dans notre Code civil. La famille conjugale résulte
d'une contraction de la famille paternelle. Celle-ci
comprenait le père, la mère, et toutes les
générations issues d'eux, sauf les filles et leurs
descendants. La famille conjugale ne comprend
plus que le mari, la femme, les enfants mineurs et
célibataires. Il y a en effet entre les membres du
groupe ainsi constitué des rapports de parenté tout à
fait caractéristiques, et qui n'existent qu'entre
eux (…). Nous sommes donc en présence d'un type
familial nouveau. Je propose de l'appeler la famille
conjugale ».
Émile Durkheim (1892), « La famille conjugale. »
in Revue philosophique, 90, 1921, p. 4.
deux personnes de sexes opposés unies
entre elles par les liens sacrés du mariage8.
Dans le corpus renardien, les relations
établies entre certains personnages peuvent
obéir aux critères de définition de ce type
familial. Mais, nous n’en retiendrons que
les plus représentatives dont le rôle
actantiel est plus marqué dans l’économie
du récit. Ce sont: la famille de Renart (le
père), Hermeline (la mère) et de leurs trois
enfants (Percehaie, Malebranche et Rovel),
la famille royale composée de Noble (le
roi), Fière (la reine) et de leurs enfants, la
famille d’Isengrin (le père), d’Hersant (la
mère) et de leurs enfants et la famille
constituée par Chantecler (le père) et Pinte
(la mère).
Bien en place, ces familles sont
représentées dans l’oeuvre comme des
communautés profondes de vie, c’est-àdire
des alliances matrimoniales, par
laquelle Renart, Noble, Isengrin et
Chantecler, d’une part, Hermeline, Fière,
Hersant et Pinte, d’autre part, constituent
respectivement entre eux une communauté
de vie.
Outre le mariage, un autre point
commun à ces différentes familles est le
lien de solidarité agissante entre les
membres. A chaque composante de cette
cellule familiale revient une tâche bien
définie. C’est le cas, par exemple, du chef
de famille à qui incombe la charge de
garantir le pain quotidien à tous et à
chacun. Les contes renardiens donnent une
preuve patente de cette fonction paternelle
8 Le sociologue dira à ce sujet : « Plus la famille est
organisée, plus le mariage a tendu à être la
condition unique de la parenté (…). La famille va
de plus en plus en se contractant en même temps
les relations y prennent de plus en plus un caractère
exclusivement personnel, par suite de l'effacement
progressif du communisme domestique. Tandis que
la famille perd du terrain, le mariage au contraire se
fortifie » (Durkheim, 1829, pp. 13-14).
28/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
en laissant découvrir les nombreuses
quêtes de nourriture menées par le
décepteur et les trois autres responsables
de famille.
Toutefois, même si les récits renardiens
proposent des schémas qui permettent la
construction d’une vie familiale, celle-ci
manque de stabilité. Comme l’épée de
Damoclès, Renart constitue une menace
pour l’harmonie et l’équilibre des
différentes cellules familiales.
II.Le décepteur renardien entre
déstabilisation de la cellule familiale
et banalisation des liens de parenté
La construction de Renart comme
personnage décepteur obéit à un schéma
bien connu qui en fait un être
bidimensionnel : une dimension positive et
une dimension négative. Plus proche des
dieux et des humains, il présente à la fois
un caractère angélique et diabolique
favorable au déploiement de sa ruse
consubstantielle que Paul N’Da assimile à
la mètis9 des Grecs:
«Elle [la ruse] est faite à la fois d’intelligence,
de sagesse, de débrouillardise, d’habileté, de
malice, de duplicité, de sensibilité intuitive. Elle est
capable de fourberie, de rouerie comme de la plus
haute générosité, de bonté. Elle se marie à la raison
comme au sentiment. Elle sait utiliser tous les
moyens, ceux des pièges, des subterfuges et des
mots pour arriver à ses fins, gagner. Elle est une
intelligence à l’oeuvre, qui sait répondre
immédiatement aux situations créées et qui cherche
à trouver, à inventer une solution ou une réplique »
(N’Da, 1990: 39-40).
9 La mètis ou métis (en grec ancien Μτις / Mễtis,
littéralement «le conseil, la ruse») est une stratégie
de rapport aux autres et à la nature reposant sur la
«ruse de l'intelligence». Wikipédia (encyclopédie
libre, en ligne),
http://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A8tis_(Gr%C
3%A8ce_antique).
En effet, décepteur vient du mot latin
«decipere» qui veut dire «induire en
erreur». Ce personnage tire sa force du mot
français «déception» dont le sémantisme
originel renvoie à l’acceptation d’une
tromperie bâtie autour d’une promesse
fallacieuse, d’un faux serment ou d’une
attente illusoire.
Personnage complexe et protéiforme,
Renart incarne la ruse de l’intelligence liée
à l’art de la simulation / dissimulation. Il
campe ou simule le rôle du bon père de
famille, attentionné, soucieux du bien-être
des membres de sa famille, catalyseur
d’énergie constructive et protectrice. Ses
sorties de la maison sont placées sous
l’égide de la quête quotidienne et vitale du
pain familial10.
Mais une telle débauche d’énergie en
faveur de la survie de son épouse et de ses
enfants dissimule sa méchanceté viscérale
en direction des autres familles constituées
dans une interaction conflictuelle.
II. 1. Renart et structure familiale: le jeu
déstabilisateur d’une interaction
conflictuelle
Hors du cadre familial, Renart subit une
véritable métamorphose comportementale
en rapport avec l’autre pan de sa nature. Il
n’est plus ce personnage bienveillant et
fédérateur qui agit en faveur de la cohésion
et de l’équilibre social. Les conteurs le
représentent dans son rapport aux autres
familles11 comme un être malfaisant et
déstabilisateur.
10 Il faut se référer à ce sujet aux différents contes,
au nombre de huit (8) noués autour de la quête de
nourriture. Ce sont: les branches II III, Renart et
les anguilles IV, Renart et Isengrin dans le puits
V, Renart, Isengrin et le jambon VII, Renart
mange son confesseur XIV, Renart et Tibert dans
le cellier du vilain XV, Renart, Tibert et
l’andouille XVI, Le partage des proies.
11 Allusion faite aux trois autres familles citées plus
haut.
Décepteur des contes renardiens et déstructuration …/29
Analysons: alors qu’il présente le visage
angélique d’un époux modèle dans le
cocon familial, Renart se refugie derrière
l’indissolubilité du mariage pour contracter
d’autres :::union:::s libres et coupables. Il se
fait ainsi de nouvelles amies avec qui il
mène une double vie. Non seulement
Renart viole le serment de fidélité à
Hermeline sa légitime épouse mais, pire,
ses nouvelles conquêtes sont des femmes
adultères, notamment Fière la reine et
Hersant l’épouse d’Isengrin, son éternel
opposant. Ce qui en ajoute au drame du
décepteur renardien, c’est que toutes deux,
Fière la reine et Hersant, ont été l’objet de
violence sexuelle de la part de cet amant
d’un autre genre sous le regard médusé de
leurs époux respectifs.
Alors que, attaché par Renart, le roi ne
devait que constater sans pouvoir y
opposer la moindre résistance,
l’accomplissement de l’acte ignoble et
déshonorant12, Isengrin, lui, a suivi, de
loin, la scène du viol de son épouse13 après
que Renart soit allé en intimité avec elle
dans la chambre conjugale en présence de
leurs enfants14. Chantecler et Pinte sont,
quant à eux, constamment la cible
d’attaques physiques et brutales, si ce ne
sont des manigances insidieuses, de la part
de Renart dans sa quête de la nourriture
quotidienne.
Les agissements du décepteur renardien
sont, comme on peut le constater, lourds de
conséquences. Ils ont permis d’introduire
chez les membres de ces trois familles bien
12 Branche Ia, Le siège de Maupertuis, vv. 1765-
1835.
13 Branche II, Renart et la louve, vv. 1261-1303.
14 Le viol de Hersant par Renart s’est produit dans
la chambre conjugale du couple Isengrin /Hersant,
en présence de leurs enfants légaux. Estimant ne
pas avoir été considérés, ceux-ci ont menacé d’en
souffler un mot à leur père. Branche II, Renart et la
louve, vv. 1032-1155.
de mauvais sentiments comme la jalousie,
la méfiance et la défiance. N’est-ce pas
d’ailleurs la scène du viol d’Hersant par
Renart, au vu et au su d’Isengrin, qui est à
l’origine du conflit ouvert et populaire
entre ces deux pères de famille et qui
provoquera un courroux incompressible15
chez le mari cocu ?
En tout état de cause, l’incursion de
Renart dans le microcosme familial
d’Isengrin a suscité des scènes de ménage
allant de la profération de langages
obscènes et injurieux à l’expression d’une
violence envers la femme. Elle sera
d’ailleurs contrainte et forcée de subir les
affres des joutes verbales de la justice
royale devant qui une plainte a été déposée
par Isengrin et où elle a été amenée, très
souvent, à intervenir pour donner sa
version des faits qui lui sont reprochés16.
Le roi sera, évidemment, très remonté
contre son épouse qui n’a pas su canaliser
cet amour coupable pour un homme marié.
Son déshonneur est à la mesure de son
statut social: quelle considération peut-on
avoir désormais pour un roi cocu, pourtant
choisi pour présider aux destinées d’un
royaume dont il devra aider à résoudre les
tensions? Les foyers familiaux d’Isengrin
et de Noble le roi ne seront pas les seuls à
souffrir de cette infidélité de Renart.
15 Isengrin le cocu a formulé une plainte en bonne
et due forme contre Renart le violeur auprès du roi
qui, au lieu de prendre au sérieux cette requête, la
négligera, suscitant des rebondissements dans cette
affaire qu’Isengrin tentera, en définitive, de régler
par voie de fait, notamment par des scènes de
violence physique.
16 Isengrin et Hersant, son épouse, s’opposent
nettement dans la version qu’ils donnent de la scène
qui menace de disloquer leur couple. En effet, alors
que le mari se plaint au roi du déshonneur dont il a
été l’objet de la part de Renart le violeur, Hersant,
elle, parce que aimant secrètement le mis en cause,
cherche à le disculper et à faire passer son époux
pour un homme «tellement jaloux / qu’il s’imagine
tous les jours être cocu.», branche I, Le jugement de
Renart, vv. 157-158.
30/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
Hermeline, l’épouse du mari infidèle,
subira également les «effets collatéraux»
de ce dévergondage. La branche Ib du
Roman de Renart relate la dispute verbale
suivie d’échange de coups entre les deux
rivales17 tandis que la branche VI, elle, lève
un coin de voile sur le duel de Renart et
d’Isengrin18.
Comme il est à remarquer, aucun couple
n’est vacciné contre le virus de la
déstabilisation incarné par Renart. Tel un
agent pathogène pour le corps familial, le
décepteur des contes renardiens inocule ses
symptômes sur l’intégrité organique des
membres de la cellule familiale par le
recours à la ruse fondée sur les fausses
parentés.
II.2. Renart et la ruse par la fausse
parenté: parenté dévoyée ou revers de la
«parenté à plaisanteries»
Pour parvenir à tromper ses adversaires,
Renart crée l’événement sur la base du
faux. L’un de ses techniques de ruse
consiste, dans cette société belliqueuse du
Moyen Age, à faire croire à ses potentielles
victimes qu’il est un être pacifique guidé
par un lien naturel d’affection et de
sympathie respectueux du caractère sacré
de la parenté. En d’autres termes, Renart
invente «de toute pièce» un lien de parenté
avec ses ennemis pour mieux les manipuler
à sa convenance.
Cette ruse se résume à faire croire à des
faussetés salutaires. Permettant
ordinairement d’établir un climat de
confiance et de convivialité, les liens de
parenté apparaissent, pour le rusé, comme
un tremplin insidieusement mis en place
17 Il s’agit d’Hermeline, l’épouse, et d’Hersant,
l’amante de Renart. Branche Ib, Renart jongleur,
vv.3034-3177.
18 Branche VI, Le duel de Renart et d’Isengrin, vv.
827-1344.
dans le but d’attirer l’adversaire dans un
piège. Cet usage dévoyé de la parenté
s’oppose aux principes de tolérance et de
bonne humeur constatés dans d’autres
régions du monde:
«Dans maintes sociétés humaines, il existe un
phénomène de ‘‘parenté à plaisanteries’’, objet
d’étude fort singulier de l’anthropologie classique,
qui en a donné une définition canonique: ‘‘La
‘‘parenté à plaisanteries’’ est une relation entre
deux personnes dans laquelle l’une est autorisée par
la coutume, et dans certains cas, obligée de taquiner
l’autre ou de s’en moquer l’autre, de son côté, ne
doit pas en prendre ombrage.’’ Et vice-versa.
Appelées à l’origine, sur des terrains nordaméricains,
océaniens puis africains, ‘‘joking
relationships’’, puis, en français, ‘‘parenté à
plaisanteries’’, ces relations particulières à
l’intérieur de la famille, de la parentèle ou du clan,
ont cependant été réduites à leur fonction» (Touré,
2010 : 147).
