Typologie textuelle et Narrativité selon J.-M. ADAM et son application sur une fable de La Fontaine

Type de document : Original Article

Auteurs

1 Professeur-assistant en Sciences du langage, Département de langue et littérature françaises, Faculté des Lettres et des Sciences humaines, Université Shahid Beheshti, Téhéran, Iran

2 Doctorant en Lettres françaises, Département de langue et littérature françaises, Université Shahid Beheshti, Téhéran, Iran

Résumé

La question intransigeante du « texte » a poussé pendant toute l’histoire littéraire les critiques et les linguistes à chercher son sens immanent et à en établir une certaine classification de manière à appréhender le texte et l’analyser, le cas échéant. Ainsi les grands théoriciens tels que Bakhtine, Jakobson, Werlich, Bremond, Molino, Dispaux, Brassart, Greimas, Adam et beaucoup d’autres se sont- ils efforcés de donner une certaine typologie du texte parmi lesquelles celle de Jean-Michel Adam – qui se trouve chronologiquement presqu’à la fin de cette liste – a l’avantage d’avoir une conception concise, plus complète et purgée des objections et des imperfections placées dans les versions précédentes. De cette manière, cette recherche essaiera d’appliquer la typologie textuelle d’Adam sur une fable de la Fontaine, intitulée « La Laitière et le Pot au lait », afin de vérifier en quelle mesure, selon la narrativité adamienne, cette fable est un récit. Pour ce faire, nous avons mis en avant la typologie de textes d’Adam et nous nous sommes penchés plus précisément sur le type narratif, lequel est principal selon la tradition littéraire occidentale. Nous avons eu l’intention d’attester l’intérêt et les convenances de cette classification face à tout texte tout en ayant dégagé à cette fin les composantes de la séquence narrative et tout en ayant présenté les six critères constituant, d’après Adam, la narration. Au terme de cette recherche, basée sur l'application et l'analyse, nous avons constaté que la théorie d'Adam peut agir comme un dispositif analytique pouvant être utilisé pour distinguer les textes narratifs des non-narratifs et extraire la ou les séquences du récit.
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Mots clés

Sujets principaux


Introduction

Autant nous avons affaire à la littérature, autant nous faisons face au texte, quel qu’il en soit la forme. Connaître parfaitement le texte, en savoir les fonctions et en distinguer le type nous amène à mieux l’appréhender et l’analyser par la suite. Ainsi les différents grands critiques littéraires se sont-ils mis à découvrir les différents types du texte et leurs fonctionnalités.

Dans ce travail, nous nous intéressons à la typologie textuelle d’Adam et nous voulons l’appliquer sur une fable de la Fontaine, La fable La Laitière et le Pot au lait – qui en est la dixième du livre VII du deuxième recueil des Fables –, pour savoir s’il s’agit d’un texte narratif ou non. Pour ce faire, nous avons dû dégager les différents types de textes et nous nous sommes penchés sur le « type narratif » dans la mesure où nous en avons extrait les particularités et les composantes appropriées. Nous avons ainsi essayé de définir le texte narratif d’après Jean-Michel Adam, proposé et établi dans son livre les Textes : types et prototypes (Adam, 1992) de façon à extraire le schéma prototypique de la séquence narrative, laquelle est dominante selon la tradition littéraire occidentale et donc plus utile à nos yeux pour les fervents de la littérature. De même dans cette étude, nous tenons à montrer que l’acception du texte narratif selon Adam facilite l’importante tâche d’affronter et de comprendre le texte et sa typologie nous favorise une analyse simple et détaillée des données incluses dans un texte.

Ainsi allons-nous nous concentrés plus sur l’application pratique de la typologie d’Adam et en détails nous essayerons de voir : si la fable La Laitière et le Pot au lait de la Fontaine est un récit ; si l’on peut appliquer pratiquement les théories d’Adam sur un texte, quel qu’il soit, comme une fable ; quelles sont les composantes de récit, selon Adam ; quelles sont les macro-propositions de la séquence narrative ; si les macro-propositions se suivent toujours linéairement ou si elles peuvent aussi se déplacer ; et finalement si cette typologie peut nous servir dans la distinction des textes ou des séquences textuelles.

