La portée de récits courts dans les œuvres mystiques persanes

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Auteurs

1 Université Sistan et Baloutchistan

2 Director of studies at the École Pratique des Hautes Etudes, Section of Religious Sciences, France

Résumé

Les Ve et VIe siècles de l’hégire peuvent être dits à juste raison «l’âge d’or des récits», période pendant laquelle toutes les démarches et les styles mystiques des siècles précédents se sont condensées sous la forme de contes dans les œuvres persanes des auteurs mystiques. Il ne fait aucun doute que les récits sont indissociables de la doctrine de ces auteurs mystiques. Pourquoi les ouvrages mystiques contiennent-ils autant de récits? Quel est leur rôle exact dans l’économie de ces œuvres? Un long et patient examen des œuvres mystiques montre clairement que l’ambition de leurs auteurs était non seulement de rédiger ces ouvrages, mais aussi d’en faire un instrument didactique et porteur de sens sous la forme de contes. Par ailleurs, Ils ont tenté d’exprimer symboliquement leur expérience en utilisant ce langage dans les récits contenus dans leurs œuvres. En effet, Ces récits des Ve /XIe et VI/ XIIe siècles forgent une langue particulière, assignent des buts, laissent voir des spécificités propres. Une étude détaillée des relations entre ces récits et la pensée mystique montre clairement que leurs auteurs se souciaient au plus haut point de guider les hommes vers les multiples vérités des sens.

Mots clés


Introduction

Toutes les civilisations possèdent donc des récits, brefs ou longs, qui exercent un rôle déterminant dans les cultures nationales, certains de ces textes comptent même parmi les chefs–d’œuvre de l’humanité et ont par chance pu être sauvegardés jusqu'à nos jours. Ils sont un héritage universel dont tous les hommes peuvent bénéficier, libres qu’ils sont de les agrémenter selon leur goût personnel et leur génie propre.

La narration telle qu’elle est pratiquée pendant les Ve et VIe siècles est héritée de deux courants à l’origine d’une transformation fondamentale de la littérature mystique iranienne. Il s’agit, d’une part, du courant anté-islamique dans lequel a baigné la société iranienne, avec ses légendes et ses récits propres, et, d’autre part, de l’Islam et de la spiritualité coranique qui ont insufflé une âme nouvelle à l’univers du récit. Dans les œuvres qui sont ici proposés, deux points doivent particulièrement retenir l’attention. Le premier est que les récits sont indissociables de la doctrine de ces auteurs mystiques, deuxièmement, ces récits relèvent de deux orientations de la mystique, la pratique et la théorique. Lorsqu’on se livre à l’étude de ces récits de littérature mystique persane, force est de constater qu’ils constituent l’un des pans les plus riches de la littérature persane et une puissante source d’inspiration. De la même manière que la djadhba, «attraction», représente en matière d’extase et d’union parfaite l’expérience la plus haute, de la même manière peut-on dire des contes mystiques qu’ils sont comme une échelle conduisant au ciel. Afin de mieux saisir la signification de cette riche littérature persane dans le champ mystique, afin aussi de bien mesurer la portée des contes mystiques perses, il n’est pas inutile de procéder à un regard rétrospectif sur ce massif imposant que constituent les œuvres mystiques. Disons d’emblée que la langue littéraire iranienne est plus que redevable à ces auteurs ayant exprimé leur sensibilité mystique en langue persane. Les récits mystiques ont montré non seulement une très grande variété dans l’expression, mais aussi une profondeur qui est allée en s’accroissant à mesure que s’affinaient l’expérience et le langage mystique.


Table[m1]  1. Des œuvres et des contes mystiques (Ve /XIe et VI/ XIIe siècles[m2] )

1.1.1.           Kashf al-Maĥdjoub, Hudjwiri

1.1.2.           Sharĥ-e Shaţĥiyât, Rouzbehân Baqli Shirâzi

1.1.3.           Meftâĥ al-Nadjât, Djâm-e Nâmqi Aĥmad

1.1.4.           ‘Abhar al ‘âsheqin, Rouzbehân Baqli Shirâzi

1.1.5.           Rawżatal-Mudhnebin, Djâm-e Nâmqi Aĥmad

1.1.6.           Manţeq al-ţayr, ‘Aţţâr Farid-ud-Din

1.1.7.           Kimiyâ-ye Ṣa‘âdat, Ghazâli Abou Ĥâmed

1.1.8.           Musibat nâmeh, ‘Aţţâr Farid-ud-Din

1.1.9.           Ṣavâneĥ, Ghazâli Aĥmad

1.1.10.        Elâhi nâmeh, ‘Aţţâr Farid-ud-Din

1.1.11.        Ĥadiqat al-Ĥaqiqa, Ṣanâ’i Abul-madjn

1.1.12.        Asrâr nâmeh, ‘Aţţâr Farid-ud-Din

1.1.13.        Tamhidât, ‘Ayn al-Qużât Abul Ma‘âli

1.1.14.        Tadhkerat ul-awliyâ, ‘Aţţâr Farid-ud-Din

 

 


Le langage des contes courts

Le langage mystique est un langage symbolique auquel ne peuvent accéder ceux qui n’ont pas vécu l’expérience mystique (Borsi, 1996, 93). Du fait de cette expérience ineffable, ces auteurs utilisent des lexiques et des termes techniques assignés à déguiser leur signification. Donc,Le langage symbolique des récits mystiques présente une grande opacité, ou, mieux, s’apparente en quelque sorte à des voiles que les mystiques se doivent d’arracher pour en pénétrer le sens secret et caché. À partir de l’interprétation hérétique qu’ils en tirèrent, les mystiques musulmans élaborèrent des langages secrets afin de dissimuler le plus précieux de leurs pensées au plus grand nombre.

