De l’Autofiction Doubrovskienne dans Vivre vite de Brigitte Giraud

Type de document : Original Article

Auteurs

1 Maître de Conferences, Département de Langue et Littérature Françaises, Université de Tabriz, Iran

2 Doctorante en littérature française, Université de Tabriz, Iran

Résumé

La littérature a connu des changements depuis la fin des années 1970, notamment en ce qui concerne la réapparition du sujet et la valorisation des textes qui sont concentrés sur le moi. Ainsi, la littérature est allée ensemble avec la fiction et elles sont indispensables. La fiction est un genre littéraire qui contient des éléments imaginaires. L’autofiction, qui est une représentation fictive de soi, est située entre un récit réel tiré d’événements de la vie quotidienne et un récit parfaitement fictif qui est inventé par l’auteure. L’autofiction est une nouvelle forme d’autobiographie qui se distingue des écritures autobiographiques originales. Dans le récit de Vivre vite, Brigitte Giraud met l'accent sur la mort inacceptable de son mari, Claude, en suivant la description triste du jour de l'accident. Une perte a bouleversé l’histoire. En retrouvant des souvenirs et en parlant du passé, nous pouvons expérimenter des événements amers. Afin de mieux comprendre la notion d’autofiction doubrovskienne, nous avons d’abord essayé de traiter la notion de l’autofiction et sa différence avec l’autobiographie. Dans cet article, nous essayons d’illustrer le “je” comme un miroir brisé, qui cherche à réhabiliter sa présence et projette d’image de son moi rompu et de montrer comment à travers Vivre vite, Giraud met en scène des éléments autofictionnels. L’objectif essentiel de cette recherche s’appuie sur les enjeux de la fictionnalisation de soi et la résonance de l’autofiction. En expliquant les relations entre la reconstruction du récit et la fiction, nous présenterons le cadre théorique de la recherche, et nous procèderons, d’une approche descriptive-analytique, à la présentation du roman recourant aux conceptions autofictionnelles de Serge Doubrovsky.

Mots clés

Sujets principaux


Introduction

Serge Doubrovsky, figure majeure de la littérature française, a inventé le mot "autofiction". Il considère que l'autofiction est un néologisme. Fils est considéré comme le livre fondamental de ce genre d'écriture. L'autofiction est une autobiographie dont nous nous méfions. Comme nous le constaterons chez Giraud, l'autofiction met l'auteure en lumière et le reflète à travers un mécanisme narratif autoréflexif. L’œuvre de Giraud est fondée sur sa vie personnelle. Elle cherche en fait à représenter dans son œuvre l'histoire qu'elle a vécue en tant que le personnage principal. Nous nous pencherons sur la manière dont la narratrice tente de trouver une relation entre l'histoire qu'elle est en train de dire et sa propre vie. Le fait d'écrire sur soi est une reconstruction de ce qui est déconstruit et occulté. Cet article, divisé en deux parties, une partie théorique et une partie pratique, va d'abord traiter les notions de l'autofiction et l'autobiographie, afin de fournir une compréhension précise. En outre, l’autobiographie en tant que représentation d'une période de vie, constitue un moyen d’exprimer la vision du monde qui met en relief la voix du narrateur. Il convient de noter que l’autofiction se distingue de l’autobiographie. En s'appuyant sur des faits réels, le concept d'autofiction remet en question les fondements de l'autobiographie. Nous observons ainsi une transition de l'écriture autobiographique vers une écriture autofictionnelle.

Philippe Gasparini, Vincent Colonna, Roland Barthes et Gerard Genette ont abordé la question de l’autofiction en exprimant leurs points de vue. Philippe Gasparini dans son ouvrage, Autofiction: une aventure sur langage, poursuit les investigations sur l’autofiction. Dans son article nommé «Autofiction vs autobiographie», il travaille sur le terme de l’autofiction. Dans Roland Barthes par Roland Barthes, Barthes évoque son passé d’une manière nostalgique. Le je que nous pouvons constater dans l’œuvre ne concerne pas le je de Barthes. Il s’éloigne de son moi. Genette, dans Fiction et diction, parle de la vérité autofictionnelle et le contenu narratif de l’autofiction. D’après Colonna, dans son essai sur la fictionnalisation de soi en littérature, l’autofiction «est une œuvre littéraire par laquelle un écrivain s’invente une personnalité et une existence, tout en conservant son identité réelle.» (Colonna, 1989, p. 31) L’écrivain démontre un jeu littéraire entre les frontières du réel et de la fiction. Il place l’autobiographie sous le couvert d’une fiction. Il convient également de souligner qu'il cherche à brouiller les limites entre fiction et réalité.

Les œuvres de J.M.G Clézio, Claude Simon et Annie Ernaux ont déjà fait l’objet de nombreuses études littéraires. Par exemple: «De l’écriture de soi à l’autofiction dans une femme d’Annie Ernaux» écrit par Tiffour Khaoula, «Les récits d’enfance lecléziens entre autobiographie et fiction» de Roxana-Ema Dreve et «L’autofiction: variations génériques et discursives de Joël Zufferey» étalent la question de l’autofiction sur la scène romanesque. C’est pourquoi nous avons choisi d'explorer une auteure moins étudiée. Dans cet article, nous nous concentrons sur Vivre vite de Brigitte Giraud. Ce roman adopte une approche autobiographique qui nous permettra d’examiner les souffrances d’une femme confrontée à la perte de son compagnon. L'auteure s'engage ainsi dans l'écriture d'une autofiction, considérant ses expériences personnelles comme le fondement de son récit. Une part considérable de son œuvre est consacrée à la réalité quotidienne, où elle lutte contre le destin. Dans Vivre Vite, la relation entre le moi et tout ce qui l'entoure est approfondie. Elle reconstruit la mort de Claude par le biais de l'autofiction. En fait, l'originalité de cet article réside dans sa volonté d’explorer les enjeux de l’autofiction en tant qu’une nouvelle lecture de soi et en tant qu’une reconstruction fictive de soi.