Nous supposons a priori qu’il y a différents types de texte, y compris le texte narratif et qu’Adam nous offre un outil grâce auquel nous pouvons distinguer aisément la « narrativité » et diviser une séquence narrative en multiples composantes. Nous pourrions aussi appliquer cette typologie sur les textes, au moins en prose.

 

Typologie textuelle

Parmi les linguistes, Mikhaïl Bakhtine est celui qui a avoué nettement dans Le problème du texte la nécessité de classements typologiques en précisant que les formes de langue et les formes d’énoncés, c’est-à-dire les genres du discours sont les bases de la communication sociale, car, selon lui, apprendre à parler équivaut à apprendre à structurer des énoncés (Bakhtine, 1984 : 285). Bakhtine aussi, comme Adam, bien avant lui, avait mis l’accent sur l’hétérogénéité du texte littéraire (Mohammadi, 2018 : 2). D’où la nécessité de la typologie séquentielle de textes.

Sur la question du texte, de la narrativité et de sa transposition didactique, nous avons déjà des articles publiés que nous pouvons en citer quelques-uns : « Transposition didactique d’une notion grammaticale, le cas de la logique narrative » (Basanj, 2015 : 39-61) ; « Notions et fonctions grammaticales ; lancer un défi aux cours du FLE universitaire en Iran » ((Basanj, Shobeiri, 2016 : 57-79) ; « Use of Literary Texts in Foreign Languages Teaching at the University » (Shobeiri, 2020 : 115-149).

Les opinions sur la question de la typologie du texte divergent chez les critiques littéraires. Selon Dimter, nous avons « 1100 termes quotidiens pour dénommer des genres textuels utilisés dans différentes pratiques langagières » (Schneuwly, 1987 : 53). Il y a en conséquence de différentes typologies lesquelles tenaient à « classer » les textes. Nous en citerons trois qui nous semblent à la fois les plus fameux et les plus pertinents.

La première typologie vient des œuvres de Roman Jakobson et qui est basée sur les fonctions du langage isolées par ce linguiste à partir du « schéma de la communication ». Cette typologie propose l’analyse des textes à partir de leur fonction  (Jakobson, 1963 : 214) :

  • Métalinguistique
  • Référentielle
  • Conative
  • Emotive
  • Poétique
  • Phatique

 

Egon Werlich a proposé une autre typologie. Dans ce schéma, les textes se divisent en cinq catégories  (Adam, 1992 : 8-9) :

  • Narration
  • Description
  • Argumentation
  • Explication
  • Instruction ou prescription

 

Dans sa propre typologie, Jean-Michel Adam reprend les quatre premiers types de textes qui ont été proposés par Werlich, mais il ne garde pas le dernier (c’est-à-dire instruction ou prescription) et il le remplace par un autre type :

  • Dialogal

Il est à préciser que « la typologie des textes appartient à un ensemble plus vaste et ne se limite pas uniquement aux règles qui le régissent et aux constituants qui le structurent et le composent ». Par ailleurs, ce qui rend le travail d’Adam particulier, c’est le fait qu’il a renoncé à « une approche typologique globale des textes » et a développé « une analyse en séquences textuelles » (Basanj, Shobeiri, 2012 : 49). « En effet, comme en témoignent ses publications des années soixante-dix (1975, 1976 et 1979), Adam fait partie des linguistes qui ont permis que la linguistique s’émancipe du cadre phrastique dans lequel elle a longtemps été cantonnée » (Ablali, 2013 : 216).