Ce qui revient à dire que le symbole nous permet quelquefois d’aller au-delà de la parfaite adéquation du mot à la chose. Donc, les paroles et les contes mystiques demeurent mystérieux pour tous ceux qui restent coi devant les contenus ésotériques. Les soufis ont choisi de celer leur doctrine dans un vocabulaire réservé aux seuls initiés. Donc, les auteurs mystiques de ces récits à enseignements élaborèrent de véritables stratégies pour distiller leurs idées dans les contes. Ils souhaitaient avant tout mettre à jour le sens ultime et pour cela jouaient des différents registres de vocabulaires à leur disposition. Ces innombrables méthodes aidaient grandement les soufis dans leur défense des définitions hermétiques et la création de langages symbolique et singuliers dans le champ de la narration mystique. ‘Abbâdi (491-547) ne dit pas autre chose lorsqu’il écrit qu’«il doit y avoir des personnes qui ne comprennent ni les allusions ni les symboles des paroles et non plus que le sens de contes. Chaque individu compétent dans le domaine de ces allusions et de ces symboles comprendra certainement qu’à l’intérieur il y a un enseignement. Ceux qui ne saisissent pas le sens de ces allusions et de ces symbolesne peuvent qu’être déroutés». (‘Abbâdi, 1362 : 63). Sur ce point particulier, Bad‘i uzzamân Furouzânfar nous rappelle que «les soufis savaient mieux que personne qu’il convenait de dissimuler le contenu de leurs états extatiques en raison des mystères qu’ils représentaient. Aussi préféraient-ils les mettre en scène dans leurs récits et en révéler les merveilles par la bouche de leurs personnages et de manière non explicite. Le procédé était en outre la meilleure des initiations religieuses qui soit». (Furouzânfar, 1374: 52)

Une place essentielle sera donc faite au symbolisme dans ces innombrables contes que l’on retrouve sous la plume des soufis ou dans la littérature orale qui reflète leur sensibilité. Qu’on ne se laisse pas abuser par les apparences: s’ils peuvent sembler dépourvus de tout lien de nécessité, ces contes se recoupent pourtant en vertu d’affinités cachées existant entre les significations spirituelles susceptibles de leur être attribuées, et ils utilisent des images familières, marquées par l’humour et le réalisme. Leur but est identique: être l’instrument d’une initiation, d’une connaissance salvatrice[m3] .

On rapporte ici l’histoire de Junayd al-Baghdâdî citée par Hudjwiri. Junayd le questionnant sur Temps, il lui répondit: Sache ! Dans ces contes, il y a un symbole délicat.

Voici ce récit:

On rapporte que Junayd racontait:

«je vis un dervich dans le désert, assis sous un mimosa, dans un endroit dur et inconfortable, et je lui demandai pourquoi il restait ainsi immobile. Il répondit: j'ai eu un «temps» et je l'ai perdu ici, maintenant, je suis assis et me lamente. Je lui demandai depuis combien de temps il restait là. Il répondit: douze ans, le sheikh n'offrira-t-il pas une prière pour moi, afin que par bonheur je puisse retrouver mon temps? Je le quittai, dit Junayd, j'accomplis le pèlerinage et je priai pour lui. Ma prière fut exaucée. À mon retour, je le trouvai assis à la même place. Pourquoi, lui dis-je, ne t'en vas-tu pas d'ici, puisque ton désir a été réalisé? Il répliqua : ô sheikh, je me suis installé en ce lieu de désolation où j'ai perdu mon capital: est-il just que je laisse l'endroit où j'ai retrouvé ma fortune et où je jouis de la société de Dieu? Que le sheikh aille en paix, car je mêlerai ma poussière à la poussière de ce lieu, afin que je puisse me lever, lors de la résurrection, de cette poussière qui est la demeure de ma félicité» (Meyerovitch, 1995: 132).

Ailleurs, dans le même ouvrage, Hudjwiri révèle que «les maîtres utilisent beaucoup de symboles dans ces contes qui ne peuvent pas tous être rapportées.»(Hudjwiri, 1988: 61)

Ainsi peut-on dire des récits mystiques qu’ils sont des allusions (ishâra) et non des expressions (‘ibâra) et qu’un univers de sens se dissimule au cœur de chacun d’eux. Mais les termes et les paroles qui expriment les différents états mystiques peuvent occasionner des modifications dans le vocabulaire et les structures. Précisons cependant que cette transformation n’accouche pas d’un langage nouveau offrant un sens nouveau aux mots anciens. C’est la raison pour laquelle l’intelligence d’un récit saturé de sens mystique est difficile d’accès pour qui ne serait pas initié à ses arcanes. En effet, dans la terminologie mystique, se dissimulent des mystères et des symboles ayant trait à la connaissance d’état (‘elme ĥâl) non à celle du discours, à la science innée (’elme ladunni) et non à la science acquise (‘elme ektesâbi). (‘Aţţâr, 1372: 4)

En d’autres termes, les paroles et les contes mystiques demeurent mystérieux pour tous ceux qui restent coi devant les contenus ésotériques.

