Traductologie et optimisation de l’enseignement de traduction

Type de document : Original Article

Auteurs

Professeur assistant, de langue française, Faculté de littérature persane et de langues étrangères, Université Allameh Tabataba’i, Téhéran, Iran

Résumé

Si la traduction figure dans toutes les maquettes des universités qui proposent une filière « langue », on constate qu’elle y occupe toutefois un statut un peu à part. En effet, contrairement aux autres disciplines au programme, il semble que la traduction est un enseignement qui justement ne semble pas comporter de « programme ». Tout se passe comme s’il n’y avait rien à apprendre, si ce n’est peut-être les fameuses listes de vocabulaire. On sait qu’elles ne seront consultées que par une poignée d’étudiants, pour un bénéficie au demeurant assez mince, surtout si ces derniers gardent une vision du lexique limitée au répertoire ou à la nomenclature. Certains enseignants-chercheurs ont bien senti la nécessité d’envisager autrement l’enseignement de la traduction, et on se propose donc d’essayer de montrer ici comment la traductologie, permet d’optimiser cet enseignement. Dans cet article, nous essayons d’examiner pour ce faire, un certain nombre d’exemples concrets qui s’utilisent dans la plupart des cours en traduction. En préambule, nous reviendrons d’abord sur ce qui fait la spécificité de la traduction universitaire et ensuite, nous tenterons de voir comment la traductologie, par la réflexion qu’elle suscite et la mise en perspective opérés, qui permet de reprendre la formule du goût, le transfert correct du contenu d'une langue à une autre et le retour de l'intention de l'auteur, qui est la base la plus importante de la traduction.

Mots clés

Sujets principaux


Introduction

Si la traduction figure peu ou prou dans toutes les maquettes des universités qui proposent une filière « langue », on constate qu’elle y occupe toutefois un statut un peu à part : en effet, contrairement aux autres disciplines au programme, la traduction est un enseignement qui justement ne semble pas comporter de « programme ». Tout se passe comme s’il n’y avait rien à apprendre, si ce ne sont peut-être les fameuses listes de vocabulaires, dont on sait très bien qu’elles ne seront consultées que par une poignée d’étudiants, pour un bénéficie au demeurant assez mince, surtout si ces derniers gardent une vision du lexique limitée au répertoire ou à la nomenclature. Il règne également l’idée assez persistante après des étudiants, selon laquelle le cours de traduction serait soit un cours dont on peut se dispenser parce que l’on est intrinsèquement doué (ou pas) pour la traduction et qu’après tout, il n’y a pas de « cours » à proprement parler, comme on peut parler de cours de linguistique, de grammaire ou de littérature, soit l’un des rares cours auquel on peut assister sans avoir nécessairement préparé quoi que ce soit, en espérant sans doute, malgré tout, en retenir et en retirer quelques choses. II semble presque superflu de répéter qu'on ne peut enseigner la traduction sans entraîner les étudiants à la compréhension des textes. Il faut comprendre pour savoir traduire, et la compréhension d'une langue exige la maîtrise de ses structures fondamentales : morphologiques, syntaxiques, sémantiques et stylistiques. Et il est loin d’être suffisant de comprendre uniquement les signifiés car, appartenant à la langue et faisant partie d’un ensemble structuré, les signifiés ne nous fournissent que des virtualités sémantiques. C’est plutôt le sens qu’il faut comprendre et traduire. Le sens est la base de la fidélité authentique d’une traduction. La compréhension du sens se fait généralement par une analyse des contextes : contexte verbal immédiat, qui aide à lever la polysémie des signes ; contexte verbal élargi, qui permet de désigner le sens d’un énoncé, et contexte situationnel, qui est indispensable pour saisir le vouloir-dire du traducteur. Ces contextes sont nécessaires pour la compréhension, mais aussi pour la traduction. Le traducteur doit donc dépasser la limite de la langue et effectuer ses analyses dans le domaine de la parole. Doit être mentionné que la compréhension de l’énoncé s’appuie aussi sur des facteurs extralinguistiques et s’effectue par l’exclusion spontanée de tous les « sens » virtuels non pertinents de la phrase. De ce fait, un traducteur doit tenir compte non seulement des signifiés des mots, mais aussi de ces éléments extra-linguistiques qui conditionnent la compréhension. On sait que la compréhension est le produit d’opérations associatives liées à l’expérience du traducteur-débutant, à ses connaissances, à sa mémoire. “C’est ainsi une analyse et une restitution de rapports sémantiques ... alliés à la capacité de manier le langage”. (Delisle, 1992 : 39).

 

Le procesus de la traduction dans les cours universitaires

Norlmalement pendant les cours de la traduction universitaire, on attend deux fins générales qui sont attribuées à la correspondent à deux pratiques différentes de la traduction (Lederer, 2006 : 109) : La première est le perfectionnement linguistique (en langue seconde, mais aussi en langue maternelle), fin que tout le monde reconnaît aux exercices dits de thème et de version ; la seconde est à la fois la plus évidente et la plus largement ignorée dans la pratique, à savoir l'apprentissage de la traduction en soi, avec pour objectif ultime la formation à la traduction professionnelle. L'université s'est longtemps cantonnée dans le premier rôle, mais le flou des objectifs a souvent laissé croire qu'en faisant faire des exercices de thème et de version, elle préparait à la traduction professionnelle.

Cependant, la pratique n’est pas suffisante si elle ne repose pas sur une assise théorique et si elle ne se double pas d’une mise en perspective et d’une réflexion. Cette remarque paraît peut-être évidente, mais elle ne semble pas aller de soi au niveau de la traduction, puisque de nombreuses universités, voire la plupart d’entre elles, ne proposent pas de travaux dirigés de traductologie, ce qui veut dire que l’enseignement de traduction ne repose alors sur aucune base méthodologique, sur aucun cadre structuré, qui permettraient pourtant aux étudiants de développer une compétence et de se comporter en participants avertis plutôt que d’être des récepteurs plus ou moins passifs devant la traduction généralement proposée, au final, par le professeur, et attendue de lui, et devant les observations ponctuelles et disparates que ce dernier peut être amené à faire au hasard de tel ou tel texte (Grellet, 1993 : 124).

