Le concept de la mort et du sacrifice dans les récits de guerre Cas d'étude : Les croix de bois de Roland Dorgelès et L’eau ne meurt jamais de Hamid Hesam

Type de document : Original Article

Auteurs

1 Professeur associé de langue et littérature françaises, Département de français, Faculté des langues étrangères, Université d'Isfahan, Isfahan, ‎Iran

2 MA, Département de français, Faculté des langues étrangères, Université d'Isfahan, Isfahan, Iran

Résumé

Les guerres ont exercé une grande influence sur la littérature du monde et de nombreux ouvrages ont été consacrés à ce fléau. Les combattants-écrivains ont réussi de décrire leurs émotions à travers ces récits de guerre pour bien montrer la confrontation avec la mort.  Les croix de bois de Roland Dorgelès retrace le courage et le sacrifice des combattants de la première guerre mondiale qui y ont laissé la vie, la santé ou une partie de leur corps. Idéalisant la guerre au départ, le soldat-narrateur est prêt à faire un grand sacrifice pour son pays, mais au moment où il va rencontrer la mort, le héros va perdre ce sentiment et dénonce cette passion pour le sacrifice. Dans L’eau ne meurt jamais de Hamid Hesam, la mort prend une autre ampleur sous les impulsions chiites et la notion du martyre ranime le combattant qui s’est détaché des intérêts territoriaux pendant la guerre irako-iranienne.
En profitant de quelques éléments de l’approche géocritique dans l'analyse du temps et de l'espace, nous avons étudié la pensée de guerre des héros avant la guerre et la révolution de l’esprit chez eux après avoir participé à la guerre. Ensuite, nous avons analysé le rôle des femmes au foyer en Iran et en France pendant la guerre en étudiant comment les deux héros, l’un français et l’autre iranien évoluent en se confrontant à la mort et dans quelle mesure les valeurs et les croyances de chaque héros vont bouleverser leur première image de la mort, emplie de peur et d’angoisse en rapport avec l'espace.
 

Mots clés

Sujets principaux


Introduction

La mort a été considérée par les écrivains comme un élément clé pour faire réagir les combattants dans la guerre face à une situation de crise. La confrontation avec ce moment bien difficile abrite la manifestation de vrais sentiments du combattant et sa prise en considération de la notion du sacrifice.

Pour bien analyser les regards variables des combattants de guerre vers le sacrifice, on présente respectivement les deux héros, Gilbert Demachy et Mirza Mohammad Solgui, dans Les croix de bois de Roland Dorgelès et L’eau ne meurt jamais de Hamid Hesam à travers les différents éléments tels que l’espace, la confrontation avec de nouveaux espaces et le rôle de la religion. C’est une rencontre face à la mort chez ces deux héros de nationalités et de cultures différentes ainsi que l'existence de différentes croyances et visions du monde qui distinguent les deux textes étudiés.

De nombreux ouvrages ont été rédigés à propos de guerre. Parmi eux, celui de Hamid Hesam nous a tellement intéressés puisque c’est un manifeste vécu par le narrateur. Ce roman est venu sous la plume de Zahra Gharib Hosseini écrivant un article à ce propos. Dans L’analyse des fonctions de la description du caractère dans L’eau ne meurt jamais, elle applique une approche analytique-descriptive dans l’analyse de personnages ainsi que leurs sentiments positifs et négatifs. Également, Les croix de bois de Roland Dorgelès est venu sous l’analyse de Thabette Ouali dans sa thèse de doctorat, Humanisme et engagement, la première guerre mondiale dans Les croix de bois de Roland Dorgelès analysant ce roman de différents aspects surtout les dimensions spatio-temporelles. Une approche diachronique de cette œuvre hybride est nécessaire pour cerner l'engagement dorgelèsien. Son éthique littéraire a été appliqué dans Roland Dorgelès et la première guerre mondiale par Juliette Sauvage. De là, nous trouvons cette idée intéressante de juxtaposer ces deux ouvrage suivant les même sujets pour en faire étude analytique. Dans cette étude basée sur l’approche géocritique, nous tentons d’étudier comment les deux héros, l’un français et l’autre iranien, se révoltent en se confrontant avec la mort et dans quelle mesure les valeurs et les croyances de chaque héros vont bouleverser l’espace de leur pensée remplie de la peur et de l’angoisse pour en donner une nouvelle attitude du sacrifice. Nous analyserons le rôle des femmes dans la guerre pour voir quelle démarche prennent-elles dans le fait de diriger leur foyer en absence de leurs maris, ce qui va bien influencer le comportement des soldats dans la guerre.

 

L'espace face au regard du soldat

Le lieu où se passent les évènements, joue un rôle important dans la création d’une œuvre. L’espace référé pourrait être un lieu que l’auteur a imaginé ou bien un endroit où il aurait vécu. De toute manière, c’est son art de faire une invention si délicate qui emmène les lecteurs au fond d’un récit sans qu’ils s’en aperçoivent.

N’ayant jamais vécu le champ de bataille, les deux soldats, français et iranien, rêvaient de participer à la guerre. Etant, tous les deux, enthousiastes pour réaliser ce rêve, entrent dans la guerre ; le soldat français devient déprimé car il se trouve face aux conditions inattendues, la mort et la nihilité. Par contre, le soldat iranien se sent chez lui ; il s’attache si profondément aux champs de bataille qu’il ne veut pour rien abandonner.