La réponse à cette question fera la substance de la table ci-dessous :


Table 2. Le langage mystique et le langage ordinaire

Ineffable

Qualifiable

Vocabulaire technique

VocabulaireGénéral

Sphère privée

Sphère du collectif

Plan de l’intériorité

Plan de l’extériorité

Symbolique

Banalité

Langage allusif

Langage expressif

Voué à l’expérience par soi-même du sujet

Voué à la communication

Particulier

Général

Cheminement vers l’absolu

Pluralité de chemin

 

Les caractéristiques des contes mystiques

A la faveur des évolutions sociales et culturelles qui affectent ces deux siècles, le mystique a pris une direction autre que celle qui avait été la sienne pendant les périodes précédentes et il a été amené à s’intéresser à la vie dans toutes ses dimensions. Il faut bien garder à l’esprit que les œuvres des mystiques de cette période se présentent sous la forme d’un composé des enseignements spirituels des premiers mystiques auxquels s’ajoutent ceux des grandes figures monastiques des périodes antérieures. L’un des enseignements majeurs qui ressort de l’étude de ces œuvres est qu’il n’existe pas de véritable expérience mystique qui prétendrait se passer des prescriptions obligatoires de la «shari ‘a.» Autrement dit, ces textes, loin d’abolir les rites de loi révélée, les intériorisent. Durant les deux siècles auxquels nous nous référons, les conceptions mystiques modérées ont considérablement influencé la piété musulmane. Sous l’effet d’une nouvelle cristallisation, elles ont fait leur retour sous la forme de la théosophie soufie.

On prendra la mesure de cette mutation décisive en étudiant les œuvres versifiées et en prose produites pendant ces siècles. Et ce que l’on découvre est une efflorescence des thèmes exotériques[1] et ésotériques, des descriptions minutieuses d’ambiance, des personnages pointilleusement campés ainsi que des choix stylistiques très affirmés (les dialogues, le ton) dans la narration. Dans l’ensemble, ces récits sont fortement teintés de merveilleux. Ils tirent leur aspect pédagogique du fait qu’ils peuvent se lire selon différents niveaux, incitant à tout moment l’esprit à un effort d’interprétation. Les paraboles qui les émaillent sont une mesure, et leur sens, le grain qu’elles contiennent, elles ne sont intelligibles qu’à la seule condition de mobiliser la totalité des ressources de son intelligence et de sa culture. Partant, ces contes, qui sont histoires merveilleuses, transmettent une morale, une vérité mystique, mais sous une forme concrète, donc plus accessible, frappant l’imagination et permettant de mieux l’intérioriser. Le conte peut demeurer plus ou moins enfoui dans la mémoire, mais lorsqu’il se présente à nouveau à l’esprit, sous forme parfois d’une vague réminiscence, il est lourd de toute sa signification profonde et de sa logique interne. Il condense aussi tous les sens qu’il est susceptible de contenir et qui peuvent, l’heure venue, se déployer à la façon de fleurs de nénuphars s’épanouissant dans l’eau qui les fait revivre. Que l’on ne s’étonne donc pas si, dans ces innombrables contes, une place essentielle est faite par les soufis à l’éducation. Apparemment, aucun lien de nécessité ne semble exister entre eux. Pourtant, ils se recoupent, en vertu d’affinités cachées entre les différentes significations spirituelles susceptibles de leur être attribuées, significations qui utilisent des images familières, souvent débordantes d’amour, de réalisme, d’humour parfois, mais aussi d’épopées mystiques. Leur but est invariablement le même : être l’instrument d’une initiation, d’une connaissance salvatrice.

Hudjwiri traite du caractère des contes composés par les mystiques dans une section de son livre

«Ce que nous avons exposé jusqu’à présent, écrit-il, était un résumé, et poursuivre notre discours serait long et inutile. Certains sujets qu’il sera nécessaire de traiter dans ce livre le seront concernant les prodiges et les contes, afin que les disciples puissent en tirer un enseignement, les savants des informations, et que le commun des gens en reçoivent une confirmation de leur foi, qui dissiperait leurs doutes.» (Hudjwiri, 1988: 270).