Certains enseignants-chercheurs ont bien senti la nécessité d’envisager autrement l’enseignement de la traduction. Les questions qui se posent ici sont des suivantes : comment attendre à des résultats corrects au niveau de la traduction, lorsque l’on constate que des problèmes surgissent déjà au niveau de la compréhension ? Comment existent-ils à partir de la langue cible elle-même ? Nous nous proposons donc d’essayer de montrer ici comment la traductologie, permet d’optimiser cet enseignement. Nous examinons pour ce faire un certain nombre d’exemples concrets que nous utilisons pour la plupart nous-mêmes ans nos cours. En préambule, nous reviendrons d’abord sur ce qui fait la spécificité de latraduction universitaire, étape dont on ne peut faire l’économie si l’on veut établir les modalités selon lesquelles la traductologie peut compléter ou plutôt asseoir l’enseignement de traduction. Enfin, nous tenterons de voir comment la traductologie, par la réflexion qu’elle suscite et la mise en perspective qu’elle opère, permet d’ouvrir l’esprit et de former le goût, pour reprendre la formule qui figure dans l’appel à la communication.

 

Spécificités de la traduction universitaire

De nombreux auteurs ont souligné le caractère spécifique que revêt la traduction et notamment celle à l’université. Ladmiral en particulier, a insisté sur la double finalité « docimo-pédagogique » de la version et du thème, finalité que l’on peut être amené à critiquer[1] si l’on imagine que la traduction telle qu’elle est pratiquée à l’Université est un moyen de former des traducteurs professionnels (Ladmiral, 1997 : 10). En effet, la traduction pédagogique, comme J. Delisle (1992 : 21) le précise en créant cette expression, c’est l’utilisation d’exercices scolaires de traduction visant à faire acquérir une langue étrangère, est une méthode parmi d’autres d’enseignement des langues. La pédagogie de la traduction vise en revanche à instaurer une méthode qui rende justice à l’original par la création d’équivalences. Or, on a justement coutume de distinguer la traduction pédagogique et celle professionnelle, à tel point que certains professionnels voient dans la première une activité sui generis, n’ayant d’autre justification qu’elle-même :

Ces deux aspects de l’activité traduisante diffèrent considérablement par leurs conditions d’exécution, leurs formes, leurs objectifs et leurs finalités. La traduction pédagogique est avant toute chose utilisée comme outil de perfectionnement linguistique. C’est accessoirement un instrument d’évaluation des plus commodes, perpétué par la traduction et peu sujet à remise en cause ; mais pour les traducteurs professionnels, la traditionnelle version est au mieux « un exercice qui apprend à faire des versions », sans pour cela apprendre à traduire. (Lavault et Lafon, 1999 :4)

 

D’autres mettent l’accent sur le caractère irréconciliable des deux activités, en assimilant la traduction universitaire à une traduction nécessairement littérale[2], qui se ferait une opération obligatoirement vouée à l’échec lorsqu’il s’agit de « recréer » un texte littéraire dans une autre langue :

La traduction éditoriale a une autre exigence : son auteur est censé exercer une fonction de recréation du texte qui lui est confié, ce qui revient à lui demander de lui être, en quelques sortes, infidèle. […] Cette infidélité, fut-elle créatrice, est totalement proscrite en version, exercice qui exige, au contraire, le respect absolu du texte original. Quant à savoir si on peut, parfois, servir mieux un texte en ne le respectant pas à la lettre, c’est une autre question, et nous ne la soulèverons pas : elle nous entraînerait dans un long débat. (Saint-Lu, 1999 : 13)

 

Cette dissociation draconienne mène d’ailleurs à une vision assez pessimiste, où il n’y aurait aucune place pour l’interaction entre l’enseignant-chercheur et le traducteur, même si les deux « casquettes » s’avéraient être portées par une seule et même personne :

Il nous semble donc évident que le traducteur, lorsqu’il redevient professeur doit laisser à la porte de la salle de classe toute velléité de recréation, et s’en tenir à la stricte littéralité du texte, dans les limites permises par la langue d’arrivée, tout simplement parce qu’il a affaire à un public qui n’est, sauf exception, pas préparé à investir, ou comme nous le disons, à vampiriser le texte avant de le restituer, et qui aura à faire preuve, le jour de l’examen, d’une compétence plus terre-à-terre. (Saint-Lu, 1999 : 13)

 

Certes, la traduction à l’université ne s’effectue pas sur le même mode et avec les mêmes finalités que la traduction professionnelle. Elle a lieu en quelque sorte « en vase clos », puisqu’il ne s’agit pas de produire un texte destiné à être lu par un public qui est dépourvu de tout accès au texte étranger. Il se focalise à montrer à l’enseignant, par l’intermédiaire d’un exercice de traduction, que l’on atteint le niveau requis pour accéder à l’année supérieure. Ce « niveau » ne se situant d’ailleurs pas tant sur le plan de la compétence traductive proprement dite que sur celui de la maîtrise des deux systèmes linguistiques en présence.

Pour autant, il n’est pas inutile de dire que le propre d’un enseignement universitaire est de faire réfléchir et de déveloper l’esprit critique, ce qui est le propre de la traductologie. C’est donc aussi cette réflexion qui doit être menée, une réflexion basée sur la traduction, qui entraînera une réflexion sur les langues. Il ne faut donc pas oublier une analyse et une discussion concernant les observations effectuées, dont les étudiants pourront tirer des enseignements réutilisables ensuite dans la pratique. Il est donc judicieux d’observer les traductions effectivement publiées pour la simple raison qu’il sera possible de faire appréhender ce qu’est une traduction plutôt que de rester dans l’exercice de version.

Notre objectif est d’examiner la façon dont la traductologie permet, par la réflexion, d’asseoir l’enseignement de traduction, par une approche plus construite et plus structurée, tout en ouvrant l’esprit des étudiants et en mettant les problèmes en perspective, afin de donner une vision plus juste et plus complète du concept de la traduction.

 

La traductologie, approche rèflexive indispensable à la traduction

La traduction ainsi que la traductologie fonctionnent toutes deux le rôle de » révélateurs « (au sens presque photographique du terme)[3]. La traduction est d’abord révélatrice[4], car elle actualise une lecture possible du texte de départ. En outre la traductologie garde également le rôle de révélateur, puisqu’elle essaie de dévoiler et de systématiser les processus sous-jacents à l’élaboration d’une traduction, mais on pourrait tout aussi bien dire d’exposer à la lumière, de rendre visible, les phénomènes dits latents. Cette approche réflexive nous semble indispensable, car nos étudiants ont besoin de recevoir un cadre proposé, une démarche qui leur offre une vision d’ensemble des problèmes liés au phénomène de la traduction. Ce centrage sur le public auquel nous nous adressons et d’ailleurs capital, et dans l’avant-propos du numéro de Meta consacré à l’enseignement de la traduction dans le monde, Christian Balliu indique d’ailleurs « Les nombreux exemples cités n’oublient pas l’étudiant, ce diamant brut qu’il convient de polir et dont on parle à mon sens trop peu dans les textes consacrés à l’enseignement de la traduction » (Balliu, 2005 : 8).