Afin de justifier les raisons pour lesquelles nous avons choisi la classification d’Adam, il est à souligner que d’une part, parce qu’elle est plus récente que celles des deux autres critiques et linguistes et ainsi pour donner sa propre classification, Adam les a modifiées en les analysant et critiquant dans l’introduction de son livre les Textes : types et prototypes (Adam, 1992 : 11-17). D’autre part, contrairement aux typologies énonciatives retenues par les linguistes (Benveniste, Weinrich et Simonin-Grumbach) qui rendent la question de la typologie très complexe et théorique, nous observons l’effort d’Adam pour que son ouvrage soit entièrement pratique et abordable, d’où sa typologie séquentielle exposée comme un point de vue partiel sur un objet hétérogène qu’est le texte.

 

Typologie séquentielle d’Adam

Il est évident que toute entreprise de classification pose éventuellement des problèmes. Dispaux a précisé à ce sujet qu’une « définition qui n’aurait jamais posé aucun problème serait inutile. Il en va de même pour une typologie » (Dispaux, 1984 : 102). Pourtant d’après le point de vue de Jean-Michel Adam, tout texte comprend de différentes séquences dont chacune est composée de quelques macro-propositions, lesquelles contiennent une (ou des) proposition(s) (Adam, 1992 : 30) :

 

[Texte [Séquence(s) [Macro-propositions [proposition(s)]]]]

Selon lui, les séquences ne se divisent qu’en cinq  (Adam, 1992 : 33) :

  • Narrative
  • Descriptive
  • Argumentative
  • Explicative
  • Dialogale

 

dont chacune a des caractéristiques singulières qui se permettent la distinction d’autres séquences.

De cette façon, le texte est un ensemble hétérogène, éventuellement composé de séquences variées, mais cohérent dans lequel la composition intérieure serait ceci :

  1. Lorsqu’il y a uniquement une seule séquence. Dans ce cas, nous avons affaire à un texte quasi homogène comme dans un récit minimal, dans lequel nous pouvons discerner les propositions descriptives et évaluatives parallèlement aux propositions narratives. Autrement dit, les propositions autres que narratives (descriptives, évaluatives, argumentatives, …) ne forment que les différents moments à l’intérieur d’une séquence narrative.
  2. Le texte contient le nombre (n) de séquences de la même nature : par exemple, des séquences toutes narratives. Nous pouvons constater deux nouveaux scénarios :
    1. Il y a un enchaînement linéaire de toutes ces séquences qui se coordonnent : cela nous fait tout de suite penser au conte merveilleux;
    2. Nous pouvons discerner un point de convergence où ces séquences s’insèrent (les unes dans les autres) sur la trame de la même séquence principale.
  3. Quand il y a des corpus plus complexes, se produit une hétérogénéité séquentielle laquelle nous amènera à considérer deux nouvelles possibilités :
  4. Il existe des séquences hétérogènes insérées et nous avons la dominante séquentielle. C’est-à-dire la séquence insérante domine toujours la séquence insérée. Par exemple, la présence d’un récit, prétendu, véridique dans un discours correspond à cette structure : [séq. argumentative [séq. narrative] séq. argumentative] que nous pouvons l’appeler l’exemplum narratif. Ou bien lorsqu’il y a un dialogue dans un récit : [séq. narrative [séq. dialogale] séq. narrative]. Aussi l’insertion d’une description dans une narration se formule-t-elle comme [séq. narrative [séq. descriptive] séq. narrative].
  5. Second cas qui décrit les séquences hétérogènes se fait jour comme un mélange discret de séquences variées et nous n’avons plus l’insertion ostensible d’une séquence assez complète dans une autre. La séquence dominante est alors celle qui possède les macro-propositions prototypiques de sa séquence, dont la formule se manifeste ainsi : (séq. dominante > séq. dominée). En guise d’exemple, imaginons une séquence narrative qui contient des connecteurs argumentatifs : (séq. narrative > séq. argumentative) (Adam, 1992 : 31-32).

 

Type narratif

La définition la plus courte donnée pour le récit est celle de Bremond qui précise qu’un sujet (animé ou inanimé) doit se placer dans un temps t et puis t + n où il y a des prédicats qui caractérisent notre sujet en question à l’instant t. (Bremond, 1973 : 99) C’est l’idée qui forme ultérieurement les quatre premiers critères du récit, selon Adam.