Cet extrait de l’ouvrage d’Hudjwiri montre que les récits visaient certains en particulier, comme les disciples, les savants, ou bien encore le commun des gens. Ils prouvent aussi combien était grande la soif de connaissance. C’est que les mystiques représentaient des figures exemplaires aux yeux des croyants, ils indiquaient le chemin d’une vie juste. De fait, les récits apparaissaient comme des vade-mecum pour une vie spirituelle accomplie. Pour relater ses récits, Hudjwiri suit principalement deux méthodes:

1- Il détaille tout d’abord un lexique mystique, ou bien expose une doctrine, après quoi il cite un récit et, en toute fin, proclame «Ce récit confirme ce que j’ai dit.» Par exemple, avant que le récit ne débute, il explique le tawĥid d’après Abou Yazid. Puis il rapporte le récit[2]: Après ce récit, Hudjwiri note que ce qu’il vient «de rapporter est un récit subtil concernant la sincérité de son état ; il constitue un excellent enseignement pour les mystiques.». (Hudjwiri, 1988: 132)

2- En d’autres circonstances, Hudjwiri relate un récit, explique ensuite les lexiques mystiques ou bien confirme l’hypothèse qu’il a posée. Lisons pour l’exemple le récit suivant:

«On rapporte que Moïse dit: «Ô mon Dieu, indique-moi une action que j’aurais à exécuter et qui Te rendrait satisfait.» Dieu répondit «Tu en serais incapable, ô Moïse!» Alors Mousâ (Moïse) se prosterna, adorant Dieu et Le suppliant et Dieu lui envoya une révélation disant: «O fils de ‘Imrân, Ma satisfaction consiste en ce que toi tu sois satisfait de Mon ordre.» Lorsqu’un homme est satisfait des décrets de Dieu, c’est un signe que Dieu est satisfait de lui.» (Hudjwiri, 1988: 217).

Le récit achevé, Hudjwiri note que «ce récit montre que la doctrine de Ĥârith Muĥâsibi est correcte, à savoir que la «satisfaction» appartient à la catégorie des «états spirituels» et des dons divins, non aux «stations» qui sont acquises par l’effort.» (Hudjwiri, 1988: 217).

Mais il peut également rapporter deux récits en même temps. Exemple: un des disciples de Dhunnoun Misri s’en alla rendre visite à Abou Yazid Basţâmi. Quand il arriva à la cellule d’ Abou Yazid Basţâmi et frappa à la porte, Abou Yazid dit: Qui es-tu, et qui désires-tu voir? Il répondit: Abû Yazid. Abou Yazid dit: Qui est Abû Yazid, et où est-il, et qu’est-ce qu’il est? J’ai cherché Abou Yazid pendant longtemps, mais je ne l’ai pas trouvé. Le disciple revint auprès de Dhunnoun et lui raconta ce qui s’était passé. Dhunnoun dit: Mon frère Abou Yazid est perdu avec ceux qui sont perdus en Dieu (Hudjwiri, 1988: 291). Un certain homme vint chez Djunayd et lui dit: sois présent avec moi pendant un moment que je puisse te parler. Djunayd répondit: Ô jeune homme, l’objet de ta demande, je le cherche depuis longtemps. Pendant de nombreuses années, j’ai souhaité être présent à moi-même un instant, mais je ne le puis; comment donc puis-je être présent avec toi maintenant? En conclusion de ces deux récits, Hudjwiri mentionne deux termes mystiques (l’absence (ghayba) et la présence (ĥużour)) et ajoute : «La vérité de ces paroles est claire dans ces contes». (Hudjwiri, 1988: 292)

Rouzbehân affirme lui aussi que les récits de mystiques apportent la tranquillité du cœur: «Et tout ce que Nous te racontons des récits des messagers, c’est pour en raffermir ton cœur. Et de ceux-ci t’est venue la vérité ainsi qu'une exhortation et un appel aux croyants[3]» (Rouzbehân, 1382/2003: 34). Dans un chapitre de son livre intitulé «Comment peut-on retrouver le plaisir de la connaissance et de l'amitié de Dieu ?», Ghazâli énonce trois manières pour arriver à l’amitié de Dieu, la troisième étant celle des états mystiques. Il dit :

«De tels contes, il y en a beaucoup (…) Avec ces récits, poursuit-il, on comprend que l'amitié et le plaisir attachés à la connaissance de Dieu sont plus sublimes que l'amitié du paradis.» (Ghazâli, 1364/1985: 848). Ailleurs, il ajoute que « ce sont les états de mystiques», et qu’ «il faut faire pénétrer ces états dans le cœur par l’écoute. Il faut renoncer au monde et combattre avec l’âme[4].» (Rouzbehân, 1382/2003: 776).

Pour confirmation de ce qu’il vient de dire, il note : « un mystique avouait la chose suivante : « un jour que je me sentais lâche et paresseux à l’accomplissement des rituels, j’allais chez Muĥammad ibn Wâsi‘. Après cette visite, l’envie d’accomplir les actes rituels me tenait tant que j’aurais pu m’y livrer pendant une semaine.» Ghazâli continue ainsi : « Si l’on n’a pas trouvé de mystique, qu’on lise les récits les concernant». Ghazâli cite ensuite onze contes de mystiques et note: «Si vous voulezlire des récits, vous pouvez lire le Iĥyâ ‘Uloum-ud-Din.» (Rouzbehân, 1382/2003: 774)

Ailleurs, Ghazâli,pénétré de son autorité de maître, donne le conseil suivant : « Les maîtres d’écoles, qui éduquent les enfants, après avoir enseigné le Coran, auraient grand profit à lire les récits des mystiques. Car ces récits que les enfants entendent aident à ce que la spiritualité pénètre dans leur cœur.» (Rouzbehân, 1382/2003: 445).

