Auteurs
Université Azad Islamique de Téhéran
Résumé
Mots clés
Introduction
La littérature en tant qu’une production de la pensée créatrice de l’homme, doit son existence aux différentes conditions de la vie qui enrichissent l’esprit et l’imagination des êtres humains. De ce fait, l’évolution de la littérature est dépendante des changements que subit la société humaine. Par conséquent, on voit une relation étroite entre la littérature et la société qui la produit. Il existe des relations solides entre les formes et les structures sociales et les formes et les structures du texte littéraire. La littérature sert à juger la société et la société sert à expliquer la littérature. De ce point de vue, il est impossible d’analyser l’œuvre littéraire sans considérer la société dans laquelle le texte littéraire est produit.
L’approche sociocritique étudie la littérature comme un fait social et démontre que chaque expression artistique ou littéraire relève, plus ou moins, du réel social de son époque (Goldmann, 1964: 23). Les théoriciens de la sociocritique tentent d’étudier les particularités des sociétés humaines et d’analyser les représentations du réel social dans le texte.
En Europe, l’évolution de la littérature contemporaine est influencée par plusieurs changements socio-politiques.
La complexité de ces événements politiques et ces situations sociales majoritairement instables ont touché les mouvements et les produits de l’espace littéraire.
Dès la deuxième guerre mondiale, la littérature devient la source principale des idées issues des différents mouvements sociaux. Les œuvres littéraires de cette époque ont le mérite d’être la représentation des réflexions des intellectuels qui se trouvent au sein de ces mouvements et qui tentent de renouveler la sphère de la pensée publique. Les écrivains de ce temps-là, grâce à un langage ironique ou symbolique essayaient de parler et de donner leurs propres idées sur la société. Ils profitaient parfois d'une maladie pour exprimer le malaise de leurs temps et de leurs sociétés et ce type d’écriture est bien vu parmi les écrivains contemporains.
La littérature est nourrie de maladies telles que le choléra, la peste, la syphilis et de nos jours, le sida. Au temps où la grippe se diffuse avec une grande vitesse et avec une virulence certes relative, les œuvres de fiction sont pleines de leçons concernant les réactions humaines et sociales pendant l'épidémie. La grippe, qu’elle soit saisonnière, aviaire ou porcine, n’a pas encore à proprement parler sa littérature. Mais, pour les gens qui sont touchés par le virus, contraints à un repos forcé, elle peut être une occasion réjouissante de plonger ou replonger dans de passionnantes lectures.
En jetant un coup d'œil sur les œuvres littéraires, on constate que la notion d’épidémie prend sa dimension mythologique et littéraire dans les tragédies grecques. Dans Œdipe roi[1], Sophocle[2] parle de la peste qui accable Thèbes. Des siècles plus tard, au XVIIe siècle, la peste de Thèbes est évoquée chez Jean de La Fontaine, dans Les Animaux malades de la peste et pendant des siècles il y avait des écrivains qui profitaient des maladies contagieuses pour créer une œuvre hors du commun en vue de donner une leçon d’humanitaire aux peuples de leurs temps. Mais au XXe siècle l’utilisation des maladies contagieuses, comme le sujet d’écriture, devient de plus en plus nombreux dans les œuvres littéraires: les romans, la peste d’Albert Camus (1947), les pièces du théâtre, Rhinocéros de Ionesco ou Le Théâtre et la Peste (1938), d’Antonin Artaud[3], L’Amour au temps du choléra (1985) de Gabriel Garcia Marquez[4] ou l’Aveuglement de José Saramago[5] par exemple.
Parmi toutes ces œuvres mentionnées il y a deux œuvres qui attirent plus l’attention: La première est Rhinocéros et le second est l’Aveuglement, car toutes les deux nous semblent plus étranges et bizarres que les autres. C’est pourquoi ils parlent d’une épidémie insolite, une maladie qui n’est pas comme les autres maladies comme la grippe aviaire par exemple, mais il s’agit des maladies contagieuses dont on ne trouve aucune empreinte dans les œuvres précédentes.