Dans ces deux ouvrages, les auteurs donnent caractère à l’espace. Comme s’ils voudraient monter la confrontation des deux soldats avec leur rêve qui est évidemment leur présence dans la guerre.

Dans ce contexte de raconter les expériences de la présence dans une scène de bataille, l’espace n’est pas perçu d’un point de vue géographique ; il faut savoir que les points de vue sont multiples du regard posé sur un espace qui varie selon celui qui le regarde ; Mirza Mohammad et Gilbert, les deux soldats de deux coins du monde, de différentes fois et mœurs ayant plus ou moins les mêmes pensées au départ, changent du regard dès qu’ils se confrontent à ce qu’ils avaient imaginé. 

Gaston Bachelard nous fait penser non seulement à l’espace vécu, mais aussi à l’espace non-vécu réellement dans La Poétique de l’espace puisque selon lui « dans une recherche sur l’imagination nous devons dépasser les faits » (Bachelard, 1957 : 55).

On voit un labyrinthe spatial dans la pensée bachelardienne. Il croit que l’homme se transforme par rapport à un nouvel endroit ; Chez Bertrand Westphal, l’espace prend une autre dimension quand il lance un débat notamment sur la multifocalisation d’un lieu, le rôle des sens humains. Ainsi, l’espace n’est plus considéré que comme un plan géographique, topographique ou cartographique. Dans cette conception, l’espace prend un rôle dans l’univers d’un récit ; il est comme un être vivant qui influence tout et qui est même influencé par les événements. Il nous parle et nous accompagne dans tout le récit.

Dans la description faite au sujet de l’espace dans ces deux récits de guerre, on constate que le champ fictionnel joue un rôle bien important. Cette description peut donner libre cours à une récréation esthétique du monde.  Ces deux récits de guerre vont élaborer une vision sur la confrontation avec cette obligation de « savoir créer de la vie à partir de la mort » (Ferraris, 1986 : 20). Ici, la fiction offre au soldat l’occasion de décrire l’espace d’une manière bien différente de l’écriture documentaire, et ensuite créer une forme littéraire procurant une dimension de connaissance différente chez chaque soldat- écrivain. Une visée subjective qui change le regard vers l’espace réel.

 

Deux récits, deux visions

Les croix de Bois et L’eau ne meurt jamais font enter les lecteurs dans les champs de guerre. Ces deux récits de guerre commencent par l’évocation des pensées des deux soldats.

Les Croix de Bois, rapporte la France dans la première guerre mondiale, dite la Grande Guerre. Dans ce livre, l’histoire est narrée en 1919 par un soldat français, qui raconte le quotidien des soldats de l'armée française. Dans ce livre, le soldat-narrateur du récit, Gilbert, est un étudiant de Droit, âgé de 25 ans, issu d’une famille aisée ayant le désir de s’engager dans la guerre pour se battre contre l’armée ennemie. Dès qu’il entre dans la guerre volontairement, ce soldat idéaliste se trouve face à une angoisse permanente et la peur épouvantable de la mort, et de laisser la vie pour rien.  Tout au long du livre, on est témoin d’une atmosphère gelée ; de la peur des soldats bouleversés et angoissés pendent la guerre. De plus, on voit des foyers brisés ; les femmes qui quittaient leurs maris pendant leur absence, qui en rajoutaient plus encore à l’inquiétude des hommes en guerre. 

« Le narrateur est une figure ambiguë puisqu'il est dans le même mouvement un personnage du récit, quoiqu'effacé, et un narrateur omniscient qui peut vivre, par exemple, en première personne, l'agonie solitaire de Gilbert. Il a un nom, Jacques Larcher. En se présentant à Gilbert Demachy, il précise "J'écris", sans dire exactement quoi. Le dernier chapitre fait de lui un écrivain, auteur du récit que le lecteur vient d'achever » (Dorgelès, 1919 : 1-2).[1]

L’Eau ne meurt jamais, rédigé par Hamid Hesam retrace aussi les souvenirs d’un commandant de bataillon iranien, tué en martyr, appelé Mirza Mohammad Solgui. Cette œuvre a remporté le prix Jalal Al-Ahmad en 2015. Mirza Mohammad Solgui nous raconte depuis son enfance sa vie dans une famille musulmane chiite fidèle. Ainsi, on apprend des aventures de son adolescence, sa vie conjugale, sa participation volontaire à la guerre d’Iran-Irak, et alors son désir pour le martyre. Il nous permet d’en savoir plus sur sa pensée, sa vie privée et il nous conduit à l’époque de la guerre. En tant que musulman pratiquant, il nous transmet la notion de la foi, de la fidélité et du sacrifice chez l’Imam Hussein et sa famille. L’auteur nous décrit le concept de la mort chez les jeunes Iraniens, ceux qui auraient dû avoir ce désir pour la vie terrestre. On constate que les croyances islamiques sont enracinées profondément dans tous les aspects de leur vie car ils voudraient suivre la manière de vivre de leur Imam, sacrifiant tout pour Dieu.