« Diamant brut « en effet, en particulier pour les étudiants de première année, qui arrivent à l’université avec un bagage de connaissances parfois proprement lacunaires, ce qui implique d’ajuster l’enseignement en fonction de leurs capacités et de se concentrer sur leurs besoins. Il convient d’avoir des objectifs pédagogiques mesurés et de savoir quelles compétences sont censées grâce à l’enseignement de traduction. L’expérience montre bien que la pratique effrénée de traductions à la chaîne, de semaine en semaine, sans recul, sans cadre structuré, n’est pas une solution satisfaisante. La finalité du cours de traduction n’est pas capable de consister, à produire le plus rapidement possible un texte, mais plutôt à isoler des problèmes récurrents que les étudiants ne manqueront pas de rencontrer dans d’autres textes et à observer les divers traitements possibles[5].

Il s’agit d’abord d’examiner les points d’achoppement de baliser le terrain afin de proposer un enseignement rigoureux reposant sur la prise en compte de ces erreurs récurrentées constatée chez les étudiants. Ceci permettra dans un premier temps à renforcer leurs compétences linguistiques, voire l’étape indispensable, en les amenant à comparer les systèmes linguistiques et à repérer ce qui les distingue. Deux exemples suffiront à illustrer notre propos ; le premier sur le plan lexical, le second sur le plan syntaxique. Une fois n’est pas coutume, nous partirons d’erreurs constatées en thème :

-   Vous n’avez pas changé du tout…

Elle a haussé les épaules.

-   Vous dites ça pour me faire plaisir. Asseyez-vous…

Elle me désigna la bergère de velours vert et vint s’asseoir elle-même

sur le rebord du canapé où avait l’habitude de s’allonger Rocroy

(Modiano, 2007 : 38).

 

Cet extrait, figurant dans un thème donné à un examen de l’une des leçons de 2e année de licence à l’Université Allamé Tabataba’i intitulée La traduction des textes différents. Elle a provoqué de nombreuses erreurs, en particulier sur le syntagme « bergère de velours vert », qui a été traduit, entre autres, par (چوپانی با لباس مخمل سبز). Ce passage permet de faire ressortir les risques de mauvaise lecture liée à des phénomènes intralinguistiques comme l’homographie, tout en attirant l’attention des étudiants sur l’aide que fournit le contexte et l’importance du bon sens, l’essentiel n’étant pas forcément de savoir que « bergère » peut se traduire par (مبل راحتی), mais d’être conscient des différents paramètres qui peuvent produire une construction erronée du sens. Ce qui est valable en thème est à fortiori, en version puisque l’étudiant va devoir construire le sens à partir de signes, de formes, qui appartiennent à une langue qu’il maîtrise beaucoup moins bien encore.

En fait, comme Delisle. J (1998 : 47) a souligné, il est bon que le traducteur ne part pas du sens, il part d'un texte constitué de formes signifiantes qu'il doit d'abord lire, au sens de percevoir, et dont il fait une interprétation afin de construire un sens, qui sera le sens qu'il attribue au texte et qui pourra différer plus ou moins de l'intention de l'auteur et de l'interprétation d'autres lecteurs.

Selon ce théoricien le sens d'un énoncé repose sur deux types de composantes : le linguistique et l'extralinguistique, et la traduction doit être une lecture fine parce que son objet est le sens et que le sens repose sur la perception non seulement du visible, mais aussi de l'invisible et de l'anodin. Georges Mounin rappelle que « pour traduire, la connaissance de la langue ne suffit pas, [...] il faut y ajouter celle du pays qui la parle, de ses usages, de ses mœurs, de sa civilisation, de sa culture, et de préférence directement, par des contacts sur place » (Mounin, 1976 : 75). Un autre linguiste, Jean Fourquet, souligne à juste titre que, outre les connaissances linguistiques, c'est aussi ce bagage culturel que l'on juge à travers la traduction : « Le correcteur de versions "littéraires", est invinciblement amené à porter un jugement sur le degré d'initiation du candidat à la littérature et à la civilisation du pays dont il se prépare à enseigner la langue [...] » (Fourquet, 1972 : 64).

Il ne faut pas oublier d’envisager une approche plus structurée du lexique, reposant sur des caractéristiques linguistiques qui existent tout autant en français qu’en persan. On peut alors proposer des exercices, sous forme de courtes phrases d’application, où l’on mettra en évidence de façon systématique des cas d’homographie, d’homophonie, de paronymie, de polysémie, ce que Michelle Ballard a appelé le « paradigme d’ambiguïté » (2003 : 55), que ce soit avec des lexèmes ou des grammèmes.

 

Ce premier exemple permettra d’illustrer le sens de (اطراف) généralement connu pour des étudiants, tandis que le second leur fera apparaître une autre acception, ce qui soulignera donc le potentiel polysémique du terme :

 

Non sans un certain soulagement, je constatai ensuite que les alentours de la piscine étaient déserts. (Rosso, 1998 : 204).

برای آسایش من، اطراف استخر کاملاً خلوت بود.

به خیابان که رسیدیم، نور پنجره‌‌ی آشپزخانه منطقه را روشن کرده بود.

 

et quand nous revenions vers la rue, la lumière, à travers les fenêtres des cuisines, débordait sur

les petites cours. (Du Pasquier 1991 : 52).

 

Quand nous rentrions dans la rue, la lumière, aux fenêtres des cuisines, emplit les courettes. (Aubert, 2009 : 128).

Quand nous revenions à la rue, la lumière qui s’était allumée aux fenêtres des cuisines emplissait les cours devant les maisons. (Tadié, 2010 : 60)

Quand nous revenions à la rue, la lumière des cuisines débordait dans les petites cours. (Nordon 2012 : 73)

 

On pourra procéder de la même façon pour illustrer la polyvalence grammaticale, qui rejoint le phénomène de l’homographie, en présentant par exemple de diverses phrases où figure le terme :(چرا)

خانم درخشان می‌‌پرسد : چرا گیاه خواری می‌‌کنید ؟ به خاطر مذهب، یا ذائقه‌‌تان این است؟

ـ اوه، نه. من گیاه خوار نیستم.

ـ خب، پس دلیل این کارتان چیست؟ (ترقی،۱٣٩۱:٢٣)

»Pourquoi êtes-vous végétarien ? Demanda Madame Derakhshan. Par religion ou par goût?