Ne servant que les seuls intérêts de
Renart, la parenté est ainsi vidée de son
sens originel pour devenir l’objet d’une
banalité consternante. Le semblant de
plaisanterie que Renart instaure dans son
rapport aux personnages qu’il présente
comme faisant partie de sa famille n’est
qu’un jeu de dupes pour créer l’illusion et
cacher ses vraies intentions. Pourquoi
Renart opte-il pour les fausses parentés
pour parvenir à ses fins? Comment
procède-t-il concrètement?
Renart est par définition un personnage
rebelle19 à toutes les formes d’institution.
Conscient de l’importance que l’on
accorde aux liens de parenté au Moyen
Age, il s’attaque à la famille, cellule de
base de la société, pour mieux
désorganiser, par un effet de boule de
neige, l’ensemble du tissu social. Son
19 A en juger par le titre de l’article d’Armelle
Leclercq, «Renart ou le rire rebelle» publié dans la
revue Etudes littéraires, volume 38, numéro 2-3,
hiver 2007.
Décepteur des contes renardiens et déstructuration …/31
action consiste à opposer l’un à l’autre, les
membres d’une même famille, non en les
confrontant face à face, mais en procédant
par une mise à l’écart ou par défaut (en
l’absence d’un des personnages
concernés). En d’autres termes, Renart
préfère diviser pour mieux régner:
«Confronté à Renart, un animal s’en méfie
par la parole, Renart détourne l’attention
de l’animal vers un autre point mû par le
désir ou piqué dans son amour-propre, ce
dernier exécute volontairement ce que
Renart lui suggère piégé, il subit alors une
violence, généralement du fait d’un tiers
(souvent un être humain)» (Leclercq, 2007:
92).
L’instauration d’une fausse parenté vise
à distraire et à affaiblir par le recours au
mensonge, au faux semblant. La parole du
décepteur est fondée sur l’envers de la
vérité, sur la production d’un réel dont la
vraisemblance aveugle la conscience et
donne de prendre les termes avec sérieux et
sincérité.
La disposition normale des éléments
convoqués ayant ainsi été inversée, le
rapport entre le signe et la chose n’est ni de
l’ordre de la présence ni de l’ordre de la
référence comme dans le mode
symbolique, mais de l’ordre du barat (de la
ruse).
Dès lors, la vérité s’éclipse et est
remplacée par le voirsemblant (le
vraisemblable), ce qui en prend
l’apparence et qui peut être son contraire
même. Il ne s’agit plus alors, comme le
reconnaît Jean Scheidegger, de dire la
vérité, mais de faire acroire (croire) que ce
que l’on dit est vrai. Claude Bremond
précisera, pour sa part que «Tromper, c’est
à la fois dissimuler ce qui est, simuler ce
qui n’est pas, et substituer ce qui n’est pas
à ce qui est dans un paraître auquel la dupe
réagit comme à un être véritable…pour
mordre à l’appât, la dupe a besoin de le
croire vrai et de ne pas apercevoir
l’hameçon» (Bremond, 1966: 70).
Ainsi, dans l’épisode20 où il est aux prises
avec Chantecler le coq (perché sur un tas
de fumier), Renart recourt aux ressources
de la filiation pour avoir en sa possession
le fromage que la volaille tenait dans son
bec. Le conteur de ce récit y montre
comment le décepteur, par le moyen de la
ruse, a donné de faux espoirs au coq en lui
proposant la clé d’accès à la célébrité. Il lui
raconte alors une histoire dont le supposé
père, dénommé Chanteclin qu’il présente
d’ailleurs comme son oncle, est le héros
ayant acquis sa célébrité grâce à la beauté
de sa voix. Pour montrer qu’il en est le
digne héritier, le fils est invité, à son tour, à
chanter, un oeil fermé, l’autre ouvert, d’une
voix mélodieuse et stridente. Supercherie
mise en scène par le décepteur que la
victime n’a su découvrir, car voulant
relever le défi de la dotation du talent
congénital et faire la démonstration de son
appartenance à la lignée de ce défunt père
cité en exemple, Chantecler ouvre
grandement son bec pour y laisser
s’échapper sa belle voix. Conséquence:
réussite de la ruse, car Renart parvient à se
saisir du chanteur qu’il conduit en
direction de sa demeure pour y nourrir sa
famille avant d’en être dépossédé par
manque de vigilance.
Renart utilise le même scénario contre
Tiécelin le corbeau (perché sur un arbre)
que le rusé incite à bien chanter comme
sire Rohart, son défunt père, le meilleur
chanteur de France21. Piqué dans son
amour-propre, Tiécelin, comme
20 Il s’agit d’un des épisodes de la branche II du
Roman de Renart intitulée Renart et Chantecler le
coq. Cette branche, la plus ancienne du recueil, a
pour auteur Pierre de Saint-Cloud.
21 Branche II, Renart et Tiécelin le corbeau, v. 923.
32/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
Chantecler, se mit à chanter en laissant
choir le fromage qui, une fois à terre, est
vite récupéré et mangé par Renart qui,
tenaillé par la faim, se tenait au pied de
l’arbre.
Ce mécanisme de dissimulation ou de
falsification de la réalité par cette espèce
de plaisanterie de mauvais goût utilise
également les ressources du cousinage. Le
rappel de ce lien de parenté a permis à
Renart de tromper d’autres adversaires par
simple plaisir ou pour répondre à un besoin
de nourriture.
La fonctionnalité de la relation entre le
décepteur renardien et les différentes
familles en présence dans le récit a permis
de découvrir une interaction déséquilibrée
due aux assauts répétés de Renart. Il agit
plus en ennemi de la concorde familiale
qu’en artisan de son bien-être. Comme les
autres institutions sociales, la famille n’est
nullement exemptée des méfaits de la ruse
malfaisante et déstabilisatrice de Renart.
Mais, pourquoi le microcosme familial et
ses différentes composantes souffrent-ils le
martyre de la ruse renardienne? Quelles
intentions les conteurs renardiens portentils
sur une telle représentation?
III. Récits renardiens et conflits
familiaux: enjeux d’une
représentation
La représentation de la vie telle que
vécue dans les structures familiales porte la
marque d’un réalisme social en vogue au
siècle des auteurs des récits renardiens.
L’inconduite de Renart et ses effets sur
l’équilibre familial sont représentatifs d’un
malaise existentiel que le déploiement des
aventures se plait à restituer en y mettant
un accent sur la satire des conduites
déloyales au sein du microcosme familial.
III.1. Restitution saisissante de l’image
de la famille au Moyen Age
L’image que les conteurs présentent de
la famille dans Le Roman de Renart est
tributaire du sort qui lui est réservé dans la
société. Cette structure familiale en
ballottement est la preuve qu’elle est
encore en quête d’une stabilité à venir mais
déjà mise à mal par la résurgence de
certaines pratiques rétrogrades.
L’avènement de «la famille conjugale»
sous le règne de Charlemagne, en
remplacement de «la famille large» qui
autorisait des :::union:::s libres et multiples,
n’est pas, en effet, du goût de ceux qui se
sont vautrés dans ce mode de vie où les
liens matrimoniaux n’étaient pas encore
marqués du sceau de l’indissolubilité.
André Burguière, dans un compte-rendu
d’étude de L’histoire de la famille,
souligne:
«Jean-Pierre Cuvillier souligne un contraste
rarement perçu et pose des questions plus
importantes qu’il n’y paraît de prime abord. Il
affirme en effet que le monde germanique est coupé
en deux: celui qui subit l’influence romaine et voit
s’épanouir la famille nucléaire d’une part, celui qui
demeura toujours hors du limes et continue de vivre
dans un système de «clan», de l’autre. Sans doute
cette opposition reflète-t-elle une bonne part de
vérité» (Burguière, 1986: 141).
C’est dans ce monde en pleine
mutation, c’est-à-dire à cheval sur un ordre
ancien qui refuse de s’éteindre et un ordre
nouveau qui cherche ses marques
qu’évoluent les personnages du corpus.
Tout changement étant difficilement le
bienvenu, le type familial conjugal ne peut
que souffrir des comportements de
personnes enclines à retomber dans leurs
errements.
Renart le décepteur n’est qu’un
prototype parfait de toute personne rebelle
au changement et malaisément disposée à
Décepteur des contes renardiens et déstructuration …/33
saboter les acquis de la reforme et les
valeurs qu’elle propose. Armelle Leclercq
fait une incursion au coeur de cette
rébellion de Renart à toute institution qu’il
juge privative de liberté:
«Éternel rebelle, Renart ne se soumet à aucune
autorité (…). Il brave une à une toutes les valeurs
du royaume de Noble, royaume qui constitue un
calque de la société médiévale. Pendant tout le
roman, Renart se joue de l’autorité royale et de
l’institution du mariage (en cocufiant Isengrin). Son
pouvoir de contestation est sans limites. Il tourne
directement en ridicule la convocation en justice
(branche I, dite «du plaid»), le serment (branche
VI), la trêve de Dieu et la paix de Dieu (branche II),
le baiser de paix (branche II), le compérage
(brancheII), les règles monacales (branche VII),
l’ordination (branche XIV), les reliques (branches
X et XIV), le pèlerinage (branches I et X), la
confession (branche I), la prière (branche VII), la
messe (branches XII et XIV), l’eucharistie (branche
XIV) et même le baptême (branche XI)» (Leclercq,
2007: 93-97).
Le but assigné à Renart est de tourner
en dérision toutes les institutions politicoreligieuses
de l’époque, en prenant le
contrepied des valeurs communément
admises. C’est pour cette raison qu’il rame
toujours à contre-courant de la vague de
changement sociale et de toute norme
prescrite. En un mot, Renart est
l’incarnation de la perfidie que l’étape
suivante de la présente analyse se donne
pour tâche d’en décrypter les indices dans
le cadre restreint de la famille.
III.2. Dénonciation de la perfidie à
l’échelle familiale
La mise en récit du comportement
réfractaire à l’autorité du mariage et de ses
exigences est certes conforme à l’attitude
de bien des gens qui, au Moyen Age,
n’étaient pas disposés à abandonner leurs
«premières amours». Mais, elle dépasse le
seul cadre de la société médiévale tant le
sujet abordé est commun à toutes les
sociétés. La banalisation des liens de la
famille et de la parenté s’inscrit dans un
vaste mouvement de dénonciation de toute
perfidie.
Sur le plan familial, la fidélité des
conjoints, l’un à l’autre, est renvoyée aux
calendes grecques. En vivant d’infidélités,
Renart expose au grand jour le
comportement de tous les époux qui
évitent de conformer leur existence aux
exigences du mariage et de la vie
conjugale.
Ses manquements aux obligations que
lui impose sa prédilection pour le mode de
vie conjugale ne sont pas un exemple à
suivre. C’est pour cette raison que les
conteurs, soucieux de la prééminence des
valeurs sociales, le conduisent très souvent
dans des situations embarrassantes aux
conséquences incalculables et
insoupçonnées: il est parfois battu sans
ménagement par ses victimes lorsqu’il
parvient à contourner, par malice, la justice
sociale. Ceci pour faire remarquer à qui
veut mener une telle vie que «la ruse peut
parfois conduire le rusé dans une ruse qu’il
ne connait pas» (Hampâté Bâ, 1993: 89).
On ne peut vouloir une chose et son
contraire. Et cela doit clairement hanter
l’esprit de tous ceux qui recherchent
toujours des échappatoires ou des portes de
sortie au mépris engagements pris ou du
respect des termes du contrat.
En ce qui concerne les liens de parenté,
les récits renardiens ne nous proposent pas
de les banaliser. Bien au contraire, ils font
remarquer qu’ils gagneraient à être
resserrés dans la mesure où Renart luimême
en reconnaît l’importance et
l’attachement de ses dupes à cette valeur
cardinale: c’est parce qu’elles y croient
qu’elles se montrent disposées à y voir
34/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
s’établir ces liens forts de consolidation
familiale.
Dans la préface de l’ouvrage collectif
intitulé La famille occidentale au Moyen
Age22, Georges Duby affirme:
«Il apparaît que, dans les sociétés occidentales,
sous la longue rémanence d’enveloppes rituelles, la
mutation qui nous surprend était en marche et de
très longue date (…). Il importe donc de plonger le
regard dans un passé lointain. Ne datent d’hier ni le
flux qui déplacèrent tant de ruraux vers les villes, ni
la prolétarisation, ni l’allongement de l’espérance
de vie, ni le travail des femmes, autant de
phénomènes dont les effets sont de si lourde
conséquence sur le rôle de l’héritage, les règles et la
pratique du mariage, la cohésion du couple, la
situation de l’enfance et de l’adolescence, les liens
de cousinage ou de voisinage» (Duby, 2005: 14).
Il est donc temps que l’on accorde à la
tradition une attention particulière, car elle
est d’enseignements pour une existence
moins troublée et respectueuse de la
morale et de la valeur des normes sociales.