 

La réalisation d’un rêve, le sacrifice ou la mort

Dans le voyage de la vie, il arrive beaucoup des moments où l’homme fait des rêveries d’un lieu où il veut aller, un lieu délicat ou dégoutant dans son imaginaire. La géocritique n’ayant pour objectif de montrer seulement le rapport entre l’homme et l’espace, nous parle d’une décentralisation de l’espace ; ce qui revient à dire que l’espace ne s’analyse pas comme un point de vue purement géographique, mais également de ceux qui le regardent (Westphal, 2007, 1-2). Ici le rôle de l'homme est axial en se confrontant avec l'espace.

De là, en se référant au point westphalien, à ce qu’il appelle la poétique de l’archipel, l’un des îlots qui rend l’espace mobile est l’homme et son comportement face à un espace ; le champ de bataille n’est qu’un sol. Cependant, dès que l’homme y laisse une trace, cette terre se révèle. D’ici, il devient un caractère. (Société française de littérature générale et comparée, pour une approche géocritique des textes, 2000).

Le rapport de l’homme avec l’espace entre dans une autre phase, loin des critères géographiques. L’imagination prend une ampleur pour colorer l’espace de l’esprit. Dans la pensée bachelardienne, cette imagination de l’homme est une rêverie : « […] la vie est rêverie - la rêverie elle-même est une mélodie spirituelle, aux incidents paradoxalement libres et fondus » (Bachelard, 1950 : 112-113).

Chaque homme en imaginant un espace va avoir un sentiment respectant les idées auxquelles il croit ou ce qu’il en pense. Cet espace imaginaire, vécu ou non-vécu reflète un lieu lié à un référentiel. Les deux narrateurs de ces romans de guerre ont le désir de faire partie de la guerre.

La notion du sacrifice va avoir différents visages. Elle est pour Henri Hubert et Marcel Mauss comme" un acte religieux qui, par la consécration d'une victime, modifie l'état de la personne morale qui l'accomplit ou de certains objets auxquels elle s'intéresse" (Hubert et Mauss, 1899). Ainsi peut-on dire que c'est une relation entre la spiritualité et l'homme, une relation entre le profane et le sacré (Durkheim, 1896-1897).

Les croix de bois, il évoque la vie des soldats français ; une lassitude permanente qui les dominent. Au cours de ce roman, les lecteurs comprennent la situation insupportable de la guerre. Gilbert, fortuné, qui n’a jamais expérimenté une telle violence fait la connaissance de deux autres soldats de classe inférieure de la société. Ils sont face aux gens qui meurent devant leurs yeux. Ce sont les mots « mort » et « mourir », venant à chaque fois sous la plume du narrateur, qui rendent tout nul et le résultat est l’idée de se battre contre rien et de mourir pour rien.

De l’autre côté, Mirza Mohammad Solgui, né dans une famille ouvrière pratiquante, le héros-narrateur de L’eau ne meurt jamais, avait été élevé dans une atmosphère religieuse. Il s’était inscrit à l’armée dans les années de la Révolution en Iran et dès le déclenchement de la guerre, il s’en est allé ayant un enthousiasme énorme à la défense de ses valeurs : « Mon père était contre mon départ. Tout le monde dans la famille était inquiet et bouleversé : je me suis présenté à l'armée. […] Petit à petit, un sentiment d'enthousiasme à l'idée de rejoindre les soldats de l’armée a bouillonné en moi » (Hesam, 2015 : 44-46).[2]

La volonté de se sacrifier, venue de différents regards, va changer les réactions face à l’angoisse causée par la mort ; Lucien Scubla écrit dans son article ; Le sacrifice a-t-il une fonction sociale ? :

« Décrire le sacrifice comme un don aux dieux, ou un acte de communion avec eux, est une chose, construire une théorie du sacrifice, une tout autre chose. Car une bonne théorie ne doit pas expliquer les pratiques des hommes par les croyances qui les accompagnent, mais remonter aux causes communes des unes et des autres. C’est un point de méthode sur lequel des auteurs aussi divers que Marx, Freud et Pareto, s’accordent, et que l’on peut tenir pour acquis, même si l’on rejette par ailleurs toutes leurs thèses sur la nature de la vie sociale ou de la vie psychique » (Scubla, 2005 : 11).

 

Le regard des Français sur la notion de sacrifice, dans Les croix de bois, a été analysé par Ouali :

« On t’dira ça, continua le premier, pour te payer en gloire, et pour se payer aussi de c’qu’on n’a pas fait. Mais la gloire militaire, ce n’est même pas vrai pour nous autres, simples soldats. Elle est pour quelques-uns, mais en dehors de ces élus, la gloire du soldat est un mensonge comme tout ce qui a l’air d’être beau dans la guerre. En réalité, le sacrifice des soldats est une suppression obscure. Ceux dont la multitude forme les vagues d’assaut n’ont pas de récompenses. Ils courent se jeter dans un effroyable néant de gloire. On ne pourra jamais accumuler même leurs noms, leurs pauvres petits noms de rien » (Ouali, 2011 : 168).

 

Mais pour le côté iranien, qui croit en Dieu, à la divinité et à la vie après la mort n'est que le sacrifice pur pour ses valeurs supérieures : « Dans les doctrines, la signification du martyre de Ḥussayn est multiple. […] c’est aussi le paradigme du sacrifice de soi, de la lutte entre le bien et le mal, le combat contre l’oppression et l’injustice » (Mervin, 2006 : 4).