Dans cet article, nous allons étudier le moi de Giraud en répondant aux questions suivantes: Comment se manifeste le moi fragmenté de l'auteure au fil de la narration? En quoi Vivre vite constitue-t-il une forme de réécriture personnelle à travers l’autofiction? Comment Brigitte Giraud utilise-t-elle l’autofiction pour reconstruire la figure de son mari dans Vivre vite?

 

Perspectives historiques de la recherche

La notion d’autofiction a toujours attiré l'attention de nombreux chercheurs. Quant aux études existantes relatives à notre sujet, des recherches ont été menées dans le monde entier et en Iran, dont voici quelques exemples: «Autofiction doubrovskienne ou fiction au service de la vérité autobiographique?» écrit par Elham Tavana publié en 2013 dans la Revue de la Faculté des Lettres. En se basant sur les pensées de Doubrvsky, cette recherche essaye de comprendre la problématique de l’autofiction à travers les différentes théories. Il étudie le rôle majeur de la fiction dans l’autofiction et le rapport entre l’auteur et la vérité reconstituée. L’autofiction donne la possibilité à l’auteur d’entrer dans le domaine de l’innovation. De plus, dans «L’autofiction: miroir brisé et le Moi divisé» écrit par Farideh Alavi en 2005 nous voyons l'œuvre en tant qu’un miroir brisé qui reflète les aventures textuelles de l'auteur. L'image du moi est considéré comme un puzzle. L’autofiction est à la fois une fiction et une autobiographie. «L’autofiction comme projection d’un double soi dans le roman puisque mon cœur est mort de Maissa Bey» écrit par Khoualdia Selma en 2017. Cette recherche est base sur la définition de l'autofiction selon Dobrovsky comme un genre d’écriture de soi. Les écrivaines choisissent ce genre pour parler librement de leurs désirs. L’autofiction exprime les conditions de l’humanité après la seconde guerre mondiale surtout dans les pays maghrébins. «L’Autofiction ou les ébauches d’une forme littéraire en Afrique» écrit par Karen Ferreira-Meyers dans la revue Études francophones présente une recherche sur la situation récente et actuelle de l'autofiction africaine. Nous voyons que l'autofiction est devenue un type de texte littéraire qui, sous forme de roman, relate des faits et des événements strictement réels au présent.

La théorie doubrovskienne de l’autofiction offre une nouvelle perspective pour analyser œuvres littéraires et dans notre étude sur Vivre vite, nous nous sommes appuyés sur cette théorie. L’objectif essentiel de cette recherche cherche à explorer l'autofiction dans Vivre Vite de Brigitte Giraud en lien avec la théorie de Serge Doubrovsky.

 

Résumé du roman

Brigitte Giraud est née en 1960 à Sidi Bel Abbés, une ville située dans l'ouest de l'Algérie. Elle a grandi à Rillieux-la-Pape et puis elle s’est installée à Lyon. Au cours de sa carrière littéraire, elle a reçu plusieurs prix littéraires tels que le prix Wepler et le prix Jean Giono, mais c'est en obtenant le prix Goncourt qu'elle connaît un véritable sommet de renommée et de succès. Ses œuvres ont de nombreux fans dans le monde entier et ont été traduites en plusieurs langues. Elle a publié son premier roman chez Fayard en 1977 qui s’appelle La chambre des parents. Tout au long de sa vie d'écrivaine, elle a écrit plusieurs romans et récits, dont deux ont été honorés par des prix littéraires. Elle a obtenu le prix Wepler pour À présent et elle reçoit le prix Goncourt 2022 pour Vivre vite qui est l’objet de recherche dans ce travail.

Dans son roman, l’auteure explore les aléas de la vie. Giraud a perdu son mari Claude en 1999 alors qu'il n'avait que 41 ans. Claude est décédé dans un accident de moto. Elle ne peut ni oublier l'accident ni accepter la mort de son mari. L'auteure intègre ainsi sa vie personnelle dans son œuvre littéraire, rendant son écriture entièrement ancrée dans ses douleurs et ses chagrins.

L'intrigue de Vivre vite ressemble à un puzzle que Giraud essaie de reconstituer tout en s'attachant à relater tous les détails de son existence et tout en intégrant des éléments fictifs dans ses descriptions. L’autofiction établit un nouveau type de relation entre l’autobiographie et la fiction. L'auteure a choisi de dessiner l'amertume de sa vie car l'autofiction permet de dévoiler ses souffrances en écrivant ses souvenirs. Giraud décrit les événements comme un flashback chronologique par les phrases claires et cohérentes.

 

Le cadre théorique de la recherche

Pour analyser une œuvre littéraire dans le domaine de l'autofiction, la référence aux théories de Serge Doubrovsky est inévitable. Selon lui, «Écrire, c'est transformer ses souvenirs en une forme qui leur donne une réalité nouvelle.» (Doubrovsky, 1977, p. 79). Doubrovsky parle de manière experte d'un processus par lequel des événements réels passent par le filtre de l'esprit créatif de l'écrivain et se transforment enfin en une œuvre littéraire autofictionnel.