Conclusion
Le décepteur des récits renardiens est un
personnage représenté en constante
interaction avec les structures familiales en
présence dans l’économie de ses aventures.
De cette confrontation surviennent une
désagrégation profonde du tissu familial et
une atomisation de ses différents
constituants. Ces assauts contre la cohésion
de la famille et de la parenté répondent à
un désir de liberté de Renart qui,
consubstantiellement contestataire de toute
norme sociale, se donne pour défi de
s’attaquer à la cellule de base de la société
pour y contribuer à son dépérissement.
Ses nombreuses incursions, telle une
avalanche de vagues sur le rocher du
microcosme familial, en constituent une
22 Henri Bresc et al, La famille occidentale au
Moyen Age, Paris, Editions Complexe, 2005.
menace à prendre au sérieux. C’est ce qui
explique le recours à la dénonciation des
agissements du décepteur et à la mise en
place de sanctions y relatives sous la forme
de dégâts portés à la fois sur son intégrité
physique et morale lorsque le recours à la
justice par voie de droit présente des
limites.
En tout état de cause, il ne sera pas dit,
nonobstant les mauvaises actions
déstabilisatrices de Renart, que la famille
doit être sujette au rejet ou au désintérêt.
Les liens entre les membres de la famille
doivent faire l’objet d’une promotion dans
un monde où la solidarité doit être le
leitmotiv de toute action en direction
d’autrui et de la société.
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36/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
De la linguistique descriptive à la linguistique appliquée en côte d’ivoire:
analyse et propositions1
Kouadio, Pierre Adou Kouakou
Université de Félix Houphouët Boigny Abidjan-Cocody, Côte d’Ivoire
Institut de Linguistique Appliquée & Département des Sciences du Langage
padoukk@yahoo.fr
Reçu: 11.1.2013 Accepté: 14.8.2013
Résumé
Cet article se propose de faire une analyse critique de la mise en oeuvre de la Linguistique Appliqué
en Côte d’Ivoire. En Afrique, malgré l’existence de nombreux instituts de recherche linguistique et un
nombre considérable de travaux de description en linguistique africaine et/ou française, les résultats
auxquels on s’attendait ne sont pas encore satisfaisants. C’est le cas avec la promotion de la langue
française au détriment des langues locales qui sont pourtant suffisamment décrites pour être
enseignées et promues. On continue d’assister à la baisse du niveau de français chez les apprenants.
On a également l’impression que les recherches en linguistique ne consistent uniquement qu’à décrire.
Une recherche scientifique dont les résultats ne servent pas la communauté est une recherche vaine. La
recherche en linguistique ivoirienne n’échappe à cette réalité. On assiste à une description linguistique
sans application et sans bénéfice véritable pour les différentes communautés qu’elle concerne. Au
cours de cette analyse, il sera question, d’abord, de faire l’état des lieux de la mise en oeuvre de la
Linguistique Appliquée en Côte d’Ivoire, ensuite de donner ce qui pourrait être les raisons de ce qu’on
peut appeler la crise de la Linguistique Appliquée et enfin proposer quelques pistes de solutions pour
une mise en oeuvre adéquate des résultats acquis par la description.
Mots-clés: linguistique appliquée, Côte d’Ivoire, analyse, propositions.
Introduction
Selon J. Dubois (1994: 139): «On
donne le nom de linguistique descriptive à
la théorie linguistique dont le but est
d’induire des corpus des règles. Leurs
applications doit pouvoir rendre compte
d’une manière complète de tous les
énoncés de ce corpus». De ce point de vue,
on peut dire que la linguistique descriptive
et la linguistique appliquée qui se définit
comme l’ensemble de recherches qui
utilisent les démarches de la linguistique
proprement dite pour aborder certains
problèmes de la vie courante et
professionnelle mettant en jeu le langage,
et certaines questions que posent d’autres
disciplines, sont intimement liées. Mais
qu’est-ce qu’il convient d’observer en
matière de recherches linguistiques dans
certains pays africains, notamment en Côte
d’ivoire? Si nous tentons de répondre à
cette interrogation et après une observation
objective de la recherche linguistique, on
peut dire qu’en Côte d’Ivoire la
linguistique appliquée ne suit pas le même
rythme de développement que celle de la
linguistique descriptive2. Il s’agira donc
d’évaluer dans cet article, cette application
de la linguistique en Côte d’Ivoire. En
d’autres termes, la recherche linguistique
est-elle effectivement mise en application
1 Le titre de cet article tel que formulé n’est qu’une
ébauche de ce qui pourrait être l’objet d’une
recherche de grande envergure (mémoire, colloque,
thèse, etc.) il nous a été inspiré après enquête
minutieuse menée dans le cadre des activités
portant sur le colloque annuel (mars 2010) de
l’Institut de Linguistique Appliquée de l’Université
de Cocody-Abidjan.
2 Nous voulons faire remarquer que la recherche en
linguistique descriptive est relativement abondante
par rapport à la recherche en linguistique appliquée.
38/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
comme le voudrait la linguistique
descriptive elle-même ? Nous exposerons
également les risques que pourraient courir
les langues maternelles ivoiriennes si l’on
ne met pas véritablement en pratique les
recherches de la linguistique descriptive.
Pour ce faire, nous procédons à une
analyse de la situation de la recherche
linguistique avant de donner les raisons de
la crise de la linguistique appliquée (si on
peut l’appeler ainsi). Enfin, nous allons
faire quelques propositions pour une
recherche linguistique plus opérationnelle
et plus dynamique en Côte d’Ivoire.
1. L’analyse
Si nous jetons un regard critique sur
l’histoire de l’évolution des langues, on
peut constater que toutes les nations du
monde dites «modernes» et «puissantes»
ne se sont développées qu’à partir de
l’usage «complet»3 de leurs langues
maternelles. Autrement dit, aucune de ces
nations ne s’est développée avec la langue
des autres. C’est le cas par exemple de la
France avec le français, de l’Angleterre
avec l’anglais, du Japon avec le japonais,
etc.
Aussi, le rayonnement d’une langue
donnée à l’échelle planétaire, constitue-t-il
un prestige pour le pays dont elle est issue.
Ainsi, certains pays comme la France ou
encore l’Angleterre continuent de se battre
pour le prestige de leurs langues à travers
des organisations internationales comme la
«Francophonie» et le «Commonwealth».
Ailleurs encore, on parle de la «ligue
arabe» pour désigner tous les pays qui ont
en commun la langue arabe.
Cependant, si ces langues connaissent
aujourd’hui autant de prestige, c’est parce
3 Cet usage ‘‘complet’’ concerne aussi bien l’écrit
comme l’oral.
qu’un travail préalable a été effectué. Ce
travail est relatif à la description
systématique de ces langues. Ce travail de
description sera ensuite soutenu par la
création d’institutions académiques. En la
matière, on peut citer la prestigieuse
«Académie Française» qui a vu le jour en
1635. Un travail de consolidation du
prestige de ces langues des pays dits
«modernes» sera également soutenu par
les nombreuses conquêtes coloniales. C’est
le cas par exemple en Afrique où le
français et l’anglais se sont «imposés»
comme les langues officielles des nations
nouvellement indépendantes. Mais bien
que ces langues étrangères soient les
principaux moyens de communication des
pays africains, certaines autorités vont
songer à introduire l’enseignement des
langues maternelles locales dans le
système éducatif. C’est ainsi qu’en Côte
d’Ivoire, les autorités des années 60 et 70,
en prélude à la réforme de l’enseignement,
ont fait voter une loi à l’Assemblée
Nationale. Voici ce qu’en stipulent les
articles 67 et 68:
Article 67:
L’Introduction des langues nationales dans
l’enseignement officiel doit être conçue comme un
facteur d’unité nationale et de revalorisation du
patrimoine culturel ivoirien.
Article 68:
L’institut de Linguistique Appliquée est chargé de
préparer l’introduction des langues nationales dans
l’enseignement, notamment par leur description,
leur codification, l’identification et la consignation
de leurs grammaires et lexiques, l’élaboration de
manuels scolaires et développement des
productions littéraires garantissant leur caractère
culturel.
Dans cet élan, l’Institut de Linguistique
Appliquée (ILA), en collaboration avec le
Département des Sciences du Langage va
procéder à la description partielle ou
systématique de plusieurs langues
De la linguistique descriptive à la linguistique …/39
ivoiriennes. C’est ainsi qu’on a assisté
dans les années 70 à la mise en oeuvre des
différents Atlas des langues nationales
ivoiriennes. Il s’agit entre autres de l’Atlas
des langues kwa et l’Atlas des gur.
Au-delà des langues ivoiriennes, ces deux
institutions académiques vont procéder à la
description des variétés locales du français.
Il s’agit notamment du Français Populaire
Ivoirien (FPI), du français ivoirien et du
nouchi. Ainsi pouvons-nous citer Kouadio
N’guessan Jérémie qui, en 1990,
consacrait le premier article scientifique
sur le nouchi, argot de jeunes ivoiriens. En
effet, le nouchi est un mélange de français
et de langues locales ivoiriennes très
dynamique, en pleine expansion dans les
milieux urbains et périurbains. Comme
illustration de production nouchi,
apprécions les exemples suivants:
(1a) il y a foyi (production nouchi)
(1b) il (n’) y a rien (traduction français
standard)
(2a) la go-la est klaman (production
nouchi)
(2b) cette jeune fille est belle (traduction
français standard)
Le terme «foyi» est un emprunt aux
langues ivoiriennes, notamment le baoulé
(langue kwa) et le dioula (langue mandé).
Quant au terme «go», il est d’origine
inconnue, mais il demeure fréquent dans le
parler des populations ivoiriennes.
Aussi, dans un travail de recherche
intitulé Description de la variation: études
transformationnelles des phrases du
français de Côte d’Ivoire (2002), Akissi
Béatrice Boutin fait une description des
variétés de français présentes en Côte
d’Ivoire. Par ce travail, l’auteur veut
contribuer à une meilleure compréhension
de la variation linguistique du français de
Côte d’Ivoire, en mettant à la disposition
des enseignants, des éditeurs, et toute
personne s’intéressant à la langue, des
analyses de la variation du français en
Côte d’Ivoire.
En outre, bien que les objectifs
pédagogiques aient été fixés au début, on
peut constater que l’étape de la didactique
et de l’enseignement des résultats de toutes
ces recherches linguistiques n’est pas
encore franchie. En d’autres termes, les
nombreux travaux de description des
langues ivoiriennes et des variétés de
français n’ont pas encore été suffisamment
exploités comme le souhaitait le
gouvernement ivoirien. Cette situation
laisse entrevoir que nous sommes restés
dans une léthargie où on décrit sans
pouvoir s’en servir ou tout au plus, la
plupart de ces recherches ne se limitent
qu’à l’application des théories
linguistiques. Parmi ces théories, on peut
citer, le fonctionnalisme, la grammaire
générative, l’énonciation et l’analyse du
discours. Or, si l’on veut atteindre les
objectifs assignés dès le départ avec la
création de l’Institut de Linguistique
Appliquée, il faut absolument franchir
l’étape de la linguistique appliquée et de la
didactique des langues.
N.J. Kouadio (1977: 225), faisant
référence aux objectifs assignés à l’Institut
de Linguistique Appliquée (ILA) écrit que:
Les responsables de cet Institut, en
collaboration avec le ministère de la
recherche scientifique, ont établi un
programme de recherche pour les années à
venir comportant les thèmes suivants:
«1-L’enseignement du français
2-La description des langues ivoiriennes et
leur enseignement
3-L’alphabétisation aussi bien en français
qu’en langues nationales
4-Les recherches en tradition orale
5- La situation sociolinguistique de la Côte
d’Ivoire».
40/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
Au regard donc de ce qui précède et
après observation de ce qui se passe sur le
terrain aujourd’hui, on peut se rendre
compte que plusieurs facteurs peuvent
expliquer cela.
Pour l’enseignement du français, bien
que de nombreux travaux aient été
consacrés à la description des variétés
locales du français, aucune disposition
particulière n’est prise pour les mettre en
application. Pire, depuis maintenant
quelques années, le concours d’entrée à
l’Ecole Normale Supérieure (ENS) pour
l’enseignement du français n’est plus
autorisé aux étudiants formés au
Département des Sciences du Langage et
par l’Institut de Linguistique Appliquée
(ILA).
Pour la description des langues
ivoiriennes et leur enseignement, de
nombreuses recherches ont été faites.
Cependant, il reste encore beaucoup à faire
parce que d’autres langues ne sont pas
encore décrites. Aussi, s’il est vrai que
depuis maintenant une décennie, une
dizaine de langues sont en phase
d’expérimentation dans les programmes de
l’enseignement primaire avec le Projet
Ecole Intégrée (PEI), il faut tout de même
reconnaitre que, la langue française et ses
différentes variantes gagnent de plus en
plus du terrain par rapport aux langues
ivoiriennes. Ce constat laisse penser que
l’étape de l’enseignement des langues
ivoiriennes n’a pas encore atteint sa vitesse
de croisière, car aujourd’hui de plus en
plus d’Ivoiriens ont le français comme
langue maternelle et/ou première. Bien
plus, le Projet Ecole Intégrée (PEI) est
toujours à l’étape de la phase
expérimentale.
