Lʼétude de l'analyse des souvenirs de l'enfance, l'autobiographie et la narration dans Enfance de Nathalie Sarraute

Type de document : Original Article

Auteurs

1 Doctorante de langue et littérature françaises, Université Azad islamique, Unité des Sciences et des Recherches de Téhéran, Téhéran, Iran

2 Professeur assistant de langue et littérature françaises, Université Azad islamique, Unité des Sciences et des Recherches de Téhéran, Téhéran, Iran

Résumé

Cet article examine l'analyse des souvenirs d'enfance, l'autobiographie et la narration à travers Enfance de l'écrivaine française du XXe siècle, Nathalie Sarraute. Parmi ces écrivains, Nathalie Sarraute peut être mentionnée comme une chercheuse des profondeurs inconnues de l'existence humaine appartenant à ce siècle. Elle a consacré toute sa vie littéraire à découvrir les phénomènes intérieurs et cachés médiateurs entre le subconscient humain et l'esprit conscient, les appelant tropismes. Un auteur qui tente d'analyser l'atmosphère complexe et indicible au-delà de ces intrigues et de certains personnages et actualités contractuelles. Dans cet article, nous examinons comment l'auteur âgé regarde avec méfiance vers le passé en faisant résonner une voix narrative apparentée telle que l'amitié téméraire, et nous étudions également les procédures utilisées dans la préparation de cet ouvrage, avec une lecture psychanalytique et en s'appuyant sur des théories Freud, nous examinerons le travail pour accéder aux couches cachées. En utilisant les théories de Philippe Leujeune et Monique Gosslin pour examiner la structure du texte, nous cherchons à montrer pourquoi une autobiographie, qui devrait être essentiellement à une voix, est à deux voix, la fonction de la seconde voix, le rôle de l'imagination dans le difficile processus de récupération des souvenirs et quel est l'explication de l'écriture ? Dans cette recherche, nous essayons d'aborder le nouveau mode de narration dans Enfance de Sarraute, qui a utilisé le dialogue in-texte entre le narrateur et le personnage pour raconter ses souvenirs d'enfance dont le rôle apparaît clairement. Enfin, nous examinerons les deux voix du récit et de la perspective à partir de la théorie de Gérard Genette..

Mots clés

Sujets principaux


Introduction

De nombreux écrivains français du XXe siècle, comme Nathalie Sarraute, ont ouvert la voie à l'émergence d'un courant littéraire, nouveau roman. Le XX ͤ siècle est distingué par une révolution romanesque de traduire la sensation de malaise marquée par les guerres mondiales. Nathalie Sarraute a contribué à apparaître de cette tendance avec son célèbre roman Tropismes. Son autre roman, Enfance, a également changé dans le processus d'écriture de la nouvelle autobiographie. Sarraute, avec Enfance, elle a créé une histoire influencée par la réalité de sa vie. Ses parents sont séparés. Le père reste à Paris et la mère part pour Moscou. Il doit vivre avec son père et sa belle-mère en France. Sarraute crée une nouvelle structure et un nouveau style dans le nouveau roman en présentant de manière textuelle ses réflexions sur son enfance. Dans cette œuvre, elle crée un chef-d'œuvre en évoquant des souvenirs en brouillant la frontière entre la réalité et la fantaisie pour présenter le monde avec un mélange des deux éléments. Ce qui fait exister ces romans, c'est une rupture avec la tradition de leur vraie nature et de leur forme narrative. Sarraute mentionne Enfance comme une autobiographie. Ce qui est en jeu dans la biographie de Sarraute, c'est une narration discontinue et une analyse critique où la vie réelle et imaginaire s'entremêlent.

Le grand théoricien du nouveau roman, Alain Robbe-Grillet, a écrit : ‹‹ Ce que Sarraute dit dans Enfance, c'est que son autobiographie est à la nouvelle manière ››.  

L'autobiographie présentée dans cet ouvrage est une critique de l'autobiographie classique, et ouvre la voie à l'émergence d'une nouvelle autobiographie. Au XXe siècle, il y a eu un énorme changement dans le domaine de la critique. Les formalistes et les structuralistes ont joué un rôle important dans l'émergence de cette transformation. L'un des sujets qu'ils ont étudiés, était la « narratologie ». Cette nouvelle science aborde aux différentes manières d'écrire et d'analyser la littérature narrative. Expliquer un texte, c'est ce que Gérard Genette appelait le méta-texte. En d'autres termes, c'est le deuxième texte qui décrit le premier texte et dans la plupart des cas, comme il se trouve en dehors du premier texte, il est appelé extra-texte. Ici, il est dans le texte lui-même au lieu d'être à l'extérieur du texte.

Nathalie Sarraute parle et raconte les histoires de sa vie de la réalité et du rêve dans cette œuvre. En lisant ce livre, on observe que le passé ne sépare jamais de nous-mêmes et elle veut apporter le passé jusqu'à présent. Elle évoque ramener au temps présent les souvenirs de son enfance qui étaient cachées dans son inconscience et elle veut se rappeler les souvenirs et les sentiments passées. Le passé n'est pas extérieur à nous-même, aucune distance ne nous sépare de cet espace. Chez Sarraute le passé est cette ‹‹essence intime de nous-même ›› (Prust,1954: 61). Elle est innovatrice puisqu'elle construit ce récit sous la forme d'un dialogue à deux voix, entre le personnage et la narratrice qui favorise les souvenirs.