Afin de déchiffrer le côté autofictionnel de Vivre vite de Brigitte Giraud, nous avons adopté une méthode de recherche analytique tout en se penchant sur les différents aspects de l'autofiction. Notre analyse fait partie de l’analyse thématique qui identifie des thèmes principaux dans notre corpus et qui observe la manière dont Giraud utilise l'autofiction. Nous examinerons en fait le cadre narratif du récit et la façon dont réalité et fiction sont entremêlés. La réunion de la réalité et de la fiction, comme le souligne Doubrovsky, conduit à une sorte de subjectivité qui, de manière consciente, a tendance à supprimer les frontières qui existent entre la fidélité à la réalité et la réinvention de la réalité: «Dans l'autofiction, le je est à la fois sujet et objet, ce qui crée une tension entre le vécu et le narré». (Doubrovsky, 1985, p. 93).

En fonction des analyses réalisées qui reposent sur les théories de Doubrovsky, nous réunirons des éléments de notre recherche pour enfin parvenir à avoir un regard synthétique à la question de l’autofiction. Ces résultats peuvent inclure les impacts de l'autofiction sur le déchiffrement du texte par le lecteur ainsi que la manière dont l'identité de l'auteure est révélée.

 

La terminologie du genre autobiographique

Au début du XIXème siècle, le terme “autobiographie” entre dans la littérature. Jusqu'au milieu du XIXème siècle, il s’agissait d’un sens étrange, une biographie manuscrite. Mais plus tard, en 1863, il prend un sens moderne, celui d'un récit de vie personnelle. Le mot «autobiographie» est composé de trois mots grecs: autos: l’identité et le moi conscient, bios: la continuité de cette identité et la vie et graphein: l’écriture. Consacrant une grande partie de sa vie à ce genre, Georges Gusdorf la définit comme:

 

«[un] texte rédigé par un individu s'exprimant en son nom pour évoquer des incidences, des sentiments, des événements qui le concernent personnellement. De tels documents ont le caractère de témoignages engageant leur auteure à propos de faits qui mettent en cause sa vie privée et même sa vie publique et sociale, pour autant qu'elle est envisagée du dedans par le sujet de l'aventure» (Gusdorf, 1948, p. 52).

 

Pour lui, l’autobiographie est la révolution spirituelle de l’écrivain et constitue la vérité d'un individu qui s'exprime; ainsi, ce ne sont pas les événements qui sont au premier plan, mais bien l'être humain. Révélant les pensées les plus intimes, l’auteure revit une vie déjà vécue dans sa société, ce qui fait de son œuvre à la fois une réflexion personnelle et une étude sociale. Il se remet également en question lors de la rédaction du texte biographique.

Le concept de pacte autobiographique est proposé par Philippe Lejeune qui est le maître indispensable de l'écriture à la première personne.

 

«Le pacte autobiographique comporte deux principes importants: Le moi qui apparaît dans l'histoire doit être le moi de l'auteure et l'histoire doit être basée sur des événements réels de la vie de l'auteure. Par ces deux principes, l’autobiographie se distingue des autres genres»  (Lejeune, 2005,
p. 61
).

 

L’auteur de l’autobiographie fait de sa vie le sujet de son œuvre. Dans l'autobiographie, l’auteure s'engage à dire la vérité, c'est la règle de la rédaction de sa biographie. Il raconte directement sa vie et s'efforce également, dès les premiers mots de son œuvre, d'établir un lien solide avec le lecteur. L’autobiographie étant une ébullition intérieure se sépare des autres genres littéraires.

En somme, Doubrovsky exprime que, pour lui, «l'autofiction est avant tout un avatar de l'autobiographie, un procédé pour résoudre certaines difficultés propres à l'écriture de soi» (Colonna, 1989, p. 19). L’autofiction commence un jeu avec la biographie. Elle se place à la croisée du roman et de l’autobiographie, n’étant ni l’un ni l’autre dans leur intégralité, mais plutôt un mélange des deux. L’autofiction est un genre qui permet à l’auteure de critiquer sa personne, bien que l’autobiographie se concentre davantage sur l’expression de soi.

 

La résonance de l’autofiction

Le terme d’autofiction est né en 1977, sous la plume de Serge Doubrovsky. Il utilise ce mot pour la première fois sur la quatrième de couverture de Fils, paru en 1977. Dans ce livre, il se met lui-même en scène tout en jouant en même temps le rôle du narrateur et celui du personnage principal. Dans ce récit qui relate la journée d'un professeur de lettres françaises, Doubrovsky utilise pour la première fois le mot «autofiction»:

 

«Je suis un être fictif. J'écris mon autofiction. Je quitte la tour Eiffel, mon regard descend vers mon nombril, je m’immobilise à même moi. Là, je tâche de saisir à tâtons ma quintessence. Depuis que je transforme ma vie en phrases, je me trouve intéressant. À mesure que je deviens le personnage de mon roman, je me passionne pour moi» (Doubrovsky, 1982, p. 74).

 

Par ailleurs, ‘Je’ devient un autre sans devenir vraiment quelqu’un d’autre. L’auteure joue avec son identité en lui donnant une seconde vie. L’émergence d’un je autofictionnel au cours de la narration plaît à l’auteure. Pour lui, l’autofiction est une sorte de la réflexion sur la vie personnelle qui est mêlée avec la fiction.

