Type de document : Original Article
Auteurs
1 Professeur, Département de Français, Faculté de Littérature, Université Alzahra, Téhéran, Iran
2 MA, Département de Français, Faculté de la Littérature, Université Alzahra, Téhéran, Iran
Résumé
Mots clés
Sujets principaux
Introduction
La traduction en tant que nomadisme intertextuel se rapporte, entre autres, à la transposition culturelle dont le traducteur assure le transfert entre deux ou plusieurs espaces linguistiques. Or, la vitalité de chaque culture réside dans les échanges de ces éléments socio-culturels qui se reflètent aussi dans le miroir de la littérature du monde entier comme ce que le romancier américano-canadien d’origine marocaine, Najib Redouane, aborde dans ses œuvres polyvalentes parmi lesquelles figure California Dream (2018). Il s’agit de l’histoire d’une Ukrainienne basée selon lui sur la réalité et développée par la fiction. La présence massive des éléments socio-culturels et leurs effets indéniables sur l'encadrement du récit ont attiré notre attention. Ce roman français n’a pas été traduit en persan, ce qui nous a encouragées à le traduire, puis à mener une recherche dans le domaine précité, recherche qui est partie de la question suivante: Vu le décalage culturel entre les sociétés source et cible, comment les éléments socio-culturels de California Dream (2018) doivent être transmis au lectorat persanophone?
Afin de trouver une réponse adéquate à notre question, nous avons opté pour la traduction du roman en nous basant sur la méthodologie de Michel Ballard qui porte sur les noms propres puisque la plupart des éléments socio-culturels du récit s’inscrivent dans le cadre de nomenclature. Pour ce traductologue, les noms propres constituent les fondements de tout échafaudage dans le texte, car liés directement à la culture de chaque ethnie, ces noms identifient les idées d'individualité dans le monde réel.
En choisissant quelques extraits du roman contenant les éléments socio-culturels en trois catégories, à savoir anthroponyme, toponyme et pragmonyme accompagnés de notre traduction, nous allons procéder à leur analyse détaillée dans une approche traductive pour passer au crible les modalités de leur transfert vers le persan. Notre parcours dans cette recherche fait état de la méthodologie descriptive-analytique basée sur les théories de Michel Ballard.
Présentation du corpus
California Dream, 5e roman de Najib Redouane, paru en 2018 aux Éditions Libertés numériques à Montréal, constitue le corpus de cette recherche. Ce roman raconte dans un flash-back l'histoire de Tina, une innocente Ukrainienne, un beau brin de fille ayant plusieurs cordes à son arc qui rêve de devenir une star d’Hollywood. Les décisions de l’héroïne sont étroitement liées aux fortes pulsions émotionnelles qui ne cessent de croître au gré de ses rêves en réduisant au fur et à mesure sa clairvoyance et son discernement, à tel point qu’elle devient aveugle devant les réalités et même les bienfaits de sa vie dans sa ville natale en Ukraine. Victime du mirage du rêve américain, Tina se heurte à divers problèmes sociaux tels que le racisme, la société abusivement consommatrice, la violence, l’insécurité, etc. qui rendent son séjour très amer au pays de l'Oncle Sam.
A cheval entre l’Ukraine et les États-Unis, California Dream (2018) fait illustrer la métamorphose de Tina en une femme déprimée. Bon connaisseur du cœur féminin, Redouane invite le lecteur à entrer en empathie avec l’héroïne, à ressentir son sentiment d'itinérance et de mélancolie à chaque cellule. La dimension plurilingue et les jeux linguistiques consistant à manipuler les mécanismes narratifs ont aidé le romancier à créer une forme littéraire vis-à-vis de l'acculturation et de la récupération de différentes cultures. Les détails employés au cours du récit sont si précis qu'ils permettent au lecteur de découvrir des faits sociaux et des effets spatio-temporels à travers les yeux émerveillés de Tina tels que la Révolution orange en Ukraine en 2004, les présidentielles de Barak Obama aux États-Unis en 2009,
la réalisation du film controversé L’innocence des musulmans en 2012 qui a provoqué la colère des communautés islamiques, etc. Redouane prouve que le mal sévit n’importe où et que certains rêves ne semblent beaux que de loin, mais en échanges d’un coût bien élevé et des conséquences irréparables.
Antécédent de recherche
La récurrence des éléments sociaux-culturels dans les œuvres littéraires et leur transfert vers une autre langue a amené les chercheurs à se concentrer sur cette thématique qui a fait l’objet d’étude de nombreux articles et travaux universitaires du monde francophone. Alors, vu le nombre élevé desdites recherches, nous évitons de mentionner tous les titres, mais on en fait allusion à quelques-uns. En naviguant sur les sites des publications d’expression française en Iran, nous n’avons trouvé aucune recherche sur California Dream (2018), mais en ce qui concerne le grand mot-clé de cet article à savoir «les éléments socio-culturels» surtout dans une approche traductive, les recherches ne manquent pas et en voici quelques-unes:
«Analyse de la traduction de l’Occidentaliste de Al-e Ahmad: basée sur les éléments socio-culturels» est le titre d’un article réalisé par Sherkat Moghadam et Dehghani, paru dans Revue des Etudes de la Langue Française. Il s’agit d’une recherche qui «a pour objectif de faire une étude basée sur les éléments socio-culturels dans la traduction réalisée par les Kotobi» (2020, p. 161).