Pour l’alphabétisation en français et en
langues nationales, le constat semble être
le même avec le point précédent. Ici,
malgré les nombreux moyens dégagés par
l’Etat de Côte d’Ivoire et certaines
institutions internationales comme
l’UNESCO ou encore le PNUD, le taux
d’analphabétisme reste très élevé. Selon
J.F. Koffi (2008: 3): «Selon le dernier
Recensement Général de la Population et
de l’Habitat (RGPH, 1998), la Côte
d’Ivoire présente un taux d’analphabétisme
de 53%». Ce taux d’analphabétisme est
trop élevé pour un pays qui se veut
moderne.
Si on se limite à ces trois points
(l’enseignement du français,
l’enseignement des langues ivoiriennes,
l’alphabétisation en français et langues
nationales), on peut dire que la linguistique
appliquée et la didactique des langues en
Côte d’Ivoire sont en «crise». Autrement
dit, le fossé qui sépare la linguistique
descriptive et la linguistique appliquée est
grand. En réalité, ces deux notions que
sont linguistique descriptive et linguistique
appliquée devraient être complémentaires
parce que c’est par l’application de la
description qu’on pourra également
améliorer et renforcer la recherche
descriptive déjà existante. Nous parlons de
«crise» parce que selon nos enquêtes à
l’Institut de Linguistique Appliquée et au
Département des Sciences du Langage de
l’Université de Cocody Abidjan, la
linguistique appliquée a connu ses lettres
de noblesse dans la période de 1963
jusqu’au milieu des années 80. En effet,
c’est à cette période que les résultats en
linguistique appliquée ont été plus
probants et plus prolifiques. Cela peut
s’expliquer par le fait que, d’une part, les
infrastructures et les équipements étaient
en bon état et d’autre part, ces
infrastructures et équipements
bénéficiaient d’une maintenance régulière.
Toutes ces raisons, nous amènent à dire
De la linguistique descriptive à la linguistique …/41
que la linguistique appliquée est en
«crise». Certes, l’objectif de la recherche
linguistique en tant science objective n’est
pas d’orienter l’évolution linguistique et/
ou sociale d’un pays, mais les résultats de
cette recherche linguistique doivent
pouvoir servir d’où l’importance de la
linguistique appliquée.
Cependant qu’est-ce qui peut justifier
cette «crise» de la linguistique appliquée?
En d’autres termes, quelles peuvent être
les raisons de cette «crise» de la
linguistique appliquée?
Dans cette deuxième séquence de cette
réflexion nous énumérons quelques raisons
de cette «crise» de la linguistique
appliquée en Côte d’Ivoire.
2. Les raisons de la crise de la
linguistique appliquée
Les raisons de la crise de la linguistique
appliquée sont multiples. Mais nous
pensons que la première est avant tout un
problème organisationnel des différentes
structures académiques qui sont supposées
être habilitées à mettre en application la
recherche descriptive. Il n’existe
pratiquement pas de collaborations
scientifiques entre les structures
académiques qui doivent mettre en
pratique la recherche descriptive. Ces
institutions sont entre autres l’Institut de
Linguistique Appliquée (ILA), les
Départements des Sciences du Langage et
des Lettres Modernes, le Service
Autonome d’Alphabétisation (SAA), le
Département des Lettres Modernes de
l’Ecole Normale Supérieure et le Ministère
de l’Education Nationale.
Si au niveau de l’ILA et du
Département des Sciences du Langage la
collaboration semble de mise4, il n’en est
pas de même avec les autres institutions
citées ci-dessus. En principe, l’ILA avec
les autres structures concernées par la
linguistique appliquée devraient travailler
en étroite collaboration. Alors qu’ici, ce
n’est pas le cas. Sinon, comment
comprendre que depuis la mise en oeuvre
du Projet Ecole Intégrée, l’ILA n’est
intervenue seulement qu’à l’étape de la
conception des tous premiers manuels?
Aujourd’hui, de façon solitaire, le
Ministère de l’Education Nationale pilote
ce projet sans avoir recours aux véritables
spécialistes. Dans une telle situation, il ne
serait pas étonnant que ce projet (très
intéressant) échoue. Il en est de même pour
l’alphabétisation aussi bien en français
qu’en langues locales ivoiriennes. La
plupart des personnes (90% au moins) qui
animent les Centres d’Alphabétisation
n’ont reçu aucune formation en la
matière5. Comment peut-on s’attendre à
des résultats satisfaisants dans un tel
contexte? Il y a également la suppression
du concours d’entrée à l’ENS aux
étudiants formés aux Département des
Sciences du Langage. S’il existait une
franche collaboration entre le Département
des Sciences du Langage et ceux des
Lettres Modernes des Universités de
Cocody, de Bouaké et celui de l’Ecole
Normale Supérieure (ENS), l’on devrait
comprendre que l’étudiant formé en
linguistique française et africaine, serait
mieux outillé pour enseigner le français
dans un pays comme la Côte d’Ivoire, où
le français est pratiqué comme une langue
seconde.
4 La plupart des enseignants du Département des
Sciences du Langue sont des chercheurs à l’ILA.
5 Ce constat est le résultat d’une enquête que nous
avons menée dans certaines communes du District
d’Abidjan.
42/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
La deuxième raison est liée au
problème d’ordre matériel et financier.
Contrairement aux années 70 et 80 où
l’ILA disposait d’un minimum de moyens
pour la description des langues ivoiriennes
et ensuite pour la publication de syllabaires
et autres revues, il faut reconnaitre qu’il
n’en existe pratiquement plus: l’Etat de
Côte d’Ivoire ne s’y intéresse plus l’appui
extérieur avec les différentes coopérations
n’existe plus. Aujourd’hui, il n’existe que
les traces de ce qu’avait été l’ILA6. Dans
ces conditions, la motivation ne peut être
de mise et cela a pour conséquence directe,
un manque criant de résultats probants
pour l’application des différentes
descriptions linguistiques.
La troisième raison est relative au manque
d’intérêt de l’Etat ivoirien pour la
promotion des langues nationales. S’il
existait une réelle volonté politique pour le
rayonnement des langues maternelles
ivoiriennes, l’Etat y mettrait les moyens (le
minimum) nécessaire pour leur promotion.
A propos de l’importance de l’usage des
langues nationales à l’école, voici ce que
recommande l’UNESCO (1971):
«L’usage des langues africaines dans
l’enseignement facilite le processus de
l’apprentissage et engendre l’esprit de
créativité. La langue africaine parlée en
famille et dans la vie quotidienne est le
meilleur support de la pensée africaine, car
il a été démontré qu’on ne peut pas penser
avec la tête d’autrui. Seule l’éducation en
langues africaines peut résoudre le
problème du déséquilibre existant entre
l’élite et la masse, les parents et les élèves
et favoriser ainsi le développement
harmonieux des pays africains».
6‐ On peut faire ce constat en faisant l’état des lieux
de l’ILA. Il existe une salle d’informatique mal
équipée, une salle de reprographie sans
équipement, un mensuel de publication (CIRL)
dont le dernier numéro date de 1996, etc.
Depuis maintenant un peu plus de dix ans,
le Projet Ecole Intégrée tarde à décoller.
En principe, après dix ans de phase
expérimentale, l’on devrait être à l’étape
de l’extension du projet.
Malheureusement, nous en sommes encore
à l’étape initiale. De ce constat, on peut
déduire qu’il n’existe véritablement pas de
suivi et de mesures d’accompagnement.
Aussi, l’aboutissement d’un tel projet
permettrait à la Côte d’Ivoire de disposer
d’une véritable littérature et d’une presse
en langues maternelles ivoiriennes.
Face à cette situation qu’on pourrait
qualifier de dramatique, que faut-il faire ?
Nous tenterons de répondre à cette
interrogation en proposant quelques pistes
de solutions.
3. Propositions
La première proposition est relative à
l’optimisation et à la réorganisation des
différentes structures académiques
impliquées dans la linguistique descriptive
et dans la linguistique appliquée.
En effet, l’Institut de Linguistique
Appliquée est reconnu pour les efforts
qu’il fournit pour la description des
langues ivoiriennes et des variétés locales
du français. Ainsi, il est démontré par
plusieurs chercheurs que l’influence des
langues maternelles (le substrat)
ivoiriennes est la principale cause de la
variation du français. Etant donné que le
Département des Lettres Modernes est le
principal pourvoyeur de futurs enseignants
de français, ces derniers doivent
nécessairement collaborer avec l’ILA afin
de permettre aux étudiants de comprendre
les mécanismes du fonctionnement de la
langue française lorsqu’elle s’éloigne de la
norme centrale.
Aussi devrait-on permettre aux
étudiants formés par le Département des
De la linguistique descriptive à la linguistique …/43
Sciences du Langage de présenter le même
concours que leurs condisciples des Lettres
Modernes. S’il y a lieux de procéder à des
échanges d’unités de valeur (UV) entre ces
deux institutions, on peut le faire. En
d’autres termes, il faut encourager
l’interdisciplinarité entre les trois
institutions. De cette façon, les étudiants
formés en didactique du français langue
seconde et en linguistique appliquée à
l’enseignement seront plus aptes à
expliquer les phénomènes de la variation
de la langue française.
Pour l’enseignement des langues
maternelles ivoiriennes à l’école, l’ILA
doit absolument être au centre du projet.
Le Ministère de l’Education Nationale doit
mettre les moyens à la disposition de
l’ILA. Dans tous les cas, cette disposition
ne serait pas nouvelle, car c’est ce que
recommandent les textes qui régissent la
création de L’ILA, affirme N.J. Kouadio
(1977: 22). Cette disposition concerne
également l’alphabétisation en français et
en langues nationales. Le Service
Autonome d’Alphabétisation (SAA) ne
devrait plus avoir le monopole de
l’Alphabétisation en Côte d’Ivoire. Il faut
nécessairement, par des textes légaux,
établir une collaboration entre cette
structure et l’Institut de Linguistique
Appliquée.
Aussi, la linguistique ivoirienne doit
sortir de son «carcan» classique qui
consiste à faire la description partielle ou
systématique des langues pour s’orienter
vers de nouveaux horizons. Il s’agit
notamment de la linguistique appliquée
aux Nouvelles Techniques de
l’Information et de la Communication
(NTIC), de la linguistique appliquée aux
Sciences Médicales et de la Santé, de la
linguistique appliquée aux Sciences
Politiques et Juridiques, etc. Ainsi, si nous
prenons le cas spécifique de la linguistique
appliquée aux NTIC et avec l’essor
fulgurant des sociétés de téléphones
mobiles, on pourrait s’en servir pour créer
des serveurs vocaux en langues ivoiriennes
et de rédaction de messages «SMS» avec
l’alphabet phonétique des langues
ivoiriennes. Autrement dit, il sera de plus
en plus question de la mise en application
des résultats de la recherche en
linguistique descriptive.
Mais tout ce que nous venons
d’évoquer précédemment ne connaîtra un
succès si et seulement si l’Etat ivoirien
s’implique véritablement. En effet, l’Etat
ivoirien, à travers le Ministère de
l’Education Nationale et celui de la
Recherche Scientifique, doit
responsabiliser les institutions de
recherche qu’il faut et à la place qu’il faut.
Ainsi, il doit définir clairement les rôles et
les responsabilités des différentes
institutions comme l’ILA, le SAA, les
Départements des Sciences du Langage,
des Lettres Modernes (à l’Université,
comme à l’ENS). Tant que ce travail
préalable n’est pas fait, les uns et les autres
se marcheront toujours sur les pieds. On
doit donc savoir qui doit «décrire» et qui
doit «appliquer».
Cependant ces objectifs ne pourront être
atteints que s’il y a des mesures
d’accompagnement. Ces mesures
d’accompagnement sont d’ordre matériel
et financier. Ainsi, l’Institut de
Linguistique Appliquée doit être
restructuré afin qu’il puisse relever les
défis du moment. Il s’agit donc de
l’équipement de l’ILA en matériels
informatiques avec connexion internet, de
la restauration de la salle de reprographie,
de l’aménagement d’une salle de
rédaction. Il faut également encourager les
chercheurs (enseignants et étudiants) qui
44/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
s’intéressent à la description et à la
didactique des langues ivoiriennes en
mettant à leur disposition des primes
d’incitation, etc. Si toutes ces dispositions
sont prises, cela peut aider les étudiants
orientés au Département des Science du
Langage à se «décomplexer»7 et surtout à
comprendre le bien fondé de l’étude des
langues. Nous faisons cette remarque parce
que selon nos enquêtes, la plupart des
étudiants nouvellement orientés dans cette
filière n’ont aucune notion de l’intérêt
qu’il y a à étudier les sciences du langage
et notamment la linguistique descriptive.