La maladie dont parle Ionesco est la «Rhinocérisation» et la maladie décrite par Saramago est un aveuglement blanc pas un aveuglement noir comme toutes les sortes déjà vues dans le monde entier.
Résumé de Rhinocéros
Pièce de théâtre composée de quatre tableaux pour trois actes, Rhinocéros est en prose.
Dans une ville très petite en province, nous voyons l'entrée en force d'un rhinocéros. Un autre rhinocéros suit le premier. Malgré les sceptiques, il faut bien se rendre à l'évidence : la ville est ainsi envahie par la multiplication de rhinecéros. En réalité, il n'est pas question d'une invasion, il s'agit des hommes qui se métamarphosent les uns après les autres en animaux jusqu’à ce qu’il n'y a plus qu’un être humain.
Résumé de l’Aveuglement
Dans une ville, nous assistons à une épidémie fulgurante de cécité qui se déclare. On met en quarantaine les premières victimes sur une base qui est gardée par l’armée mais, la mesure prophylactique, faute de remède, ne suffit pas: en quelques mois, toute l’humanité est aveugle, sauf un des personnages principaux, la société cesse de fonctionner.
La Sociocritique Duchétienne
La sociocritique s’appuie sur les études sociologiques du début du vingtième siècle et surtout sur les travaux de Lukács et Goldmann qui ont innové la sociologie dialectique de la littérature. Selon Duchet, La sociocritique est basée sur un vaste concept qui considère la littérature et la société comme deux parties indissociables et définit l’œuvre comme le résultat des conditions sociales de l’époque de l’auteur. La littérature reflète les réalités socio-historiques et dessine la société du dehors dans le cadre d’un univers fictif. Chaque œuvre littéraire cache et englobe l’ombre d’une société et le propre de la sociocritique est de faire sortir cette société en ouvrant et analysant les différentes parties de l’œuvre. En fait, il paraît que faire une lecture sociocritique aide à révéler les côtés cachés de l'œuvre et à engendrer une atmosphère conflictuelle dans laquelle on se heurte à des résistances, aux entraves d'une chose déjà effectuée, aux types et aux sujets socioculturels, aux nécessités de la demande sociale et aux mécanismes institutionnels.
Or, l’analyse sociocritique étudie le texte sous une perspective particulièrement sociale et vise à chercher les marques de la société dans la littérature. Le but premier de cette approche est donc la recherche d’une «socialité du texte». Cette socialité se révèle comme la manière selon laquelle le roman procède pour la lecture du social, pour noter le social en créant, par le biais du littéraire, une production esthétique. C’est pourquoi, elle est tout ce qui se révèle dans le texte comme la présence d’une société de référence et d’une pratique sociale. Ce par quoi chaque texte littéraire s’affirme reposant sur une réalité sociohistorique antérieure et extérieure à lui.
Il est bien évident que la socialité de l’œuvre est à la fois le résultat d’une expérience personnelle et le produit d’un groupe social. Aussi, la sociocritique s’intéresse à étudier et à mettre en relief les éléments de la société dans la production littéraire et à découvrir.
Il est à noter que la sociocritique est une lecture possible des textes et au contraire des sociologues de la littérature qui analysent la société à partir d’une base non textuelle, les théoriciens de la sociocritique considèrent le texte comme la base principale dans l’analyse de la société et ils accordent une importance particulière au texte, car c’est le texte qui présente l’image de l’univers réel de l’écrivain et crée un rapport solide avec le réel social. Cette démarche donnant au texte son caractère social, possède plusieurs extensions renouvelées parmi lesquelles on peut citer l’analyse du discours social avec Régine Robin et Marc Angenot, les travaux de Jacques Dubois concernant l’étude des institutions littéraires, l’étude linguistique des textes littéraires d’Edmond Cros et enfin Pierre V. Zima qui aborde généralement la sociologie de la littérature.
La sociocritique duchétienne se développe à partir des années 1960 et surtout avec son article intitulé «Pour une sociocritique ou variation sur un incipit». Pour Duchet le texte est la base fondamentale de l’analyse sociocritique. Par sa méthode sociocritique, il analyse le texte de l'intérieure et en questionne le côté sous-entendu , caché ou l’impensé, les silences, et formule l’hypothèse de l’inconscient sociale du texte.