Motamedi et Navarachi (2019) ont abordé le culturel dans «Traduction d'éléments culturels du français vers le persan: une étude de cas: Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part d'Anna Gavalda», publié dans Critical Language & Literary Studies. La recherche pivote sur l’analyse des culturèmes de ce livre en suivant les approches de Michel Ballard.
«Les défis de la traduction des éléments stylistiques, sémantiques et culturels: le cas de Poirier» est un autre article sous la plume de Mazhari et Farjah (2017) qui ont analysé le style, les gammes linguistiques et les éléments culturels du roman Poirier de Goli Taraqi. Pour ces chercheuses, des études sur la traduction des éléments culturels s’avèrent indispensables en vue de renforcer la connaissance d’autrui. L’article est paru dans la revue des Recherches en Langue et Littérature Française, à l’Université de Tabriz.
Letafati et Sadre Tahouri ont rédigé un article intitulé «L’étude des entraves culturelles dans la traduction de Madame Bovary de Flaubert en persan». Pour les auteurs, «La traduction d’une œuvre littéraire […] est souvent considérée dans son essence comme une opération interculturelle» (2016, p. 29).
Sur l’abondance des culturèmes dans la littérature, on peut lire «Le texte littéraire: un médium culturel», article élaboré par Tifour et publié dans Revue des Etudes de la Langue Française. Ayant encadré sa recherche dans les programmes de l’enseignement du français au secondaire, l’auteur s’est posé la question que voici: «Quelle est la place qu’occupent le patrimoine culturel et la culture de l’Autre dans les manuels du cycle secondaire?» (2012, pp. 35-36)
Dans le domaine de la nomenclature touchant la culture, nous avons repéré «Les noms propres dans les textes touristiques: leur transfert vers une autre langue» rédigé par Djalili Marand et al. (2024) où les auteurs ont mis l’accent sur la préservation de l'authenticité des éléments culturels. On peut lire cet article dans la revue Plume, publication de l’Association Iranienne de Langue et Littérature Françaises.
Et plus précisément sur Najib Redouane et ses écrits, il y a un livre collectif sous la direction de Benbella «Najib Redouane: voix marocaine en Amérique du Nord» (2021), publié par les éditions L’Harmattan à Paris, dont chaque chapitre contient l’étude détaillée d’une œuvre de ce romancier. Or, cet ouvrage constitue une source riche et efficace afin de connaître Redouane, son style, sa ligne de pensée et ses œuvres.
Cadre théorique de recherche
Le transfert des éléments culturels d’un texte vers une autre langue désigne le plus souvent le fait de traduire la composante culturelle de la langue source. Dans le champ de la traduction, on parle souvent du décalage culturel sur lequel Jean-Pierre Richard s’exprime ainsi: «Cette notion désigne généralement l’écart perçu entre la culture d’origine et la culture d’accueil» (1998, p. 151). Vu cet «écart», si l’on néglige l’identité culturelle du texte de départ, on ne fait que détruire la réalité qui doit se refléter dans le texte traduit et si l’on veut préserver cette identité, les problèmes surgissent en traduction. Cette identité culturelle se voit à travers les culturèmes de tout texte sous forme de noms propres ou communs renvoyant à des référents extralinguistiques. Il incombe donc au traducteur de les transmettre dûment vers la langue cible sans porter atteinte au vouloir-dire de l’auteur. On s’interroge alors sur les modalités de la réalisation de cette tâche et les méthodes qu’il faut adopter.
Comme cette étude pivote autour des culturèmes du roman précité, les stratégies de traduction proposées par Michel Ballard dans son livre Les noms propres en traduction (2001) semblent les plus pertinentes à nous aider dans l’analyse des éléments socio-culturels de ce texte. Ce traductologue y a présenté sa méthodologie en deux catégories principales:
1. Préservation de l'étranger (sans ajouter de clés au sens) 2. Priorité au sens et acclimatation
(se détacher du signifiant en mettant l'accent sur le signifié). Pour lui, la préservation des éléments culturels permet non seulement de respecter l'identité de leurs références, mais aussi de faciliter considérablement la compréhension visuelle et même auditive de chacun d’entre eux pour le lectorat. En effectuant l’analyse des extraits de notre corpus, nous allons constater quelle catégorie serait mieux adaptée au contexte.
Analyse des éléments socio-culturels en traduction
Parmi les éléments socio-culturels de tout texte, les anthroponymes occupent une place de choix pour nous faire dévoiler divers aspects de la culture source. Considérés comme la catégorie la plus fondamentale de la nomenclature, les anthroponymes sont «utilisés pour désigner un individu sous forme de prénom, du nom de famille et de surnom. Contrairement aux noms communs qui décrivent des objets ou des concepts généraux, l'anthroponyme identifie et fait distinguer une entité humaine spécifique dans un contexte donné» (Djalili Marand et al., 2024, pp. 151-152).
Ces noms représentent plus que de simples étiquettes d'identification, une passerelle donnant accès à la culture, à l'histoire et aux valeurs inhérentes d’une société. Comme l’a précisé Ballard: «Le nom de personne se charge de faits au cours d'une chronologie qui constitue le destin d'un individu; celui-ci va s'enraciner plus ou moins dans l'histoire, la mémoire collective et c'est cet aspect qui le rattachera à la culture d'un groupe» (2001, p. 178).