Nathalie Sarraute parlait bien entendu du roman, mais implicitement l’autobiographie y est également concernée. Réinventer l’autobiographie veut donc dire déplacer les principaux centres d’intérêt formulés par les questions « qui suis-je ? » et « qu’est-ce que je fais là ? » vers les jeux sur les potentialités du moi. Quelle est la position du narratrice dans l'intrigue et pourquoi raconte-t-elle ? L'intrigue et le personnage, vus comme l’origine de toute fiction, se rendent moins vifs. Ses œuvres romanesques sont la mise en pratique de sa réflexion théorique. Le nouveau roman renouvelle le genre romanesque datant de l'Antiquité. Nathalie Sarraute cherche dans ce livre, Enfance, à retrouver ce qui crée la personnalité, se consacrant à reconstituer ses premières rencontres avec les mots, le plaisir de la lecture et l’activité de l’observation d'une conscience individuelle par elle-même dans l’écriture à deux voix qui présente ce texte sous la forme d’un dialogue entre son moi et son surmoi, en obligeant l’entreprise autobiographique à une vérification en même temps conservant et précise. Dans cet article, on a essayé de montrer la façon dont la narratrice évoque son enfance. Il y a plusieurs façons d’écrire une autobiographie et dans cette recherche, on a étudié comment cet auteur s’est racontée d’une manière différente ? Pourquoi Sarraute a-t-il utilisé un dialogue dans le texte entre le narrateur et le personnage pour raconter ses souvenirs d'enfance ?

 

Les souvenirs de l'enfance évoquées dans le récit

La plupart des souvenirs d'enfance de Sarraute proviennent de ses pensées enfantines et de sa vie avec sa belle-mère. Tout au long de l'histoire, l'auteur cherche l'aide de l'élément narratif pour exprimer ses pensées sur ses actions enfantines. Ce qui rend ce roman intéressant, c'est sa sortie du contexte réel de sa vie, qui est intimement lié à l'imagination et à l'état d'esprit de l'auteur. En d'autres termes, Enfance est un mélange de la biographie de Sarraute et de ses rêves. Dans ses histoires, Sarraute cherche toujours à découvrir la réalité psychologique derrière les mots et les événements quotidiens. Dans ses œuvres, il y a une vision poétique humoristique et douloureuse de la vie. Le dialogue dans ses œuvres est plus que le résultat d'une interaction sociale, c'est un résumé du dialogue intérieur et mental des êtres humains que nous essayons de faire découvrir au lecteur.L’un de ses nouveaux moyens d’expression est son emploi de deux voix opposées qui ne cessent de dialoguer dans Enfance ; d’autre part, celle du surmoi critique psychique qui interrompt régulièrement le fil de la narration pour mettre en garde la narratrice contre les schémas préétablis qui constituent un frelatage de l’autobiographie. En lisant l’incipit dʹEnfance, une question frappe l’esprit : il s’agit d’une narration des « souvenirs d’enfance », autrement dit d’une autobiographie et les premières phrases de cet ouvrage montrent l'hésitation de l'auteur à revoir ses mémoires. Le texte commence par un dialogue théâtral dans lequel nous retrouvons le dramaturge. Deux voix dialoguent l’instance narrative écrivant son enfance et l’autre c’est la voix critique : ‹‹- Alors, tu vas vraiment faire ça ? « évoquer tes souvenirs d’enfance » ...Comment ces mots te gênent, tu ne les aimes pas. Mais reconnais que ce sont les seuls mots qui conviennent. Tu veux « évoquer tes souvenirs ... il n’y a à tortiller,c’est bien ça ›› (Sarraute, 1983: 7).Cette voix est une figure du lecteur virtuel, son usage donne du style animé à ce qui risquerait de n’être qu’un récit monotone et permet à Nathalie Sarraute de retrouver ce qui a toujours été son domaine de romancière. C’est cette voie qu’entreprend Sarraute dans Enfance où un autre dialogue fictif entre deux voix explore les profondeurs de son moi. Par le dialogue à deux voix, l’auteur apporte aussi une solution globale au noyau qui se pose à toute autobiographie, nous venons de le voir : « écrire au présent une histoire passée, c’est à dire non pas reproduire des comportements, mais les analyser dans le mouvement de l’écriture, en  chercher la signification et la vérité » (Gosselin, 1996: 237-238).

Le dialogue est le résultat des combats intérieurs. Le point le plus important est de parvenir à saisir une vérité, cette vérité profonde est, par principe, inatteignable, que Nathalie Sarraute cherche dans ce qu’elle appelle les Tropismes comme des mouvements primitifs, ils sont à l’origine de nos gestes, de nos paroles, des sentiments que nous manifestons et nous paraissent encore pour constituer la source cachée de notre existence.

Une éditrice scientifique de l'ouvrage du Dictionnaire de l'autobiographie, François Simonet-Tenant, a repris la pensée de Freud sur la connexion avec la réalité. Écriture de soi en langue française qui paraîtra aux Éditions champion. À un moment où la médiatisation de l'autofiction brouille les frontières entre fiction et non-fiction, il semble important de décrire les spécificités du champ non fictionnel et de se demander si l'écriture autobiographique est un modèle d'écriture identifiable à quelques traits précis ou un registre qui transcende les frontières génériques. Enfin, ce dictionnaire souhaite féconder un nouvel élan théorique. Il dépasse une vulgate promue par l'institution scolaire et universitaire, constituée en canon, ne se limite pas aux seuls corpus consacrés mais s'intéresse également à des auteurs méconnus, voire aux écritures ordinaires. Derrière le succès de l'autobiographie se cache une diversité de pratiques et de genres ayant en commun l'écriture à la première personne, qui connaissent des fortunes variables mais ne cessent de se nourrir réciproquement: Mémoires, souvenirs, témoignages, journaux personnels, correspondances intimes, chroniques… « Il s'agit de désenclaver l'autobiographie en la réinscrivant dans une large continuité historique de la création littéraire » (Simonet-Tenant,2018: 98).       