-Ah, non, moi, je ne suis pas végétarien.

-Mais alors, pourquoi?

 

Il s’agit ici de l’adverbe interrogatif, généralement bien connu pour des étudiants, tandis que l’exemple suivant illustre le cas où l’énoncé (چطور ممکن است) est utilisé comme interjection :

« خب ! » و در یک چشم بر هم زدن، متوجه اورهان می‌‌شود [...]

«چطور ممکن است ! حالت چطور است؟» ( معروفی، ۱٣٨٨: ١٢٩ )

»Tiens ! Tiens !«. En un clin d’œil, elle vit que c’était Ourhan […]

» Ça alors ! Comment allez-vous ? «

 

On pourra demander aux étudiants, non par plaisir, de critiquer les traducteurs professionnels, mais plutôt pour apprendre à observer, à repérer des erreurs figurant dans des traductions publiées :

 

« آقای عطایی با ما زندگی می‌‌کند. مستأجر ماست »

یونس پرسید: واقعاً؟ عجب، نمی‌‌دانستم.» ( ترقی، ۱٣٩٣ : ٧٨)

M. Ataei habite chez nous. Il est notre locataire.

- C’est vrai ? Demanda Younes. Je déclare… je ne savais pas ça.

 

Cet exemple sera l’occasion d’insister là encore sur le potentiel polysémique des signes. Le terme (عجب) étant ici utilisé comme syntagme figé faisant figure d’interjection quelque peu archaïque et ne devant pas être traduit par " je déclare " mais par une expression telle que " ça alors ".

Ici encore, si ce genre de fautes est constaté dans le sens français persan, il faut en tenir d’autant plus compte en version, où le risque d’erreur est plus important. Dans le sens persan français, on peut proposer également de courts extraits ou des phrases qui sentent diverses facettes du phénomène :

 

خسرو هم به طور همزمان به یاد آورد وقتی را بیست و پنج سال بیشتر نداشت.

[...] که ازدواج کرده و پدر سه فرزند کم سن و سال است. ( بنی اسدی، ۱٣٩٦ :٥٩)

 

Khosro se rappela simultanément qu’il était âgé de vingt-cinq ans […], qu’il était marié, père de trois enfants en très bas âge.

 

Il s’agira dans ce cas particulier d’attirer l’attention sur le fait que l’énoncé (... که ازدواج کرده) est introduit par il était marié et que l’ambiguïté potentielle ne résiste pas à l’analyse sémantique. L’observation de la traduction publiée tend à montrer que le traducteur a reculé devant le calque syntaxique et a préféré expliquer le sémantisme de la proposition, tout comme pour l’exemple qui suit :

 

آقای رحمتی با خودش فکر کرد که بیرون نرفتن از خانه پیش از ظهر، برای مرد متأهلی که

پدر سه فرزند هم هست، بی شباهت به جرم نیست. . ( بنی اسدی، ۱٣٩٦ :۶۱)

 

Monsieur Rahmati estimait que cela tenait presque du crime pour un homme marié, père de trois enfants, de ne pas sortir de chez lui avant le milieu de la matinée.

 

Il convient ensuite de signaler que certaines configurations syntaxiques propres en persan sont les sources d’erreurs auprès de l’étudiant en langue française et qu’il faut y être sensible. C’est par exemple le cas des adjectifs mis en facteurs en persan :

 

بعد از صبحانه، مشتری‌‌های سن و سال دار روی مبل‌‌های راحت و کاناپه‌‌ها چرمی سبز

رنگ توی سالن نشستند و شروع کردند به پرچانگی و ورق زدن مجلات. ( بنی اسدی، ۱٣٩٦ :۳۹)

 

Après le petit-déjeuner les clients âgés s’installaient dans les fauteuils et canapés en cuir vert du hall et commençaient à papoter et à feuilleter les journaux.

 

Les deux termes سبز)  (et( چرم)  portent sur (مبل‌‌های راحت) ainsi que sur (کاناپه) , il faut donc dire « fauteuils et canapés en cuir vert » et non « fauteuils en cuir vert et canapés ». De même, dans l’exemple suivant (سفید) qualifie کلاه)   (et)  ،(پیش‌بند ce qui implique d’accorder l’adjectif blanc au pluriel :

 

زن سالخورده با پیراهنی ابریشمی و سیاه رنگ، و کلاه و پیش‌بندی تمیز و سفید بالای پله‌‌ها

برای استقبال از مهمان‌‌ها ایستاده بود. ( ترقی،۱٣٩٣: ۱٨٧)

En haut, des marches se tenaient, pour accueillir, une vieille femme proprement vêtue de soie noire, en bonnet et tablier blancs.

Début sur les marches pour recevoir, se tenait une vieille femme vêtue d’une irréprochable robe de soie noire, avec un bonnet et un tablier blancs.

 

On pourra faire remarquer aux étudiants que parfois les traductions divergent, ce qui entraînera une réflexion sur les motivations des choix effectués :

 

آقای عزیز، دختر کوچولوی دوست داشتنی شما، لطف خیلی بزرگی در حق آقای آرتوش

جد بینوای من کرده و من و خانواده‌‌ام، مدیون شجاعت و اراده‌‌ی شگفت او هستیم.

( پیرزاد،۱٣٨۰ : ٣٨)

 

Cher Monsieur, votre charmante enfant, a rendu un service considérable à monsieur Artouche, mon malheureux ancêtre; ma famille et moi-même sommes énormément redevables à son courage et à sa détermination exceptionnels (Balay, 2002: 40).

Cher Monsieur, votre charmante enfant, a rendu à mon malheureux ancêtre un signalé service, et ma famille et moi devons beaucoup à son cran et à son courage admirable (Louice, 2009: 33).

 

Les deux termes (شجاعت)  et(اراده)   sont des synonymes dénotativement, et l’on peut penser que le terme (شگفت) porte sur les deux noms, ce dont rend compte la traduction de Balaÿ mais pas celle de Louice, qui n’a fait porter l’adjectif que sur « courage ». Ce qui paraît à priori être une faute s’explique peut-être  par le fait que le second traducteur traduit le terme familier (اراده)  par un terme appartenant au même registre, ce qui rend ensuite difficile l’association avec « admirable ».