Pourtant, si ces derniers savaient ce qu’ils
pouvaient faire avec l’étude des langues
maternelles africaines, ils pourraient
proposer leurs services à des structures
privées ou semi-privées dans le cadre de
l’alphabétisation ou de l’enseignement en
langues nationales. Ces structures peuvent
être ici des Conseils Généraux, des
Conseils Municipaux, des Associations
Régionales, etc.
Conclusion
En conclusion, nous pouvons affirmer
que la linguistique appliquée et la
didactique des langues ne sont pas
suffisamment mises en exergue malgré une
relative abondance d’une linguistique
descriptive en Côte d’Ivoire. Alors, nous
suggérons que des dispositions
particulières soient prises afin qu’il y ait
une application effective et active de la
recherche descriptive des langues
ivoiriennes et des variétés locales du
français. Si ces dispositions ne sont pas
prises dès maintenant, nous risquons
d’assister à la «mort» progressive des
7 La plupart des bacheliers nouvellement orientés
au Département des Sciences du Langage
n’éprouvent aucun intérêt à étudier les langues
ivoiriennes.
langues ivoiriennes. C’est pourquoi, toutes
les autorités compétentes impliquées
directement ou indirectement à la
linguistique appliquée et à la linguistique
descriptive doivent prendre la pleine
mesure de la gravité de la situation afin
que la recherche linguistique ait encore de
beaux jours devant elle. Et comme le fait
remarquer L. Bloomfield (1970: 25): «Le
pas le plus difficile dans l’étude du
langage est le premier. Maintes et maintes
fois l’érudition s’est approchée de l’étude
de la langue sans y pénétrer réellement. La
science linguistique naquit de
préoccupations relativement pratiques tel
que l’utilisation de l’écriture, l’étude de la
littérature et particulièrement des textes les
plus anciens, la prescription d’un parler
élégant mais on pouvait passer beaucoup
de temps sur ces faits sans pénétrer
réellement dans l’étude linguistique», la
linguistique elle-même se veut une science
de la pratique et de l’innovation.
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De la linguistique descriptive à la linguistique …/45
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46/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
.
Etude de la structure narratologique dans
«Carnet d’assurance maladie» de Jalāl Al-é Ahmad
Nazri-Doust, Mas’oud
Maître assistant, Université Shahid Chamran, Ahvaz, Iran
nazridust@yahoo.fr
Reçu: 1.2.2013 Accepté: 7.8.2013
Résumé
Dans cet article, nous nous penchons sur une nouvelle de Jalāl Al-é Ahmad intitulée Carnet
d’assurance maladie. Comme c’est le cas de la majeure partie de ses oeuvres, cette nouvelle vise un
problème social. Ce qui nous intéresse dans cet article, c’est l’analyse de la texture de la nouvelle: elle
fera apparaître la valeur littéraire du texte d’une part, et d’autre part montrera à quel point l’oeuvre a
été bien travaillée, bien structurée. De plus, les nouvelles critiques accordent plutôt l’importance à la
forme qu’au contenu. Nous verrons que c’est justement ce genre d’analyse formelle qui favorise
l’apparition d’un sens ou plutôt d’une synthèse de sens, synthèse imaginée, composée par l’auteur, et
signalée dans l’oeuvre par des faits de texte, en l’occurrence, la métaphore.
Mots-clés: narration, nouvelle, réalisme, structure, récits emboîtés, métaphore.
Introduction
L’oeuvre qui constitue l’objet de la
recherche dans cet article, s’intitule Carnet
d’assurance maladie. Cette nouvelle fait
partie d’un recueil ayant pour titre Une
femme de trop de Jalāl Al-é Ahmad. Ce
dernier est connu dans la littérature
contemporaine persane non seulement
comme écrivain, mais aussi comme
essayiste et traducteur. Pourtant son statut
d’écrivain est très controversé. Pour
certains, dans sa prose «nous rencontrons
des immaturités, et cela à plusieurs
égards.» (Dehbāshi, 1985: 462). Pire
encore, certains autres posent des
questions plus radicales: «Al-é Ahmad,
quel genre d’écrivain est-il? Peut-on le
considérer comme écrivain? […] nous
aurons du mal à donner la réponse
affirmative.» (Pirouz, 1993: 101). A
propos du style et de l’influence d’Al-é
Ahmad sur ses contemporains, certains
comme Shafi’i Kadkani pensent qu’il «a
été un écrivain au sens propre du terme,
c’est pourquoi il fait partie des écrivains
contemporains les plus populaires il est
même possible que l’impact et l’influence
de cet écrivain soient comparables à ceux
de Sadegh Hedayat, et peut-être même
plus.» (Azhand, 1984: 362).
A propos du contenu de ses écrits, le
fait est que «dans chacune de ses nouvelles
est traité l’un des problèmes de la société»
(kasmāï, 1984: 132) et que dans ses
nouvelles, il «vise la justice sociale, en tant
qu’écrivain réaliste» (kasmāï, 1984: 120).
C’est pourquoi, dans cet article, ce qui
nous intéresse n’est pas seulement le
contenu de cette nouvelle qui - comme la
plupart de ses autres nouvelles - contient
une critique sociale de son époque, mais
encore et surtout sa structuration textuelle:
en quoi la fonction structurelle de cette
nouvelle constitue un discours référentiel
d'ordre social? Cette approche structurelle
peut nous dévoiler de manière objective,
dans quelle mesure l'oeuvre étudiée peut
être considérée comme une construction
littéraire. Jusqu'à présent, aucune analyse
structurelle telle que nous projetons de
réaliser dans cet article, n'a été opérée sur
cette nouvelle.
Carnet d’assurance maladie, dont la
première édition date de Juillet 1952
48/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
(Dehbāshi, 1985: 21), contient 24 pages et
traite d’une question sociale: dans un
établissement scolaire, pendant la
récréation, les enseignants apprennent
qu’on va leur remettre obligatoirement des
carnets d’assurance maladie. Presque tous
sont mécontents, ils n’en veulent pas mais
rien à faire c’est obligatoire! L’un d’entre
eux, après la remise des carnets
d’assurance maladie, se met à s’en servir
et cela durant un an. A la fin de la
nouvelle, nous apprenons que les carnets
d’assurance sont tous retirés: presque tout
le monde affirme en être content car ils
pensent qu’au fond ce n’était que pour leur
enlever une partie de leur salaire mensuel,
et qu’ils ne sauraient pourquoi on les leur a
remis ni pourquoi on les leur a retiré.
Un ancrage réaliste
La nouvelle porte comme titre le nom
d’un objet: Carnet d’assurance maladie.
Compte tenu de la nature du texte, en
l’occurrence littéraire, on est amené à lire
une histoire centrée sur un sujet à portée
individuelle et sociale (effectivement, c’est
à partir des cotisations reçues des individus
que la collectivité accorde des aides). Une
première particularité de cette nouvelle:
aucun personnage ne porte de nom propre.
Les personnages sont présentés d’après
leur statut social: directeur de l’école,
surveillant, enseignants (désignation selon
la matière enseignée), employés de
l’assurance, médecins. Autrement dit, ils
représentent des types sociaux. Les lieux
évoqués ou décrits sont constitués
essentiellement de ceux publics:
établissement scolaire, cabinet de médecin,
pharmacie, etc. Finalement, deux
occurrences importantes viennent ancrer le
récit dans un cadre temporel et socioculturel
précis: à deux reprises, apparaît le
nom de «Téhéran» (Al-é Ahmad, 2008: 70
et 71). La deuxième indication se trouve
dans la description caricaturale (et donc
imagée) d’un personnage référentiel, à
savoir le Shah dans son habituel uniforme
militaire (à l’époque où il fut très jeune), à
la page d’ouverture du récit où est décrite
la salle des enseignants:
«La salle était petite. Le bureau du surveillant
en avait occupé la moitié […] Tout autour du
plafond était couvert des fils noirs et sals
d’électricité, de téléphone et d’alarme et au-dessus
du bureau du surveillant était accrochée au mur une
grande photo, encadrée, poussiéreuse et presque
décolorée d’un jeunot en uniforme de scouts.»
(Comme il a toujours été coutume dans
les administrations, le bureau de directeur
est surplombé par la photo de la personne
qui représente l’autorité suprême dans un
pays). A ces indications référentielles
S’ajoutent d’autres indices - comme le
montant des cotisations «cinq tomans»,
(Al-é Ahmad, 2008: 57), les honoraires des
médecins «dix tomans», (Al-é Ahmad,
2008: 63) le fait que les enseignants
portent des cravates (Al-é Ahmad, 2008:
51) - qui, dans l’ensemble, créent l’effet de
réel tout en situant l’histoire dans la
société iranienne d’avant la révolution, à
Téhéran.
Mais comment est-elle racontée cette
histoire? L’objectif que nous nous sommes
fixé dès le départ, étant l’étude de la
structure, c’est l’aspect formel, le travail
artistique constaté à travers la structure et
non pas le contenu - ceci n’existerait pas
sans la forme qui le signifie - qui attirent
notre attention. De plus, «lorsqu’on
analyse un texte, il faut d'abord déterminer
de combien de séquences il se compose»
(Adam, 1994: 149). Sinon, comment
discuter de son articulation.
Par ailleurs, des personnages qui
agissent et évoluent au cours de l’histoire,
ne peuvent pas exister sans un cadre
Etude de la structure narratologique dans…/49
spatio-temporel qui lui-même fait partie
des éléments formels et qui est de ce point
de vue significatif. Comme le précise P.
Ricoeur
«Le caractère commun de l'expérience
humaine, qui est marqué, articulé, clarifié par l'acte
de raconter sous toutes ses formes, c'est son
caractère temporel. Tout ce qu'on raconte arrive
dans le temps, prend du temps, se déroule
temporellement et ce qui se déroule dans le temps
peut être raconté» (Ricoeur, 1986: 12).
Espace-temps, une structuration
séquentielle
La progression du texte dans Carnet
d’assurance maladie, suit l’ordre
chronologique des événements narrés.
Autrement dit, c’est l’organisation
temporelle qui est à la base de
l’organisation textuelle. Dans l’ensemble
du texte (constitué de vingt-quatre pages),
la première séquence constitue la scène
inaugurale du récit. Elle se compose de
cinq étapes temporelles qui sont les
suivantes:
La première séquence - page 51 à 60 -
dans laquelle sont relatés:
a. Entrée des enseignants dans la salle
pour la pause-thé, pendant la première
récréation
b. Annonce de la remise des carnets
d’assurance et la discussion des
enseignants sur cette nouvelle
c. Entrée du principal suivi des
employés et la remise des carnets
d’assurance maladie
d. Cours suivant
e. Réflexions du personnage
principal (à midi, dans le bus), sur le carnet
d’assurance maladie avant d’arriver chez
lui, affamé et épuisé à la fin d’une journée
chargée.
Cette première séquence, nous pouvons
la nommer «Une journée de travail». En
fait, c’est dans cette séquence qu’est
présenté un personnage mécontent,
nerveux, agressif. Il souffre, mais nous en
ignorons la cause on dirait qu’il est
déstabilisé. Ainsi, cette première séquence
serait celle du «manque», indispensable au
déclanchement des faits dans tout récit.
La seconde séquence est marquée par une
double rupture (temporelle et spatiale) et
par la présence d’un indice textuel: une
courte phrase qui fait un paragraphe et qui
coupe le texte en second titre: «Il a posé le
carnet d’assurance maladie devant le
médecin et s’est assis» (Al-é Ahmad,
2008: 60).
Effectivement, le texte ne dit rien sur le
temps écoulé entre l’arrivée du personnage
principal chez lui et sa présence dans le
cabinet du médecin. Par un saut dans le
temps et dans l’espace, le texte nous
emporte ailleurs: «chez le médecin».
Cette seconde séquence, constituée
d’une première consultation chez un
médecin se termine par la sortie du
personnage: «[…] arrivé sous la lumière
des rues, il a ouvert son carnet d’assurance
maladie et dans la partie consacrée aux
noms des maladies, il a vu écrit «la fatigue
nerveuse» avec la signature du médecin à
côté» (Al-é Ahmad, 2008: 64).
Ainsi, cette seconde séquence se révèle
être celle de la «quête» puisque c’est
durant cette séquence que le personnage
agit en quête d’une solution pour trouver
un remède à sa nervosité.
La troisième séquence est ouvertement
soulignée par une précision temporelle du
narrateur: «[…] et ainsi a coulé toute une
année» (Al-é Ahmad, 2008: 64). La
consultation chez le médecin décrite à la
loupe la première fois, sera renouvelée
encore huit fois tout au long d’une année.
Autrement dit, cette séquence est le
prolongement de la même «quête» débutée
dans la séquence précédente, mais cette
50/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
fois, de manière plus étendue et plus
approfondie. Elle est composée de survols
et de réflexions suivants:
a. Constat des résultats des autres
consultations, faites à la suite de celle
développée dans la séquence précédente
b. Réflexion sur son horreur des médecins
c.Souvenir d’enfance et découverte d’un
traumatisme
d. Découverte de son motif d’utiliser le
carnet d’assurance maladie
e. Insuffisance de la médecine moderne.