En effet, l'autofiction est un refuge pour chaque individu qui mène une vie ordinaire lui permettant de raconter sa vie. L’autofiction est: «une représentation fictive de soi, située entre un récit réel tiré d’événements de la vie de l’auteure et un récit parfaitement fictif qui invente ou réinvente ces événements» (Balighi, 2023, p. 170). Elle trouve ses sources dans la vie réelle dans laquelle les événements les plus importants de la vie de l'auteure sont exprimés ou réinventés. Le fait qui démontre un désir de se dire.

Du point de vue littéraire, nous constatons deux je dans le texte. Le premier, c’est le je actuel de l’auteure qui invente le second: un je fictive. Comme le constate Alavi, il s’agit d’un moi fragmentaire et brisé:

 

«L’auteure d’une autofiction refuse l’identité patronymique, son je unique et devient ainsi ce qu’il écrit. Car dans l’autofiction le je n’a jamais intérêt en soi, il est juste le support nécessaire d’une expérience par laquelle le sujet se trouve rendu à l’aventure sidérante de vivre» (Alavi, 2005, p. 84).

 

Le je qui écrit, perd sa supériorité et l’auteure cherche à donner au lecteur les aventures textuelle et l’image des expériences qui reviennent. L’expression de l’être au monde se réalise à travers le dédoublement de je dans l’autofiction. Le ‘je’ est partagé entre les fragments de la vérité et les fragments fictionnels. L'autofiction consiste en une réflexion sur le "je".

A ce titre, l’autofiction est une aventure de langage qui est située entre la vie réelle et la vie imaginaire. Les éléments autobiographiques constituent les piliers de l'histoire. Par "écriture de soi", l’auteure cherche à donner une belle image de lui et de son moi du passé. Donc il se met à reconstituer sa vie. Claude Burgelin affirme cette idée en disant que: «l’autofiction est peut-être enfin un des biais poétiques que nous ayons pour réenchanter nos vies» (Burgelin, 2010, p. 20). Une autofiction offre une manière de redonner un attrait enchanteur à une vie réellement vécue. Elle représente une seconde chance de reconstituer le passé et de le revivre selon la vision d’une auteure qui veut réinventer la réalité à travers les mots qu'il choisit d'écrire.

En effet, l’autofiction diffère de l’autobiographie. La présence des éléments fictifs distingue les deux genres. En littérature, il y a toujours une exploration pour la nouveauté, et l'autobiographie ne répond pas à cette exigence. Donc, elle cède la place à l’autofiction.

 

«La différence fondamentale entre l'autobiographie et l'autofiction est justement que cette dernière va volontairement assumer cet impossible réduction de l'autobiographie à l'énoncé de réalité, à l'énoncé biographique, scientifique, historique, clinique, bref: «objective»; l'autofiction va volontairement partant, structurellement - assumer cette impossible sincérité ou objectivité, et intégrer la part de brouillage et de fiction due en particulier à l'inconscient. L'autofiction jouera ainsi sciemment sur la ressemblance ambiguë qui existe entre l'autobiographie et le roman à la première personne» (Darrieussecq, 1996, p. 377).

 

Somme toute, la fiction joue un rôle énorme dans la reconstruction des souvenirs oubliés dans les écrits autofictionnels. L’auteur de l’autobiographie essaye de remémorer ses souvenirs tandis que l’auteur de l’autofiction recrée ses souvenirs avec son imagination. L’autofiction donne plus de liberté à l’auteur que l’autobiographie.

 

«Quand on écrit son autobiographie, on essaie de raconter son histoire, de l’origine jusqu’au moment où l’on est en train d’écrire, l’archétype étant Rousseau. Dans l’autofiction, on peut découper son histoire en prenant des phases tout à fait différentes et en lui donnant une intensité narrative d’un type très différent de l’histoire, qui est l’intensité romanesque.» (Doubrovsky, 1993, p. 302).

Par ailleurs, la sincérité définit la frontière entre l’autobiographie et l’autofiction. Dans l'autobiographie, nous décrivons notre vie d’un certain moment jusqu'au moment présent, mais en écrivant l'autofiction, nous agissons plus librement. C’est pourquoi l’autofiction se situe entre le roman et l’autobiographie, car elle n’est ni complètement roman ni complètement l’autobiographie, comme si elle était une combinaison des deux. A ce titre, le roman de Vivre vite est considéré comme une autofiction car il est écrit à la première personne. L’auteure, la narratrice et le personnage principal sont les mêmes et le cadre principal du roman montre la vraie vie de Giraud. Pourtant, la présence des éléments imaginaires est indéniable.

 

Les enjeux de la fictionnalisation de soi

L’auteure de l’autofiction raconte son récit en s’inspirant du cadre total de sa vie. Le rôle des traces de la vie passé dans les écrits fictifs est indéniable. L’auteure évoque des faits réels qu’il a vécus auparavant. Ainsi, l’autofiction est un récit qui mêle la fiction avec la réalité. Elle est au croisement du récit de la vie de l’auteure et du récit de fiction. A travers cette écriture, le personnage principal de l'histoire est l'auteure lui-même. Un événement important se produit dans la vie du personnage principal semblable à celle de l'auteure. Pourtant, l'autofiction contient les souffrances auxquelles l'auteure a déjà été confrontée. A l’aide de l’autofiction, l’auteure brise son silence pour décrire ses moments difficiles et inoubliables qui restent gravés dans son âme et son esprit. Il réinvente quelques détails voire quelques parties de sa vie pour combler les vides. L’une des raisons importantes de la naissance de l’autofiction est les lacunes de la mémoire. L’autofiction comble ce vide. De plus, la frontière entre souvenirs du passé et la fiction est très étroite. Il est toujours possible de se rapprocher de la vérité, mais nous n’atteindrons jamais la vérité absolue, car certaines choses ne sont tout simplement pas vraies mais elles sont vraisemblables.