Dans sa préface au Tadhkerat al-awliyâ,‘Aţţâr mentionne lui aussi le caractère des récits consacrés aux mystiques. Il rapporte ce propos d’Abou ‘Ali Daqqâq:

«Il y a grand profit à lire les récits et à écouter la parole de ces hommes de Dieu. D’abord, ces récits renforcent la volonté de l’homme et soutiennent l’attirance que l’on éprouve pour eux ; ensuite, s’ils ont de la fierté, ils l’effacent.Les autres profits sont la transformation du mal en bien chez l’homme, et si son cœur se montre incapable d’apercevoir les vérités, il peut les entrevoir grâce à ces récits.» (‘Aţţâr, 1372: 7)

‘Aţţâr précise ailleurs que la lecture de ces contes de mystiques communique la substantifique moelle des sciences divines. Rien d’autre ne peut les égaler en efficacité. «Du point de vue de la compréhension des enseignements des mystiques qui sont le fruit d’extases et de visions par définition indicibles et presque incommunicables». (Furouzânfar, 1374: 52)

‘Aţţâr souligne aussi l’importance proprement sociale que revêtent ces contes :

«Les auteurs mystiques, écrit-il, à la vue du délabrement de la société, craignaient par-dessus-tout que les fidèles oublient leur foi et que la vie spirituelle se vide de toute substance. Leur seul recours était alors de composer des récits seuls aptes à sauvegarder la vérité du savoir mystique.» (‘Aţţâr, 1372: 8-9).

 

Le meilleur récit d’après les créateurs de ces œuvres

Le conte mystique, en tant qu’art sacré (Schimmel, 1994: XVII), voisine avec les vérités religieuses, il est en quelque sorte le miroir du monde intérieur. Dans sa version mystique, le conte incarne la forme qui exige une expérience préalable, celle qui introduit un dialogue ou un événement de principe symbolique. Si l’on se tourne du côté de Sanâ’i, cet auteur considère que «le récit doit être celui de l’art et non de l’absurdité et de l’inutilité»(Sanâ’î, 1374: 466). Deux caractéristiques singularisent selon lui le récit. Préalable à tout, il ne doit en aucune manière reposer sur un quelconque sens de l’absurde; ensuite (et peut-être surtout) la forme brève est la meilleure qui soit et la plus apte à ne pas ennuyer le lecteur[5]. Il n’hésitera d’ailleurs pas à écrire que «se taire est beaucoup mieux qu’un récit absurde» (Sanâ’î, 1374: 262), assurant que «si vous narrez brièvement, c’est mieux.» (Sanâ’î, 1374: 262.) Il conseille d’éviter comme la peste ce qu’il nomme les récits malsains en ce qu’ils sont absurdes et leur préfère ceux à ambition spirituelle. Dans un autre chapitre,Sanâ’î’ recommande à ses visiteurs de lui raconter un récit de l’art. (Sanâ’î, 1374: 261-262). Voyez à présent quelques exemples de ce «meilleur récit» dans quelques œuvres. Le récit de Yousef et Zulaykhâ passe pour le meilleur de tous. L’allusion au «meilleur des récits» qui se trouve dans le Coran fait explicitement référence à celui-ci. Dans ce verset, un groupe de disciples souhaite entendre des contes de la bouche même du Prophète. À quoi le Prophète répond: «Nous te racontons le meilleur récit.» (Sanâ’î, 1374: 262.). Ce récit nous confronte aux trois éléments de la beauté, de l’amour et de la nostalgie- tristesse. Le symbole de la beauté (ĥusn) est Joseph, celui de la nostalgie-tristesse (ĥuzn) Jacob (son père) et Zulaykhâ symbolise l’amour (‘eshq). (Shayegân, 1990: 218-219)

La plus haute expression des contes mystiques est l'amour. L'amour qui, selon les mystiques, conduit l'homme, étape par étape, au plus haut degré du ciel, qui constitue le plus fort desliens entre les créatures et Dieu, amoureux et Bien-aimé. Dans la pensée des mystiques, comme dans le Coran, l’amour est bilatéral. Si l’homme reçoit des épreuves de Dieu, il les supporte sans anxiété ni inquiétude parce que ce que Dieu lui donne est dans sa miséricorde. En tous cas, Les œuvres mystiques expriment que chaque personne qui s’approche de Dieu, voit sa douleur et sa souffrance augmenter. Ils disent: «Est-ce que tu imagines que Dieu t’envoie des épreuves sans raison? Non ! il faut prier plus de mille ans pour que Dieu t’envoie une épreuve». (‘Aţţâr, 1339 : 105)

Voici ce récit:

«On raconte qu’un jour Mâlîk Dînâr, Hasan Basrîet Shaqîq Balkhî allèrent rendre visite à Râbî’a. Comme on parlait de la sincérité, Hasan Basrî dit: il n’est pas sincère celui qui ne supporte pas avec constance les coups qui lui viennent du Seigneur très haut. Voilà qui sent l’infatuation de soi-même, observa Râbî’a. Shaqîq Balkhî dit: il n’est pas sincère celui qui ne rend pas des actions de grâces pour les malheurs qui lui viennent du Seigneur très haut-Il faut encore mieux que cela, insista Râbî’a. Mâlîk Dînâr prit la parole: il n’est pas sincère celui qui ne trouve pas de charme dans les maladies que lui envoie le Seigneur très haut-Encore mieux, s’écria Râbî’a. Mais eux, s’adressant à elle: Parle toi-même. Alors Râbî’a: il n’est pas sincère celui qui n’oublie pas la douleur de la maladie qui lui vient du Seigneur très haut, exactement comme les dames de l’Égypte, en voyant la figure de Youssuf, oublièrent leur mal de main» (Absalan, 2015: 73)

Sanâ’i, de son côté, écrit: «Si tu ne comprends pas la vérité du récit de Yûssef, Pourquoi ne lis-tu pas le Coran?».(Sanâ’î, 1374: 443)

‘Aţţâr, lui, apostrophe ses interlocuteurs: «Aveugle est celui qui entend cette histoire et n’en fait pas son profit. Ne regarde pas ce récit avec indifférence, car tout ceci n’est rien que ton histoire». (‘Aţţâr, 1982: 191)

Lisons encore ce qui suit: «Sais-tu, mon ami Tamhidât, écrit ‘Ayn al-Qużât Hamadâni dans son livre, pourquoi l’histoire de Joseph est la meilleure des histoires? Parce qu’elle porte le cachet de «Il les aime et ils L’aiment» (…) Dire les mots de sucre et de miel avec la langue, c’est une chose, les voir de ses yeux en est une aussi, mais les manger et en déguster la saveur en est une autre. Il y a une différence entre être amoureux de Laylî, dire son nom et lui raconter l’histoire de Madjnoun ! O homme de cœur ! Dans l’oratoire privé, «Il les aime» et «ils L’aiment» se sont épousés, nulle foule entre eux.» (Hamadâni, 1992: 140-141). Il affirme aussi que « l’amour est contenudans ce récit du Coran, la beauté éternelle y est cachée dedans, ce qui fait durécit de l’amour le meilleur de tous ». (Hamadâni, 1992: 140-141)

De cet amour, Rouzbehân Baqli nous précise qu’il «est l’amour pur et le récit de l’amant et la bien-aimée; et que le récit de l’amour, chez les amoureux, est le meilleur des récits». (Rouzbehân, 1366/1987: 9)

‘Aţţâr fait lui aussi allusion à ce récit mêlé d’amour, de douleur et de nostalgie, récit qu’il tient également pour le meilleur des récits:

«Tu as vu beaucoup de récits

Vois celui- ci en plus

Raconte un peu de récit   

Car cela est le meilleur des récits». (‘Aţţâr, 1379: 365)

Concernant ‘Aţţâr, Louis Massignon (1883-1962), dans l’introduction du Livre divin, considère qu’il «a fait des découvertes sur la beauté, l’amour, la nostalgie, la douleur, et c’est ce qui donne à toute son œuvre sa saisissante originalité». L’univers de l’amour, dit-il ici même, n’a que trois chemins: le feu, les larmes et le sang.(‘Aţţâr, 1961: 7). Ailleurs ‘Aţţâr écrit très clairement que «si tu n’éprouves pas de nostalgie, tu ne peux pas comprendre ces récits (...) Tant que tu n’auras pas connu pareille douleur, tu resteras étranger au récit de cette affliction». (‘Aţţâr, 1981: 238). Le disciple se rend chez le guide spirituel et entame son récit émouvant par la phrase suivante: «Puisque c’est le Seigneur qui m’a destiné à l’enfer, mon récit sera le paradis des amoureux. L’univers de l’amour n’a que trois chemins: le feu, les larmes et le sang.» (‘Aţţâr, 1961 : 238)

 

 

 

Le but des contes courts

Le symbolisme de ces contes permet donc la révélation d’une vérité, saisie selon la mesure de chacun, et qui ne peut s’exprimer sur aucun autre mode. Il ne suffit pas de prendre plaisir à lire un récit, encore faut-il en rechercher le sens profond. Les hommes ne se lassent point des bonnes choses, aussi les mystiques produisaient-ils une grande variété d’histoires, souvent toutes plus invraisemblables les unes que les autres, auxquelles leurs auditoires s’empressaient d’accorder foi. Ces récits, qui caressaient agréablement l’oreille, possédaient la vertu non seulement de désennuyer l’esprit mais aussi de communiquer des enseignements spirituels. Donc, en un temps aussi où les fidèles s’éloignaient de toute spiritualité authentique, les récits et les contes se présentèrent comme les meilleurs instruments. Grâce à eux, les auteurs trouvèrent un véhicule approprié à l’expression de leurs convictions religieuses. D’abord qu’ils ont exercé une influence considérable sur l’existence des fidèles, les orientant vers le bien et le bon. Mais ils ont aussi contribué à faire naître l’amour dans des âmes qui en étaient dépourvues, les sensibilisant par ailleurs aux malheurs qui pouvaient atteindre ses semblables. Ils ont aussi enseigné que la pratique de l’amitié et de la fraternité permettait de se rapprocher de Dieu. Ils ont appris à ceux qui les lisaient les vertus cardinales de la patience, de l’indulgence, de la paix sereine et de la générosité. Ces récits ont également, et peut-être surtout, constitué la voie de passage d’une vie menée presque en aveugle à celle placée sous la claire lumière de la spiritualité. Surtout, ils ont tiré l’homme de son ignorance et raconté son voyage aux confins de pays inconnus.