Comme le dit Hesam, les soldats iraniens étaient si enthousiastes pour se sacrifier qu’ils prenaient même un bain de martyre ; ils se préparaient pour être tués pour défendre leur pays, leurs valeurs et tout pour Dieu. « La mère d'Amir disait : « Amir est un enfant, il ne peut rien faire sur le front » mais Amir, âgé de seize ans, a fait des choses masculines (grandes) pour se montrer un homme (grand): dans la mesure où les tâches masculines sont devenus son véritable caractère. […]. La mère d'Amir a déclaré : « Quand Amir lui a demandé sa permission au téléphone, j'ai cru qu'il ne reviendrait pas » » (Hesam, 2021 : 243-248).[3]

 

De l'autre côté, malgré quelques soldats iraniens qui ont de la peur pour aller à la guerre, ce sentiment de combattre pour le pays chez certains d'autres prend un autre visage révélant l'autre aspect du sacrifice. Tandis que dans l’armée de la France, les soldats, plus ou moins de même âge, avaient peur : « Dans l’ombre qui s’alourdit, le petit bleu râle toujours. C’est effrayant, ce gamin qui ne veut pas mourir » (Dorgelès, 2014 : 223).

Le monde imaginé de Gilbert et Mirza Mohammad, est tout d’abord désiré ; ils sont tous les deux passionnés pour aller en guerre. Pourtant, ce désir devient tout à fait différent chez les deux héros dès qu’ils se confrontent avec la réalité.

L'espace va exercer son influence sur cette rêverie de guerre ; il va au-delà de sa définition littérale. Comme si tout ce qui se cachait derrière la guerre, c’est immédiatement divulgué.

Selon Westphal, l’espace est un archipel dont la totalité dépend du glissement de ses îlots dont le dynamisme, les mouvements et les comportements rendent cet archipel perpétuel (Westphal, 2000).

Dès que les deux héros mettent le pied dans le champ de bataille, leurs horizons différents ; le soldat français perd son enthousiasme, se trouve entouré de l’obscurité de la mort et perd son espoir. Au contraire, le soldat iranien semble trouver le coin où il est à l’aise ; il ne craint pas d’être tué car c’est son rêve de se sacrifier pour Dieu.

 Heidegger voit dans la notion de la mort un horizon ultime, un point à l’horizon à partir duquel il n’y a point d’horizon qui donne tout son sens à l’existence (Heidegger, 1953 : 26).

Ici lorsque l’homme se détache de sa demeure ; de son horizon de confort, il ne sera pas à l’aise sauf s’il se trouve là où il vivait dans son imaginaire. Cela, c’est l’espace de rêve ; le labyrinthe spatial qui ignore la signification superficielle de l’espace.

Le désir de participer à la guerre diffère chez l’un et chez l’autre. Le soldat iranien n’est qu’un homme qui a soif, soif d’être à la guerre ; plus il regarde, plus il a soif ; la guerre a réalisé son rêve. Au contraire, le soldat français n’est qu’un rêveur dont le rêve n’est pas accompli car il se confronte avec la peur de la mort.

Dans le livre L’eau ne meurt jamais, le rôle de la religion est indéniable. Ces héros musulmans, envisagent dans la mort le sentiment du confort, de la satisfaction et de l'enthousiasme. Alors que chez les autres la mort est si effrayante qu’elle ne laisse pas les gens se détacher de ce monde et le roman en tant que reflet du monde réel représente ces éléments influents.

Du regard westphalien, il arrive quelquefois à tout homme un moment où son regard d’un lieu lui fait souvenir de ce qu’il a vécu ou ce qu’elle a imaginé. De plus, les autres sensations humaines telles que l’ouïe, l’odorat, le toucher, et le goût comme la vue nous rappelons plus ou moins d’une chose, d’un lieu ou d’un événement. Cette multiplicité de sens, appelée la Polysensorialité chez Westphal est un autre élément important dans l’analyse d’un espace dans la géocritique. (Westphal, Société Française de Littérature Générale et comparée, Pour une approche géocritique des textes, 2000).

Dès que le soldat iranien entre dans le champ de bataille, il le trouve familier. On dit qu’il l’avait vécu auparavant. Il ferme les yeux et s’imagine dans la troupe de son Imam, Imam Hussein. Il se souvient de la terre de Karbala :

« Je me souviens comment Haj Abolghasem Vahid, l'adjoint d'une des troupes, a été martyrisé de soif le matin avant le début de la première patrouille. J'ai dit à l'infirmière : « le bataillon de Hazrat-e- Abolfazl signifie le bataillon de la soif, le bataillon de la soif et le bataillon de Saqa comme le cheikh qui avait soif du martyre. » Et je me suis encore évanoui » (Hesam, 2021 : 112).[4]

 

Le champ de bataille en France est toute autre chose. Les soldats n’ont jamais eu une telle expérience épouvantable ; chaque scène rappelle à Gilbert, ou même aux autres guerriers la scène précédente. Ce qui va donner une vision répétitive de l'espace.