Outre l’oubli, l'auteure déforme parfois l'histoire pour deux raisons: l’autocensure et l’embellissement. L’auteure embellit ses écrits pour rendre l'histoire plus intéressante et pour attirer l’attention des lecteurs. Dans ce cas, l'œuvre est perçue comme un monde impressionnant que l'auteure s'efforce d'embellir et d'esthétiser grâce à l'autofiction. Parfois l’écrivain a peur et n’a pas le courage de dire la vérité car il ne peut pas accepter ses erreurs. Donc, il supprime certains événements de sa vie pour préserver sa personnalité et son image sociale. La peur d’une révélation de soi nous conduit aux censures intérieures. Ces deux facteurs amènent le moi réel de l'auteure à se distancier du moi exprimé dans le récit.

 

La reconstruction fictive

Il faudrait, avant tout, démêler les facteurs réels des facteurs fictifs. Parfois, le style d'écriture de l'auteure est si fort qu'il n'est pas possible de distinguer la vérité du mensonge. André Gide écrit dans Si le grain ne meurt: «Les Mémoires ne sont jamais qu'à demi sincères, si grand que soit leur souci de vérité: tout est toujours plus compliqué qu'on ne le dit. Peut-être même approche-t-on de plus près la vérité dans le roman.» (Gide, 1924, p. 278). Parfois, le faux et la vérité s'entendent si bien qu'on ne peut pas les distinguer. Dans l’autofiction, il y a un paradoxe du menteur. De sorte que nous pouvons trouver des phrases qui sont suspendues entre la vérité et le mensonge.

 

«Dans le cas du texte d’autofiction, le “mensonge” provient de l’utilisation savante d’éléments fictionnels dans le cadre d’un projet autobiographique, jeu élaboré reposant sur des procédés romanesques qui sont mis en œuvre pour chercher à atteindre une plus grande fidélité au réel» (Lannegrand, 2010, p. 65).

 

L’autofiction forme les mensonges littéraires qui manifestent au niveau de la narration. Les frontières entre vérités et mensonges sont toujours floues. Mentir, c'est le fait d’embellir les détails de manière à les rendre vraisemblables. Alain Robbe-Grillet souligne également cette question: «Je ne suis pas homme de vérité, ai-je dit, mais non plus de mensonge, ce qui reviendrait au même» (Robbe-Grillet, 1985, p. 13). Le lecteur est confronté aux menteurs et aux mensonges au niveau de l’histoire. En effet, dans l’autofiction, il y a deux univers parallèles; l’univers de la fiction et celui de la réalité. La vérité que l’auteure présente est une vérité reconstituée et rétablie alors que l’imaginaire est supérieur au réel.

 

«L'autofiction, c'est la fiction que j'ai décidé, en tant qu'écrivain, de me donner de moi-même et par moi-même, en y incorporant, au sens plein du terme, l'expérience de l'analyse, non point seulement dans la thématique, mais dans la production du texte.» (Doubrovsky, 1988, p. 77)

 

Somme toute, en autofiction, il y a une partie fictive dans le texte. L’autofiction est un phénomène complexe, une fabulation de soi dont l’auteure écrit un récit imaginaire sur “moi” mais le présente comme réel. Ainsi elle est une combinaison de l’autobiographie et de la fiction. L'auteure prend ses distances avec sa vraie vie et invente une nouvelle histoire. Il semble que l’auteure ne parle ni de la vérité ni de l’irréel.

 

Une nouvelle lecture de soi

L'autofiction est une nouvelle lecture de soi pour mieux connaître soi-même. L'auteure ne raconte pas les événements passés, mais leur donne une nouvelle vie. Elle ne se concentre pas du tout expliquer complètement. Selon Forest:

 

«Il ne s’agit pas d'un revirement, encore moins d’un retour en arrière, mais plutôt d’un renouveau [...]. L'enjeu n'est plus de vouloir tout dire, mais d’essayer toutes les façons de le dire [...]. Mise en mots de l’expérience vécue (le temps de la vie deviendrait le temps de la narration) privilégiant le travail du style et des jeux d'écriture» (Forest, 2001, p. 49).

 

En effet, écrire sur nous-mêmes, ce n'est pas revenir en arrière et regarder le passé, mais recréer l'expérience de vivre cette fictionnalisation de soi, c’est aussi celle de Malraux: “ni vrai, ni faux, mais vécu” (Malraux, 1990, p. 247). Par conséquent, l’autofiction est un moyen d’écriture avec tant de liberté. L'autofiction donne à l'auteure la liberté de changer son destin et sa vie passée à sa guise et de combler les lacunes. De plus, elle met en doute la vérité et la sincérité de l’auteure. L'autofiction est de faire de soi un sujet imaginaire qui raconte une histoire. Par suite, un nouveau moi est inventé pour décrire une vie. La notion de «moi» fait l’objet de l’attention des plusieurs écrivains, ajoutant que chez Marcel Proust, le moi est partagé en deux versions:

 

«[...] Un livre est le produit d’un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices. Ce moi-là, si nous voulons essayer de le comprendre, c’est au fond de nous-mêmes, en essayant de le recréer en nous, que nous pouvons y parvenir» (Proust, 1954, p. 136).