La théorie duchétienne se fonde principalement sur les concepts tels que «société du texte ou du roman», «société de référence», «hors-texte», «discours social» et «sociogramme».
Parmi les catégories conceptuelles de Duchet, il existe comme un précepte une relation inévitable: la société du texte est le reflet d’un ensemble plus grand, c’est-à-dire la société de référence qui renvoie, à son tour, au hors-texte.
Société du référent de Rhinocéros
La société du roman ou une pièce de théâtre sont nourries de la société de référence et en vue de réfléchir une sorte de réalité et de s'acheminer vers la vraisemblance, elle s'y appuie. En réalité comme il est un écrivain d'après-guerre, Ionesco écrit ses ouvrages après cette deuxième guerre mondiale. La guerre a fortement affaibli les convictions des peuples. Il faut que le monde se reconstruise et on a notamment déceler les horreurs dont l'homme était susceptible. Eugène Ionesco, par l'intermédiaire de Rhinocéros, essaie donc de sensibiliser le lecteur à l'atrocité humaine et nous conduit à réfléchir au sens de la vie. Pour faire cela, il emploie une écriture dite la tromperie. Derrière des résultats flagrants, il faut que le spectateur y cherche une signification cachée. Par example, lorsque des personnages parlent des incidents vains et insignifiants, un incident beaucoup plus important et sérieux est démontré (la scène dans laquelle les deux personnages, Jean et Bérenger, parlent du café; ce qui montre complétement ce propos) quand la situation se fait illogique et déraisonnable, elle prend en réalité un sérieux indéniable.
Dans Rhinocéros, nous avons affaire à beaucoup de personnages. À vrai dire, dans cette pièce de théâtre en quatre tableaux à trois actes (le deuxième est divisé en deux tableaux), il y a différents personnages comme:
La Ménagère, l’Epicière, Jean, La Serveuse, l’Epicier, Le vieux Monsieur, Le Logicien, Le Patron du café, Daisy, Monsieur Papillon, Dudard, Botard, Madame Bœuf, etc. Il faut mettre en valeur le nom du Héros de cette pièce, Béranger.
Société du référent de l’Aveuglement
Saramago est un écrivain de notre temps. Dans son œuvre, on assiste à un monde où les machines fonctionnent plus que les hommes ainsi que les règles définies par les machines que celles de l’humanité. En effet, dans cette pièce de théâtre, on voit bien que l'écrivain met en valeur l'anéantissement des principes humains qui luttent pour leur survie. Cést le même thème qu'on peut voir dans la peste d'Albert Camus. Avec un effet de style spécial, la déshumanisation est en particulier caractérisée.
Dans l’Aveuglement de Saramago, nous avons affaire à beaucoup de personnages. Certains d’entre eux sont les personnages principaux comme: Le premier aveugle et sa femme, le médecin, le vieillard au bandeau noir, la jeune fille aux lunettes, le petit garçon louchon; et certains d’autres sont les personnages secondaires comme:
Le voleur, le chef des scélérats, l’homme déjà aveugle, les gardiens de la quarantaine et les gens de la ville. Il faut mettre en valeur le nom de l’héroïne de ce roman : la femme du médecin.
Hors-Texte
Dans la sociocritique, quand on parle de hors-texte, il ne s’agit pas des éléments comme le titre, l’avant-propos, la préface qui peuvent être indiquées par le même terme, mais on parle d’une catégorie très vaste qui aide à la lisibilité de la société dans le texte littéraire. La société du référent dépend d’une autre catégorie dite le hors-texte: la référence et le hors-texte sont indissociables et l’une renvoie à l’autre. Pour Duchet la référence exige le hors-texte et celui-ci représente tout ce qui n’a pas besoin d’être dit. Or, le hors-texte possède tous les éléments qui rendent le texte cohérent et compréhensible et représente les références spatiales, temporelles et sociales du texte. En effet sans avoir accès aux éléments du hors-texte, le texte littéraire ne peut être lisible pour ses lecteurs et ces derniers font une lecture partielle. Le récit tout au long est accompagné du hors-texte et il possède la clé de ses codes. Ce hors-texte prépare le terrain pour s'écrire avec économie. Au total, toutes les références aboutissant à la lisibilité du texte sont représentées par le hors-texte.