En ce qui concerne l’avis d’Adam, pour qu’un texte ou plus précisément, une séquence soit un récit, il est nécessaire qu’il y ait six critères que tout récit doit posséder : (Adam, 1992 : 46-59)

  1. Succession d’événements
  2. Unité thématique
  3. Prédicats transformés
  4. Procès
  5. Causalité narrative d’une mise en intrigue
  6. Evaluation finale

 

Le cinquième critère vient de la célèbre « Explication de L’Étranger » de J.-P. Sartre où il explique que ce roman de Camus ne peut pas, faute de causalité narrative, être considéré comme un récit (Sartre, 1947 : 20). Le dernier critère vient du constat de P. Ricœur à la suite du philosophe du langage Louis O. Mink (Adam, 1992 : 56) que l’on peut aussi retrouver dans les écrit de Bérardier de Bataut qui souligne qu’il faudrait mieux que l’écrivain donne à son ouvrage l’utilité qui lui convient en en tirant les véritables conclusions des faits (Bataut B. de, 1776 : 321-322).

Nous pouvons ainsi résumer que si ces six critères mentionnés plus haut se trouvent tous dans la séquence choisie, nous pouvons la considérer en tant qu’une séquence narrative.

Pour savoir comment peut-on appliquer les critères d’Adam sur les textes de manière à comprendre s’il s’agit du récit ou non, voici un extrait de l'acte IV des Justes d’Albert Camus  (Camus, 1949 : 132-133) :

 

Kaliayev : Il ne faut pas dire cela, frère. Dieu ne peut rien. La justice est notre affaire ! (Un silence.) Tu ne comprends pas ? Connais-tu la légende de saint Dmitri ?

Foka : Non.

Kaliayev : Il avait rendez-vous dans la steppe avec Dieu lui-même, et il se hâtait lorsqu'il rencontra un paysan dont la voiture était embourbée. Alors saint Dmitri l'aida. La boue était épaisse, la fondrière profonde. Il fallut batailler pendant une heure. Et quand ce fut fini, saint Dmitri courut au rendez-vous. Mais Dieu n'était plus là.

Foka : Et alors ?

Kaliayev : Et alors il y a ceux qui arriveront toujours en retard au rendez-vous parce qu'il y a trop de frères à secourir.

 

L’extrait choisi n’est certainement pas une séquence narrative, puisqu’il y a un dialogue entre deux personnages « Kaliayev » et « Foka » ; d’où une séquence dialogale. Mais si nous regardons de plus près cet extrait, nous constatons que « Kaliayev » raconte « la légende de saint Dmitri » où il y aurait un récit :

[a] Il avait rendez-vous dans la steppe avec Dieu lui-même, et il se hâtait [b] lorsqu'il rencontra un paysan [c] dont la voiture était embourbée. [d] Alors saint Dmitri l'aida. [e] La boue était épaisse, la fondrière profonde. [f] Il fallut batailler pendant une heure. [g] Et quand ce fut fini, [h] saint Dmitri courut au rendez-vous. [i] Mais Dieu n'était plus là.

 

Si nous lisons cette partie, nous voyons que nous avons affaire à une succession d’événements – : avoir rendez-vous avec Dieu, se hâter, rencontrer un paysan, la voiture (avoir été) embourbée, aider le paysan, batailler (avec la boue épaisse) et courir au rendez-vous – qui se produisent dans un temps t (« Il avait rendez-vous dans la steppe avec Dieu lui-même ») puis t + n (« Mais Dieu n'était plus là »). Par ailleurs, il n’y a pas une simple succession d’événements comme une juxtaposition des actions dans une recette de cuisine. Si l'on observe attentivement la proposition (a), on se rend compte qu'elle met en place un conflit entre deux épreuves : rencontrer Dieu (a) et/ou aider un paysan (b et c). Le texte tourne entièrement autour de la tension entre ces deux alternatives : élire l'absolu (rencontrer Dieu) ou la conduite d'un Bon Samaritain préconisée par la loi religieuse. (1er critère).