Il faudra aussi prendre garde à ne pas donner aux étudiants une vision trop mécanique de la traduction, comme s’il suffisait d’appliquer des trucs et comme si tout pouvait se résoudre facilement, mais intégrer, par honnêteté, les éléments qui paraissent flous, ambigus, et restent parfois indécidables. On pourra ainsi les faire réfléchir sur certains agencements syntaxiques problématiques au niveau de l’interprétation :

 

بعد از سینما رفتیم شهر کتاب، کتاب فروشی قدیمی خیابان شریعتی، که غرفه‌‌ی

کتاب‌‌هایش از زمین تا سقف فروشگاه است. ( پیرزاد،۱٣٨٣ : ٨۶)

Sur quoi porte (قدیمی)  ? : sur (خیابان شریعتی)  ou sur (کتاب فروشی)  ? Nous aurions eu tendance de prime abord à dire sur (کتاب فروشی), mais (شهر کتاب)  a l’air d’être un nom assez moderne pour une librairie. Il s’avère que le traducteur a choisi la solution qui consiste à faire porter (قدیمی) sur خیابان) شریعتی), en étoffant le syntagme et en insérant d’ailleurs un superlative au passage :

 

Après la projection, nous sommes allées à Book City, cette énorme librairie

du plus vieux quartier de Shariati où les rayonnages s’élèvent du sol au plafond

(Balay, 2005 : 93).

 

Nous insisterons sur cette idée d’éviter de proposer des recettes toutes faites et prêtes à l’emploi. Même s’il s’agit de proposer un cadre structuré et de baliser les stratégies de traduction de façon ordonnée et construite afin de donner une vision d’ensemble, il s’agit aussi de faire réfléchir, ce qui est le propre d’un enseignement universitaire. Nous prendrons l’exemple du chassé-croisé. On a coutume de dire que les verbes à particules pour lesquels le verbe exprime un mouvement et la particule (adverbe ou préposition) un déplacement se traduisent souvent selon ce « mécanisme ». Ceci n’est pas faux, et l’on pourra en effet donner des phrases d’application illustrant le phénomène, en attirant par exemple l’attention sur les différentes formes que peut prendre le complément de manière en français (gérondif, SP, etc) :

 

آرمینه نُک پا بلند شد و دست گذاشت روی شانه‌‌ی دخترک. ( پیرزاد،۱٣٨۰ :٩)

Aussitôt Arminé se leva d’un bond et saisit la fillette par l’épaule (Balaÿ, 2002 :8)

 

Mais il convient de faire un exposé systématique de la façon dont ce type de construction est rendu en français, et de faire observer et commenter les différentes stratégies relevées dans des traductions effectuées par des traducteurs :

 

در باز شد و زنی قد بلند و بور، خیلی شیک‌تر از دوشِس وینزور با قدم‌‌هایی بی قید وارد اتاق شد.

بعد با وجاهت خاصی چرخی در اتاق زد، زیر سیگاری را خالی کرد، گونه‌‌ی تپل امیلی را با نوک

انگشتانش نیشگونی گرفت، نگاهی محبت آمیز و حمایت کننده به من کرد و از اتاق بیرون رفت.

( پیرزاد،۱٣٨۰ :۸٩)

La porte s’ouvrit et une grande blonde, plus élégante que la duchesse de Windsor, entra d’un pas nonchalant. Elle ondula avec grâce à travers la pièce, vida le cendrier, tapota la joue grasse d’Amélie du bout des doigts m’adressa un regard caressant et appuyé et ressortit. (Balay, 2002 : 87)

 

Si le premier verbe à particule (با قدم‌‌هایی بی قید وارد اتاق شد) est effectivement rendu selon la stratégie du chassé-croisé (« entra d’un pas nonchalant »), on remarque que le deuxième groupe verbal (چرخی در اتاق زد ) suit un schéma de traduction littérale (« ondula à travers » : V + locution prépositive), tandis que le troisième (بیرون رفت ) illustre le phénomène, où le sémantisme de la particule l’emporte en raison de la présence d’un verbe persan hyperonymique. Dans l’extrait qui suit, si le sémantisme de la particule (بالا رفتن)   l’emporte, c’est parce que dans le contexte la précision apportée par le verbe persan بالا رفتن) ( paraît superflue en français, qui laisse l’information implicite dans la première phrase, tandis que le phénomène du chassé-croisé réapparaît pour la deuxième :

 

آلیس را ببین، از خیابان پارک دارد بالا می‌‌رود [...] آلیس همان طور پیش می‌‌رود. ( پیرزاد،۱٣٨۰ :۱۱۱)

Regardez Alice remonter l’avenue du Jardin […] Alice continue à marcher

(Balay, 2006 : 113)

 

Pour ce qui est de l’extrait suivant, le sémantisme du verbe qui l’emporte chez Balaÿ, la traduction de la préposition (صفیر) paraît superflue, tandis que le second traducteur pratique le chassé-croisé :

 

اما درست همان موقع که بالای پلکان چوبی رسید، ناگهان دری باز شد و دو پرهیب کوچک

سفید پوش ظاهر شدند و بلافاصله صفیر بلندی را در گوشش شنید ! ( معروفی ۱٣٨٨ : ۱۱۴)

 

Mais au moment précis où il atteignait le haut du grand escalier de chêne, une porte s’ouvrit brutalement, deux petites silhouettes drapent de blanc apparurent et un gros oreiller lui siffla aux oreilles! (Hardin, 2004 :120)

                   

Mais à peine était-il parvenu en haut du grand escalier de chêne qu’une porte s’ouvrit brusquement. Deux petites silhouettes vêtues de blanc firent leur apparition, et un gros oreiller lui passa en sifflant à deux doigts de la tête! (Louice, 2016 :145)

 

À partir de là, on voit tout l’intérêt que peut présenter le commentaire de traduction, en particulier lorsque l’on détient à disposition plusieurs traductions d’un même passage. Cela permet d’intégrer dans la théorisation des phénomènes comme la subjectivité, qu’il ne faudrait pas éluder sous prétexte de vouloir donner une vision scientifique de la traduction. La traductologie n’est pas une science exacte et il convient, par la réflexion, de prendre une certaine distance avec l’objet d’étude, d’émettre des jugements, afin d’avoir une perception générale et réaliste de la traduction.

 

Traductologie, ouverture d’esprit et formation du goût

L’objectif de la traductologie consiste, par l’observation du corpus de textes traduits et l’analyse d’unités de traduction, à structurer l’approche que l’on a de la traduction et à donner des indications utiles concernant les possibilités qui s’offrent au traducteur :

 « En même temps qu’une estimation de l’adéquation de la traduction à l’original, le jugement d’équivalence que le traducteur porte sur sa production contribute à construire de façon plus consciente sur sa compétence. Celle-ci s’élabore autour de la reconnaissance de schémas d’équivalence et de la capacité à en construire d’inédits à partir d’un savoir-faire préexistant, tout en négociant leur intégration dans la construction d’un texte qui soit acceptable. Cette identification dynamique constitue une démarche qui peut permettre de baliser l’acte et d’en assurer la transmission selon des moyens moins empiriques que la simple action par l’imitation » (Ballard, 2003 : 73).