Ainsi, l’interconnexion permanente des catégories duchétiennes, se résumant dans le schéma ci-dessous, montre bien leur fonctionnement: la société du roman renvoie à une catégorie plus vaste qui est la société de référence et celle-ci renvoie à son tour, à un ensemble plus grand et plus englobant qui est le hors-texte.
Figure 1
Structure Sociale des Textes
Dans Rhinocéros la plupart des personnages secondaires ne portent pas de nom (le Ménagère, l’Epicier, etc.) cet anonymat les réduit à une fonction qui les résume et conformément à laquelle ils réagissent aux évènements. L’épicier pense à ses bénéfices, le Logicien à ses syllogismes: ce sont des stéréotypes.
Les noms des personnages représentent un abrégé de la société: jeunes et vieux, hommes et femmes, commerçants et fonctionnaires, patrons et employés, intellectuels et ménagères.
Et les noms fantaisistes (monsieur Papillon, madame Bœuf, etc.) désignent leurs titulaires comme des caricatures.
En ce qui concerne les noms dans l’Aveuglement, il faut préciser que tout au long de l’œuvre, l'écrivain ne nomme jamais les personnages («Les aveugles sont sans nom.») et il les décrit par une particularité de leur rôle dans l'intrigue (par exemple, «La femme du docteur» ou «Le premier aveugle»).
Dans toutes les deux œuvres, il y a une illustration du côté anormal dans une atmosphère familière, la prolifération, dans Rhinocéros aussi bien une métamorphose et un monstre. On assiste aux thèmes faisant partie de tons imaginaires et surnaturels. De plus, Ionesco met tout cela à la disposition d'un récit allégorique. La Rhinocérisation générale doit etre considérée en tant qu'une allégorie: elle est le symbole de l’irrésistible ascension des dictatures du XXe siècle.
Saramago met en œuvre aussi une allégorie: Une seule personne en solitude parmi un monde familier en apparence mais assez sauvage et cruel en cachette. Il symbolise la solitude de l’Homme dans l’ère des machines des gens aveugles, des gens qui ignorent toutes les biens; la fidélité, la solidarité, la gentillesse, la clémence et même la conscience.
Saramago décrit la nature humaine dans son mauvais côté. Il s'agit bien sûr d'un aspect obscur, inhumain et impitoyable se remettant devant des circonstances marquées par la crise. Ainsi, l'être humain pour survivre comme une bête avec une vitesse incroyable culbute de l'autre côte.
L’auteur essaie de prouver aux lecteurs que l'être humain doit prendre des leçons de ses erreurs et fautes qu'il commet mais qu’il réussit à les engendrer malgré tout en oubliant sa conscience.
Sociogramme
Le sociogramme constitue une nouvelle conception théorique de la sociocritique mise au point par Duchet. Le sociogramme peut être défini comme un motif englobant et exhaustif de la situation générale de la société réelle. Ainsi, on peut dire que le sociogramme naît dans l’univers des références. Autrement dit, le sociogramme est un ensemble des questions sociales décrites dans l’œuvre littéraire et qui se présentent généralement sous forme de conflit. Il faut préciser que le sociogramme n’est pas seulement un thème, il est un motif général ayant un caractère problématique et qui se forme à partir d’un noyau conflictuel dans le texte. Selon Duchet, le sociogramme est un «ensemble flou, instable, conflictuel de représentations partielles, en interaction les unes avec les autres, gravitant autour d’un noyau, lui-même conflictuel» (Tournier, 1993: 49). Pour Régine Robin le sociogramme est «cet ensemble de représentations qui se constitue, se configure autour d’un noyau, d’un énoncé nucléaire conflictuel qui peut se présenter sous les formes variées: un stéréotype, une maxime, un sociolecte lexicalisé, un cliché culturel, une devise, un énoncé emblématique un personnage emblématique, une notion abstraire, un objet, une image» (Robin, 2002: 14).