Il y a aussi un acteur-sujet S qu’est saint Dmitri lequel est présent du début jusqu’à la fin de cette partie (2e critère) et qui a « rendez-vous dans la steppe avec Dieu lui-même » dans un temps t mais ne réussit pas à le rencontrer à la fin parce qu’il arrive en retard à son rendez-vous et « Dieu n'était plus là » dans un temps t + n (3e critère).

Nous savons bien que le procès transformationnel comporte trois moments (Adam, 1992 : 49) :

  • Avant le procès
  • Le procès en question
  • Après le procès

 

Il est à rappeler que le procès lui-même peut être décomposé en trois moments (Adam, 1992 : 50) :

  • Début du procès (commencer à, se mettre à).
  • Pendant le procès (continuer à).
  • Fin du procès (finir de).

 

Par conséquent, nous avons ce schéma  (Adam, 1992 : 54) :

 

 

Avant le procès

   

Le procès

 

Après le procès

[m1]

[m2]

[m3]

[m4]

[m5]

           

Schéma n 1 : Les moments de la séquence narrative

 

 

De ce point de vue, « la légende de saint Dmitri » a un début (Le saint Dmitri « avait rendez-vous dans la steppe avec Dieu lui-même » [m1]), un milieu (« la voiture (du paysan) était embourbée » [m2] ; « saint Dmitri l'aida » [m3] ; « ce fut fini (après plus d’une heure) » [m4]) et une fin (« Mais Dieu n'était plus là » [m5]). En d’autres termes, l'examen des prédicats de la situation finale (i) favorise l’identification, à l'envers, des prédicats de la situation initiale : rendez-vous projeté-avant le procès + [noyau narratif ou procès proprement dit] + rendez-vous manqué-après le procès (4e critère). 

Ayant un regard rétrograde sur cette partie, nous pouvons discerner un rapport causal entre les événements successifs :

  • Pourquoi « Dieu n'était plus là » ?
  • Parce que saint Dmitri est arrivé en retard au rendez-vous.
  • Pourquoi saint Dmitri est arrivé en retard au rendez-vous ?
  • Parce qu’il a aidé le paysan.
  • Pourquoi il a aidé le paysan ?
  • Parce que sa « voiture était embourbée » (5e critère).

 

En ce qui concerne le dernier critère, c’est-à-dire une évaluation finale, nous voyons que la dernière phrase en joue le rôle : « Mais Dieu n'était plus là ». Vu que tous les critères proposés par Adam s’adaptent à cette partie, nous avons le droit de l’appeler une séquence. Plus précisément, il s’agit d’une séquence narrative enchâssée dans une séquence dialogale enchâssante. ([séq. dialogale [séq. narrative] séq. dialogale])

Rappelons que la dernière caractérisation de la séquence narrative provient des travaux d'Adam et peut différer d'autres critiques et linguistes, comme A.-J. Greimas, qui avait expliqué dans son fameux schéma narratif, appelé le « modèle actantiel », qu’un un sujet d'état (S) est disjoint (V) d'un objet de valeur (O) et, sous l'action (faire transformateur FT) d'un sujet opérateur (Sop), le sujet d'état (S) est, à la fin du récit, conjoint (Δ) à l'objet qu'il convoitait. Considérons la formule d'un programme narratif conjonctif (pour un programme disjonctif, il est suffisant que l’on inverse les prédicats initial et final en traversant d'une conjonction Δ à une disjonction V)  (Greimas, 1966 : 174-185) :

 

PN = FT (Sop) > > [(S V O) > (S Δ O)]

 

Cette opposition entre contenu inversé (un sujet d'état S est disjoint d'un certain objet de valeur : 0) et contenu posé (le sujet d'état est, à la fin de l'histoire, conjoint à l'objet qu'il convoitait) conduit à la définition suivante : « Le Récit achevé peut se lire comme la transformation d'un état donné en son contraire. La prévisibilité de ce parcours binaire définit la cohérence particulière du récit et marque sa clôture » (Hénault, 1983 : 27).