Le surmoi prend aussi la posture d’un psychothérapeute attentif en usant des mots chers à Nathalie Sarraute en train d’explorer les zones floues du subconscient. Il oblige la narratrice à pénétrer plus avant dans l’analyse de ses réactions envers des autres, pour éluder les risques de suggestion, il fait état d’informations sur le passé impliqué, hésitant alors entre une posture critique et celle d’un acteur présent à l’époque.        Dans une conversation et une lutte avec la narratrice, l'auteur conclut qu'elle raconte ses souvenirs d'enfance, car l'enfance est la seule période de la vie où l'homme ne connaît pas les catégories sociales et matérielles, elle a un lien direct avec le monde qui l'entoure et passe la plupart de ses moments avec sa famille. Dans le type traditionnel, le narrateur mûr s’identifie à l’auteur qui domine et organise le texte. Le récit s’y constitue selon un fil événementiel, repose sur une chronologie extratextuelle et raconte du contenu de mémoire qui se rattachent à des événements vérifiables.

De plus, le travail de souvenir par le complot que l’inconscient vise avec la narratrice scrutatrice à restituer attentivement un vécu lointain, se passera par un patient travail de correction qui garantit plus l’authenticité du récit d’enfance. L'auteur s'efforce de reconstituer son passé, l'itinéraire de sa vie, ses expériences, les influences qu'il a subies et, ce faisant, construit une image de sa personnalité.

Selon Freud, c’est l’univers inconscient où se développent les sous-conversations révélatrices de la vie humaine, c’est une théorie à laquelle recourt Freud afin de signaler les phénomènes de condensation et de déplacement à l’œuvre littéraire. « Le romancier psychologique doit sans doute dans l’ensemble sa particularité à la tendance du créateur littéraire moderne à scinder son moi en moi partiels, par l’effet de l’observation de soi ; …conflictuels de sa vie psychique en plusieurs héros » (Freud, 1985: 43).

La lecture psychanalytique de la littérature équivaut à celle du contenu de l’inconscient, c’est-à-dire le trait d’esprit. Freud dévoile derrière le discours conscient les désirs refoulés dans l’inconscient et nous conseille de ne pas nous fier aux apparences : derrière le manifeste un latent bien plus vrai est prêt à éclater. Le rêve et les jeux des enfants renvoient à un préalable refoulé qui ne peut être dit que sous couvert du déguisement. La théorie de l’inconscient freudienne est comme un levier pour dégager le terrain psychique à travers la notion du retour du refoulé qui ne reste pas enfoui dans les abîmes du psychisme, mais il exerce une pression remarquable pour émerger à la conscience, en s’infiltrant là où il peut révéler avec toutes ses particularités, sous forme de contradictions, d’incohérences, de répétitions, dans la trame même du manifeste, au point d’y apparaître, dans certains cas, presque nu.

Dans certaines parties de la conversation, la narratrice est d'accord avec le personnage et commente ses goûts enfantins, de sorte que le lecteur sente que bien que la narratrice soit vieille et expérimentée, elle vit toujours dans le même monde enfantin. Surtout lorsqu'elle passe en revue ses souvenirs avec sa belle-mère, Véra, la narratrice a le même sentiment que l'enfant. On sait que selon Freud, les souvenirs d'enfance dépeignent les premières années de la vie, non plus exactement, mais à la manière qu'on les évoque dans les années prochaines. ‹‹ Les événements de l'enfance se déroulent au fil des années et avec des révisions répétées dans l'esprit et prennent une forme réelle ›› (Freud, 1967 : 132).Selon Freud, elle les a associés à plusieurs reprises au cours de sa vie. En fait, l'auteur, qui joue également la narratrice, parle de son enfance. Ainsi, l'enfant est le personnage principal de l'histoire. Dans certaines parties de l'œuvre, la narratrice fait preuve d'empathie avec le personnage de l'histoire, comme si, malgré le passage des années, le même sentiment d'enfance existait encore chez l'auteur.Dans de nombreuses parties de cet ouvrage, on constate la présence d'éléments contradictoires et doubles. La dualité dans les actions et les réactions des parents crée un sentiment contradictoire chez l'enfant face à eux. Si nous regardons de près les événements de l'œuvre, nous voyons clairement ces deux biais et contradictions dans la culture, la tradition et la langue russe-française. Cette manifestation d'états mentaux conflictuels crée une sorte de dualité dans l'humeur de l'enfant. Il a pour effet de langue maternelle sur l'esprit, le psychisme et le double langage de l'enfant. Sarraute a utilisé le dialogue du narrateur et le personnage de l'histoire afin d'ajouter à la réalité de ses souvenirs d'enfance. Malgré le style narratif traditionnel dans lequel l'histoire est racontée de manière impartiale, l'enfant narrateur raconte puis critique les événements, et ses traces sont clairement visibles dans le récit. Dans cette œuvre, le narrateur a une forte présence. Narrateur-l'auteur de l'histoire rompt parfois la séquence des événements et analyse les comportements et les actions des personnages du roman. Le narrateur, en tant que conteur qui connaît tous les détails des événements, joue souvent le rôle du narrateur omniscient. Bien que l'utilisation d'une telle méthode ne soit pas très courante dans le nouveau roman, mais dans l'œuvre Enfance, elle est utilisée de manière si artistique qu'elle ajoute à la cohérence de la structure narrative de l'œuvre. Dans Enfance, Sarraute montre deux manières de penser et d'agir humainement face au monde qui l'entoure : Premièrement, les idées spécifiques de l'enfance sont simplement exprimées par le personnage de l'histoire, et c'est peut-être pour cela qu'une sorte d'empathie sincère s'établit entre lui et le lecteur. Les souvenirs d'enfance de Sarraute sont le résultat des pensées d'une écrivaine expérimentée. On va étudier, quel effet l'écriture féminine a-t-elle sur les œuvres autobiographiques ? Dans quelle mesure l'imaginaire et la réalité jouent-ils un rôle dans l'écriture de la biographie de Enfance?