Un deuxième critère qui marque l’unité
de cette troisième séquence et qui la
délimite, est l’absence de toute indication
spatiale. Si la cohésion de la deuxième
séquence vient de ce que tout se passe dans
le cabinet d’un médecin, cette troisième
séquence ne comporte aucune démarcation
spatiale quant à la place où se trouve le
personnage lorsqu’il est en train de
procéder aux introspections
susmentionnées durant une année (Al-é
Ahmad, 2008: 64-67).
L’ouverture de la quatrième (et
dernière) séquence est justement signalée
par la réapparition des démarcations
spatio-temporelles: «Entre les deux cours
de la matinée, dans la salle des
enseignants, ces derniers prenaient du thé
en silence […]» (Al-é Ahmad, 2008: 67).
De plus, la description dans cette dernière
séquence comporte les mêmes éléments
que ceux de la séquence d’ouverture de la
nouvelle: «le vacarme des élèves dans la
cour de l’école» (Al-é Ahmad, 2008: 51et
67) la présence des mêmes enseignants le
même rituel de pause-thé les mêmes
discussions sur le carnet d’assurance
maladie et la même description, presque
mot pour mot du bureau du surveillant:
«Le bureau du surveillant en avait occupé
la moitié» (Al-é Ahmad, 2008: 51). En
d’autres termes, nous nous retrouvons dans
la situation initiale de la nouvelle c’est
comme si, le texte signalait que la boucle
était bouclée, que nous touchions la
séquence de «clôture»: la même salle où
tout commença, est maintenant la scène où
cette histoire de carnet d’assurance
maladie va connaître une fin tragique, la
mort d’un des enseignants (Al-é Ahmad,
2008: 74).
L’analyse séquentielle du texte révèle
ainsi quatre découpages temporels:
- Journée de travail
- Consultation chez le médecin
- Année d’introspection
- Temps d’une récréation finale.
A partir de ces découpages, observons
les lieux évoqués. La première séquence se
passe à l’école, précisément dans la salle
de ré:::union::: des enseignants durant deux
temps de récréations, ensuite dans le bus
(où le personnage est en pleine réflexion, à
tel point qu’il ne remarque même pas la
descente de ses collègues). La seconde
séquence se passe dans le cabinet d’un
médecin (au bout d’une heure d’attente
dans la salle d’attente des malades). La
troisième séquence, consacrée aux
réflexions du personnage durant une
année, est dénuée de toute démarcation
spatiale. La quatrième séquence se passe
de nouveau à l’école, dans la salle de
ré:::union::: des enseignants.
Ainsi donc, notre récit-cadre se déroule
dans trois endroits différents: la salle des
enseignants, le bus et le cabinet de
médecin (la salle d’attente comprise).
La représentation textuelle de ces lieux
est significative sur le plan quantitatif: la
nouvelle fait l’objet de 24 pages donc 14
consacrées à l’école environ 4 à la
première consultation chez le médecin
(sans compter les pages de la troisième
séquence où, sans description des lieux, le
personnage évoque - durant 3 pages - le
Etude de la structure narratologique dans…/51
résultat de ses consultations postérieures
chez les médecins, ses souvenirs d’enfance
liés à la maladie, aux médicaments et aux
médecins), 3 pages au bus (qui n’est pas
décrit mais simplement évoqué comme
cadre spatial où ont lieu les réflexions du
personnage sur le carnet d’assurance
maladie et ce genre de document).
Textuellement, deux lieux sont mis en
relief dans le récit:
- Ecole, (ou plus précisément la salle
des enseignants, à laquelle sont consacrées
la première et la dernière séquence)
- Cabinet de médecin (avec une
première occurrence détaillée à la
deuxième séquence, ensuite évoqué par
l’indication des nombres de consultations,
«huit autres consultations», dans la
troisième séquence).
A part le personnage principal dont la
quête constitue la colonne vertébrale de la
nouvelle, nous y reviendrons dans la suite,
ce qui unifie les séquences textuelles est sa
narration: qui raconte? Quel est le point de
vue adopté? Comment est organisé le
temps de la narration par rapport au temps
des événements narrés? Bref, quelle est
l’organisation narrative du texte?
L’organisation narrative
D’une manière générale, un récit «peut
fournir au lecteur plus ou moins de détails,
et de façon plus ou moins directe, et
sembler ainsi […] se tenir à plus ou moins
grande distance de ce qu'il raconte»
(Genette, 1972: 183). Ainsi, se pose la
question de l’objectivité du narrateur. En
d’autres termes, plus le narrateur se borne
à une présentation directe et rapprochée de
ce qu’il raconte, plus il fait abstraction de
ses propres impressions et pensées, plus
paraîtra objectif ce qu’il raconte. Cela tient
d’un fait divers rapporté pour informer le
lecteur d’un fait et non pas de l’opinion de
celui qui le rapporte. C’est ce que nous
pouvons observer dans cette formule de G.
Genette: «information + informateur = C,
[ce] qui implique que la quantité
d'information et la présence de
l'informateur sont en raison inverse»
(Genette, 1972: 187).
Dans Carnet d’assurance maladie, le
narrateur rapporte les faits sans pour autant
faire partie des personnages du récit. Le
texte ne comporte aucune indication sur
son identité. Il n’est pourtant pas un
narrateur neutre: par les qualificatifs qu’il
emploie pour présenter le décor et les
personnages, il laisse entendre son
sentiment, son évaluation, son estime ou
son mépris. Par exemple, dans la première
séquence où il met en place le cadre et
présente les personnages, à propos de la
photo du roi, il indique: «[…] une grande
photo, encadrée, poussiéreuse et presque
décolorée d’un jeunot en uniforme de
scouts.» Dans cette description,
l’«uniforme de scouts» (désignant
l’uniforme militaire du Shah) et le
contraste entre la grandeur de la photo et le
diminutif de «jeunot» laissent voir le
mépris du narrateur pour la personne
représentée. L’image utilisée pour évoquer
l’obésité d’un enseignant participe du
même parti ris: «il s’est laissé tomber sur
la première chaise, à l’entrée, comme un
sac lourd» (Al-é Ahmad, 2008: 52).
Pour observer le nombre de ce genre
d’interventions du narrateur, considérons
les quatre séquences de la nouvelle. La
séquence inaugurale (Al-é Ahmad, 2008:
51-60) est constituée essentiellement de
deux sortes de description et de dialogue
intercalés dans les descriptions: la
description précise et détaillée de la salle
de ré:::union::: des enseignants le portrait des
enseignants portant sur leurs tenue, gestes,
comportement, physique et langage:
52/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
«[…] premièrement est entré l’enseignant de
français qui était un petit vieux, bien mis et qui,
ayant enfoncé une allumette au fond de sa cigarette,
la tenait, du bout des doigts, loin de lui-même.
Comme si la cigarette et sa fumée portaient quelque
chose d’impropre, ou des microbes, et qu’il fallait
éviter […] par la suite, est entré l’enseignant de
l’algèbre, qui était grand et mince, et chancelait en
marchant et portait des lunettes et une cigarette
fumante au bout de ses lèvres il était pâle à tel
point qu’il paraissait atteint de tuberculose» (Al-é
Ahmad, 2008: 52).
La seconde séquence aussi procède de la
même façon: la description du lieu (le
cabinet du médecin) et des personnages
(l’enseignant de dessin et le médecin), et
l’usage du dialogue, c’est-à-dire le
discours rapporté pour narrer la
consultation en cours. Tout change dans la
troisième séquence (Al-é Ahmad, 2008:
64-67): le narrateur y rapporte - du point
de vue du personnage principal - les
réflexions et l’introspection de ce dernier,
dans un rapide survol sur une année
d’efforts pour retrouver la santé perdue
celui-ci consulte des médecins tout en
procédant à l’introspection, allant du
présent au passé, à son enfance et
retournant au présent. Dans la dernière
séquence (Al-é Ahmad, 2008: 67-74), nous
retrouvons de nouveau la scène, c'est-àdire,
des passages textuels «qui se
caractérisent par une visualisation forte,
accompagnée notamment des paroles des
personnages et d’une abondance de détails.
On a l’impression que cela se déroule sous
nos yeux, en temps réel» (Reuter, 1997:
40) contrairement à la troisième et l’unique
séquence dominée par le sommaire, c’està-
dire, des portions de texte qui
«présentent en effet une tendance au
résumé et se caractérisent par une
visualisation moindre» (Reuter, 1997: 40).
La même prédominance existe aussi, en
matière de paroles des personnages. Mise à
part la troisième séquence où n’existent ni
visualisation forte et détaillée, ni paroles
de personnage, les trois autres séquences,
qui constituent le reste de la nouvelle, sont
largement dominées par le discours
narrativisé: dialogue des enseignants sur le
carnet d’assurance maladie dans la
séquence inaugurale dialogue entre le
personnage principal et le médecin durant
la première consultation narrée dans la
seconde séquence et dialogue des
enseignants dans la séquence de clôture,
sur le retrait des carnets d’assurance
maladie. Ainsi, de la même façon que la
scène crée l’impression d’actualiser le
déroulement des faits sous nos yeux,
l’usage étendu du discours narrativisé
engendre - pour reprendre l’expression de
Genette - la forme la plus «mimétique»,
«où le narrateur feint de céder littéralement
la parole à son personnage». (Genette,
1972, 192) afin de rendre plus objective,
plus réaliste l’histoire narrée, compte tenu
de l’absence de plus en plus grande de
l’informateur au profit de l’information
qu’il transmet.
La question qui se pose maintenant est la
suivante: quelle est cette information ainsi
mise en scène? En d’autres termes, qu’estce
que le texte tente d’exprimer dans ce
cadre spatio-temporel précis?
La thématique de la nouvelle
La première question porte sur le titre et
ce qu’il désigne: carnet d’assurance
maladie. A quoi et à qui sert-il, sinon aux
malades? Parmi tous les personnages, il
n’y a qu’un seul qui prétend être en bonne
santé, le professeur de gymnastique:
«[…] tant mieux messieurs [si on nous a retiré
les carnets d’assurance]! Moi, je n’ai absolument
pas besoin de consulter le médecin. […] Mon
médicament, mon médecin et mon carnet
d’assurance à moi, c’est la respiration matinale,
Etude de la structure narratologique dans…/53
messieurs! Qu’est-ce que j’ai à faire avec les
médecins et leurs ordonnances? Toutes ces
magouilles, c’est pour des malades et des mourants.
L’homme en bonne santé.
L’enseignant de dessin lui coupant la
parole:
- Oui, parmi nous autres, les enseignants,
c’est rare de trouver un homme en bonne
santé. Vouliez-vous ajouter autre chose,
monsieur ?» (Al-é Ahmad, 2008: 69).
De plus, dès l’ouverture de la nouvelle,
depuis la présentation des enseignants
jusqu’à la fin, le texte laisse ça et là des
indications qui portent sur la fragilité de
leur état de santé. Ils sont fumeurs (comme
les enseignants de français, de l’algèbre et
de dessin) trapus et obèses (comme
l’enseignant de l’histoire et l’enseignant de
sharia , à tel point qu’au lieu de
«s’asseoir», ce dernier ne peut que «se
jeter dans un coin comme un sac de coton
lourd» (Al-é Ahmad, 2008: 51) pâle et
chancelant en marchant comme
l’enseignant de l’algèbre dont l’apparence
«donnait à penser qu’il était atteint de
tuberculose» (Al-é Ahmad, 2008: 52) ou
finalement de mauvaise humeur (comme
l’enseignant de dessin, personnage
principal) de telle sorte qu’«il semblait
insulter quand il parlait» (Al-é Ahmad,
2008: 53).
Nous avons ainsi, dès le départ, un
tableau de personnages qui, à des degrés
différents, s’éloignent de l’image d’un
homme en forme comme le professeur de
gymnastique. Les remarques sur le malaise
physique et psychique se développent au
cours du texte, et plus en détail:
l’enseignant de dessin a beau chercher à en
finir avec sa mauvaise humeur et
l’enseignant de l’algèbre meurt de
tuberculose. Le texte développe ces
portraits au premier niveau de la narration:
un narrateur, pour reprendre l’expression
de Genette, extradiégétique (Genette,
1972: 255-256) rapporte l’histoire. Mais
apparaissent très vite, dès les premières
pages, d’autres narrateurs, cette fois,
intradiégétiques, racontant d’autres
histoires qui non seulement confirment la
thématique de la nouvelle mais la ramifient
de manière très significative.
Les récits emboîtés et les rapports
métaphoriques
Dès l’annonce de la remise des carnets
d’assurance, au début de la nouvelle, les
enseignants s’interrogent sur son utilité.
Pour l’enseignant de l’algèbre (Al-é
Ahmad, 2008: 55), il est utile pour soigner
la tuberculose (puisqu’il en est atteint luimême).
Mais, l’enseignant de dessin, très
agressif, et comme toujours de mauvaise
humeur, tranche dès le début, estimant que
le carnet d’assurance maladie ne peut être
utile que contre l’abrutissement.