Alors que pour Adam, on peut tout simplement s’en tenir à l'idée de prédicats d'être, d'avoir ou de faire définissant le sujet d'état S à l'instant t - début de la séquence - puis à l'instant t+ n - fin de la séquence et on n'aura donc pas nécessairement besoin de l’inversement de la situation initiale dans la situation finale (Adam, 1992 : 48).

 

Prototype de la séquence narrative

Comme nous avons vu tout à l’heure, lorsqu’il s’agît d’une séquence narrative, on peut trouver les cinq moments ou macro-propositions dans la séquence – plus de deux : facultatives – qui seront les suivantes et qui sont reconnaissables dans la trame du texte : (Adam, 1992 : 66)

 

 

 

                                                        Séquence narrative

 

 

 

Evaluation finale Chute ou Morale

Situation finale

Résolution Déclencheur 2

(Ré)Actions

Ou

Évaluation

 

Complication

Déclencheur 1

 

Situation initiale (Orientation)

Entrée-préface

Ou Résumé

PnΩ

Pn5

Pn4

Pn3

Pn2

Pn 1

Pn0

 

Schéma n 2 : Les macro-propositions de la séquence narrative

 

 

Evaluation d’une fable de la Fontaine

La séquence que nous avons choisie, c’est la fable « La Laitière et le Pot au lait », la dixième du livre VII du deuxième recueil des Fables (La Fontaine, 1967 : 43).

Maintenant nous allons distinguer les propositions qui se trouvent dans cette fable en les attribuant les lettres entre crochet par ordre alphabétique : comme [a]

 

 

 

Perrette sur sa tête ayant un Pot au lait

 

Bien posé sur un coussinet,

 

Prétendait arriver sans encombre à la ville. [a]

 

Légère et court vêtue elle allait à grands pas ;

5

Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile,

 

Cotillon simple, et souliers plats. [b]

 

Notre laitière ainsi troussée

 

Comptait déjà dans sa pensée

 

Tout le prix de son lait, en employait l'argent,

10

Achetait un cent d'œufs, faisait triple couvée ;

 

La chose allait à bien par son soin diligent. [c]

 

Il m'est, disait-elle, facile,

 

D'élever des poulets autour de ma maison :

 

Le Renard sera bien habile,

15

S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon. [d]

 

Le porc à s'engraisser coûtera peu de son ;

 

Il était quand je l'eus de grosseur raisonnable :

 

J'aurai le revendant de l'argent bel et bon. [e]

 

Et qui m'empêchera de mettre en notre étable,

20

Vu le prix dont il est, une vache et son veau,

 

Que je verrai sauter au milieu du troupeau ? [f]

 

Perrette là-dessus saute aussi, transportée. [g]

 

Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvée ; [h]

 

La dame de ces biens, quittant d'un œil marri

25

Sa fortune ainsi répandue, [i]

 

Va s'excuser à son mari

 

En grand danger d'être battue. [j]

 

Le récit en farce en fut fait ;

 

On l'appela le Pot au lait. [k]

30

Quel esprit ne bat la campagne ? [l]

 

Qui ne fait châteaux en Espagne ? [m]

 

Picrochole, Pyrrhus, la Laitière, enfin tous,

 

Autant les sages que les fous ? [n]

 

Chacun songe en veillant, il n'est rien de plus doux : [o]

35

Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes : [p]

 

Tout le bien du monde est à nous,

 

Tous les honneurs, toutes les femmes. [q]

 

Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi ; [r]

 

Je m'écarte, je vais détrôner le Sophi ; [s]

40

On m'élit roi, mon peuple m'aime ; [t]

 

Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant : [u]

 

Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même ; [v]

 

Je suis gros Jean comme devant. [w]

 

 