 

En effet, l'autofiction met en lumière les terroirs obscurs de la personnalité. Il est un genre littéraire compliqué qui permet à l’écrivain d’évoquer une image idéale de son “moi”. Doubrovsky dans Le Livre brisé estime que le moi dans l’autofiction est inventé parce que si je veux me souvenir de mon passé, je vais certainement changer les choses. «Si j’essaie de me remémorer, je m’invente... je suis un être fictif» (Doubrovsky, 1989, p. 212). Une fois que l’auteure essaye de se remémorer, il s’invente et devient un être fictif. En basant son écriture sur son mémoire, l’écrivain crée des nouvelles sensations. En fait, nous pouvons conclure que le moi original s’estompe progressivement et que le moi de l’autofiction prend sa place. Le passé ne meurt jamais, mais une intériorisation du passé se produit chez l'auteure, tout comme cela arrive avec Proust et Giraud. Giraud en racontant son passé exprime son désir de faire croire quelque chose qui n’est pas réel. À la lumière des définitions de l’autofiction, nous allons examiner comment Brigitte Giraud applique ces concepts dans son roman Vivre vite.

Un aperçu de l’histoire

Vivre vite est la narration des souvenirs d'une femme intitulée Brigitte Giraud qui transforme un morceau de vie réelle en une œuvre littéraire. La recherche des raisons de la mort accidentelle de son mari évoque les questions du hasard et de la culpabilité. Le récit contient en soi une très belle déclaration d’amour à Claude en lui désignant l’homme de la vie de Brigitte. Vivre vite est en somme l’histoire de l’amour, la mort et la litanie des si. Un jeune couple très heureux venait d’acheter une petite maison à Lyon et se réjouissait de la rénover. Ce jour-là, Claude devait aller chercher leur petit garçon à l’école. Brigitte Giraud était à Paris pour la sortie de son deuxième roman "Nico". Claude a eu un accident de moto. Dans la dernière partie du livre, Brigitte Giraud enquête sur les heures qui ont précédé le drame et reconstruit minute après minute tous les gestes de Claude, tout en s’interrogeant sur ses dernières pensées. Finalement, Brigitte Giraud accepte de vendre la maison qu’ils avaient achetée juste avant l’accident de Claude.

 

La fictionnalisation de soi

Avant de nous pencher spécifiquement sur le roman, nous rappelons que la création littéraire chez Giraud montre la notion de l’autofiction. L’auteure de Vivre vite aime tout savoir et comme elle n'arrive pas à obtenir les détails, elle se tourne vers l'autofiction et tente de recréer les heures précédant la mort de Claude tout en utilisant la fiction. Après avoir vécu plusieurs années avec son mari, elle le connaît bien, elle se met à sa place et imagine ce qu'il a fait et ce qu'il a pensé. Et tout cela est la raison de l'existence d'éléments autofictionnels dans le récit. En fait, l’autofiction commence un jeu avec la biographie. Un récit autofictionnel contient de nombreux éléments qui ne sont pas réels.

Le premier enjeu de l’autofiction dans ce récit est déterminé par cette question: «pourquoi vous vendez?» (Giraud, 2022, p. 44) Elle décide de vendre leur maison juste après la transaction pour acheter la maison de ses rêves, donc elle est obligée de mentir aux acheteurs pour les satisfaire «Un mensonge si bas de gamme que je n’ose pas l’écrire» (Giraud, 2022, p. 44). Elle n'ose pas dire la vérité, elle veut toujours avoir une image favorable dans l'esprit du lecteur. De plus, elle s'est promis de ne jamais donner à personne la réponse à cette question. Ici, nous constatons l'autocensure. Elle a peur de la vérité. L'écrivaine a l'audace de dire que c'est un secret et je ne peux pas le révéler. Par conséquent, nous pouvons dire que la peur d’une révélation de soi conduit l’auteure à l’autocensure.

 

La reconstruction fictionnelle du dernier jour de Claude

En effet, nous retrouvons facilement des éléments d'autofiction dans les descriptions que l'auteure donne du dernier jour de la vie de son mari. D’ailleurs, dans son esprit, la femme prédit toutes les réactions et tous les comportements de Claude et les écrits sur papier. Par exemple, elle écrit qu'il a quitté son bureau à 15 h 55 et qu'il n'a pas dit au revoir à ses amis parce qu'il était en retard. Elle n'a aucune preuve pour démontrer ces déclarations et aime juste imaginer l'histoire comme celle-ci. L'auteure imagine même tous les détails et écrit: «il avait enfilé son blouson en même temps qu’il ouvrait la porte» (Giraud, 2022, p. 131). Giraud agit comme une caméra de vidéosurveillance qui surveille Claude. Même dans cette phrase, elle souligne qu'elle a créé certaines choses elle-même: «je l’imagine tenant tout à la fois son sac à dos, ses clés, son casque et ses gants» (Giraud, 2022, p. 131). L'utilisation du verbe ‘imaginer’ indique la preuve de l'imagination biographique. L’auteure s’exprime le moment où Claude est arrivé chez le gardien, et il l'a trouvé en train de s'occuper de la Honda. Elle ajoute: «je ne suis pas allée enquêter jusqu’à là» (Giraud, 2022,
p. 132
). Giraud elle-même admet que tous ses écrits ne sont pas entièrement vrais. Ainsi, l’auteure agit librement et ajoute ensuite: «Il avait fait un signe de tête à l’intention du gardien, qui lui avait répondu en levant le pouce. À demain, à demain. Il était seize heures tout juste. Presque en avance finalement» (Giraud, 2022, p. 133).