Etant donné que les prénoms et les noms de famille occupent une grande place dans ce roman et qu’il faut mener une recherche à part à ce sujet, nous avons circonscrit les anthroponymes au nom des Saints, à savoir les noms bibliques qui parsèment ce récit. La traduction adéquate de ces noms propres vers une autre langue revêt une importance toute particulière car outre le côté dénotatif et conceptuel, ils symbolisent souvent des traits caractéristiques associés au Saint en question. En fait, lorsqu'on fait référence à la religion, il s'agit d'un ensemble d'idéologies qui trouvent leurs racines dans l'identité historico-culturelle de l'humanité et qui, grâce au soutien de leurs adhérents, se sont progressivement insérées dans la culture de différents pays comme l’ont souligné Navarchi et Motamedi: «Certains noms propres appartenant à l’histoire de l’humanité sont mentionnés par toutes les religions et ont des équivalents exacts dans la culture cible» (2018, p. 127), donc, on s'attend à ce que le lecteur identifie la référence demandée sans avoir besoin d'explications supplémentaires, mais il faut ajouter que cet équivalent exact peut subir des changements phonétiques d’une langue à l’autre.
Exemple N° 1
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Texte original |
Traduction |
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Vera accordait une importance quasi religieuse à toutes les fêtes et plus encore à «Ivan Kupala», la Saint Jean, et à toutes les nombreuses autres célébrations propres à leurs habitudes culturelles |
ورا به تمام جشنها خصوصا به روز ایوان کوپالا یا همان روز گرامیداشت یحیای مقدس و بسیاری از جشنهای دیگر که ریشه در عادات فرهنگیشان داشت اهمیت میداد و تقریباً نگاهی مذهبی به آنها داشت. |
Cette phrase aborde une ancestrale célébration ukrainienne ayant lieu chaque année pour rendre hommage à «Jean le Baptiste», fils de Zacharie et à son épouse âgée et stérile. Le nom de sa mère n'est pas mentionné dans le Coran (Hamidullah, 2000), mais certains théologiens ainsi que le Nouveau Testament attribuent ce titre à Élisabeth, la fille d'Aaron, le frère de Moïse (Darby, 2003, pp. 66-72).
A noter que le nom de «Jean» a été attribué au fils de «Zacharie» sur ordre de Dieu, et que personne n'avait donné ce nom à son enfant auparavant.
Le nom du Saint «Jean le Baptiste» est évoqué en Islam et d'autres religions pour ses actes tels un grand respect envers les parents âgés, annonçant la venue de Jésus pour la première fois et s'abstenant des désirs mondains (de son titre, Hasour (حَصور: étant dans la clôture contre les péchés) (Djalali Noushabadi, 2007). Vu cette réputation, le nom de ce prophète a été inscrit avec des orthographes et des prononciations différentes dans chaque culture, ce qui peut s'expliquer par les règles grammaticales, le système d'écriture, les sonorités de chaque langue et communauté linguistique. «Pourtant, il suffit de regarder un prénom courant comme «Jean» pour voir que les prénoms ont longtemps été adaptés. Du prénom hébreu original, il existe pratiquement autant de déclinaisons qu’il y a de langues européennes (Giovanni, John, Ivan, Juan, Ion, Ian, Joan, Johannes, etc.)» (Vexelaire, 2006,
p. 729).
D’après les recherches faites sur le Saint en question, on peut dire qu’il existe généralement deux formes connues dans les sources persanophones concernant ce nom comme l’ont abordé le Dictionnaire bilingue (Anglais-Persan) Hayem (2005), le Dictionnaire Persan-Français de Gilbert Lazard (2022) et le Dictionnaire Anglais-Persan du millénaire (2007) de Ali Mohammad Haqshenas et al.: «یوحنا: Yohanna», provient des racines hébraïques (יוחנן: honoré par Dieu) et la forme amharique de «Johanna» qui signifie «Dieu est Miséricordieux »[1] . La deuxième forme observée dans les dictionnaires, à savoir «یحیی: Yahya», vient d’une racine arabe issue du verbe «یُحْیِی: qui donne la vie, qui baptise»[2] , ce que le Coran (Hamidullah, 2000) justifie d'une certaine manière dans la sourate Marie: «Que la paix soit avec lui le jour de sa naissance, le jour de sa mort et le Jour où il sera rendu à la vie.»
En revanche, le Dictionnaire Français-Persan de Rahnama (2015) a présenté «Le Saint-Jean» l’équivalent du nom Yahya et l'a défini comme «le cœur d’été, en plein d’été». Cependant, il est vrai qu’Ivan Kupala constitue une fête estivale chez les Slaves, mais vu le terme «une importance quasi religieuse» dans la phrase originale, il semble que le romancier ait mis l’accent plutôt sur «Jean» lui-même que sur le temps de la commémoration annuelle de cette fête.
En général, pour traduire certains noms propres tels que le nom des personnages historiques, Ballard suggère l'approche de l'assimilation phonétique et graphique, qui «affecte essentiellement les noms des personnages historiques, et surtout ceux qui sont pratiquement réduits à un prénom» (2001, p. 30) et dans le cadre de cette explication, il met l’accent sur les noms bibliques. Or, en raison du réseau phonétique différent de chaque langue, il est presque rare qu’un nom ait la même sonorité et la même orthographe dans deux langues différentes, mais le persan et le français, qui sont issus d’un groupe linguistique identique (des langues indo-européennes), et de deux racines complètement différentes (Deyhim, 2011, pp. 7-29), réduisent considérablement cette possibilité: «… il y a dans chaque langue une tendance évidente à adapter les graphies étrangères au système phonologique et graphique de LC (langue cible). Ce phénomène, connu sous le nom d’assimilation phonétique et graphique, échappe au traducteur et provient de la relation interlinguistique» (Moşneanu, 2009, p. 276). Pour notre problématique ici, l’adaptation phonologique (ici «یوحنا» ou «یحیی») semble appropriée plus la traduction de la partie signifiante (Ballard, 1998, pp. 122-223) (saint: (مقدس.