La peur de la mort dominait ces guerriers. Le narrateur nous parle d’une angoisse permanente autour des Français : « Il y a un instant, le pauvre gars courait avec nous, les yeux rivés, fixes d’angoisse, […] » (Dorgelès, 2014 : 214).

Pour les Français, il n’y a pas le bonheur perpétuel que les Iraniens croient acquérir après la mort, ainsi il n'y a pas de joie dans l'acte de nouer un lien étroit avec Dieu : ils crient mais non pas par la peur de mourir, mais bien pour que Dieu les accepte. Ce qui en résulte, c’est un sourire, un confort unique le lendemain (Hesam, 2021 : 52).

Ainsi, les soldats iraniens faisaient la prière et lisait le Coran pour se calmer. C’était la seule chose qu’ils faisaient pour ne pas avoir peur de tout ce qui les provoque dans la guerre :

« Le nom de code de l'opération était « Ya Zahra ». Dans un discours au bataillon, j'avais dit que si les forces chiites étaient abattues ou laissées pour compte, ils comprendraient un peu la douleur du côté de Hazrat-e-Zahra. Je prononçais Ya Zahra. Avec toute la douleur que j'avais, je répétais Zikr de Ya Zahra et ça me calmait » (Hesam, 2021 : 106).[5]

Le rapport entre l'espace et la représentation des croyances va bien signaler que les frontières physiques ne peuvent pas être un critère suffisant pour analyser cette scène. Donc la transgressivité présente les éléments qui vont au-delà des frontières.

Dans une partie, on constate Mirza Mohammad Solgui blessé gravement dans la guerre, ayant perdu les deux jambes, est envoyé en Allemagne pour des traitements supérieurs. Etant un Musulman pratiquant, il n’a pas oublié ses valeurs. Il nous raconte que pendant son séjour en Allemagne, il souffrait beaucoup car rien n'avait la couleur et l'odeur de la religion là-bas :

« […] des hommes et des femmes à moitié nus venaient devant mes yeux et je pleurais. Un homme allemand pensait que je pleurais à cause de la douleur. Bien sûr, c'était une douleur : mais pas la douleur à laquelle il pensait. […] Les premiers jours, on m'a donné des sédatifs et des somnifères. J'avais peur que cette somnolence rende la prière inutile. […]. J'avais entendu un hadith de l'Imam Sajjad que si quelqu’un va partout en tant qu’étranger, il n'est plus un étranger ayant le Coran et les prières avec lui. Lire le Coran et regarder les prières m'ont calmé et m'ont emmené au front à des milliers de kilomètres au-delà, à la guerre » (Hesam, 2021 : 317-318).[6]

 

Guerre et le sacrifice féminin

Malgré le regard inférieur porté sur le sexe féminin dans l’histoire, on constate qu’elles ont surmonté leur infériorité :

« On ne peut pas considérer les femmes globalement comme une minorité politiquement homogène puisque, malgré les interdits qui les frappent, elles sont présentes dans tous les camps, de la contre-révolution à la radicalité révolutionnaire. Malgré tout, elles y sont toujours quantitativement minoritaires » (Lapied, Presse universitaire de France : 7). Il est nécessaire de faire appel au rôle féminin pendant la guerre ; les Iraniennes et les Françaises en absence de leurs maris.

Ici, la notion du sacrifice prend une autre dimension. C’est en protégeant la famille et en s’occupant du foyer qu’elles se sacrifiaient pour toute l’humanité. Vu leur présence derrière la frontière, personne ne peut ignorer l’importance de ce qu’elles faisaient.

« Les femmes doivent perturber les multiples domaines du langage masculin afin d'exprimer de nouvelles significations de la féminité et des récits féminins. Les femmes sont ainsi capables de casser la norme en contournant les discours patriarcaux imposés et en exploitant les espaces vides laissés par les représentations masculines en raison de leur unilatéralité. » (Shahriari et Torkame, L’espace et la dialectique, 2020 :  9).

 

Dans le roman iranien, les écrits des épouses des soldats iraniens face à ce sentiment du sacrifice attire l'attention de l'auteur. Elles, par leur fidélité et leurs croyances en Dieu, se sacrifiaient au foyer rassurant leurs maris, comme le dit Hesam :

Mirza Mohammad Solgui nous raconte que sa femme s’était plainte, mais pas de l’absence de son mari ou du foyer, mais de la récompense que les soldats musulmans reçoivent de Dieu et elle croyait que les femmes iraniennes s’occupant du foyer n’auraient rien chez Dieu (Hesam, 2021 : 143).

Dès le début de Les Croix de bois, ce qui est évident, c’est l’attente des soldats français d’une lettre de leur famille, des nouvelles rassurantes pour eux. Il y a toujours une inquiétude constante chez les Français dans la guerre. Ils se font du souci à propos de leurs familles, leurs enfants et bien sûr de leur foyer brisé ; un homme dont la femme l’a trahi, dont l’avenir de son enfant le préoccupe n’hésite pas à tout dévoiler :

« […] tu verras ma femme… Tu lui diras que ce n’est pas bien, ce qu’elle a fait. Que j’ai eu trop de peine. Je ne peux pas tout te dire, mais avec une aide qu’elle a prise, elle a fait des bêtises. […]. Et tu lui diras que c’est à cause d’elle que je suis crevé… Il faut que tu lui dises… Et tu le diras à tout le monde, que c’est une salope, […] Non… Pour la petite fille… vaut mieux ne pas lui dire tout ça… Tu lui diras qu’il faut être sérieuse hein, pour la petite… qu’il faut lui donner du bonheur, et pas le mauvais exemple. Tu lui diras qu’il faut se sacrifier à la gosse. Tu lui diras que je le lui ai demandé avant de mourir, et que c’est dur de mourir comme ça… » (Dorgelès, 2014 : 246-247).