 

La vérité autobiographie comme une construction textuelle

L'autobiographie est un écrit dans lequel l'auteur décrit sa propre vie et que l’auteur décide de confirmer la vérité de ses expériences assez importantes pour transmettre quelque chose aux autres hommes. Son terme est apparu au début du XIX ͤ siècle où les auteurs sont préoccupés avec soin de leur souffrance intérieure et développent un véritable culte du moi. L'autobiographie s'écrit en général à deux « je » coexistant : celui du moment du fait raconté d’hier et celui du moment de l’écriture, d’aujourd’hui. Le récit autobiographique suit souvent l'ordre chronologique, comme les Confessions de Jean-Jacques Rousseau : « Je suis né à Genève en 1712, d'Isaac Rousseau, citoyen, et de Suzanne Bernard, citoyenne ». L’autobiographie traditionnelle est basée souvent sur la croyance d’un moi individuel, dont l’intériorité est antériorité. Au XX ͤ siècle, l’autobiographie est un genre à grand succès qui a cependant évolué grâce à la lecture psychanalytique, on peut citer André Gide, Jean-Paul Sartre et Nathalie Sarraute. Cette lecture nous permet de considérer une autobiographie comme un jeu d’esprit qui concerne la question du problème de la vérité et les falsifications induites par la résistance à savoir les risques de suggestion, de séduction narcissique et d’intoxication.

Philippe Lejeune a tenté d’établir des bases théoriques qui permettent cerner le genre.  Lejeune définit une autobiographie ainsi « récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité » (Lejeune, 1975:13-14).

Nous venons de voir selon Lejeune, l'auteur qui prétend faire le récit de sa vie conclut avec le lecteur un « pacte autobiographique » qui établit que l'auteur, le narrateur et le personnage principal sont une seule et même personne et que cette personne s'engage à raconter la vérité, sans rien déguiser et nous venons d’étudier comment Nathalie Sarraute crée en général son œuvre en tenant compte ces bases théoriques. Nous allons aussi voir comment elle utilise la forme freudienne pour montrer les ondes perpétuelles entre la réalité et le mensonge qui se cachent derrière les tropismes, pour faciliter leur franchissement de limites afin d’atteindre les profondeurs du moi saisissant la vérité marquée par Lejeune.

Les différents critères qu'on a envisagés jusqu'ici pour caractériser le genre autobiographique sont des critères relatifs : une autobiographie peut être en effet plus ou moins narrative ou plus ou moins un analepse et centrée sur l'histoire d'une personnalité. Mais le récit qu'elle propose est invariablement celui qu'une personne réelle fait de sa propre existence : tel est le critère absolu de la définition formulée par Lejeune. Cela revient à dire que le narrateur (l'instance qui dit JE), le personnage (le JE dont il est question) et l'auteur (le producteur du texte) sont rigoureusement identiques. L'identité entre ces trois instances doit être affirmée dans le texte, elle doit être garantie par ce que Lejeune nomme un pacte autobiographique. Ce pacte est une sorte de contrat de lecture qui est souvent explicite : un titre comme les Confessions de Rousseau ou Histoire de mes idées d'Edgar Quinet suffit à le sceller. Mais il est parfois implicite, et c'est le cas lorsque le nom du personnage dans le cours du récit confirmé, coïncide avec celui de l'auteur. On remarquera qu'il n'est pas supposé certifier au lecteur la vérité absolue de ce qui est raconté : il se contente de décliner une identité, au niveau de l'énonciation. Un roman autobiographique peut ressembler en tous points à une autobiographie sur le plan de sa forme (À la recherche du temps perdu, par exemple), tant que cette condition n'est pas remplie, il sera lu comme un roman. Cela nous enseigne qu'un genre littéraire ne se définit pas seulement à partir d'un ensemble de formes, mais aussi à partir de certaines conventions contractuelles reliant l'auteur et le lecteur. Pour finir, il faut noter que le journal intime supposent l'existence de ce pacte, au même titre que l'autobiographie.

Avec Tropismes, il s’agit de décrire des éléments intérieurs et non des actions. « Je ne les aime pas en tant que genre littéraire, déclare-t-elle, car ce qui ressort pour moi, ce n’est pas la vie ou le caractère de l’écrivain, mais ce qu’il veut montrer lui-même ; cela me passionne toujours, ce personnage qu’on projette au-dehors, je crois qu’on ne peut pas parler très sincèrement de soi-même » (Denès, 1999: 13).