Sociogramme de Rhinocéros
Dans Rhinocéros d'Ionesco, les éléménts réalistes sont facilement repérables. Il ne faut pas oublier que Rhinocéros a été publié après la Deuxième Guerre Mondiale. De ce fait, l'auteur se réfère au régime nazi dans sa pièce de théâtre. De prime abord, nous y avons l'omniprésence du vert. Pour leur métamorphose les personnages prennent cette couleur. Il y a une certaine correspondance directe entre le vert et l’uniforme militaire de l’armée nazie. De nombreux peuples ont vécu la famine, l’atrocité et bien même la collaboration.
Il faut dire que si ces références sont présentes, il ne s'agit pas d'un hasard. En réalité, l'écrivain tente de divulguer la vanité de la deuxième guerre mondiale par le biais de la futilité de l'attitude de ses propres personnages. Ainsi, très vite, les personnages de Rhinocéros deviennent une masse vague de rhinocéros. Seul Bérenger se différencie de cette masse en gardant son côté humain.
Ionesco renchérit même sur la dénonciation et la divulgation de la guerre. Dans ce roman, l'écrivain condamne le régime totalitariste. Cela est évident car l'esprit des personnages est entièrement mis à mal. Ses résultats sont catastrophiques et le spectateur n’en garde en esprit que des côtés négatifs. Pour l’écrivain de Rhinocéros, il y a des dangers dans une vie où il n’existe qu’un seul mouvement de pensée.
Il est évident que la plus grande importance de cette oeuvre est toujours d’actualité. De ce fait, les thèmes traités dans cette pièce sont gnomiques. En effet, les mouvements de masse sont fréquents, en petite et grande envergure. L’écrivain nous avertit des mouvements de foule qui abolissent notre pensée.
Rhinocéros nous amene à voir la variété de l’être et la multiplicité des formes de pensées. L’alliance de plusieurs personnages engendre plus de ravages que chaque personnage considéré individuellement. Par exemple, le changement de Daisy n’a aucune signfication. Elle ignore pourquoi mais elle est convainue que l’on doit imiter le mouvement, parce que tout le monde fait la même chose. Bérenger s'y oppose et révèle les dégâts provoqués par les mouvements de foules irraisonnés. De cette manière, encore une fois, cette foule nous rappelle les soldats endoctrinés de la guerre.
Une Critique du Langage et du Style
Le ton employé dans les pièces classiques se fait jour dans l'exposition. Dans Rhinocéros au contraire, ce ton apparaît sous divers tons: tout d'abord, le ton fantastique. On peut dire que quand un rhinocéreos apparaît, cela veut dire qu'un élément surréaliste se présente dans une atmosphère réaliste. De plus, le style comique, par le comique de gestuelle, de langage (ladécadence du langage), répétition, mais aussi par le sentiment de désordre qui précise la pièce, est présent. Finalement, dès la première scène on assiste à un ton tragique par le déclin progressif du langage, par le décalage d’attitudes entre Bérenger et les autres personnages et par le monologue délibératif de Bérenger qui l’amène à faire face aux rhinocéros.
Nous pouvons être témoins d'un style qui semble bizarre. Pas de sauts de ligne, les dialogues ne sont pas signalés par des guillemets, les retraits sont inexistants sauf au début des «chapitres» qui n’en sont pas vraiment, l’auteur prend des libertés de styles osées qui peu à peu, au fil de l’intrigue vont donner un relief impressionnant et totalement adapté à l’histoire.
Dans ce livre, Saramago (1997) fait des remarques ironiques, comme par exemple «Comme il n’y avait pas de témoins, et s’il y en eut, rien ne porte à croire qu’ils eussent été appelés dans le cadre de ce procès-verbal à nous relater les événements, il est tout à fait compréhensible que quelqu’un demande comment il est possible de savoir que les événements se sont déroulés ainsi et pas autrement, et la réponse à donner est que tous les récits sont comme ceux de la création de l’univers, personne n’était là, personne n’y a assisté, mais tout le monde sait ce qui s’est passé.» (Saramago, 2013:247 )
Le grotesque même des aveugles est souvent émouvant et malheureusement drôle dans cette œuvre.