 

La traductologie telle que nous la concevons ne se veut pas cette perspective. Il ne s’agit pas tant de montrer comment il faut traduire, mais de voir comment on a traduit et comment on peut traduire.

On vient de voir dans la partie précédente certaine des schémas d’équivalence utilisés pour la traduction des verbes à particule, et il pourra être intéressant de monter aux étudiants qu’un même syntagme peut être traduit par autant de façons différentes qu’il y a de traducteurs. Ceci aidera à battre en brèche l’idée selon laquelle il suffirait d’attendre la (seul et unique) solution du professeur :

 

بالای سالن در تاریکی مطلق بود. سرم را بلند کردم تا در تاریکی چیزی تشخیص دهم،

اما فقط خودم را می‌‌دیدم : موجودی مضحک، برآمده از تکبر. ( هدایت،۱٣٣۱: ۴٨)

 

La partie supérieure du hall était maintenant tout à fait noire. Levant la tête pour

regarder dans cette obscurité, il me semble me voir moi-même petite épave que

la vanité chassait et tournait en dérision (Lescot, 1953 : 58)

 

Le haut de la salle était maintenant plongé dans une obscurité complète. Levant

les yeux, je scrutai ces ténèbres et me vis tel que j’étais: un être mené et ridiculisé

par la vanité (Aubert, 2009 : 133).

 

Le haut de la salle était maintenant complétement dans le noir. En levant le regard

dans ces ténèbres, je vis que j’étais une créature menée et bafouée par la vanité

(Tadié, 2010 : 66).

                  

Le haut de la salle était maintenant complétement obscur. Regardant dans le noir,

je me sentis le jouet grotesque de la vanité (Nordon, 2012 : 89).

 

Dans la première traduction, la particule (بلند کردن) est rendue par la participle présent « levant », on note l’introduction du complément « la tête » après ce verbe transitif direct, tandis que le sémantisme du verbe) (تشخیص دادن se retrouve en partie dans la proposition infinitive de but (« pour regarder »). Pour ce qui est de la deuxième traduction, Aubert pratique de la même façon pour traduire la particule) (بلند کردن , il insère également un complément, légèrement différent (« les yeux »), après le  participe et il transfère le sémantisme persan vers un verbe faisant partie de la proposition principale en français (« je scrutai »). Tadié effectue une sorte de chassé-croisé où l’on peut voir dans « le regard » une nominalisation du verbe (تشخیص دادن), avec toutefois une hyperonymisation. Enfin, Nordon, estimant probablement que le contexte fourni par la phrase précédente est suffisant (« la partie supérieure du hall »), ne traduit pas la particule (بلند کردن) et se contente du participe hyperonymique « regardant » (qui n’est peut-être pas très heureux au niveau de l’euphonie car il est suivi de la preposition « dans »).

L’exemple suivant mettra en avant lui aussi la subjectivité inhérente à l’opération de traduction et le fait que certaines décisions sont liées à des phénomènes de réécriture :

 

مارتا تازه به ساحل رسیده بود که دید پسر بچه‌‌ی ده دوازده ساله‌‌ای با شادی فریاد زنان به دو

از او گذشت و خودش را توی آب انداخت (پیرزاد،۱٣٨۰ : ۱۶۴).

 

Marta venait d’atteindre la plage, quand un garçon d’une dizaine d’années,

la dépassa en courant et se jeta dans l’eau avec un hurlement de joie (Balay

2006 : 87).

 

On Remarque que Balay effectue un chassé-croisé inter propositionnel (la principale devient subordonnée et vice-versa) et qu’il utilise la stratégie du chassé-croisé pour traduire (به دو از او گذشت), ce qui n’est pas le cas de Louice :

                            

Lorsque Marta arriva à la plage, elle fut dépassée par un garcon d’une

douzaine d’année qui s’élança dans la mer en poussant des cris

(Louice, 2014: 120).

 

Le chassé-croisé ne s’accomplit pas à partir de (به دو گذشت) , en raison d’une restructuration de la phrase : c’est un élément du SP qui est posé comme sujet de la proposition principale en français, probablement pour qu’il y ait co-référence entre le sujet de la principale et celui de la subordonnée. On constate que la principale est au passif, ce qui rend impossible l’utilisation de « en courant ». Le fait de courir reste donc implicite, le Petit Robert indiquant d’ailleurs que « dépasser » consiste à « laisser en arrière, derrière soi en allant plus vite », mais il est possible d’estimer qu’il est déductible du contexte, d’autant que le garçon s’élance ensuite dans la mer.

Par conséquent, il convient de signaler que la traduction doit s’accommoder d’ajustements internes liés au texte d’arrivée et non prévisibles à la lecture du texte de départ. Considérons par exemple les appellatifs دایی) ( et ) (خالو. Le premier est censé d’être neutre, tandis que le second dans l’accent du sud de l’Iran est plus familier et possède des connotations affectives. Ils sont généralement rendus respectivement par « oncle » et « tonton ». Le premier exemple ne pose pas de problème de traduction particulier :

 

دایی سفرم به غرب را بلافاصله تأیید کرد (پیرزاد،۱٣٨۰ : ۴۵).

Mon oncle approuvait tout à fait mon voyage dans l’ouest (Balay, 2006 :26).

                     

En revanche, les deux suivants illustrent bien les contraintes textuelles dont le traducteur doit tenir compte :

 

علی رغم میلش حرفش را قطع کرد و به طرفش برگشت.

دستم درد گرفت خالو کریم. (پیرزاد،۱٣٨۰ : ۸۸).

 

Elle s’interrompit à contrecœur et se retourna.

Je me suis fait mail, oncle Karim (Balay, 2006 : 109)

 

با متانت تمام گفت : خب... باید از داییت بپرسی. من هیچ مخالفتی ندارم. (پیرزاد،۱٣٨۰ : ۱۱۴).