Comme nous pouvons le constater, nous avons relevé 23 propositions que contient cette fable lesquelles constituent les composantes les plus petites. L’étape suivante sera la détection des macro-propositions, l’unité constituante de base pour toutes les séquences, a fortiori la séquence narrative. Aussi ces macro-propositions seront ceci dans un ordre narré dans la fable :

  1. Macro-proposition [1] : [a] → [f]
  2. Macro-proposition [2] : [g]
  3. Macro-proposition [3] : [h]
  4. Macro-proposition [4] : [i]
  5. Macro-proposition [5] : [j]
  6. Macro-proposition [6] : [k]
  7. Macro-proposition [7] : [l] → [w]

 

Une fois que nous avons décelé les macro-propositions, nous aurons la possibilité de vérifier si cette séquence est une narration ou non. Comme nous avons vu, le premier critère de la séquence narrative est l’existence d’une succession d’événements. Si nous mélangeons un peu l’ordre des macro-propositions, nous arriverons à cette classification :

  1. Pn0 (Entrée-préface ou résumé) =      [k]
  2. Pn1 (Situation initiale ou Orientation) = [a] → [f] = t
  3. Pn2 (Complication Déclencheur 1) = [g]
  4. Pn3 ((Ré) Actions ou Evaluation) =   [h]
  5. Pn4 (Résolution Déclencheur 2) =     [i]
  6. Pn5 (Situation finale) =                     

[j] = t + n

  1. PnΩ (Morale) =                      [l] → [w]

 

Ce qui démontre qu’il y a bien une « succession d’événements » – le premier critère – lesquels commencent d’abord à un moment t (Pn1) et se terminent au moment t + n (Pn5).

Pour savoir si le deuxième critère, c’est-à-dire l’« unité thématique », se présente, nous révisons le récit et nous discernons qu’il ne s’agit qu’un seul acteur–sujet qui est Perrette ou la Laitière.

Vérifiant le troisième critère que sont les « prédicats transformés », nous constatons qu’au moment t (Pn1) Perrette « allait à grands pas vendre son lait » et finalement au moment t + n (Pn5) « (elle sauta et) son pot au lait tomba par terre » ; entre lesquels il y en a bien d’autres.

En ce qui concerne le quatrième critère, celui de « procès », nous précisons que l’unité de l’action est garantie par le fait que la Laitière voulait aller vendre son lait pour gagner de l’argent et la « Complication Déclencheur 1 », la « (Ré)Action ou Evaluation » et la « Résolution Déclencheur 2 » seront par ordre :

  • Pn2 = [g] = elle saute.
  • Pn3 = [h] = son lait tombe.
  • Pn4 = [i] = sa fortune (son lait) se verse sur le sol.

 

Afin d’examiner le cinquième critère, soit la « causalité narrative d’une mise en intrigue », il est à souligner que nous pouvons résumer que Perrette rêvait de devenir riche et que ce souhait disparaîtrait et qu’elle devrait aller demander de l’excuse à son mari sous risque d’être battue par ce dernier ; (Pourquoi ?)

  • PARCE QUE son lait est répandu par terre ; (Pourquoi ?)
  • PARCE QUE son pot au lait est tombé ; (Pourquoi ?)
  • PARCE QU’elle a sauté ; (Pourquoi ?)
  • PARCE QU’elle s’était noyée dans sa rêverie où elle deviendrait riche ; (Pourquoi ?)
  • PARCE QU’elle allait vendre son lait.

 

Ainsi avons-nous un enchaînement de causes qui relie bien la structure narrative de cette fable.

Et finalement, le dernier critère qui n’est qu’« évaluation finale » se manifeste sous deux aspects :

  • (la morale implicite, versets 1 à 29) Vous ne devez pas prendre vos rêves pour la réalité. [ou] Il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué.
  • (vers 30 à 40) « chacun » (vers 34), « tous » et « toutes » (vers 37), « nos » (vers 35) également les deux questions rhétoriques vers 30 et 31 et avec le vers 33 « Autant les sages que les fous » nous indique que tout le monde est concerné (la morale est universelle). Au-delà du vers 38, Jean de la Fontaine rêve aussi avec les "je" vers 38, 39, 41 et 42, il est comme Perrette.