 

Les Iraniennes, par leur fidélité résultant de leur éducation, se sacrifiaient au foyer rassurant leurs maris, comme le dit Hesam.

On est témoin des familles brisées en France durant la guerre. Ici, la guerre en tant que porteur de l’odeur de la mort, devient un obstacle qui détruit les familles. Ce qu’éprouve les soldats français en guerre est une angoisse forte ; une inquiétude d’être trahi, de l’avenir des enfants et de leur foyer : Bréval était l’un des soldats qui attendait impatiemment une lettre de sa femme et ne recevait rien d’elle, même un petit mot l’aurait rendu heureux (Dorgelès, 2014 : 26).

Envisagée comme une source d'affection, la femme pourrait être pour l'homme un leitmotiv bien influent pour faire de grandes actions. Le soldat français craint que sa femme puisse le trahir. Un peu plus tard, il met le concept de la famille française en cause ; des familles négligées, déchirées qui n’ont aucun sens du sacrifice pour soutenir la famille en absence des maris. (Ouali, 2011 : 46-49).

Pourtant, dans L’eau ne meurt jamais, le rôle des femmes rassurant les hommes dans la guerre est indispensable. Le narrateur n’hésite pas à remercier sa femme, celle qui s’occupe de toute la famille pendant l’absence de son mari : « Désireux de voir ma famille, j'ai oublié la douleur à la jambe. Je ne pouvais même rendre visite à ma femme (par la honte) : […]. Elle s’occupait de quatre petits enfants de telle manière que je n'aurais pas à me soucier de les élever » (Hesam, 2021 : 143).[7]

On constate ici une transgressivé du temps et de l'espace qui dépasse les frontières physiques, le choix de l'exemple de Fatima Zahra la fille du prophète de l'Islam, qui a subi tant de peines pour protéger son mari montre bien le désir de l'épouse iranienne d'empêcher l'effondrement de la famille dans tous les domaines.

« En particulier, lors de la guerre, ceux qui vivent vraiment en ville ne sont pas des hommes, mais des femmes et des enfants. Ce sont les femmes et les enfants qui vivent littéralement dans l'atmosphère déchirée par la guerre de la ville. C'est la priorité de la vie sur tout le reste. Une question qui se situe à un autre niveau lié à la question fondamentale du droit et qui devrait être abordée dans d'autres recherches (Shahriari et Torkame, 2020 : 10).

 

Deux regards divers

Les deux soldats, Mirza Mohammad et Gilbert, s’idéalisaient la guerre avant y entrer, pourtant dès qu’ils s’étaient mis à l’expérimenter, comme deux voyageurs en train, tout changeait. Enfin, ayant descendu du train de cette aventure, les deux narrateurs, l’un déçu, l’autre satisfait, prennent la plume pour raconter ce qu’ils ont vécu réellement.

Ici, le regardant décrit le regardé ayant vécu le monde dont il avait rêvé. La littérature relie l’espace au texte et une référentialité se présente dans la démarche géocritique. Le rapport entre le regardant et le changement de son regard au regardé est bien évident. Le regardant ayant une rêverie préalable vers le regardé, le vit, l’expérimente et enfin change de point de vue. Soit son rêve se réalisera et il sera renforcé autant que possible, soit tous ses rêves seront perturbés de façon rétrograde. 

Le retour des guerriers français en France est accompagné d’une souffrance énorme de leurs foyers. Sulphart est l’un des guerriers qui trouve sa maison vide dès qu’il met le pied chez lui. Sa femme l’a quitté étant parti pour un autre.  « Sulphart, vexé, remontait alors dans son logement, où sa femme n’avait laissé qu’un lit-cage, une chaise cannée et un beau calendrier qu’on leur avait offert pour leur mariage. […]. Il ne parlait que de sa femme, même à ceux qui ne l’avaient pas connue. Foutre le camp avec les bois, la garce ! … Et pas une lettre, rien… » (Dorgelès, 2014 : 325).

Jetant un coup d’œil dans la famille de Mirza Mohammad, il était satisfait de pouvoir participer à la guerre, de défendre ses valeurs en obéissant à son Imam, mais déçu de ne pas être martyrisé en guerre.

Dans les dernières phrases de L’eau ne meurt jamais, Mirza Mohammad dit qu’il avait eu les yeux larmoyants, qu’il était trop triste de ne pas avoir pu être parmi les martyres qui avaient certainement rejoint Imam Hussein et Abolfazl. Il nous raconte qu’après la guerre, les commandants et quelques guerriers lui rendaient visite plus souvent. Ils s’appuyaient sur les épaules de l’autre et pleuraient en se souvenant des martyres (Hesam, 2021 : 375-376).