Cette intervention est suivie de deux
récits introduits par l’enseignant de
français dans la première séquence: il se
souvient d’abord d’un collègue, enseignant
de mathématiques devenu fou et qui a
cessé d’enseigner il y a vingt ans (Al-é
Ahmad, 2008: 54) il a connu ensuite,
depuis trente ans de carrière, quatre autres
collègues qui ont sombré dans la folie.
Dans la deuxième séquence, deux
autres récits sont intercalés dans la
narration: pour donner au médecin un
exemple de sa nervosité, l’enseignant de
dessin rapporte que l’an précédent, un jour
pendant un cours, dans une crise de colère
contre un élève, il s’est mis à le battre avec
tant d’exaspération qu’à la fin lui-même il
a perdu connaissance. (Al-é Ahmad, 2008:
62)
Dans la troisième séquence consacrée à
l’introspection du personnage principal, ce
dernier se souvient (Al-é Ahmad, 2008:
65-66) d’un incident d’enfance: écolier, il
54/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
fut emmené de force, par sa mère, chez un
médecin. Celui-ci, un vieux grincheux,
n’arrêtait pas d’insulter et de gueuler. Une
fois sorti, alors que sa mère le laisse seul
pour aller chez le pharmacien, il fait la
fugue et se cache quelque part dans le
bazar. Le soir venu, on le retrouve, le
prend pour voleur, le bat et on le jette
dehors. Fatigué et affamé, il cherche
refuge chez sa tante qui – informée de sa
fugue depuis la matinée – le ramène chez
lui, auprès de sa mère. Fâchée contre lui,
sa mère le bat, au sous-sol, avec des
rameaux humides, le laisse y passer la nuit
sans lui donner à manger. Le matin, elle le
force à prendre ses médicaments, le battant
de nouveau.
Ces quatre récits emboîtés sont
suffisamment révélateurs: les deux
premiers servent à confirmer l’opinion de
l’enseignant de dessin, à savoir la maladie
qui menace les enseignants est la folie les
deux derniers récits décrivent
respectivement l’intensité de sa nervosité
et la cause originelle de son horreur des
médecins.
Le rapport qu’entretiennent ces récits
emboîtés avec le récit-cadre peut se
concevoir comme des comparaisons. Les
deux premiers récits confirment en effet,
qu’on peut devenir fou à la fin de sa
carrière d’enseignant comme les cas cités
par l’enseignant de français le troisième et
le quatrième démontrent que l’enseignant
de dessin peut être brutal avec les écoliers
tout comme lui-même lorsqu’il était
écolier. Finalement, il ne peut avoir de la
sympathie pour les médecins,
désagréables, comme le vieux médecin
qu’il a connu quand il était enfant.
La conjonction «comme» nous sert ici
de support pour greffer les événements du
récit enchâssé sur ceux du récit enchâssant.
Autrement dit, le rapport qu’entretiennent
ces récits est d’ordre métaphorique: «la
métaphore est une figure qui,
contrairement à la comparaison, ne recourt
à aucun mot spécifique (comme, ainsi que,
pareil à …) pour signaler sa présence.»
(Bacry, 1992, 40). Sous cet angle,
l’ensemble des faits textuels que nous
venons de dégager jusqu’ici, s’inscrivent
dans un réseau de métaphore et de
métonymie.
L’analyse de l’organisation spatiotemporelle
que nous avons réalisée au
début de l’article, et la prise en compte des
lieux évoqués dans les récits emboîtés, ont
mis en évidence que le texte évoque des
lieux qui, selon l’extension textuelle
consacrée à chacun, sont: l’école, le
cabinet du médecin et la maison d’enfance.
Parmi ces trois éléments textuels, et
compte tenu de la thématique de
l’ensemble, l’école et la maison se
trouvent dans un rapport métaphorique.
Avant d’évoquer ce rapport, notons que
«la métaphore est, soit l’affectation d’un
signifiant à un signifié secondaire, soit le
rapprochement de deux ou plusieurs
signifiants, les signifiés étant dans les deux
cas associés par ressemblance, contiguïté,
inclusion» (Caminade, 1970: 135).
Ainsi, l’école et la maison représentent:
D’abord, les premiers lieux du
développement physique, psychique et
intellectuel de tout enfant écolier
Ensuite, le point de départ de l’enfant
écolier d’où il doit à un certain moment
sortir épanoui et indépendant
Et enfin, un lieu de protection (de
l’enfant écolier) et un lieu de contrôle et de
surveillance.
Or, dans cette nouvelle, ces deux lieux
de développement n’ont rien à voir ni
avec l’épanouissement ni avec la
protection: la mère brutalise et maltraite
l’enfant l’enseignant, névrosé, brutal,
Etude de la structure narratologique dans…/55
agressif, bat les enfants dans un état
hystérique à perdre connaissance et les
enfants eux, font de même: «l’enseignant
de français n’avait pas encore terminé sa
phrase que la porte s’est ouverte et un
écolier s’est précipité, terrorisé et haletant:
«Monsieur le surveillant! Ahamadi veut
me battre!» (Al-é Ahmad, 2008: 68).
La terreur et la brutalité vécues dans le
passé (enfance/maison/mère) n’ont pas
disparu. La présence de la photo du roi,
accrochée en haut du bureau du surveillant
dans la salle de ré:::union:::, en uniforme
militaire, ne suggère-t-elle pas, dans un
rapport métonymique, une présence
brutale, terrorisante, qui surveille comme
le regard du Big Brother de G. Orwell,
dans 1984? Surtout que, justement, «tout
autour du plafond de la salle est couvert de
fils sales d’électricité, de téléphone et
d’alarme» (Al-é Ahmad, 2008: 51)! Que
peut-il être plus inhibant au
développement qu’une surveillance
militaire? Et paradoxalement, dans un lieu
de culture! «Moi par exemple, pourquoi aije
laissé tomber ma spécialité [la physique]
et suis devenu l’enseignant de dessin? Oui,
pourquoi? Parce qu’inculquer pendant cinq
ou sept ans les mêmes choses […] et
abandonner à jamais toute discussion et
lecture […], ça rend fou ou abruti» (Al-é
Ahmad, 2008: 55).
L’«enseignant» est «celui qui
enseigne». Lui interdire toute lecture et
toute discussion en lui laissant croire qu’il
est surveillé, n’est-ce pas le condamner à
la répétition des mêmes choses, à la
stagnation, à l’aliénation, à
l’abrutissement? Et n’est-ce pas la mort,
pour un enseignant, que de lui faire perdre
ses facultés intellectuelles? C’est ce qui
arrive aux enseignants cités dans la
nouvelle et les récits emboîtés: la mort
physique pour l’enseignant de l’algèbre, la
mort intellectuelle pour les cinq autres
sombrés dans la folie et l’angoisse de
l’enseignant de dessin de retrouver la
même fin.
Et quelle sera la société de demain, et
quel sera le sort des enfants éduqués par
des abrutis? Comment y remédier? «Et
bien, mes félicitations, messieurs!
Aujourd’hui on va nous remettre des
carnets d’assurance maladie.» (Al-é
Ahmad, 2008: 52). Voila ce qui fait
déclencher l’action du protagoniste, mais
en vain. Ce carnet d’assurance maladie,
métaphore d’une tentative de réforme
aboutit à l’échec total: l’enseignant de
dessin «est maintenant arrivé au
désespoir» (Al-é Ahmad, 2008: 67)
l’enseignant de l’algèbre «est mort» (Al-é
Ahmad, 2008: 74) et les carnets
d’assurance sont retirés. «[…] Oui, mon
cher. C’est ce genre de désordres qui rend
les gens désespérés. Mais pourquoi faut-il
lancer cette histoire de carnet d’assurance
s’ils sont obligés de le retirer au bout d’un
an? Et ça, avec un tel scandale?» (Al-é
Ahmad, 2008: 74). Distribuer des carnets
d’assurance maladie pour remédier à ce
qui ne va pas dans le cadre des
enseignants, s’avère donc la métaphore
d’une tentative de réparation culturelle:
empêcher que toute une culture ne sombre
dans l’abroutissement, la folie ou même la
mort.
Cet échec, lui-aussi, est significatif dans
cette texture métaphorique de la nouvelle:
«L’enseignant de dessin, tout en écoutant
le médecin, en riait dans ses pensées: si ce
n’était que ça, pourquoi je suis venu te
voir, toi? Ma femme s’y connaît mieux que
toi alors» (Al-é Ahmad, 2008: 64). Autant
les prescriptions de médicaments, et les
conseils du médecin sur le régime
alimentaire sont inappropriés, donc
inefficaces, à la névrose du personnage
56/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
principal, autant distribuer des carnets
d’assurance maladie pour remédier à un
malaise d’ordre social et culturel, ne
aboutirait à rien d’où le retrait des carnets
d’assurance, métaphore de l’échec de cette
tentative de réforme.
Conclusion
L’analyse de la nouvelle nous a révélé
comment la fonction structurelle du récit
constitue un discours référentiel d'ordre
social. Les premiers indices situant
l’histoire narrée dans un cadre spatiotemporel
précis, permettent au lecteur de
se représenter le contexte dominant
l’histoire. La segmentation du texte en
séquences bien délimitées marque les
différentes étapes de l’action engagée:
mise en place du décor et des personnages
en manque de santé, quête du protagoniste
pour retrouver l’équilibre, réflexion et
constat de l’échec. L’organisation
narrative participe pour beaucoup à
l’adhésion du lecteur à ce qui est narré. La
présence des récits emboîtés mène à la
découverte du réseau métaphorique qui
sous-tend l’histoire racontée au premier
niveau: ils laissent entendre des critiques
d'ordre social que l’auteur n’aurait pas pu
exprimer autrement, vu la situation sociopolitique
de l’époque.
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d'herméneutique. Paris: Seuil
Étude du portfolio de la production orale des apprenants iraniens du FLE
(De l’évaluation formative à l’autoévaluation)
Rahmatian, Rouhollah
Maître de conférence, Université Tarbiat Modaress, Téréran, Iran
r_rahmatian@yahoo.com
Mehrabi, Marzieh
Doctrante en Didactique du FLE, Tarbiat Modaress, , Téréran, Iran
marzieh_mehraby@yahoo.fr
Kahnemouipour, Jaleh
Professeur émérite,Université de Téhéran, Téréran, Iran
jkahnomi@ut.ac.ir
Reçu: 16.2.2013 Accepté: 14.8.2013
Résumé
De nos jours, les didacticiens sont communément d'accord sur le fait que l'évaluation doit être
considérée comme faisant partie intégrante du processus d’enseignement/apprentissage des langues et
qu'elle doit être effectuée par le biais de différents outils plus compatibles du genre portfolio.
Cette recherche s'est fixée comme objectif d'examiner l'applicabilité et l'efficacité du portfolio de la
production orale dans une classe du FLE en Iran. Plus précisément, les composantes de la compétence
orale à savoir le degré du développement de la grammaire, de la prononciation et de l’intonation, de la
fluidité de l’expression, de la compétence discursive et de l’interaction entre les apprenants ont été
analysées.
Après avoir déterminé le cadre théorique du sujet et en avoir fait une synthèse, les résultats de l’étude de
terrain ont accompagné les études théoriques. Le corpus de cet article a été constitué de 11 apprenants
adultes du FLE du niveau B1. D’après cette enquête, les apprenants ont fait des progrès, à l’aide de cette
démarche, dans tous les items déterminés de la production orale et ont pu développer leur capacité de
l’autoévaluation.
Mots clés: évaluation, portfolio, production orale, apprenants iraniens.
Introduction
L’évaluation est considérée en tant que
partie intégrante du processus
d’enseignement/ apprentissage des langues
aussi son importance paraît-elle indéniable.
Elle a bénéficié de statuts variables quant à
la place et au rôle qui lui ont été attribués
par l’intermédiaire des différents outils. Une
interrogation cruciale se lève alors:
comment peut-on améliorer la démarche de
l’évaluation dans l’enseignement
/apprentissage du FLE? L’un des outils
efficaces en évaluation se présente sous
forme de la démarche portfolio. Ainsi donc,
dans le cadre du présent article, nous
tenterons d’apporter des éléments de
réponse aux questions suivantes:
1. Comment peut-on intégrer le
portfolio à une classe de langue en Iran en
tant qu’outil d’évaluation?
2. Dans quelle mesure une démarche de
portfolio peut-elle aboutir au développement
58/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
de la production orale des apprenants
iraniens du FLE?
L’objectif de cette recherche consiste en
un examen de l’applicabilité et de
l’efficacité du portfolio dans une classe du
FLE en Iran. Bien que depuis une dizaine
d’années, la didactique des langues
étrangères s’intéresse, de manière générale,
à la question d’évaluation et aux outils afin
d’effectuer une évaluation authentique et
objective, le domaine a souvent été délaissé
en milieu institutionnel. En outre, à notre
connaissance, aucune étude ne porte à ce
jour sur l’évaluation formative à l’aide de la
démarche portfolio oral en classe du FLE en
Iran. Dans notre pays, une telle démarche est
souvent ignorée, alors qu’elle recèle de
nombreux avantages dans le processus
d’évaluation. Même si notre propos
concerne essentiellement la production
orale, il faut souligner que la valorisation de
cette dernière ne signifie nullement qu’il
faille négliger la compétence écrite.