Alors la… fit-il avec gravité. Il faut demander à ton oncle. Moi, je n’y

vois aucun inconvenient. (Balay, 2006 : 120)

Si l’on traduit (خالو) par « tonton », il ne reflète pas exactement la signification en persan : « tonton Karim », et pour le second exemple, si l’on traduit l’adjectif possessif (داییت) , par «ton tonton » l’effet sonore reste extrêmement maladroit. On ne retrouve pas dans la traduction de Balaÿ les connotations affectives qui figuraient dans le texte de départ, mais ceci s’explique par le problème d’euphonie créé dans le texte d’arrivée. On pourrait penser à une autre solution, qui préserverait l’appellatif « tonton », à condition cette fois-ci d’effacer la référence au prénom, qui serait alors implicite dans le contexte.

On le voit et il semble qu’il faille accepter que tout ne soit pas rendu dans le texte d’arrivée et amener les étudiants à réfléchir aux divers paramètres intervenant dans la traduction, et à tenter d’expliquer les choix des traducteurs et les principes qui les motivent. À ce sujet, nous aimerions prendre l’exemple des noms propres, qu’on dit en général (et à tort) qu’ils ne se traduisent pas.[6] C’est alors souvent le report qu’il est conseillé de pratiquer. Cela dit, le report automatique d’un prénom dans une autre langue va parfois créer un brouillage, au niveau du sexe de la personne par exemple. Cette ambiguïté peut parfois être levée par le traducteur, comme le montre l’exemple suivant :

 

آلنوش هنوز منتظر چایش بود [...] « بیا آلنوش کوچولو ! می‌‌خواهی آن بالا بگذارمت؟»

و بعد به آرامی و بدون هیچ مشکلی، دخترک را بلند کرد و او را روی بشکه‌‌ی بزرگی گذاشت

( پیرزاد،۱٣٨٠ : ۱٩٣)

 

La petite Annette réclamait toujours son thé. […] « Viens Anette ! Tu veux que je te monte là-haut ?» Et doucement, sans effort, il souleva la petite fille et la fit passer sur un tonneau plus élevé (Balaÿ, 2006 : 89)

 

Même si le contexte est clair, Balaÿ n’a pas reporté le prénom Alénouche, qui se confond peut-être avec un prénom masculin en français. Il a préféré le changer et traduire en lui donnant une morphologie féminine qui présente plus de cohérence avec les autres marques grammaticales du genre. On constate alors qu’une autre stratégie existe, qui consiste à adapter le prénom, tout en lui conservant une consonance persane, solution choisie par Louice :

La petite Danie réclamait toujours son goûter. […]

« Regarde, Danie ! Tu veux que je te hisse là-dessus ? » Et doucement, sans effort, il jucha la petite fille sur un gros tonneau (Louice, 2009 : 197)

 

La question est donc ici de savoir si le contact avec la culture de l’Autre doit être direct et présenté de façon brute ou s’il faut que le traducteur, dans son rôle négociateur intercultural, facilite l’accès au sens et privilégie un certain confort de lecture pour le public de la culture d’accueil ?

Conclusion

Il faut accorder à la traductologie une véritable place au sein de l’institution universitaire. La traduction n’est qu’une pratique, c’est aussi un objet de connaissance (Szlamowiez, 2004 :145). Il faut d’une part procéder à une construction progressive et réfléchie d’une compétence chez l’étudiant, qui pourra ainsi agir en acteur éclairé, mais aussi restituer les problèmes dans un cadre général, ce qui permet d’optimiser l’enseignement de traduction. En présentant un certain nombre  d’exemples et en examinant les traductions qui en ont été faites, on peut ainsi exposer la gamme des traitements possibles, proposer une typologie des solutions envisageables, en signalant les avantages et les inconvénients de chacune des stratégies ainsi que les présupposés qui les sous-tendent, ce qui permet d’élargir les perspectives afin d’ouvrir sur des problèmes théoriques tells que les transferts interculturels, la traduction comme réécriture, la subjectivité du traducteur, la prise en compte du lectorat potentiel, la réception des traductions, la fonction des textes, l’adaptation, le vieillissement des traductions, la retraduction, etc.

Certes, il faut tenir compte des impératifs liés aux exigences des examens, mais cela n’empêche pas de donner aux étudiants les outils qui leur permettront d’aiguiser leur don d’observation, de déveloper leur capacité à émettre des hypothèses et à poser des jugements, de leur faire connaître différents positionnements théoriques.

Dans cet article, nous voulions démontrer que ces faiblesses dans la compréhension dénoncent un manque de niveau linguistique et de connaissances extratextuelles. Les étudiants doivent pouvoir se façonner les définitions dont ils ont besoin, surtout s'ils ne peuvent pas utiliser les dictionnaires. Pour cela, ils doivent s'appuyer sur leur expérience et leurs connaissances antérieures ; en trois phases (selon Seleskovitch et Lederer 2001). Il s'agit d'une première phase (lecture-interprétation) et d'une phase seconde (recréation-cible), en passant par la déverbalisation, que les théoriciens de la théorie du sens distinguent comme une troisième phase.

L’une des façons pour nous, les traducteurs-chercheurs, pour rendre compte des problèmes de compréhension liés à une connaissance insuffisante de la culture française, nous pourrions envisager comme méthode de sélectionner un certain nombre de discours français faisant allusion à des éléments culturels français, enregistrer les traducteurs et voir les fautes et maladresses, puis les interroger (questionnaire) pour avoir davantage d’informations sur ce qu’ils ont compris ou pas compris et pourquoi ils ont réagi comme ils ont réagi.

On entamera notre conclusion avec une citation extraite de l'ouvrage de Edmond Cary, dont nul ne peut mettre en doute qu'il ait eu à cœur les intérêts des professionnels, faisait une déclaration analogue dans La Traduction dans le monde moderne : « Nul traducteur n'est à l'abri du faux sens ou du contresens burlesque. Les plus fameux ont eu leurs défaillances » (Cary 1956 : 22).

La prise en considération de l'erreur pour l'établissement d'une théorie de la traduction est tout aussi nécessaire que la prise en compte des dysfonctionnements pour la compréhension des aspects physiques ou mentaux de l'être humain. Elle est en tout cas essentielle à la didactique de la traduction si l'on veut que celle-ci soit axée sur l'apprenant : en faisant apparaître ses besoins, elle permet de mieux définir des objectifs d'apprentissage.

On conclura sur la différence essentielle qu'il convient de faire admettre entre un apprentissage de la langue, certes indispensable comme préalable, et l'apprentissage de la traduction : un texte, bien que composé en partie d'une langue, fait intervenir des facteurs complémentaires à la langue.

Les gens qui apprennent à traduire doivent apprendre à jouer un double rôle : comprendre en mobilisant des connaissances extralinguistiques et faire comprendre en utilisant les synecdoques appropriées.