Après la lecture de ces deux livres il est nécessaire de regarder attentivement les titres qui, étant thématisés, révèlent bien les idées cachées derrière. Ils sont bien choisis. Cela est évident que les deux narrateurs ont vécu leurs rêveries : « Sur une base multi-canonique, la géocritique organise une sorte d'harmonie entre différents angles de vue, laissant ainsi émerger différentes perspectives - tout en permettant d'entendre différents sons, d'inhaler différents arômes, de pouvoir goûter différentes choses et peut-être le plus important, différents corps peuvent se toucher » (Shahriari et Torkame, 2020).

A ce propos, les croix que le soldat guerrier a vues sur les tombes pendant la guerre, lui rappellent les morts en guerre.

« Pour ce qui est du titre, il s’impose à son esprit lors d’une vision de tombes provisoires de soldats, avec leur croix de bois précaires, « toute pareille : une bouteille au pied, pour retrouver le nom. Et une cocarde au cœur ainsi que les conscrits… » Cette image le pousse à s’identifier à tous ces jeunes hommes réunis sous le même sujet symbolique : « J’ai brusquement compris que, morts ou vivants, nous ne formions qu’une immense armée, sous un unique emblème : des croix de bois, rien que des croix de bois… Mon livre avait trouvé son nom » (Pedrazzini, 2015 : 4).

 

Ce livre se termine par cette phrase ; Les croix de bois. En fait, le narrateur s’adresse aux soldats tués leur disant qu’ils avaient été tués et qu’il ne restait que les croix en bois au corps de chacun:

« Je songe à vos milliers de croix de bois, alignées tout le long des grandes routes poudreuses, où elles semblent guetter la relève des vivants, qui ne viendra jamais faire lever les morts. Croix de 1914, ornées de drapeaux d’enfants qui ressemblent à des escadres en fête, croix coiffées de képis, croix casquées, croix des forêts d’Argonne qu’on couronnait de feuilles vertes, croix d’Artois, […] » (Dorgelès, 2014 : 335).

 

Mais que signifient ces mots et comment ce texte va montrer cette conception du sacrifice et de la mort ? « Dorgelès intitulera son livre “Les croix de bois”, comme ces centaines de milliers de croix bricolées, qu'on plantait, ici et là sur le front, au-dessus des fosses creusées à la va-vite sous la mitraille et dans la boue pour enterrer au fur et à mesure les milliers de jeunes soldats qui mouraient chaque jour au front » (Pierre Martial, 2021).

Vers la fin de L’eau ne meurt jamais, Mirza Mohammad se souvient d’une courte phrase exprimée par l’un des soldats iraniens. Une phrase qui est devenue des années après, le titre du livre de Hesam.

« […]. Les vitres du bus étaient moites par la vapeur des Basijis. La dernière personne a écrit avec le doigt sur le verre fumé : « L'eau ne meurt jamais. ». […]. Je lui ai demandé : « […] je voulais savoir si vous aviez un but particulier en l'écrivant ou non. ». […], il a dit : « L'eau est un signe de lumière. Tout est vivant pour l'eau et tant qu'il y a de l'eau, il y a de la vie. Nous sommes venus au front pour rester perpétuels, et la pluie, qui a le secret de la perpétuité, tombe du ciel de Dieu, n'est-ce pas ? ». Et puis Mirza Mohammad s’exprime : […] J'ai pensé que cette phrase pouvait avoir deux sens : premièrement, que l'eau est liée au nom de notre bataillon, que l'eau qui ne meurt jamais est Hazrat-e-Abolfazl lui-même, […] » (Hesam, 2021 : 252).[8]

D’après la conviction chiite, l’eau est le symbole de la lumière, et de l’éternité ; ce qui est tout à fait différent du choix du mot croix qui symbolise la mort. L’eau pourrait même référer à Hazrat-e-Abolfazl, un homme saint dans la pensée chiite ; le fait que ce dernier s’est donné la peine, s’est sacrifié pour donner de l’eau aux enfants et aux femmes durant la guerre injuste avec les infidèles : « Ne pense pas que ceux qui ont été tués dans le sentier de Dieu, soient morts. Au contraire, ils sont vivants, auprès de leur Seigneur, bien pourvus » (Coran, 3 : 169).

 

La conclusion

Les croix de bois de Dorgelès et l’eau ne meurt jamais de Hesam mettent en scène une vision bien différente de l'homme sur la guerre. Vu ce fait, on a analysé la conception de la mort, de la culture du sacrifice et de la confrontation à ces derniers dans ces deux ouvrages faisant appel plutôt à la pensée de Bertrand Westphal. On a, donc, constaté une sorte d’attachement à la patrie chez les soldats français dans la Première Guerre Mondiale ; un attachement aux certaines valeurs, qui n’entraient pas dans les convictions religieuses, mais qui comptent beaucoup pour les soldats de la Grande Guerre. On observe le même sentiment pour la patrie chez les soldats iraniens dans les huit années de guerres d’Iran-Irak mais il y a aussi chez eux un grand respect pour certaines valeurs religieuses et le résultat c'est de les  considérer comme des martyrs. Donc, d'après ces soldats, être martyrisé est un désir, un souhait vers lequel les guerriers s’en vont. Le désir et le souhait qui se nourrit de la forte croyance à Dieu et à au-delà. Ce sentiment va leurs donner un bon sentiment d'accueil par rapport à la mort.