Ce que Denès parle de l' autobiographique, donc Enfance est une autobiographie bien que Nathalie Sarraute ne s’appesantisse pas sur ce problème d’identité. Elle ne propose aucun pacte explicite avec son lecteur. Elle s’explique dans un ensemble d’interviews qui ont accompagné la sortie de l’ouvrage. « Quand on veut parler de soi-même, de ses sentiments, de sa vie, … » (Gosselin, 1996: 195).

Ce que François Simonet-Tenant dit sur l'autobiographie dans son Dictionnaire : « Le but d'un dictionnaire c'est de tenter de mettre de l'ordre dans le désordre, en l'occurrence d'essayer d'organiser le paysage des écritures de soi. Chaque article commandé a fait l'objet d'échanges et de débats animés car nous   n'avions pas tous, loin s'en faut, le même point de vue ». (Simonet-Tenant, 1980: 45).

En échange de cet engagement à « se dévoiler », qui est une tâche très difficile, et pour distinguer une autobiographie des biographies mélangée à l'imaginaire, c'est -à- dire l'autofiction, l'auteur attend du lecteur qu'il croie et juge l'œuvre équitablement.Par conséquent, raconter l'apparence des événements et ce qui s'est passé, se souvenir puis écrire les mots échangés entre les personnes, ne peut à lui seul représenter la vérité de l'existence, et il y a toujours quelque chose qui reste caché malgré son importance. Le désir de Sarraute est d'atteindre ces « non-avoués » et « non-dits » qui, à son avis, sont cachés non pas dans les dialogues, mais dans les « sous-conversations ». Donc, Enfance a conformé avec les critères autobiographiques de Philippe Lejeune et a respecté bien les principes d'écriture de ce genre littéraire.

Par le dialogue à deux voix, l’auteur apporte aussi une solution globale au noyau qui se pose à toute autobiographie, nous venons de le voir : « écrire au présent une histoire passée, c’est à dire non pas reproduire des comportements, mais les analyser dans le mouvement de l’écriture, en chercher la signification et la vérité » (Gosselin, 1996 : 237-238).    

Le dictionnaire  qui a été écrit par Simonet-Tenant, est consacré aux écritures de soi de langue française, et il recouvre l’autobiographie, le journal personnel, la correspondance, les mémoires et les témoignages, tous « textes qui ont pour objet une réalité extralinguistique vue à travers le prisme d’une subjectivité » (Simonet-Tenant, 2018 :58). Il ne se limite pas à l’âge d’or – de Rousseau à nos jours – mais étudie le Moyen Âge et la Renaissance, une seule entrée couvrant les « précurseurs de l’Antiquité ». Le parti adopté est de n’inclure que des écritures non-fictionnelles, littéraires ou non, et d’offrir au-delà de l’information, « un outil de réflexion sur les écritures de soi » (Simonet-Tenant, 2015: 48).

Il se tourne ensuite vers ce que l’intime recouvre et vers ses manifestations culturelles, évoquant tour à tour la confidence, le développement de la vie privée, avant d’en venir à l’évolution de ce que l’on nomme aujourd’hui écrits intimes – lettres et journaux – vers un registre intime. L'écriture des femmes, s'appuyant sur les souvenirs passés et les émotions et sentiments vécus sous la forme du genre autobiographique, laisse place à la créativité et à la fusion de l'imaginaire et de la réalité. Le rôle de l'imagination et de la réalité dans l'écriture d'une autobiographie ainsi que le rôle de la mémoire et de l'élément d'oubli sont indéniables. En fait, l'imagination ainsi que les dimensions correspondent à la vie personnelle de l'auteur, ce qui crée finalement l'effet autobiographique.Comment le style narratif du roman Enfance peut-il affecter le développement de l'histoire et le succès de l'auteur ?

 

La narration et deux voix narratives dans le récit dʹEnfance

On observe que Nathalie Sarraute voudrait apporter ce qui était dissimilé à son inconscient et elle nous le fait révéler. Du début de récit, on voit deux « je » qui dialoguent. Selon Benveniste : «Le je qui parle ne peut être identifié que par l’instance de discours qui le contient et par là seulement. Il sera indispensable de fouiller le texte, pour trouver le référent de ce je» (Benveniste, 1966: 252).