En effet, toutes ces descriptions ne sont que des hypothèses fabriquées par elle-même. Lorsque Guy, l'ami de Claude, raconte son dernier jour avec Claude pour Brigitte, quelques semaines après l'accident, nous comprenons que toutes les hypothèses de Giraud étaient fausses. Les hypothèses se succèdent sans qu’elles arrivent à un point commun.

L’auteure n'imaginait pas que Claude puisse aller déjeuner au restaurant avec son ami, mais la vérité était autre chose, les deux étaient allés au restaurant pour manger ensemble, et quand Claude a voulu payer pour la nourriture, il s'est rendu compte: «qu’il avait oublié les 300 francs dans le distributeur de la Société Générale» (Giraud, 2022, p. 134). Giraud recommence à l’imaginer parce que personne n'était là avec Claude pour donner cette information à sa femme plus tard. Elle imagine que son mari est allé à la société générale avant d'aller à l'école. Jusqu'ici tout est acceptable mais les explications suivantes sont incroyables.

 

«Il s’était garé entre deux voitures, avait pris soin d’enlever son casque avant de se présenter au guichet pour ne pas effrayer l’employé. Un jeune homme en chemise à manches courtes l’avait reçu» (Giraud, 2022, p. 135).

 

Elle écrit et décrit pour calmer un peu son âme agitée. Elle ajoute de la fiction à ses écrits. Petit à petit, elle s'éloigne du monde réel et entre dans le monde de son imagination. L’employé de guichet de la société générale «l’avait regardé avec un sourire d’autant plus gêné que Claude ne plaisantait pas.» (Giraud, 2022,
p. 135
) Lorsqu’elle s’éloigne de la réalité, elle doit poursuivre le récit de la même manière, donc elle ne peut pas revenir dans le domaine de la vérité. L'auteure suit une certaine intrigue fictive. En effet, Giraud n'a pas assez d'informations sur le dernier jour de Claude, elle décide de le reconstituer. Par exemple, elle décrit le temps où il était à la banque comme:

 

«Il lui fallait remplir un formulaire qui allait l’obliger à rester de longues minutes plantées devant l’hygiaphone, retrouver son numéro de compte, chercher son chéquier dans ses poches pour consulter ces chiffres qu’il ne connaissait pas par cœur, les reproduire avec un stylo qui ne marchait pas» (Giraud, 2022, p. 136).

 

La moindre chose n'est pas cachée aux yeux de Giraud. La référence au stylo qui ne marchait bien est surprenante. L’écrivaine exprime d'abord toutes ses pensées et précise ensuite que lorsque l'hôpital a remis les affaires de Claude, elle n'a trouvé aucun billet de banque entre elles: «Je ne suis pas certaine que Claude se soit arrêté à la banque comme il avait dit à Guy qu’il le ferait, peut-être avait-il jugé qu’il était déjà trop tard. Je n’ai aucune preuve et cela n'a aucune importance» (Giraud, 2022, p. 137).

On peut en conclure que même Giraud, après plusieurs pages décrivant les aventures de Claude à la Société Générale, n’est pas sûr que Claude y soit allé. Néanmoins, dans cet épisode, elle ignore tous les doutes et continue l'histoire comme s'il s'y était rendu avant d'aller à l'école. Il a fallu beaucoup de temps pour remplir le formulaire et plus important, il était en retard et que c'est pour cela qu'il a eu un accident. Puis, elle ajoute: «je ne l’ai pas encore précisé, cela m’aurait fait perdre le fil, et puis je n’étais pas tout à fait prête à l’écrire» (Giraud, 2022,
p. 138
). Même si l’auteure dit qu'elle ne sait pas si Claude est allé à la banque ou non, elle dit qu'elle aime imaginer qu'il l'a fait, car dans ce cas, l'histoire perd son intégrité. Finalement, elle décide de continuer l’intrigue comme elle a déjà commencé. Giraud s'est immergé dans le monde des fausses hypothèses ainsi elle est entrée dans le monde de fiction. Elle s’éloigne de la réalité: «Claude est ressorti de la Société Générale à la hâte, puis il a rejoint le flot de circulation qui débouche sur le boulevard des Brotteaux à Lyon, qui lui-même, conduit au boulevard des Belges, le long du parc de la Tête-d’Or» (Giraud, 2022, p. 138).

Il s’agit d’un chemin irréel. L'auteure dépeint ainsi son imagination lorsque le feu devient orange. Elle veut imaginer que Claude était à une centaine de mètres du feu. C'est là que Giraud lit les pensées de Claude comme si elle voyageait dans son cerveau et voyait chaque pensée qui lui passe par la tête. «Après avoir tergiversé une fraction de seconde - je passe, je passe pas» (Giraud, 2022, p. 146). Claude a un dilemme devant lui qui semble simple à première vue mais il est si puissant qu'il peut déterminer la vie ou la mort. Il hésitait et puis il «s’est arrêté prudemment devant le musée Guimet, en pole position prête à repartir» (Giraud, 2022, p. 148). Il s'est sans doute souvenu de son adolescence lorsqu'il avait aperçu des collégiens devant le musée en attendant que le feu devienne vert. Il était «arrêté par ce feu qui arrêtera aussi son existence» (Giraud, 2022, p. 149). Nous constatons que l'auteure veut même dominer les souvenirs de Claude et dit qu'avant son accident, il se souvenait de «l'époque où il était lui-même collégien à Rillieux-la-Pape» (Giraud, 2022,
p. 149
). Giraud ajoute qu’elle: «l'imagine plutôt un mètre devant, les deux pieds arrimés à terre, ses longues jambes bien stables sur l’asphalte de part et d’autre de la moto» (Giraud, 2022,
p. 150
). L’auteure reconstruit même la façon dont Claude attendait.