«C’est ce type qui est coupable de notre malheur, si j’avais des yeux je le tuerais à l’instant même, vociféra-t-il en indiquant l’endroit où il croyait que se trouvait l’autre. L’erreur de direction n’était pas grande, mais le geste dramatique eut un effet comique car le doigt accusateur désignait une table de chevet innocente.» (Saramago, 2013: 52)
L'écrivain utilise dans ce roman de longues phrases démunies de ponctuations habituelles; les prises de parole des conversations séparées par des virgules démontrent l’impression d’un va-et-vient. Ce registre est présent dans d’autres ouvrages de José Saramago.
Une Controverse absurde dans Rhinocéros
Le débat qui s’engage sur la place publique autour de la nationalité du ou des rhinocéros en relation avec les nombres de leurs cornes, paraît purement formel. Cette querelle d’école ne fait qu’esquiver ou dissimuler la vraie question: celle du danger, bien réel, que représentent les rhinocéros pour la cité.
Un débat politique, qui laisse émerger une forme de racisme «pouvons-nous admettre que nos chats soient écrasés sous nos yeux par des rhinocéros à une corne, ou à deux cornes, qu’ils soient asiatiques ou qu’ils soient africains. Il paraît que les européens ne veulent pas accepter que le premier rhinocéros vient de l’Europe, ils pensent toujours que les problèmes viennent toujours des autres continents surtout l’Asie et L’Afrique». (Ionesco, 1975: 24)
Il faut préciser que dans la version du film de l’Aveuglement, le réalisateur montre le premier aveugle comme une personne asiatique.
Cela pourrait bien montrer le racisme chez les européens.
L’usage du possessif et du pluriel (nos chats) renvoie sans équivoque aux chats «français» opposés aux barbares venus du dehors. L’effet est d’abord comique: il est absurde d’attribuer aux chats ou aux rhinocéros un certificat de nationalité. Mais le comique tend ici vers un autre registre plus grave et plus inquiétant, qui annonce la suite de la pièce.
Une Humanité Perdue et une Horreur Humaine
Saramago montre une humanité qui ignore tous ses indices, remonte à ses instincts, ses sentiments élémentaires, se penchant au fure à mesure vers l’animalité. L’autorité de violence est absolue. Les plus forts régnent par la panique. Les faibles sont touchés par la famine, la saleté, la panique et l’agression. Il est nécessaire d’avancer lentement ou d’ordenner pour survivre. Quelques scènes dans l’hôpital psychiatrique, sont très dures et pénibles.
On voit bien que le déclin corporel de ces personnages est méticuleusement décrit, sans gentillesse mais avec minutie. Mais le plus mauvais réside encore dans la chute morale, les attitudes méprisables et sauvages des personnes tenant les fusils et marquant ainsi leur maîtrise sur les autres.
Au-delà du paraxysme des personnalités et des attitudes, Saramago indique avec une effrayante efficience la faiblesse de la nature humaine. Sans yeux, l’homme n’est plus apte à s’organiser, à produire, à pourvoir ses besoins fondamentaux. L'homme est un être faible et délicat qui est assugetti aux règles naturelles. Il est ironique de voir qu’un être humain qui se trouve tellement fort, se réduit à un animal dès qu’il n’a plus le sens de voir.
Saramago, gardant une distance avec le texte et le monde humain et comme un savant qui aurait mis des souris dans la cage, regarde les hommes s’émouvoir et faire le combat.
Un Héros et une Héroïne Semblable
Nous arrivons au point commun plus fort de ces deux ouvrages: les deux héros qui ont de nombreux points communs.
Deux personnages qui voient, graduellement et étape par étape, la chute des gens devant les yeux et qui souffrent et qui essayent d’aider les gens et de les sauver.
Ils expérimentent les moments de la souffrance devant les yeux, pour Béranger voir la métamorphose de son meilleur ami, Jean, est un vrai choc qui ne croit jamais au fil de l’histoire et pour la femme du médecin, pas seulement la cécité de son mari que la cécité de tous les gens est une catastrophe qui ne peut plus les supporter dans quelques scènes.