Dans cette histoire, la narratrice est consciente d'elle-même qui, tout en racontant l'histoire, parle au lecteur de ses problèmes et expériences personnels, mais joue parfois le rôle d'un narrateur-interprète qui, du point de vue de l'omniscient, elle analyse et évalue librement et sagement les actions enfantines et les gens qui l'entourent. En analysant des interactions dissensuelles, Alain Rabatel infléchit la définition du concept de co-énonciation en lui adjoignant le concept de sur-énonciateur pour caractériser la relation maître/élèves. La question concerne non pas : « qui dit quoi? » mais : « qui assume quoi ? » dans les interactions entre locuteurs. Alain Rabatel précise l'apport du concept de sur-énonciateur. : il permet, par exemple, de caractériser l'émergence d'un point de vue dominant, qui peut ne pas être celui du locuteur dominant. Convoquant Ricoeur et Maingueneau, l'exposé opère une distinction entre sur-énonciateur et archi-énonciateur et inscrit cette distinction au plan didactique à partir de l'observation des interventions d'un maître dans une séquence d'initiation.On peut dire de Alain Rabatel qui revendique ouvertement son droit à faire l’objet d’une critique réelle et argumentée, il fait l’analyse des médias d’information sous le spectre d’une linguistique qui se veut pragma-énonciative et qui voit dans la critique objectivée non une défaillance, mais un enrichissement de l’angle d’approche linguistique. « […] je maintiens qu’il est possible d’être scientifique et critique » (Rabatel, 2017: 11). L’intérêt de l’approche proposée réside certainement dans son caractère, permettant à la fois l’intégration de réflexions inspirées d’autres disciplines (philosophie, sociologie, etc.) et le nuancement des descriptions et analyses proposées, compte tenu de leur caractère partiel et relatif. En d’autres mots, il s’agit moins de présenter un modèle d’analyse linguistique des médias qui s’imposerait comme seule possibilité que de sensibiliser l’analyste à la relativité des points de vue restreints, et ce, dans l’objectif d’aspirer à une vue d’ensemble intégrant les différents points de vue pour en faire rejaillir leur essence commune ou, du moins, permettant l’élaboration d’un point de vue qui reflète réellement l’ensemble des différentes positions. Une telle approche n’est réalisable que si l’on adopte un comportement empathique afin de penser les choses selon différents angles de vue. Cette approche est résumée comme suit: « D’une façon générale, il s’agit de plaider pour une approche rationnelle, critique et citoyenne » (Rabatel, 2017: 451). Cette démarche ne vise donc pas seulement à analyser des textes, mais à rapporter les énoncés à des dispositifs de communication, aux normes d’une activité, aux groupes qui tirent de lui, leur légitimité.
Comme la plupart des analystes du discours francophones, il appuie ses analyses sur les théories de l’énonciation linguistique. On peut rappeler Dominque Maingueneau qui a abordé des  corpus très divers, à l’exclusion des conversations ordinaires : discours religieux, manuels scolaires, littérature, presse écrite, publicité, pornographie, politique, philosophie, Internet… ‹‹Cette diversité de thèmes est justifiée selon lui parce que l’analyse du discours doit appréhender le discours dans toutes ses manifestations au lieu de privilégier, comme c’est le plus  souvent le cas, les conversations››. (Maingueneau, 1986 :23).Cette diversité de thèmes est justifiée selon lui parce que l’analyse du discours doit appréhender le discours dans toutes ses manifestations au lieu de privilégier, comme c’est le plus souvent le cas, les conversations.Comme le sous-titre l'indique, l'ouvrage de Laurence Rosier a pour particularité d'aborder le discours rapporté sous différents angles de vue : l'histoire de la langue, l'histoire des théories linguistiques, et la théorisation linguistique actuelle. Il estime nécessaire l'opération de pensée permettant le passage d’un état à l’autre du langage.Au cours des chapitres d’Enfance, les personnages, les objets, les idées, les valeurs se donnent au regard de l’enfant-héros et à la réminiscence du narrateur adulte. Le jeu de chants et contrechants entre ces deux voix conjuguées – je-héros/ je-narrateur - crée l’ironie organique de l’œuvre, le jugement naïf de l’enfant toujours inoculé du venin de l’adulte dégrisé. Les discours des autres personnages, entremêlés à ceux de leur époque et de leur espace sont réfractés, dialogisés par cette voix à double tranchant où le sentiment d’étrangeté de l’enfant, qui doit pourtant tout accepter, tout subir, tout souffrir, résonne comme une critique acerbe du narrateur adulte qui, depuis ce lieu privilégié d’écrivain établi, se permet le refus des valeurs de son temps. ‹‹ L’élément de l’autobiographie qui nous intéresse le plus est la prise en charge de ce double « je » (enfant/adulte) ›› (Rosier,1992 :67).L’objectif n’était bien évidemment ni de prendre position pour une option théorique ou pour une autre, ni de chercher à concilier, à articuler ces conceptions respectivement linguistique et contextuelle de la polyphonie. Il s’agissait surtout de souligner l’indétermination, l’instabilité d’une notion appliquée à un domaine de faits qui n’est pas homogène, même s’il existe certains liens de parenté entre les différents aspects du langage dont il vient d’être question. Non seulement la notion de polyphonie s’applique à différentes sortes d’hétérogénéité énonciative à l’intérieur du sens, mais elle se trouve être en quelque sorte tiraillée, écartelée même, entre le pôle instructionnel ou linguistique des phénomènes qu’elle prend pour objet d’une part, et leur pôle contextuel ou pragmatique d’autre part. D’un côté, la polyphonie est une propriété générale de la signification des phrases de la langue ; de l’autre, il s’agit d’un effet de sens particulier lié à diverses formes d’échos, d’intégrations mimétique du discours ou du point de vue d’autrui dans un discours de premier niveau. Même limitée aux acceptions découlant des analyses d’Oswald Ducrot, la notion de polyphonie s’expose ainsi à un risque de dilution ou d’éclatement susceptible de l’affaiblir si l’on n’y prend garde. Trop souple et impressionniste sans doute, applicable à un ensemble de faits parfois sans lien apparent ou empiriquement saisissable, elle pourrait finir par perdre de vue son objet qui déjà se dilue entre différentes approches divergentes. « Rien ne semble empêcher la collaboration des différentes approches. On pourrait imaginer un modèle modulaire où l’analyse linguistique fournirait des matériaux à l’analyse du discours qui, à son tour, servirait aux analyses littéraires. Ou bien, en sens inverse, que les analyses littéraires et de discours fourniraient des données au développement de la théorisation linguistique » (Ducrot, 1982: 79).