Les œuvres mystiques qui retiennent notre attention, ce n’était pas à proprement parler la peur de manquer de récits qui tourmentait les hommes, mais bien plutôt de n’en pas trouver capables d’aviver et de satisfaire leur soif de spiritualité. Les auteurs mystiques satisfirent cette attente avec les leurs. D'ailleurs, l’expérience mystique étant incommunicable aux hommes du commun, les créateurs d'œuvres mystiques préféraient en laisser deviner les mystères en composant des récits. (Furouzânfar, 1374: 52)

Lorsque, dans ces récits, surgissait le nom d’un mystique, il s’agissait immanquablement d’une personnalité fidèle à l’héritage spirituel du Prophète et des Imams. La foi de ceux qui lisaient ces récits s’en trouvait redoublée, ou restaurée. «Les accents d’authenticité que ces textes faisaient entendre valaient à leurs auteurs de nombreux disciples» (Ernst, 1996: 197), «convaincus qu’ils étaient de leur conformité à l’Islam» (Schimmel, 1996: 271). À la fin de ces récits, il n’était donc pas rare de lire des formules comme «Et enfin le disciple a cru» ou «Les disciples ont cru» ‘Aţţâr confirme la chose en écrivant que «lorsque l’infidèle eut entendu ce récit précis, il poussa un cri et versa à son tour des larmes en disant: «Puisque Dieu fait en faveur de son ennemi coupable une telle réprimande, comment pourrais-je continuer à agir déloyalement à Son égard?» (‘Aţţâr, 1982: 189)

Ces contes, qui étaient tenus comme de véritables guides menant au salut éternel, eurent une influence que l’on a aujourd’hui peine à imaginer. Seule une étude minutieuse et de longue haleine peut rendre compte de la motivation qui était celle de leurs auteurs.

Ce qu’enseignent ces récits n’est ni plus ni moins que le passage des ténèbres à la lumière, de la mort à la vie, de l’ignorance à la connaissance, du sommeil à l’éveil. Ils mettent l’accent sur les exigences que requiert une vie de sagesse, qui ne saurait trouver son accomplissement dans la seule réussite professionnelle, l’art, les voyages.

La prédication soufie vise à conduire l’homme au centre de lui-même, dans ses plus intimes profondeurs, là où tout prend des allures de miracles, là où l’on peut vraiment éprouver en vérité la liberté, la confiance, la sécurité. Quand on a goûté une fois à ces grands espaces intérieurs, la clarté se fait, contribuant à éloigner l’homme de ses passions mortifères comme la jalousie, la méfiance ou l’inquiétude. Ce qu’il atteint alors est une manière d’équilibre dans un univers qui, certes, le dépasse infiniment, mais a cessé de lui apparaître comme une menace. Concernant la finalité de ces contes, Hudjwirî note qu’ils ont été rédigés«afin que les disciples puissent en tirer un enseignement, les savants des informations, et que le commun des gens en reçoivent une confirmation de leur foi qui dissiperait leurs doutes». (Hudjwiri, 1988:270). Ruzbehân Baqlî et Ghazâli Abou Ĥâmed (1058-1111) soutiennent, eux, que ces récits font descendre la quiétude (sakineh) dans les cœurs. Rouzbehân Baqli fait également allusion au verset du Coran énonçant que «Tout ce que Nous te racontons des récits des messagers, c’est pour en raffermir ton cœur». (Rouzbehân, 1382/2003: 66)

‘Aţţâr, disons-le, est très marqué par les œuvres des auteurs mystiques. Il détaille les principales vertus de tous ces récits:

1- Grâce à eux, le cœur se fortifie. Il fait également allusion à un propos de Djunayd Baghdâdi présentant les récits comme «une armée de Dieu qui raffermit les cœurs» (‘Aţţâr, 1372: 8). Qu’on lui demande pour quelle raison il rapporte ce propos, et il se met à réciter ce verset du Coran: «Et tout ce que Nous te racontons des récits des messagers, c’est pour en raffermir ton cœur. Et de ceux-ci t’est venue la vérité ainsi qu'une exhortation et un appel aux croyants». (Coran, 11/120)

2- Ces histoires ont une valeur pédagogique. ‘Aţţâr écrit qu’«en ce temps, il y a des personnes qui ignorent l’arabe et sont illettrées. Ces récits sont parfaits en ce qu’ils expliquent, à leur manière, le Coran et la Tradition du Prophète». Il cite ensuite le personnage d’Abou ‘Ali Siyâh Marvi qui vivait à la fin du IVe siècle. «Abû ‘Ali Siyâh Marvi, écrit-il, était illettré, il ne savait ni lire ni écrire. Un jour, il dit: «Je cherche quelqu’un qui parle vrai et je l’écoute. Quand à mon tour je me mets à raconter, lui aussi m’écoute.» Puis il ajoute: «S’il n’y a pasde conversation sur Dieu au paradis, j’y renoncerai». (‘Aţţâr, 1372 : 8)

3- Ces récits ont aussi une valeur inestimable pour les gens du dévoilement intuitif (ahle kashf) en ce qu’ils leur révèlent des significations qui leur sont d’un grand profit.