Les deux personnages sont des gens courageux et qui ont leur propre idée, ils ne marchent pas avec les autres ils sont différents des autres: ils résistent plus, ils réagissent à l’heure, ils crient dans un moment où juste c’est le moment du cri etc.
Le héros de la pièce est très limité au début. Sa condition et son amour avec Daisy paraissent dérisoires. Il n'est pas comme un vértiable héros. Les autres personages se moquent de sa parole. Cependant, ce personnage dévoile le plus grand pouvoir de caractère au point qu’il est seul à éviter de se métamorphoser en rhinocéros. Ce personnage s’efforce également d’ouvrir les yeux aux autres. Ainsi, les premières apparences s’inversent: le plus faible est, en réalité, le plus fort.
Exactement, nous trouvons cette personnalité chez la femme du médecin, quelqu’un qu’au début du roman est une femme au foyer, qui prépare le dîner et le gâteau pour son mari, qui ne fait que les routines mais à la fin du roman nous trouvons cette femme plus forte, quelqu’un qui peut même tuer les gens qui dérangent violemment les autres.
Tous les deux personnages ont beaucoup de peur de l’épidémie. Béranger vérifie chaque instant son front pour savoir s’il a un corne ou non et la femme du médecin chaque jour qu’elle se réveille, examine ses yeux pour savoir si elle est aveugle ou non. Tous les deux personnages comme les autres personnes ont donc peur devant les crises mais ils réussissent enfin à se contrôler.
Béranger est un vrai exemple pour une personne absurde comme Morceau de L’Etranger de Camus. Il est assez calme, il ne parle pas beaucoup, il est indifférent au début à tout ce qui se passe autour de lui comme le passage des premiers rhinocéros par exemple. «Il me semble, oui, c’était un rhinocéros! Ça en fait de la poussière (il sort son mouchoir, se mouche)» (Ionesco, 1975: 11). De même il n’essaie pas beaucoup d’efforts pour gagner la fille qui aime jusqu’à ce que son amour vienne chez lui. Mais il devient révoltant à la fin «je suis le dernier homme, je le resterai jusqu’au haut! Je ne capitule pas!» (Ionesco, 1975: 140).
Dans l’Aveuglement, il y a des moments où la femme du médecin devient trop fatiguée et elle pleure parfois, elle crie mais nous ne trouvons pas les facteures d’une personne absurde chez cette héroïne comme ce que nous voyons dans Béranger.
Il nous semble que Saramago ne voulait pas créer un personnage tout à fait absurde.
Dans Rhinocéros, il y a deux raisons qui dérangent plus Béranger; le premier c’est la solitude et la deuxième la société. «La solitude me pèse. La société aussi. Une contradictoire: la solitude ou la multitude?» (Ionesco, 1975: 22).
Ce sont deux éléments qui dérangent la femme du médecin aussi.
Le premier personnage d’Ionesco est toujours en train de penser et il a toujours un conflit intérieur en posant cette question: «je me demande moi-même si j’existe!» (Ionesco, 1975: 22). Lorsqu’il pose cette question de son ami, Jean son ami intime lui répond: «vous n’existez pas mon cher parce que vous ne pensez pas!» (Ionesco, 1975: 23).
Le personnage principal d’Ionesco croit les défenseurs de l’humanisme. Dans cette pièce, il croit Jean qui est un grand défenseur de l’humanisme, mais lorsqu’il entend et qu’il trouve le défenseur menteur. Ce mensonge est un grand choc pour lui. Par exemple Jean qui est un grand défenseur de l’Homme devient un animal juste devant les yeux de Béranger et cela c’est un vrai choc pour lui et il pense pour longtemps à ce sujet et il n’oublie jamais cette scène et parfois cet évènement lui donne de la peur et du stress «Comment pourrais-je ne pas y penser! Ce garçon est si humain, grand défenseur humanisme! Qui l’eût cru! Lui, lui, on ne connaissait depuis… depuis toujours.» (Ionesco, 1975: 101).