Compte tenu des affinités religieuses (Islam) et des similitudes linguistiques évidentes entre les arabophones et les persanophones, la culture iranienne serait proche de la culture arabe, notamment en ce qui concerne les termes religieux. D'autre part, au-delà de l'origine hébraïque, «یوحنا» pourrait renvoyer à deux références différentes: 1. Jean le Baptiste
(یوحنای معمدان, le baptiste de Jésus, la référence souhaitée de la phrase) 2. Jean l’Apôtre et l’Évangéliste (یوحنای رسول, l’un des disciples de Jean le Baptiste et l'auteur de l'Évangile de Jean)[3]. Et cela pourrait causer l'ambiguïté, car tous les lecteurs ne sont pas familiarisés avec ces deux référents complètement différents ayant la même apparence.
Naturellement, il est préférable de choisir pour Jean le Baptise un équivalent dont le lecteur peut immédiatement identifier l'origine, à savoir «یحیی», forme utilisée et répétée cinq fois dans le Saint Coran (Hamidullah, 2000). En fait, « Dans la mesure où le nom propre désigne un individu ou un lieu unique, il y a intérêt à ce que ces référents puissent être identifiés par tout lecteur, quelle que soit son origine » (Ballard, 2001, p. 38).
Ici, on aborde «Sainte Mélanie», l'une des figures sacrées de la chrétienté qui, grâce à ses actes humanitaires et ascétiques, constitue une entité importante au sein des églises catholiques et orthodoxes orientales, commémorée le 31 décembre du calendrier grégorien et le 13 janvier de l'ancien calendrier[4]
Comme le lecteur iranien n'a pas en général de connaissance de «Mélanie», il incombe au traducteur de fournir les informations nécessaires afin d’empêcher toute ambiguïté puisque « l'interprétation du nom propre dépend d'un bagage cognitif et il a besoin d'être explicité pour les lecteurs de la traduction » (Ballard, 2001, p. 41). Ici, on a initialement fait appel à la transcription et la translittération dont on a déjà expliqué la fonction, en vue de préserver l'authenticité et l'iconicité de cet anthroponyme, conformément au système phonologique de la langue cible comme l’ont conseillé Agafonov et al.: «la transcription est indispensable pour la translation entre deux langues utilisant des alphabets différents» (2006, p. 631). Et pour préserver le principe d’étrangéité et les sonorités de départ, nous avons introduit l'orthographe française de cette Sainte, ainsi qu'une brève explication entre parenthèses (en insérant un adjectif qualificatif : la Jeune) sous forme d'une note infrapaginale qui «permet une consultation plus rapide et plus facile» (Ballard, 2001, p. 110).
L’emploi fréquent des toponymes semble normal chez un écrivain mondial d’où le rôle vital de l’aspect spatio-temporel dans California Dream (2018). Or, la méconnaissance des toponymes, comparés aux pièces d'un puzzle, affecte la lecture non sans empêcher le lecteur d'obtenir le dénouement du récit. A vrai dire, Redouane évoque, dans ses écrits, le nom de différents lieux aux quatre coins du monde, là où une multitude de cultures se croisent. Grâce à l'existence réelle des toponymes utilisés, une nouvelle perspective culturelle s'ouvre au lecteur. A ce propos, Mitterrand souligne que «Le nom du lieu proclame l’authenticité de l’aventure par une sorte de reflet métonymique qui court-circuite la suspicion du lecteur: puisque le lieu est vrai, tout ce qui lui est contigu, associé, est vrai» (1980, p. 194). Grâce à ces informations topographiques riches et réelles fournies par l'auteur, l’assimilation phonétique et graphique des termes originaux semble une méthode adéquate en traduction. Mais parfois, à cause du décalage culturel ou phonique dans les toponymes, le traducteur se tourne vers d'autres procédés. La phrase suivante est donc un exemple polyvalent dans lequel chacun des toponymes est traité différemment.