4- Toutes ces histoires renforcent l’amour de Dieu au cœur de l’homme. Celui qui lit ces récits vit dans l’éternelle présence du Seigneur.

5- Grâce à ces contes, l’homme vit de plain-pied avec l’au-delà, et, par ses actes bons, il se bâtit une vie spirituelle. (‘Aţţâr, 1372 : 9)

Conclusion

Compte tenu du fait que l’étude de ces textes ne se fait pas du point de vue structural, esthétique ou encore poétique, ces deux modèles mettront surtout en valeur la portée, l’importance et le rôle de ces contes durant nos deux siècles de référence. En effet, ces livres, auxquels il est fait allusion et qui comptent parmi les plus beaux de la littérature soufie, nous renseignent sur la valeur réelle des contes mystiques. D'ailleurs, le mysticisme est la dimension intérieure, ésotérique de l’Islam. En vertu de ce donné, le regard que porte le mystique sur les phénomènes diffère du tout au tout de celui de l’homme ordinaire ou bien de celui du philosophe. Il voit tout bonnement le monde autrement. Pour lui, l’ensemble des phénomènes revêt un autre sens que pour le commun des mortels. Il s’efforce de connaître la Réalité par l’âme et d’atteindre à l’essence des réalités. Les récits ne font pas exception à cette règle. Autrement dit, les réalités comme les phénomènes de ce monde possèdent épaisseur et sens en quête desquels se met le mystique. Quand ce dernier conte une histoire, le lecteur doit aller au-delà de la lettre du texte, pénétrer le monde que met en scène le mystique et bien prendre la mesure de la langue usitée. Ces récits oscillent généralement entre l’aspect pratique et théorique des choses, le mystique y dévoile à ses lecteurs une réalité d’une toute autre texture que celle du monde visible, par le biais d’histoires parfois incongrues mettant en scène des personnages hors du commun.



[1] A, Sur le terrain exotérique, les récits se caractérisent notamment par des formules introductives comme : « On raconte que (…) », « Un jour (…) », « Un soir (…) », « J’ai vu (…) », « J’étais (…) », « Il (une personne connu) dit (…) », « J’ai lu (…) ». B, Ces récits mettent en circulation des langues vernaculaires dont ils font des véhicules de la pensée mystique la plus élevée.

[2] «On rapporte qu’Abou Yazid dit: «Je suis allé à La Mecque, et j’ai vu seulement la Ka’ba.» Je dis : «Mon pèlerinage n’est plus accepté, car j’ai vu bien des pierres semblables.» J’y retournai et je vis la Ka‘ba et le Seigneur de la Ka‘ba. Je dis: «Ce n’est pas encore la véritable unicité». J’y allai une troisième fois, et je ne vis que le Seigneur de la Ka‘ba. Une voix dans mon coeur murmura: «Ô Abou Yazid, si tu ne te vois pas toi-même, mais que tu vois le monde entier, tu n’es pas un associationniste (mushrik), mais si tu te vois toi-même, tu es un associationniste bien que tu sois aveugle à l’univers entier.» Là-dessus, je me repentis, et une fois encore me repentis de voir ma propre existence».»

[3] Coran, 11/121.

وَکُلّاً نَقُصُّ عَلَیْکَ مِنْ أَنبَاءِ الرُّسُلِ مَا نُثَبِّتُ بِهِ فُؤَادَکَ وَجَاءَکَ فِی هذِهِ الْحَقُّ وَمَوْعِظَةٌ وَذِکْرَى‏ لِلْمُؤْمِنِینَ

[4] «L’âme est une réalité et plusieurs récits rapportent qu’elle a été vue à l’extérieur du corps. Elle peut prendre la forme d’un chien noir ou jaune affamé, destiné à être dressé et relâché. D’autres mystiques virent leurs nafs sortir de leur gorge sous forme d’un jeune renard ou d’une souris. L’image qui revient souvent est celle d’un cheval ou d’un mulet indocile que l’on prive de nourriture et à qui on inflige une mortification et un entraînement constants de sorte qu’il serve réellement le dessein d’amener le cavalier à son but.» Voir Hudjwiri ‘Ali ibn ‘Uthmân, Somme spirituelle (Kashf al-Mahdjoub li-Arbâb al-Quloub), pp. 241-246.

[5] Selon Sanâ’i, tout récit qui ne contient aucun trait d’absurdité et de vanité peut être tenu comme un récit de l’art. Pour lui, l’art s’affronte à l’absurdité.


 

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