La femme du médecin comme Béranger voit aussi des scènes et les comportements bizarres qu’elle ne croit pas. Elle est choquée quand elle voit devant les yeux les gens qui se tuent, qui n’ont pas d’envie d’enterrer les morts, qui violent les femmes cruellement etc.
Béranger est devenu déçu et il voit les gens tous menteurs et animaux. «Je ne vois qu’eux. Vous allez dire que c’est moindre de ma part.» (Ionesco, 1975: 105). Et cette situation lui donne une tristesse profonde «rien qu’à les voir, moi ça me bouleverse. C’est nerveux, ça ne me met pas en colère. Non, on ne doit pas se mettre en colère, je m’en préserve, mais cela me fait quelques choses, cela me serre le cœur.» (Ionesco, 1975: 105).
L’héroïne de Saramago a aussi parfois un chagrin profond mais ce qui nous semble parfait, c’est que la femme du médecin se contrôle tout de suite et continue sa vie mais la tristesse de Béranger le garde dans son appartement.
Malgré sa solitude, Béranger devient un combattant et il fait n’importe quoi pour débarrasser ses gens et sa société «J’enverrai des lettres aux journaux, j’écrirai des manifestes, je solliciterai une audience au maire, à son adjoint, si le maire est très occupé.» (Ionesco, 1975: 107), car il pense qu’il faut couper le mal à la racine malgré qu’il sache que les dirigeants et les citoyens ne se décideront pas à agir.
Mais il croit encore à la solidarité internationale pour devenir une meilleure société.
La femme du médecin aussi c’est une vraie combattante quelqu’un qui voulait sauver tout d’abord sa famille et ses amis puis sa société à n’importe quelle façon qu’elle peut.
À la fin de la pièce Béranger dit: «malheur à celui qui veut conserver son originalité!» (Ionesco, 1975: 140).
Mais à la fin du roman, la femme du médecin, devant la fenêtre, sans rien dire regarde sa société perturbée.
Conclusion
Basée sur les concepts analytiques comme société du texte, société du référant, hors texte, discours social et sociogramme, l’approche sociocritique de Duchet vise à analyser les conflits sociaux posés dans l’œuvre. D’après Ruth Amossy, les travaux de Duchet, dans leur ensemble, se portent sur «les structures internes, les contraintes génériques, les réseaux thématiques, les diverses figures et métaphores par le maniement desquels le texte littéraire parle de la société de son temps» (Amossy, 1992: 29). La sociocritique de Duchet nous a semblé la plus appropriée pour analyser la réalité décrite dans ces deux œuvres.
Les hommes de l’époque des machines et de l’industrie connaissent très bien la solitude et la société malade qui est le résultat de la vie industrielle avec les théologies. Donc, Béranger et la femme du médecin sont deux exemples de notre société, deux personnes comme nous, deux personnes qui pensent à ce que «les morts sont plus nombreux que les vivants.» (Ionesco, 1975: 22).
Ils pensent qu’ils n’ont aucune arme pour se défendre devant les hommes et la vie «je suis désarmée» (Ionesco, 1975: 24).
Chez Ionesco, Béranger en tant que protagoniste de plusieurs de ses pièces, se présente comme une figure et image symbolique et allégorique quoique ridicule à certains moments de l'objection contre toutes, les choses qui l'écrasent et l'anéantissent. Il faut ainsi le considérer en tant qu'un rival décidé des pouvoirs fuligineux menaçant la respectabilité et la liberté de l'être humain.
Il est confronté à l’une de celles que le dramaturge considère comme des plus pernicieuses: l’idéologie et son corollaire, le totalitarisme.
La «Rhinocérité» et la «Cécité» représentent en effet l’hystérie collective qui s’est emparée de la population d’une ville ou une société dont tous les habitants succombent au charme irrésistible.
Tout seul, Béranger et la femme du médecin résistent et protestent jusqu’au bout de sa dramatique humanité.
[1] C'est une tragédie grecque de Sophocle
[2] Sophocle né à Colone en 495 av. J.-C. et mort en 406 av. J.-C. est l'un des trois grands tragiques grecs dont l'œuvre nous est partiellement parvenue, avec Eschyle (526-456) et Euripide (480-406).