Exemple N° 2
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Texte original |
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À chaque veille du jour de l’an, le 13 janvier, elle encourageait ses filles à se joindre aux enfants et aux adolescents pour chanter des chansons devant les fenêtres, ce qui leur permettait d’obtenir des cadeaux et des confiseries «shtchedrivky» et «malanki» en l’honneur de Sainte Mélanie (p. 13). |
هر سال، 13 ام ژانویه، شب سال نو، دخترانش را تشویق میکرد که به کودکان و نوجوانان ملحق شوند و جلوی پنجرهها آواز شچدریوکی را بخوانند تا به مناسبت گرامیداشت ملانی مقدس1، هدیه و شیرینی دریافت کنند. |
1 Sainte Mélanie (la Jeune)
Exemple n° 3
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Texte original |
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En quittant l’église Saint-André, ils passèrent par le quartier d’Andriyivski Spusk où ils visitèrent le musée Bulgakov pour ensuite continuer vers la vieille ville, surnommée le «Montmartre de Kiev» (p. 64). |
آن دو کلیسای سن - اندرو 1 را ترک نمودند و به طرف شهر قدیم راه افتادند. برای این کار، باید از محله آندرییوْسکی اسپوسک 2 که ملقب به «مونمارترِ کیف»3 بود عبور میکردند، همان جایی که از موزه بولگاکف بازدید کرده بودند. |
1 Saint-André
2 Andriyivski Spusk
3 Montmartre de Kiev
Ici, on a une longue phrase dont l'arrangement complexe des éléments risque de dérouter le lecteur persanophone qui ne connaît pas l'Ukraine, c’est pourquoi elle est segmentée afin d'organiser les toponymes dans l'esprit du lecteur. Le premier toponyme à examiner est l'église «Saint-André», traduit en «سنت-اندرو», le mot «سن» indiquant le caractère sacré de tels toponymes est transféré par l'assimilation phonétique. Et le nom «André» subit d'abord le phénomène d'anglicisation apparu comme «Andrew», ensuite il est transféré vers le persan, puisque cette langue suit souvent la forme anglaise comme référence pour le nom des lieux étrangers. Malgré le phénomène d'anglicisation, California Dream (2018) est en français, donc le traducteur est censé préserver l'identité de cette langue dans sa traduction, voilà pourquoi on a inséré la forme française de ce toponyme en bas de la page.
Le deuxième toponyme concerne le quartier d' «Andriyivski Spusk» en Ukraine, qui lui-même est une translittération de l’ «Андрі́ївський спуск/ узви́з: la descente Saint-André», à savoir la forme ukrainienne de ce lieu, vers le français[5]. L'auteur l’a inséré sous sa forme translittérée venue de l’orthographe ukrainienne, ce qui aurait été destiné à préserver l’essence culturelle de ce toponyme, puis à défier les connaissances extralinguistiques du lecteur francophone.
En fait, on a respecté le choix de l'auteur en montrant également cette étrangéité instructive destinée à familiariser le lecteur avec la prononciation ukrainienne, tout en préservant l’authenticité lexicale de ce toponyme, mais cette fois avec une translittération du français vers le persan, comme ceci «آندرییوْسکی اسپوسک». Mettant l’accent sur la préservation de l'étrangéité de certains types de noms propres, Ballard souligne que «… la préservation du signifiant est comme une concession à l'étranger, et contribue, du point de vue de la réception, à la création de la couleur locale» (2001, p. 27).
Le troisième cas problématique de cette partie concerne le «Montmartre de Kiev», le surnom donné par les guides touristiques au quartier d’«Andriyivski Spusk» .Ce dernier qui est géographiquement situé entre les montagnes Uzdykhalnytsia et Zamkova en Ukraine, outre les attractions touristiques telles que l'Eglise Saint-André et le Musée Boulgakov, offre aux visiteurs une atmosphère bohème et des scènes artistiques vibrantes (Osmak, 2001). Ce toponyme est comparé à une colline située dans le 18ᵉ arrondissement de Paris où se trouvent des sites attrayants tels que la Basilique du Sacré-Cœur rien que pour les similitudes visuelles, atmosphériques et spécialement topographiques entre le quartier d'Andriyivski Spusk en Ukraine et le Montmartre en France. On a essayé de préserver l’aspect culturel ainsi que la prononciation persane du «Montmartre» par la translittération et pour préciser son origine en suivant les conseils de Ballard lorsqu’il souligne: «L'étymologie du toponyme, si elle est perceptible, peut être réveillée ou exploitée de deux manières: l'une à des fins informatives en relation avec l'extralinguistique du texte, l'autre à des fins ludiques par le jeu de mots» (2001, p. 124).
Cette catégorie comprend des éléments culturels dont divers événements et célébrations, des croyances, des symboles, des modes de vie, etc. qui orientent la trame du récit en permettant au lecteur de découvrir le système de valeurs et l'identité de l’Autre. Pour Ballard «Les désignateurs de référents culturels sont une donnée de chaque civilisation, qui génèrent des termes pour présenter leur culture et en parler» (2004, p. 126). A préciser que pour transférer les référents culturels des romans comme California Dream (2018) qui s’adressent à toutes les couches de la société, on devrait respecter deux points essentiels: préserver la charge culturelle de ces référents dans la langue cible, puis les traduire de sorte que le lecteur ne ressente pas ces mots comme artificiels et secs.
L'Ukraine, où se déroule une grande partie du récit, a une culture très riche qui a vécu divers événements dont la «Révolution orange», considérée comme un tournant socio-culturel important de son histoire: «Peut-être, après avoir joué un rôle important dans l'effondrement de l'Union soviétique, le 8 décembre 1991, avec les présidents russes et bélarusses, l'événement le plus important de ce pays n’est que la Révolution orange en octobre, novembre et décembre 2004 …» (Koulayi, 2006, p. 104).