De 1938 jusqu’à la fin de son enseignement, Guillaume (1950) consacre une part de plus en plus importante de ses recherches à l’édification d’une théorie générale du mot, à laquelle il donne dans les dernières années le nom de théorie des aires glossogéniques du langage. Il s’attache non seulement à décrire la variation dont la structure du mot est l’objet à travers les langues mais surtout à démontrer le lien nécessaire de filiation entre les divers états de mots. Le concept de déflexivité relève de cette idée de formation d'un mot par rapport à un autre.

Aux yeux de Guillaume, les mots construits que l’on peut observer au plan du discours résultent tous de procès de construction effectués par le sujet parlant lors d’un acte de langage sous l’impulsion d’une visée de discours. Et ces procès de construction sont prévus au plan de la langue à travers les divers psychosystèmes qu’elle regroupe, la langue étant elle-même un système de systèmes. Dans le cas des langues indo-européennes, la construction d’un mot s’opère en deux temps. Elle met en cause d’une part la genèse de son signifié de nature lexicale – opération d’idéogénèse – et la genèse de son signifié de nature grammaticale – opération de morphogenèse, chacune de ces opérations requérant pour se matérialiser du temps opératif peut être interceptée en divers moments de son développement. La seconde opération de pensée a pour effet la saisie de la matière lexicale à travers une série de formes contribuant à la définition d’une partie du discours.

Cependant, les conditions opératives présidant à la genèse d’un mot dans une langue indo-européenne ne sont pas, tant s’en faut, universelles et ce sont les conditions de variation de la genèse du mot à travers les diverses typologies linguistiques que vise à expliquer sa théorie des aires glossogéniques du langage. À travers les réflexions qui accompagnent le développement de cette théorie générale du mot, Guillaume met en lumière le rapport étroit qui lie, dans toute langue, le mot (la morphologie) et la phrase (la syntaxe), la forme du mot, dans toute langue, se présentant conditionnante à l’endroit de la phrase. L’importance qu’il a accordée au cours de sa vie de chercheur à l’étude du mot obéit ainsi à un principe méthodologique en vertu duquel une théorie bien faite de la phrase n’a de chance d’être réussie que dans le prolongement d’une théorie bien faite du mot.

Au début des années cinquante, Gustave Guillaume entreprend la rédaction d’un vaste ouvrage qu’il intitulera Psycho-systématique du langage, destiné à devenir la somme de l’enseignement oral qu’il dispense depuis 1938 aux Hautes Études de la Sorbonne. Demeuré en grande partie inachevé, cet ouvrage auquel il consacra les dix dernières années de sa vie ne devait laisser dans l’ombre aucun des problèmes relevant de la partie structurale de la langue. Les Prolégomènes à la linguistique structurale correspondent au premier tome de la Psycho-systématique du langage. Le présent volume reproduit la première partie de ces Prolégomènes, dont le principal objectif était d’exposer à grands traits les assises d’une linguistique qui, bien que structurale par l’objet de ses préoccupations, se démarquait résolument par sa méthode du structuralisme pratiqué jusque-là depuis Saussure (Guillaume, 1950 :195).

Selon la théorie de Gérard Genette, on peut dire que le type de ce roman est similaire au monde narratif, car la narratrice elle-même a vu de près tous ces événements. Par conséquent, la perspective de l'histoire est interne et à la première personne. En inventant un dialogue dans le texte entre la narratrice et le personnage de l'histoire, Sarraute a préparé le terrain pour que le personnage de l'histoire puisse juger les idées de son comportement et ses souvenirs d'enfance. De cette manière, la narration de l'histoire est laissée à un « je », et parce que ce « je » raconte ses événements réels et imaginaires puis les analyse, il peut être considéré comme un «narrateur-héros». Nous entendons deux voix qui racontent les souvenirs ; l’une parle, l’autre questionne, critique et corrige. Les phrases ne présentent qu’une chose : l’omniscience du double. Ce système est l’invention de Sarraute. Dominique Denès l’explique bien :

‹‹Cette omniscience fait qu’il (le double) ne s’en laisse pas conter, ce qui le dote de deux fonctions: guider la remémoration et critiquer la formulation quand elle paraît inadéquate, abusive ou anarchique. Augmentateur du texte et garant de son authenticité, ce double est donc bel et bien l’auteur du texte est conformément à son étymologie ›› (Denès, 1999 :29-30).

 

 

Le travail de remémoration glisse ainsi des faits extérieurs vers les mouvements intérieurs que Nathalie Sarraute exploite dans ses œuvres. En règle générale, les autobiographes sont obligés de raconter chronologiquement les événements de leur vie. Pourtant, Sarraute cherche à montrer leur singularité par le contenu de leur existence ou par leur style, mais pas la structure de leur récit. Dans ses romans, l'auteur a établi sa présence dans le monde de la fiction en créant une sorte de biographie utilisant une technique narrative similaire. En alliant imagination et réalité dans ses romans, il a pu réaliser des œuvres d'art en littérature.