Le portfolio, ses composantes, ses
fonctions
Pour commencer, on peut faire un bref
rappel du concept «portfolio», terme
emprunté à l’anglais, équivalent du
portefeuille en français et de son historique.
Tout un chacun peut posséder un portfolio:
un architecte, un artiste, un ingénieur, etc.
Dans ce sens, cette notion renvoie à une
collection de réalisation et de savoir-faire
professionnels susceptible d’ être traduit par
«dossier de présentation» (Scallon, 2004:
293). Le portfolio permet, en effet, de
démontrer les capacités et de décrire les
prérecquis. Il se considérerait alors comme
une description du portrait de
l’accomplissement d’une personne.
De 1992 à 1997, le concept du Portfolio
Européen des Langues (PEL) a été maturé
chez les spécialistes de l’enseignement/
apprentissage. En 1998, les premiers projets
pilotes ont été menés et ce n’est qu’en 2001
que 2 portfolios ont été validés en Belgique,
parallèlement à la publication du CECRL
(Little, 2008: 9). Il existe désormais, une
centaine de portfolios validés par le Conseil
de l’Europe. Le PEL, de ce point de vue, se
présente comme un document dans lequel
toute personne apprenant ou ayant appris
une langue peut consigner ses connaissances
linguistiques et ses expériences culturelles,
ce qui peut l'inciter à réfléchir sur son
processus d’apprentissage (Bertocchini,
Costanzo, 2008: 88). D’après Rosen et
Reinhardt (2010: 75), le PEL accompagne
un individu tout au long de sa vie et
fonctionne comme un véritable passeport
linguistique enregistrant toutes les
expériences faites dans les langues –
cultures différentes.
Le PEL se répartit en trois composantes:
• un passeport de langues indiquant
brièvement l’identité linguistique et
culturelle du titulaire
• une biographie linguistique dans
laquelle la personne concernée décrit son
expérience d’apprentissage et d’utilisation
d’une seconde langue ou des langues
vivantes en général, ainsi que sa rencontre
avec d’autres cultures
• un dossier témoignant la compétence
linguistique et interculturelle de l’intéressé
(e) (Castellotti, 2011: 70).
On travaille, dans une classe de langue,
plutôt sur le dossier. L’introduction d’un
Étude du portfolio de la production orale …/59
portfolio en classe se ferait pourtant, selon
les cultures et les habitudes des actants du
processus d’enseignement/ apprentissage.
Le portfolio, selon Cuq (2003: 197),
manifeste de façon positive les acquis de
nature diverse dont l’apprenant peut faire
état à un point donné de son apprentissage.
Il se présente comme une collection de
pièces de travail de l’apprenant basé sur
objectif. Il est alors suivi de la rétroaction de
la part de l’enseignant ou d’un autre
apprenant. Ainsi donc, selon Molinié (2011),
il est préconisé car il peut engendrer des
démarches constructivistes de réflexion et de
co- production.
Dans le cadre de l’apprentissage des
langues, ce terme réfère donc, à un ensemble
systématique, réfléchi et organisé de travaux
de l’apprenant qui sert de base à évaluation.
Le portfolio est loin d’être défini de manière
unique chez les spécialistes: il existe des
confusions associées à ce terme à cause des
terminologies différentes. Ainsi, Simon et
Forgette-Giroux (1998: 86) proposent le
terme «dossier d’apprentissage». Ce dernier
est défini selon ces auteurs en tant que
recueil continu et systématique d’une variété
de données témoignant du progrès de
l’apprenant par rapport à la maîtrise d’une
compétence jugé à partir d’une échelle
descriptive.
Afin de clarifier les terminologies
courantes dans ce domaine, nous pouvons
dire qu’il existe de différents types de
portfolio selon le contenu:
- Dossier d’apprentissage en tant que
collections de tous les travaux accompagnés
de réflexions, indique le progrès de
l’apprenant
- Dossier de présentation consiste à la
sélection des travaux par l’apprenant ou les
meilleurs exemples de ses productions
accompagnés de la justification de celui-ci
pour le choix des documents
- Dossier d’évaluation contient des
choix de documents imposés aux apprenants
sous forme d’une évaluation sommative.
L’apprenant est moins impliqué avec cette
démarche, dans son processus
d’apprentissage par rapport aux démarches
précédentes.
Deux fonctions majeures sont attribuées
au portfolio dans le cadre d’enseignement/
apprentissage des langues:
‐ Une fonction informative pour
l’enseignant, dans le suivi de l’apprenant
et /ou en cas de changement de cours et pour
l’apprenant afin d’auto-évaluation
‐ Une fonction pédagogique où
l’évaluation participative joue un rôle de
prise de conscience des critères pertinents
d’apprentissage et de valorisation des
savoirs et savoir-faire de l’apprenant.
De ces deux fonctions se dégagent les
avantages du portfolio pour l’apprenant:
‐ Archiver ses productions
‐ Concrétiser et visualiser ses progrès
‐ Parvenir à un apprentissage réfléchi
(Kay Jensen & Harris, 1999: 212) par
l’activation de la métacognition
‐ Développer son autonomie
‐ Développer sa motivation.
L’évaluation formative dans une classe du
FLE par le moyen du portfolio
Avec la publication du CECRL et le PEL,
on assiste à une renaissance de l’évaluation
s’engageant dans une démarche qualitative
(Springer, 2002: 61). Plus précisément, on
60/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
se penche sur l’évaluation formative et non
sur l’évaluation quantitative (par la notation)
et sommative.
Dans la plupart des instituts du FLE en
Iran, soit il existe une banque de questions
dont les enseignants se servent pour les
examens finaux, soit il est à l’enseignant de
préparer et de construire les questions
d’examens. L’étude de la démarche de
l’évaluation des enseignants dépasse le
cadre de la présente recherche et peut être
discutée de plusieurs points de vue.
L’évaluation est entendue, selon le
CECRL (2005: 138), dans le sens de la mise
en oeuvre de la compétence de la langue.
Certains enseignants considèrent
l’évaluation comme extérieure à
l’enseignement. Elle aura par conséquent,
lieu à des moments précis et aboutit à des
décisions ou à une notation à la fin du
semestre il s’agit alors d’une évaluation
sommative. Tandis que le contrôle continu
suppose que l’évaluation soit intégrée dans
l’enseignement, le contrôle continu ou
l’évaluation formative permet de recueillir
des informations sur les points forts et les
points faibles des apprenants.
Tagliante (2005: 29) est d’avis que
l’évaluation formative est un appui pour
l’enseignant et l’apprenant. Elle ne sera plus
une sanction, mais un moyen efficace à la
construction de l’apprentissage. Dans cette
optique, elle se présente comme une
réflexion sur les différents processus
d’acquisition des apprenants. Ainsi, le
progrès de l’apprenant sera évalué par
rapport à son propre rythme d’apprentissage
et non pas en comparaison avec des autres
apprenants.
De l’évaluation formative à
l’autoévaluation chez les apprenants
iraniens du FLE
Concernant le but de l’évaluation
formative, nous nous sommes bornés à nous
renseigner sur le progrès des apprenants en
production orale et de pousser les apprenants
à l’autonomie en évaluation. Le portfolio, le
moyen approprié et l’image de la
compétence des apprenants ont aidé à
estimer l’écart entre leur production orale du
passé et celle du futur attendue. Le portfolio
a servi alors comme un moyen de réflexion
sur leurs points forts et leurs points faibles.
C’est pourquoi, au lieu d’évaluer le produit
final, nous avons procédé à l’évaluation du
progrès des apprenants.
Bien qu'il existe de nombreux arguments
en faveur des avantages pédagogiques de
l’évaluation par les pairs et de
l’autoévaluation, en tant que deux types
d’évaluation formative, elles ne sont pas
suffisamment pratiques dans les milieux
éducatifs en Iran. Ceci est principalement dû
au fait que les enseignants ne font pas
confiance à la fiabilité des évaluations des
apprenants. Néanmoins, d’après l’étude
menée par Birjandi et Siyyari (2010), l'autoévaluation
et l’évaluation par les pairs sont
en effet efficaces dans l'amélioration de la
compétence écrite des apprenants iraniens
de l’anglais. Selon eux, les apprenants à tous
les niveaux de langue pourront être
évaluateurs fiables de leur compétence écrite
et celle de leurs pairs, s’il y a suffisamment
de formation et de pratique. Partant de ce
principe, nous avons tenté d’appliquer cette
démarche pour l’évaluation de la
compétence orale des apprenants iraniens du
FLE.
Étude du portfolio de la production orale …/61
Étude sur corpus
La présentation du corpus et de la
méthodologie
Notre corpus a été constitué de 11
apprenants adultes du FLE du niveau B1
d’un institut de langue à Téhéran. Adoptant
une démarche réfléchie, nous avons visé les
aider à surmonter leurs points faibles lors de
la production orale en continue et de mettre
en évidence pour eux la manière de
rassembler et de présenter les justificatifs de
ce qu’ils ont appris.
Nous avons réuni le portfolio
d’apprentissage de la production orale des
apprenants pendant 6 semaines dans les
cours intensifs à raison de 9 heures par
semaines. Chacun d’eux avait 3 sujets à
présenter dans la classe. Ils étaient censés
parler en continu ou présenter un exposé sur
un sujet. Après la présentation, ils ont été
engagés dans une interaction avec les autres
apprenants et l’enseignant, aboutissant à une
discussion sur le sujet choisi. Toutes les
productions ont été enregistrées afin d’être
analysées dans la phase de la correction.
Le portfolio comprenait trois types
d’éléments : la production orale concrète des
apprenants, les commentaires libres (sans
être imposés de la part de l’enseignant) des
autres apprenants et les réflexions de
l’apprenant lui-même sur sa propre
production. Les sujets présentés par les
apprenants concernaient le sport,
l’immigration, le bonheur, la mort, la
nationalité, etc.
S’inspirant de différentes grilles
d’évaluation (Rahmatian, Mehrabi, 2010,
Tagliante, 2005) la grille suivante a été
conçue et servie de base à l’évaluation de la
production orale de notre corpus:
Compétence linguistique Compétence
discursive
Compétence
interactionnelle
Compétence
grammaticale
Prononciation et
intonation
Fluidité de
l’expression
Cohésion et
cohérence
Interaction entre les
apprenants
Incorrect Correct Incorrect Correct Remarque: Remarque: Remarque:
Tableau 1: Grille d’évaluation des éléments linguistiques
Selon le Référentiel du CECRL (2008:
75), un apprenant du niveau B1 est supposé
posséder les savoir-faire ci-dessous en
expression orale:
- Raconter un événement, une expérience
ou un rêve, une histoire, etc.
- Faire une description simple
- Rapporter une histoire
- Mettre en relation de manière détaillée
ses expériences en décrivant ses sentiments
et ses réactions
- Décrire un espoir et un but
- Exposer brièvement les raisons et les
explications de ses opinions, projets et
actions
- Développer une argumentation.
62/ Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, N° 8, Printemps-Été 2013
L’évaluation des items de la grille s’est
basée alors sur ledit ouvrage. Pour chaque
item, les fautes adaptées au niveau B1 ont
été relevées.
Ce que nous entendons par la compétence
grammaticale, c’est la mise en application
des règles morphologiques et syntaxiques. Il
est à remarquer que les bafouillages, les
mots parasites comme «euh», «ben», «bon»,
les pauses plus ou moins longues feront
perdre des points pour le degré de la fluidité
en expression.
L’évaluation de la compétence discursive
(cohésion et la cohérence) s’est effectuée à
partir du plan de l’exposé, c’est-à-dire de
l’introduction, du corps du texte, de la
conclusion, de l’emploi des transitions, du
développement des idées et des exemples
correspondants.
L’interaction de chaque présentateur a été
évaluée suivant son écoute, la nécessité de la
reformulation de ses énoncés au cas où les
auditeurs la demanderaient et la réponse
donnée aux questions posées.
Afin d’avoir des résultats fiables, les
enregistrements ont été transcrits selon la
Convention ICOR (2007). Nous ne nous
sommes pas focalisé sur les éléments
translinguistiques dans la présente
recherche, les apprenants se sont quandmême
sensibilisés à s’évaluer grâce à la
grille suivante:
Les critères
translinguisitques/
Appréciations
Exposé 1 Exposé 2 Exposé 3
La variation des gestes et
les déplacements
Acquis À
renforcer
Non
acquis
Acquis À
renforcer
Non
acquis
Acquis À
renforcer
Non
acquis
Le regard sur les auditeurs
La qualité de la voix
(articulée et forte)
L’adaptation du débit
La compatibilité des
gestes avec la parole
La pertinence des
supports
Tableau 2: Grille d’évaluation des éléments translinguistiques
Nous r