Exemple n°4
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Texte original |
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Un drapeau orange s’était élevé pour annoncer que ce lundi 22 novembre était déclaré jour du commencement de la «Révolution orange» (p. 55). |
پرچم نارنجی رنگی برافراشته شده بود تا به همه نشان دهد که آن روز دوشنبه2٢ ام نوامبر، روز شروع رویداد مهمی در تاریخ کشور اوکراین به نام «انقلاب نارنجی» است. |
La «Révolution orange» se classe dans la catégorie des «Révolutions de couleur»[6] qui remonte aux élections ukrainiennes de 2004 et à la compétition intense entre Viktor Yushchenko[7], pro-occidental, et Viktor Yanukovich[8] soutenu par la Russie. Après la victoire de ce dernier, de nombreuses rumeurs ont circulé sur la fraude électorale surtout à cause de l'ingérence de la Russie, ce qui a entraîné cette réaction populaire. La tension et la cohésion de cette unité populaire sans précédent rassemblée sur la place de l'Indépendance (Maïdan) à Kiev ont finalement conduit le gouvernement ukrainien à annuler le résultat des élections en organisant un nouveau scrutin que Yushchenko avait remporté avec 51.9% des voix. En fait, cet événement a contribué à renforcer l'identité nationale de l’Ukraine, surtout sur le plan linguistique et politique non sans consolider l’unité et l’empathie entre les Ukrainiens. Comme le romancier a présenté des informations complètes sur la cause, l'histoire, le processus, etc. de ce mouvement national qui bénéficie d'une réputation internationale, on a eu recours à la traduction littérale sans aucune information supplémentaire.
L’exemple ci-dessus se réfère à l'un des événements tragiques survenus en Ukraine en 1932-1933, à savoir «Holodomor» dont le nom est une combinaison du mot ukrainien голод (faim) et мор (mort, destruction) signifiant littéralement «destruction par affamassions[9]». La plupart des analystes qualifient cette tragédie de génocide, notant que le taux de mortalité en Ukraine s’élevait à 3 millions de victimes, tout découlant des politiques socio-économiques de Joseph Staline, qui visait à détruire délibérément les paysans ukrainiens par la famine afin d'empêcher toute rébellion patriotique de leur part. En effet, cette loi ne s'appliquait pas seulement aux fermiers; cela dit, tous les villageois devaient payer ce prix et subir les punitions, même les enfants[10]. Redouane a essayé de montrer dans California Dream (2018) l’ampleur de cette réalité amère en la qualifiant de génocide: «Grâce à sa grand-mère, elle avait appris que son pays, immensément riche qui était le grenier de l’Europe, s’était retrouvé en l’espace de quelques mois, dans l’incapacité totale de pouvoir nourrir son peuple. Un génocide» (2018, p. 16).
Comme dans les cas précédents, pour transmettre «Holodomor» au lectorat cible, il est nécessaire de fournir des informations suffisantes sur la signification, la cause et la date à laquelle cette catastrophe s’est produite. Redouane a donné ces précisions sur cet événement tragique: «L’extermination par la faim, «Holodomor», c’était comme cela qu’on appelait le terrible ravage organisé par Staline contre les habitants de l’Ukraine entre 1932 et 1933, indiqua sa grand-mère» (2018, p. 15).
Exemple n° 5
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Texte original |
Traduction |
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Pour plier notre pays à la politique de la collectivisation forcée, le régime soviétique avait décrété la réquisition de toute sa production agricole s’accaparant de toutes les denrées alimentaires (p. 15). |
رژیم شوروی برای اینکه کشورمان را وادار به پیروی از سیاست جمعآوری اجباری غلات و اراضی کشت کند، دستور مصادره کل محصولات کشاورزی را صادر کرد که با این کار تمام مواد غذایی را صاحب شد. |
Tout d’abord, on doit passer «la collectivisation» au peigne fin. Or, cet acte ne désignait pas uniquement la collecte des céréales, mais il avait une fonction plus large. Selon le Dictionnaire anglais Oxford Advanced Learner's (2024), ce terme signifie «L'acte ou la politique consistant à réunir plusieurs exploitations agricoles, industries, etc. privées afin qu'elles soient contrôlées par la communauté ou par l'État». Le Dictionnaire français L’Internaute (L’Internaute, n.d.) l'a interprété comme: «Action qui consiste à collectiviser, c'est-à-dire à mettre en commun les appareils de production de type usines, terres, machines, entreprises, etc. La collectivisation était notamment opérée massivement pendant la période stalinienne de la Russie[11]». Comme la phrase du roman fait allusion à la confiscation des denrées alimentaires par les Soviets, il se peut que le lecteur persanophone n'arrive pas à saisir le sens exact de la collecte des produits agricoles, ce qui n'est pas le concept total de ce terme, donc pour transmettre le sens de « la collectivisation», on estime que l’incrémentalisation, insérée à côté de la traduction littérale du mot en question (collectivisation: جمعآوری), est une approche adéquate dont «l’avantage […] est qu’elle passe plus inaperçue que la note, que certains critiquent pour la rupture qu’elle occasionne dans la lecture» (Wecksteen, 2006, p. 119). En insérant les termes «غلات و اراضی کشت», on a essayé de donner une notion claire de cette politique soviétique, la collectivisation forcée.
Voici un autre pragmonyme portant sur les festivités qui reflètent les us et coutumes de chaque peuple et dont la traduction va au-delà de leur simple transmission. Cette pratique établit un pont significatif entre les cultures et permet aux lecteurs de mieux comprendre la culture étrangère et de préserver l'identité culturelle du texte. «Un pays, une civilisation, une culture, une littérature, une langue ne concédant aucune place à l’Autre se trouvent voués à ressasser, à se répéter, à s’atrophier, à s’éteindre» (Durastanti, 2002, p. 132).