[1] « Aussi bien que sa nature, on pourra critiquer la fonction de cette traduction universitaire, sa double utilisation : pédagogique, au sens où l’on vise à developer à travers elle une competence, et docimologique, dans la mesure où, lors des examens, l’on se donne pour but de juger et d’étalonner cette competence. » (Demanuelli, 1991 : 10)

[2] « […] même si on le fait, dans le siècle, de la traduction, on ne peut faire à l’université que la version, c’est-à-dire un exercice qui sert presque uniquement à s’assurer que les étudiants ont acquis une connaissance acceptable de la langue qu’ils apprennent, et qui implique nécessairement, par nature, une exigence de fidélité littérale : on sait que celle-ci a forcément pour limites la littérarité. » (Saint-Lu, 1999 :10)

[3] Le petit Robert donne la definition suivante pour » révélateur «: solution employée pour le développement photographique, et qui, par reduction en argent métallique des sels d’ergent exposés à la lumière, rend visible l’image lantente.

[4] On pourra lire à ce sujet les réflexions d’Antoine Berman, parmi lesquelles : il affirme que la traduction est une interpretation, un acte de comprehension, etc. est une evidence égarante. [ … ]

[5] Ne pas privilégier la réflexion serait quasiment réduire les cours de version à une suite de recettes empiriques. Le professeur n’a vraiment pas d’autre choix. Car si c’est en forgeant qu’on devient forgeron, l’adage n’avertit pas l’apprenti que, sans conscience, la pratique forcenée produit au moins autant de mauvais que de bons forgerons. (Juhel 1995 : 293).

[6] Voir Le Nom Propre en traduction (Ballard,2001), qui montre toute la complexité du phénomène.

Aubert, P. (2009). Les enfants de la poussière. Hispaniola Littérature.
Ballard, M. (2003). Traductologie, Linguistique et la Traduction. Université d’Artois.
Ballard, M. (2004). La traduction, les yeux ouverts. in Sewell, Penelope et Higgins (éds), p. 67-88
Balliu, Ch. (2005). Avant-propos de META, mars, vol. 50, n°1, p.7-8.
Berman, A. (1984). L’Épreuve de l’étranger : culture et traduction dans l’Allemagne romantique, Paris, Gallimard, «Tel»,  n° 252.
Chartier, D. (2006). « La traductologie à l’Université : une grande absente. » Qu’est-ce que la traductologie ?  Artois, Presses Université, Traductologie, p. 283-292.
D’hulst, L. (1994). « Enseigner la traductologie : pour qui et à quelles fins ? », Meta, vol. 39, n° 1, p. 8-14.
Delisle, J. (1992). « Les Manuels de traduction : essai de classification », TTR, vol. 5, n° 1, pp. 17-47.
Delisle, J. (1998). Enseignement de la traduction et traduction dans l’enseignement. Les presses de l’Université d’Ottawa.
Demanuelli, C. (1991). Lire et Traduire. Paris, Masson.
Du pasquier, H. (1991). Evelyne, Genève, Editions La jolie de rire.
Grellet, F. (1993). Initiation à la traduction. Paris, Hachette.
Hardin, G. (2004). Il importe d'être constant, écrit par Oscar Wild, Paris, Editions bilingue.
Hedayat, S. (1953).  La chouette aveugle. Roman traduit du persan par Lescot, Roger. Edition José Corti. Paris.
Juhel, D. (1995) « La place de la réflexion théorique dans l’apprentissage de la traduction », Meta, vol. 30, n°3, p. 292-295.
Ladmiral, J-R. (1994). Traduire : théorèmes pour la traduction, Paris, Gallimard.
Lavault, É. et LAFON, M. (1999). Avant-propos de Le Traducteur, de l’édition à l’université. Pratiques professionnelles et Pratiques d’enseignement, Grenoble, Université Stendhal-Grenoble 3, « Cahiers de l’ILCE », n° 1, p. 3-6.
Louice, E. (2014). En finir Avec Bellegueule. Ed. Seuil, Paris.
Maroufi, A. (2016). La symphonie des morts. Roman traduit du persan par Louice, J. Edition Pocket. Paris.
Modiano, P. (2007). Dans le café de la jeunesse perdue. Gallimard, Paris.
Nordon, V. (2012). Traductions diverses. Ed. Presse du réel.
Pirzad, Z. (2002). C’est moi qui éteins les lumières. Romantraduit du persan par BALAY, Christophe. Edition Zulma, Paris.
Pirzad, Z. (2006). Un jour avant pâques. Romantraduit du persan par BALAY, Christophe. Edition Zulma, Paris.
Pirzad, Z. (2007). On s’y fera. Romantraduit du persan par BALAY, Christophe. Edition Zulma, Paris.
Pirzad, Z. (2009a). C’est moi qui éteins les lumières. Romantraduit du persan par Louice, J. Edition Livre de Poche, Paris.
Pirzad, Z. (2009b). Le goût âpre des kakis. Nouvelles traduites du persan par BALAY, Christophe. Edition Zulma, Paris.
Robert, P. (1989). Le Petit Robert. Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris, Dictionnaires Le Robert.
Rosso, R. (1998). La donne divine. Ed. Les hommes clairs.
Saint-lu, J-M. (1999). « La traduction éditoriale : école du professeur de version? », in Lavault, Élisabeth, et Lafon, Michel (éds), Le traducteur, de l’édition à l’université, Pratiques professionnelles et pratiques d’enseignement, Grenoble, Université Stendhal-Grenoble 3, Cahiers de l’ILCE n° 1, p. 9-16.
Tadié, J-Y. (2010). Le sens de la mémoire. Gallimard, Paris.
 
کتابنامه
بنی اسدی، ا. ( ۱٣۹٦) اسمت را می‌‌گذارم باران. تهران، نشر ازنو.
پیرزاد، ز. (۱٣۸۰) چراغ‌‌ها را من خاموش می‌‌کنم. تهران، نشر مرکز.
پیرزاد، ز. (۱٣۹۷)  سه کتاب. تهران، نشر مرکز.
پیرزاد، ز. (۱٣۸٣)  عادت می‌‌کنیم. تهران، نشر مرکز.
ترقی، گ. (۱٣۹۱)  جایی دیگر. تهران، نشر نیلوفر.
ترقی، گ. (۱٣۹٣)  اتفاق. تهران، نشر نیلوفر.
معروفی، ع. (۱٣۸۰) سمفونی مردگان. تهران، نشر ققنوس.
هدایت، ص. (۱٣٣١)  بوف کور. بمبئی.