Les deux auteurs ont abordé le rôle féminin derrière la guerre. En l'absence de leurs maris ces françaises ont quitté le foyer pendant la guerre, ainsi que leur fidélité à leur mari guerrier. Les combattants se préoccupaient tout le temps de leur foyer, et du fait que leurs femmes les auraient remplacés par un autre. L’auteur français a abordé cette trahison d'une manière regrettable. Pourtant, les guerriers iraniens, faisant entièrement confiance à leurs femmes, leur avaient tout confié et ont participé sans aucun souci à la guerre. Comme disait Hesam, les iraniennes s’occupaient du foyer, fidèles à leur mari, et elles se débrouillaient d’une façon satisfaisante et leur mari leur rendaient hommage. Encore une fois, ceci aussi prend ses racines dans les profondes et sérieuses croyances religieuses

Pour conclure, ce qui valorisent les héros dans ces deux récits de guerre c’est leurs efforts pour défendre leur patrie, leur engagement, leur sens de responsabilité par rapport aux gens et enfin leur désir d’établir la paix et la sérénité dans le monde.

 

 

[1] http://www.maremurex.net/dorgeles.html

[2] Le texte original est en persan. Les auteurs ont traduit des parties convenables en français.

"پدرم مخالف رفتن من بود. همۀ اعضای خانواده نگران و ناراحت بودند: و بی‌‌توجه به مخالفت‌‌ها خودم را به ارتش معرفی کردم. {...}. کم‌‌کم احساس شوقی برای پیوستن به بچه‌‌های سپاه در من جوشید."

[3] "مادر امیر می‌‌گفت: "امیر بچه است. در جبهه کاری ازش بر نمی‌‌آید." و امیر شانزده‌‌ساله به خاطر اینکه خودش را مرد نشان بدهد، کارهای مردانه می‌‌کرد: تا جایی که کارهای مردانه کردن خصلت دائمی او شد. مادر امیر می‌‌گفت: " وقتی امیر تلفنی حلالیت خواست، فهمیدم که برنمی‌‌گردد."

[4] "به یاد آوردم که صبح قبل از شروع پاتک اول، حاج ابوالقاسم وحید، معاون یکی از گروهان‌‌ها، چگونه از تشنگی شهید شد. به بهیار گفتم: " گردان حضرت ابالفضل یعنی گردان عطش، گردان تشنگی و گردان سقاهایی مثل شیخ که تشنه شهید شدند." و باز بیهوش شدم."

 

[5] " اسم رمز عملیات "یا زهرا" بود. قبل از عملیات، در سخنرانی برای گردان گفته بودم که بچه شیعه‌‌ها اگر از پهلو تیر یا ترکش بخورند، کمی از درد پهلوی حضرت زهرا را می فهمند. زیر لب یازهرا گفتم. با همۀ دردی که داشتم، تکرار ذکر یازهرا به من آرامش می‌‌داد. "

[6] "گاهی زیر درختان، زن و مرد های نیمه برهنه ای مقابل چشمانم می آمدند که گریه ام می گرفت. مرد آلمانی فکر می کرد گریه از درد است. البته از درد بود، اما نه دردی که او فکر می کرد.{...}. روزهای نخست آرام بخش و مسکن خواب آور به من تزریق می کردند. نکران بودم که مبادا این خواب آلودگی نماز را به قضا بکشد. {...}. از برادر بزرگم، حدیثی از امام سجاد شنیده بودم که هر کسی هر جا می رود و غریب است، اگر قرآن و ادعیه همراه او باشد، دیگر غریب نیست. خواندن قرآن و نگاه به ادعیه آرامشم میداد و مرا از هزاران کیلومتر آن سوتر از بچه های جنگ به فضای جبهه می برد."

[7] "از شوق دیدن خانواده، درد پا را فراموش کردم. فقط روی دیدن عیال را نداشتم: به خاطر غربت و مظلومیتش. چهار بچۀ قد و نیم قد را به گونه‌‌ای تر و خشک می‌‌کرد که من ذره‌‌ای نگران آنها نباشم."

[8] "اخوی، این نوشتۀ دلنشین تو روی شیشۀ اتوبوس را توی دلم نوشتم: اما خواستم بدانم منظور خاصی از نوشتن آن داشتی یا نه؟ {...}. در جوابم گفت: " آب نشانۀ روشنایی است. همه چیز، زنده به آب است و تا آب هست، زندگی هست. ما برای جاودانه‌‌ماندن به جبهه آمده‌‌ایم و الان، باران که رمز جاودانگی است، دارد از آسمان خدا می‌‌بارد. اینطور نیست؟ {...}. فکر کردم که این جمله می‌‌تواند دو معنا داشته باشد: نخست اینکه آب با نام گردان ما مرتبط است و آن آب که هرگز نمی‌‌میرد، خود آقا ابالفضل است و دوم اینکه، آب، اشاره‌‌ای به منطقۀ عملیاتی است که به ذهن ذلال این بسیجی خطور کرده است و استفاده از واژۀ آب ممکن است اشاره به منطقه‌‌ای آبی مثل هور یا رودخانه‌‌ای وحشی مثل اروند یا جزیرۀ مجنون باشد."

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