Exemple n°6
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Texte original |
Traduction |
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Vera accordait une importance quasi religieuse à toutes les fêtes et plus encore à «Ivan Kupala», la Saint Jean, et à toutes les nombreuses autres célébrations propres à leurs habitudes culturelles (p. 13). |
ورا به تمام جشنها و از آن بیشتر به روز ایوان کوپالا1 یا همان روز گرامیداشت یحیای مقدس و بسیاری از جشنهای دیگر که ریشه در عادات فرهنگیاش داشتند اهمیت میداد و تقریباً نگاهی مذهبی به آنها داشت. |
:Ivan Kupala 1مجموعه جشنهای تابستانی اقوام اسلاو به مناسبت گرامیداشت حضرت یحیی (یوحنای تعمیددهنده) و نماد تقابل انسانیت و نور در برابر نیروهای اهریمنی و تاریکیهاست که به چهارشنبه سوری ایرانیان نیز شباهتهایی دارد.
«Ivan kupala» (en ukrainie: Іван Купала) est une fête folklorique célébrée dans les pays slaves tels que l'Ukraine le 21 juin, en Russie et au Belarus le 6 juillet (ces dates ne sont pas fixes et changent au fil des ans). Originalement, cette fête était consacrée à la purification ainsi qu’au bain puisque Kupala vient du verbe ukrainien купати (kupat: baigner), mais ce nom est également attribué à celui de Kupalo, dieu de l'abondance. En ce jour, les gens tournent autour du feu et sautent par-dessus pour se débarrasser des forces maléfiques, ce rituel étant un symbole de purification par le feu dans la croyance païenne. En fait, l'importance du feu dans les croyances des Ukrainiens est tellement forte que même lors d'événements tels que les mariages, ils l'utilisent comme symbole pour éliminer le mauvais œil (Balaban et al., 2024, pp. 6-11).
De même, comme déjà indiqué, la coutume de nager pour se purifier joue toujours un rôle essentiel pour les Ukrainiens lors de cette fête, à la différence qu'elle a progressivement pris un aspect religieux et que l'Église orthodoxe bénit l'eau à l'occasion de la commémoration du baptême de Jésus (Yue et Chatalic, 2022).
Comme les célébrations chrétiennes n’ont pas de place en Iran, le lecteur persanophone éprouverait des problèmes pour établir le lien entre «Ivan Kupala» et la «Saint Jean» donc, pour l’enchaînement de la phrase en question, il pourrait imaginer que chacune de ces célébrations est distincte l'une de l'autre, alors par un ajout «یا همان شب گرامیداشت» au nom de «یحیای مقدس» dont on a déjà évoqué sous la rubrique des anthroponymes, on a fait la clarification, de sorte que les persanophones puissent saisir le sens. Voici une brève scène de cette fête décrite par le romancier: «Elle leur parlait des danses que les jeunes filles faisaient en rond en jetant des couronnes dans l’eau, tandis que les jeunes garçons sautaient
par-dessus le feu et partaient chercher la fougère en fleurs» (2018, p. 13).
Une autre action symbolique effectuée par les Slaves pour se purifier durant cette nuit est de «sauter par-dessus le feu» comme Redouane l’a évoqué. On pourrait bel et bien assimiler cette fête à celle de «Tchaharchanbé-Souri», où les Iraniens en sautant par-dessus le feu, visent également à se purifier non sans se protéger face aux calamités:
«Comme le montrent les croyances et les poèmes, c'est probablement à partir de l’époque sassanide que les Iraniens ont progressivement cru qu'en sautant par-dessus l'eau et le feu, ils pouvaient échapper aux calamités et aux maladies, en recevoir de la lumière, de la pureté, de la santé et de la chaleur» (Goshtasb, 2019, p.11).
En tout, pour le cas «Ivan Kupala», en transposant les concepts complémentaires vers la culture cible, on a fait appel à la note infrapaginale, afin de préserver l’identité et le sens du réfèrent en question. Et en vue de créer une image familière pour le lecteur persanophone, on a fait allusion à l’équivalent culturel de cette fête chez les Iraniens, à savoir la nuit de «Tchaharchanbé-Souri:چهارشنبهسوری », sous forme d’un commentaire en bas de page puisque l'incrémentalisation portera atteinte à l'étrangéité du roman.
Exemple n°7
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Texte original |
Traduction |
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Elle sanctifiait aussi l’eau le jour de l’Épiphanie ayant la foi dans ses propriétés curatives la nuit de la veille (p. 13). |
همچنین در روز خاجشویان آب را تقدیس میکرد و اعتقاد به خواص درمانی آن در شب قبل آن روز داشت. |
Cet exemple montre l'une des fêtes chrétiennes les plus solennelles organisée chaque année le 6 janvier (coïncidant avec la Nativité du Jésus-Christ selon l'autorité des Livres Saints). Le terme «Épiphanie» a été observé pour la première fois en 1275-1325 du grec ancien epipháneia «apparition »[12] et chez les païens, il désignait les sacrifices accomplis en mémorial de la venue d'un dieu sur la terre.
Dans la tradition orthodoxe orientale, «l'Épiphanie» est reconnue comme le jour commémorant la manifestation de Jésus au titre de «Fils de Dieu» lors de son baptême conféré sur les bords du Jourdain par le Saint Jean, le moment où la Trinité (Père, Fils, Saint-Esprit) fut également manifestée (Kyrtatas, 2004,
pp. 205-206). En Ukraine, «l'Épiphanie» est connue sous le nom de Vodokhresche (Водохреще: le baptême dans l'eau). Les Ukrainiens sanctifient l'eau et croient en ses propriétés curatives. Ils nagent dans des bassins de glace[13], se servent de l'eau bénite lors des fêtes de naissance et des mariages, ainsi qu’en aspergent sur les tombes, suivant la croyance traditionnelle ukrainienne que l'eau de Vodokhresche est considérée comme un signe de vie qui suit l'homme dès sa naissance à sa mort.