Pour rendre compte de la technique utilisée par le narrateur, Gérard Genette distingue les trois types de focalisation : La focalisation zéro, interne et externe. Premièrement, la focalisation zéro est le récit qui le narrateur en dit plus que n'en sait aucun des personnages. On utilise le terme d'omniscience, puisque le narrateur sait tout de ses personnages et pénètre leurs pensées les plus intimes et leur inconscient. Donc, le narrateur sait plus que le personnage. Deuxièmement, on parle de focalisation interne quand le narrateur ne raconte que ce que sait, voit, ressent un personnage donné qui est la focalisation interne fixe. Quand plusieurs personnages successivement ont apporté, c'est la focalisation interne variable, ou quand il revient sur un même événement selon les points de vue de personnages différents, on peut dire, c'est la focalisation interne multiple et le narrateur sait comme ce que le personnage sait.Troisièmement, Genette appelle focalisation externe un point de vue limité aux perceptions visuelles et auditives d'une sorte de témoin objectif et anonyme dont le rôle se réduirait à constater du dehors ce qui se passe. Le narrateur en dit moins que n'en sait le personnage (Genette, 1972: 208).  On utilise le point de vue interne dans les autobiographies et dans les récits où l'auteur veut favoriser l'identification du lecteur avec le héros de l'histoire. La focalisation interne n'est réalisée que dans le récit en monologue intérieur ; comme dans les romans de Nathalie Sarraute où elle présente cette focalisation. Il peut intervenir pour donner ses sentiments ou juger les personnages par exemple. Il faut insister que le narrateur de type autobiographique qu'il s'agisse d'une autobiographie réelle ou fictive, et plus naturellement autorisé à parler en son nom propre que le narrateur d'un récit à la troisième personne, du fait même de son identité avec le héros.

 

La conclusion

Le roman est organisé en soixante-dix chapitres, sans numérotation ni titre. Sarraute refuse en fait la forme traditionnelle du récit, de multiples techniques sont alors utilisées pour une temporalité linéaire ; la fragmentation du texte vient très courts passages et les moments sont juxtaposés présentés sans liens de causes à effets. On y trouve quand-même la maison natale de manière centrale avec l’évocation des nombreuses figures qui ont accompagné cette enfance comme les jeux, compagnon de jeux, les diverses écoles et même les sentiments religieux. En refaisant ce parcours, on pourra mesurer l’originalité de cette nouvelle autobiographie. La chronologie est celle d’une perception enfantine et n’obéit pas à une logique narrative. Le présent de l’écriture et le passé de l’enfance qui permettent à la narratrice une réapparition de soi par l’humour et la raison et ce double irrespectueux de la narratrice suggère un texte subtil qui est le fait d’un écrivain parvenu au sommet de sa carrière. Sarraute permet de s’appliquer à elle-même les interrogations sur un passé renaissant dans le présent les questions portant jusqu’alors sur des scènes prises sur le vif dans une indécision spatio-temporelle. Cela devient comme un jeu entre l’inconscience sarrautienne et l’autobiographie classique grâce auxquelles elle décrit la souffrance intolérable du manque d’empathie maternelle par des idées obsédant l’enfant. Faisant résonner le surmoi d’une instance narrative qui interprète, notre écrivain revit son enfance afin de la protéger contre l’oubli et lui rend justice d’une certaine manière pour la sauvegarder par une forme d’universalisation. Avec la typographie qui laisse place à de nombreux blancs, l’abondance de points de suspension qui apparentent le texte à un recueil de poème en prose, Nathalie Sarraute a créé un nouveau lecteur libre qui est laissé pour remplir les silences figurés par les discontinues des phrases et une nouvelle autobiographie qui apparaît comme une véritable matrice de l’œuvre entière, ce que révèlent les nombreuses expériences qui refont surface dans les récits et pièces théâtrales. Sarraute est intéressée ainsi par le contenu latent de l’œuvre, par la vérité repoussée au tréfonds de l’inconscient, crainte la puissance de dissimulation offerte par la recherche de perfection et de beauté formelles. Seule compte la vérité de l’inconscient.  Sarraute auteur fait exactement ce que la jeune Natacha évite; elle dépasse les limites, elle vagabonde, elle cherche on ne sait quoi. Or, le rapport aux mots semble reposer sur la même sensibilité, mise en œuvre de deux manières contraires, d’une part chez l’enfant, d’autre part chez l’adulte. Enfance ne montre pas directement comment Sarraute est venue à l’écriture. C’est plutôt une allégorie sur l’éloignement vis-à-vis du roman traditionnel entrepris par les Nouveaux Romanciers et Sarraute, ainsi qu’une réflexion à tout moment recommencée sur la signification et le fonctionnement de l’écriture autobiographique. Enfance soulève un certain nombre de questions concernant l’autobiographie et lance dans un sens un défi à la tradition. Si l’on admet que les différentes mises en scène de l’enfant qui écrit peuvent être lues comme des réflexions sur l’écriture autobiographique, on peut constater qu’une des questions fondamentales posées par Sarraute concerne l’authenticité des souvenirs et l’horizon d’attente des lecteurs d’autobiographies. Au lieu d’affirmer avec fermeté que sa mémoire est infaillible ou qu’elle vise un exposé exhaustif de ses souvenirs d’enfance, Sarraute problématise grâce à ces remarques les exigences traditionnellement posées sur le genre et montre qu’elle n’est pas dupe. Si elle s’engage dans un projet d’écriture autobiographique ce n’est pas pour tomber dans le même piège que l’enfant qu’elle fût. En même temps, elle demande aussi à son lecteur de rester avec elle à l’affût pour ne pas se laisser emporter par le plaisir de la nostalgie de l’enfance heureuse. Sarraute demeure fidèle aux idées du Nouveau Roman, met en avant sa poétique et place son autobiographie sous le signedes tropismes.  

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