De cette manière, nous assurons que cette séquence quasi homogène est une séquence narrative selon Adam.

 

Conclusion

Dans cette étude, notre centre d'intérêt s’est situé sur la distinction du texte narratif des autres types existants selon les théories de Jean-Michel Adam. L’avantage avec cette théorie est qu’elle est simple, complète et efficace et qui nous amène facilement à distinguer la narrativité des autres séquences préalablement présentées.

Adam divise et subdivise efficacement le texte en séquence(s), macro-propositions et en proposition(s) ; ce qui facilite la tâche d’appréhension du texte tout en y attribuant une fonction précise, telle que la narration. Le nombre des séquences sont limitées chez Adam et elles ne sont que les séquences narrative, descriptive, argumentative, explicative et dialogale. Toute séquence contient forcément des macro-propositions dont cinq – en plus de deux : facultatives – appartiennent à la séquence narrative. Ces macro-propositions sont :

  • Pn0 : Entrée-préface Ou Résumé (facultatif)
  • Pn 1 : Situation initiale ou Orientation
  • Pn 2 : Complication Déclencheur 1
  • Pn 3 : (Ré) Actions Ou Évaluation
  • Pn 4 : Résolution Déclencheur 2
  • Pn 5 : Situation finale
  • PnΩ : Evaluation finale Chute ou Morale (facultatif)

Il est à souligner que chaque macro-proposition peut contenir une (ou plusieurs) proposition(s), le cas échéant.

Par ailleurs, nous avons constaté que pour qu’un texte soit narratif, il nous faut six critères :

  • Succession d’événements
  • Unité thématique
  • Prédicats transformés
  • Procès
  • Causalité narrative
  • Evaluation finale

 

Il faudrait prendre en compte que la présence de l’ensemble de ces six critères fait un récit narratif et pas seulement la présence d’un (ou plusieurs) critère(s).

Selon l’objectif de notre recherche, nous avons choisi la fameuse fable « La Laitière et le Pot au lait » de la Fontaine afin de démontrer comment nous devons adopter les critères sur un texte, quel qu’il soit, pour savoir s’il s’agit de la narration ou non. Dans l’étude de cette fable, nous avons d’abord détecté les propositions que nous avons intitulées de [a] jusqu’à [w] et nous les avons catégorisées à partir de leurs macro-propositions, comme ci-dessous :

 

  1. Pn0 (Entrée-préface ou résumé) =      [k]
  2. Pn1 (Situation initiale ou Orientation) = [a] → [f] = t
  3. Pn2 (Complication Déclencheur 1) = [g]
  4. Pn3 ((Ré) Actions ou Evaluation) =   [h]
  5. Pn4 (Résolution Déclencheur 2) =     [i]
  6. Pn5 (Situation finale) =          [j] = t + n
  7. PnΩ (Morale) =                      [l] → [w]

 

Comme nous pouvons constater toutes les propositions de cette fable sont dans leur ordre sauf la proposition [k] qui indique la macro-proposition Pn0, c’est-à-dire celle d’Entrée-préface ou de résumé ; là où la Fontaine nous explique, en fin de son récit, la raison de l’appellation de sa fable sous le nom de La Laitière et le Pot au lait en disant « On l'appela le Pot au lait » [k].

Finalement, nous avons aussi examiné, dans cette fable, les six composantes constituant la séquence narrative et une fois présents les six critères, nous nous sommes rendu compte qu’il s’agît bel et bien de la narration. 

Nous pouvons ainsi tirer cette conclusion que la typologie de textes d’Adam, a fortiori ses théories sur le texte narratif, a la capacité de s’appliquer pratiquement et concrètement aux textes – plutôt aux séquences – et qu’elle pourrait aussi nous servir en tant qu’une référence narratologique fiable.

 

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