En examinant «l'Épiphanie» sur le plan sémantique et après avoir vérifié les sources persanes qui se penchent sur cette fête liturgique, on y a détecté la présence du terme équivalent «خاجشویان: Khadj-Shouyan». D’après le Dictionnaire Dehkhoda (1998), «خاج: Khadj» au premier sens, sur la base de «تاج: Tadj (couronne)», désigne le crucifix, à savoir la croix chrétienne, et «Khadj-Shouyan» est la fête de l'église le 6 janvier, commémorant l'apparition du Christ aux yeux des païens. Hassan Anvari a ainsi interprété ce terme dans le Dictionnaire Sokhan (2002) «Il s’agit d’une fête chrétienne du sixième jour de janvier. Mirza Mohammad Ali Mahalati (alias: Hajj Sayyah), homme politique et voyageur irano-américain de l'ère constitutionnelle en Iran, a également employé ce culturème dans son carnet de voyage». En plus, Ali Akbar Nafissi (alias: Nazem Al-Atebba), dans le Dictionnaire Nafissi (1999), a défini «Khadj-Shouyan» comme «la première fête annuelle des Arméniens et d'autres religions orthodoxes le 24 du Capricorne».
Vu la présence de ce pragmonyme chrétien dans les sources persanophones fiables depuis des décennies, «Khadj-Shouyan» en orthographe persane a été indiqué en italique afin de préciser au lecteur la nature propre de cet événement culturel.
Conclusion
La traduction des éléments socio-culturels en tant que reformulation au service du développement de la pensée permet de comprendre les enjeux de différentes sociétés. De ce fait, le traducteur n'est pas seulement un explorateur entre deux langues, mais deux cultures différentes, parfois bien éloignées l’une de l’autre. Les approches à adopter pour traduire ces éléments semblent vitales puisqu’elles influencent l'état d'esprit de la communauté cible à l’égard des informations nouvelles. Par conséquent, la transmission du sens doit se dérouler de sorte que le lecteur éprouve le même sentiment que le lecteur de la langue source.
À cette fin, le transfert adéquat d'un texte culturel repose principalement sur l'étude systématique des aspects linguistiques et des dimensions ethnographiques venant de la culture source.
Après l’étude analytique de notre traduction du roman California Dream (2018), nous avons trouvé des réponses convenables à nos questions de départ. Pour transmettre les éléments socio-culturels liés aux anthroponymes et aux toponymes, le recours à la transcription, à la translittération ainsi qu’aux notes infrapaginales s’est avéré indispensable afin de respecter le principe d’étrangéité du texte. Étant donné que le système linguistique du français et du persan sont complètement différents, l'utilisation de «report simple» proposé par Ballard (inclusion d'un nom propre dans le texte traduit avec la même orthographe originale) n’est pas une approche logique. En fait, notre traduction part intrinsèquement de sa deuxième approche, à savoir la transcription et la translittération, bien que Ballard les considère comme des variances de «report simple», car toutes les trois visent à préserver le nom propre avec sa prononciation de départ.
Par contre, en transposant les référents culturels vers le persan, on a recouru à diverses approches telles que l'assimilation phonétique et graphique, la traduction littérale, l'incrémentalisation, l'équivalent culturel et la substitution qui consiste à insérer la définition à la place du terme d'origine. Comme prévu, l’approche de la note a pris le dessus sur les autres méthodes dans le processus de la traduction concernant des noms propres. En fait, les traducteurs sont divisés sur le choix entre la note en bas de page et l'incrémentalisation; cependant, à notre avis, la traduction des éléments culturels accompagnée des notes infrapaginales se révèle la meilleure, car elle enseigne au lecteur l'étrangéité et la cohérence culturelle tout en assurant le sens souhaité de chacun, à condition que les explications soient brèves pour ne pas fatiguer le lecteur. En plus, Redouane s'est efforcé pour sa part de donner un large éventail de connaissances générales à ses lecteurs en insérant souvent des brèves explications pour des éléments concernés. Alors, comme le roman est intrinsèquement comme une encyclopédie socio-culturelle, l'ajout d'explications supplémentaires au sein du texte traduit ne serait recommandé car, outre le problème de la confusion entre la voix de l'auteur et celle du traducteur, cela augmenterait le volume crut du texte. De toute façon, notre tâche porte sur la traduction de cette œuvre, pas de rédiger un commentaire, donc il nous a semblé préférable de mettre des explications supplémentaires en marge.
En plus, l’étude de certains éléments culturels nous a amenées à établir une comparaison entre les us et coutumes de différents peuples comme la fête pégano-chrétienne d'Ivan Kupala chez les Slaves et à la nuit de Tchaharchanbé-Souri célébrée en Iran et c'est ainsi que la connaissance de l'Autre contribue à la connaissance de soi.
Enfin, étant donné que California Dream (2018) constitue un brûlot aux multiples potentialités, l’expression anglaise «California Dream» en tant que titre de ce roman français, l'exil et ses diverses conséquences sur les déracinés, etc. figurent parmi d’autres problématiques discutables de cette œuvre qui offrent de nouvelles perspectives socio-culturelles aux chercheurs.