 

La narration d’un moi morcelé

Certes, Giraud entre dans le domaine de la fiction parce qu’elle ne dispose pas d'informations complètes. L’auteure parle ouvertement de Claude et de ses pensées, comme si Claude avait survécu à l'accident et avait tout expliqué plus tard en détail pour l’auteure. Parfois Giraud se met à la place de Claude. C'est comme si le moi de Giraud parlait au lieu du moi de Claude. Nous pouvons constater un dédoublement de “je”. Giraud remplace Claude et elle revit ce jour-là à la place de Claude. Avec ces explications, le lecteur se demande si c'est Claude qui décrit les aventures de la moto et le retard à la banque, ou si c'est Giraud qui invente le récit. Le moi de Giraud devient le moi de son mari. En effet, Giraud écrit au lieu de Claude. Ainsi, l’auteure apprécie pleinement ce dédoublement. Le je originaire de l’auteure n’est pas égal au “je” qui se répète dans le récit. Même si l'auteure écrit avec soin et exprime correctement tous les détails, le moi d'une personne ne reste jamais statique, il dépeint le moi en mouvement dans l'immortalité de l'écriture. Cela lui donne la fausse opportunité d'avoir l'impression que Claude est de retour pour quelques instants. «Que sais-je de ses dernières pensées» (Giraud, 2022, p. 149). Après avoir décrit les souvenirs passés de Claude, elle dit plus tard que ‘puis-je savoir’. Dans cette optique, l’auteure essaie de tromper non seulement le lecteur mais aussi elle-même, mais elle n'y parvient pas. Ainsi, la posture d’auteure, nourrie par les expériences et les mémoires passées de Giraud, s’incarne telle qu’une «présentation de soi d’un écrivain, tant dans sa gestion du discours que dans ses conduites littéraires publiques» (Meizoz, 2007, p. 82).

D’ailleurs, elle décrit vingt ans en arrière comme si son âme revient en 1999 et vit avec Claude. Tout n'est pas clair, mais l’auteure peut le voir, l'entendre et le sentir. «Je ne l’imagine pas. Je vois flou» (Giraud, 2022, p. 149). Cette expression de l'auteure prouve qu'elle ajoutait parfois la fiction à son récit. Sa prétention de voir flou est sans fondement. Giraud en tant que narratrice crée des questions dans l'esprit du lecteur mais n'y répond pas, peut-être veut-elle que le lecteur tire ses propres conclusions. Il s’agit de la puissance de son style d'écriture qui veut engager l'esprit des lecteurs. L’une des questions qui revient à l'esprit du lecteur est de savoir d’où Claude a obtenu la clé du moteur et sa serrure en acier. L’auteure ne se rappelle pas que son frère, David, les a données avant de partir: «les clés, j’insiste lourdement, il se les est procurées comment ? Je n’ai pas le souvenir que mon frère» (Giraud, 2022, p. 149). Giraud prend le temps de tout savoir mais elle ne se concentre pas d'où Claude a obtenu la clé. Elle se soucie de chaque petit signe. La plus forte possibilité est qu'il ait obtenu les clés de David. L'auteure ne donne aucune explication sur son frère et sa réaction après avoir appris l'accident. Le moteur a été endommagé ou est resté utilisable. C'est comme si l'auteure voulait que des points vagues restent dans l'esprit des lecteurs. L'auteure dit ce qu'il veut, change ce qu'elle veut, elle agit librement car son œuvre écrite n'est pas autobiographique mais d’autofiction.

 

Conclusion

Pour conclure, Vivre vite met en relief l’art de Giraud dans la représentation autofictionnelle de la mort de Claude. De plus, la capacité de l'auteure à décrire ses chagrins se manifeste d’une manière attrayante. Giraud a la peine de la reconstruction du passé. Son récit est l’image de ses douleurs. Giraud en décrivant son bouleversement individuel, recrée son passé. Chez Giraud, les enjeux de l’autofiction sont présents dans la description de l’accident. L’autofiction est un reflet d’un moi fragmentaire. Il y a la trace de son passé. Le roman est une reconstruction singulière qui est apparu comme une représentation fictionnalisée de l’auteure. Le récit contient des éléments réels et le cadre général de l’histoire est vraisemblable. Giraud forme la structure de son récit en se référant sur les évènements personnels. Ses descriptions sont basées sur les hypothèses parce qu’elle a plongé dans le monde de l’imagination. Il crée quelques détails de sa vie intime pour combler les vides. Nous avons tenté à travers cette recherche d’explorer les liens existants entre l’histoire et l’autofiction. L’étude du roman d’après l’approche doubrovskienne de l’autofiction laisse paraître que l’auteure a souvent rompu la vérité des événements. Giraud a entrepris d’enrichir son récit en y intégrant de nombreux détails, dans l’objectif de rendre son histoire non seulement plus dynamique, mais également plus attrayante et fascinante aux yeux du lecteur. Cette approche vise à immerger le lecteur dans l'univers de l'œuvre, en lui permettant de vivre chaque moment avec intensité et d'apprécier pleinement les subtilités de l'intrigue. Le narrateur fait constamment des retours en arrière. Donc les écrits autofictionnels de Giraud sont considérés comme une lecture et la construction de soi. Se lire soi-même évoque la puissance de la littérature.

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