La relecture de Mondo de J.-M. G. Le Clézio: Pour une écopoétique littéraire

Type de document : Original Article

Auteurs

1 Doctorante, Université Azad Islamique, Branche des Sciences et de la Recherche de Téhéran, Téhéran, Iran

2 Maître-assistant, Université Azad Islamique, Branche des Sciences et de la Recherche de Téhéran, Téhéra, Iran

3 Maitre de Conférences, Université Azad islamique, Branche des Sciences et de la Recherche de Téhéran, Téhéran, Iran

Résumé

La littérature contemporaine se tourne à la fin de XXe siècle vers de nouvelles formes littéraires axées principalement sur les préoccupations environnementales; un imaginaire écologique en rapport avec la nature s’éclore, une sorte de retour à l’authenticité qui met l’environnement au-devant de la scène. Le milieu naturel occupe de plus en plus l’imaginaire littéraire et s'oriente vers un nouveau rapport avec la nature environnante qui constitue une des préoccupations principales des auteurs contemporains, y compris celle de Le Clézio(1940).Ce dernier représente à travers Mondo (1978) un imaginaire littéraire où l’environnement naturel s'affiche comme une préoccupation majeure; l'auteur s'applique à y décrire le parcours évolutif d’une jeunesse perdue qui mène à une lutte conflictuelle entre l’homme et la civilisation. Alors dans le cadre d’une étude descriptive et analytique, cette recherche s’est fixé comme ambition, une fois définie l’écopoétique, de faire ressortir l’importance d'une analyse écopoétique de "Mondo" et tente une approche de ce récit du point de vue de l’écopoétique, en étudiant les éléments constitutifs de la nature (la mer, la montagne, la colline, etc.), tout en cherchant à en extraire la description et la narratologie comme le noyau primitif de l’écriture le clézienne. Les résultats de la présente recherche laissent à penser que Le Clézio, s'érigeant en défenseur de la nature et des cultures minoritaires, fait une large place à la thématique écologique dans cette nouvelle.

Mots clés

Sujets principaux


Introduction

Vu l'essor des enjeux climatiques et l’emprise croissante de l’homme sur sa biosphère, la littérature d’inspiration écologique, mise aux oubliettes pendant longtemps, ne cesse de gagner du terrain ces derniers temps au sein du contexte littéraire; en témoigne l'expansion rapide de l’écocritique dans le champ littéraire et une visibilité croissante du mouvement principalement au sein de l’univers académique. Peu appréciée en France jusqu’aux années 70/80, dont la littérature s'occupe principalement de la dimension sociale ou historique de l’homme en délaissant la Nature, l’écopoétique, cherche dorénavant à concilier l’étude environnementale dans sa dimension naturelle et socioculturelle avec la littérature. Dès lors, les années 1990 voient s’émarger cette critique moderne ayant pour base le dualisme nature/culture, homme /nature et géographie /littérature, s’associant en cela aux courants comme la géocritique, incarnée par des figures comme Bertrand Westphal , Michel Collot, ou la géopoétique, représentée par Michel Deguy, ou Kenneth White notamment. L’écopoétique s’interroge, pour sa part, sur des formes poétiques à travers lesquelles les auteurs personnifient le règne végétal et animal, évoquent la nature et les problèmes écologiques tout en mettant en avant le travail de l’écriture. Jean-Marie Gustave Le Clézio (1940) est l’un des écrivains français les plus lus et les plus consacrés par les prix littéraires. Il n’y a l’ombre d’aucun doute que cette consécration mondiale est due en partie au caractère cosmopolite et à la «poétique de la mondialité» (Mbassi Ateba, 2008) de sa création littéraire; un écrivain qui n’a cessé de se faire l’apôtre de l’environnement naturel et de l’équilibre écologique. Prenant sa distance avec le monde moderne, il cherche l’autre côté du monde et tente de reconstituer le Paradis perdu ou l’Age d’Or. La ville moderne imaginée par Le Clézio est chargée d’images hostiles et inhumaines, elle est dénaturée et les lois y régissant privent l’homme de sa véritable liberté. Dès lors, son œuvre regorge d’histoires racontant la quête du bonheur originel qui se réalise par l’éloignement de la civilisation, ou en se réfugiant au sein de la nature, un "Ailleurs" où on vit une autre vie, un repère, une lumière comme un phare dans la nuit.

Cette image de la nature comme refuge, représentée comme retour à un univers de paix et de sérénité, une nature protectrice et maternelle, est souvent associée à l’image de l’enfant. La nature apparait comme un lieu où l’enfant vit sa liberté, à l’opposé de la ville, associée à l’adulte. Avides de paix et de liberté, ces enfants, illustrant la pureté et la simplicité, l'innocence et la candeur, quittant l'univers des adultes pour aller «à la découverte de la nature et de ses richesses et vivre en harmonie avec la mer, le soleil, les étoiles et les animaux. Ils sont très heureux de s’initier aux mystères et aux secrets de la nature qui leurs procurent une joie éphémère nourrie par une profonde quiétude» (Guerid, 2021: 8). Lorsqu’il parle de Le Clézio, en faisant allusion à la problématique écologique, Pierre Schoentjes remarque :«Il ne fait aucun doute que l’attribution du Nobel de littérature à Le Clézio a été une manière de consacrer l’œuvre d’un auteur qui s’est précisément montré depuis longtemps sensible aux problématiques environnementales, même au-delà des frontières de la France» (2010: 478). Ce lauréat de prix Nobel en 2008 interpelle, à travers Mondo (1978) l’humanité face à l’urgence climatique et la protection de l’équilibre écologique. Un récit fantastique où règne une ambiance de réconciliation avec un monde naturel fabuleux, où le soleil et la nature sont valorisés, la mer est omniprésente dans son immensité, comme étendue infinie et incarnation de l’absolu. Une lecture écopoétique de cette œuvre permet donc de percevoir comment la prise de conscience écologique se manifeste et évolue chez le protagoniste. Alors dans le cadre d’une recherche descriptive et analytique, cet article ambitionne d’approfondir la poétique écologique à travers la nouvelle Mondo (1978), du point de vue de l’écopoétique. Notre réflexion portera donc principalement sur le questionnement suivant: Quelle image de la Nature Le Clézio développe-t-il à travers cette nouvelle? Dans quelle mesure l’écrivain sensibilise-t-il ses lecteurs au questionnement environnemental à travers les imageries de cette nouvelle? En quoi l’esthétique littéraire de cette œuvre est-elle écologique? L’objet de cette recherche consiste à apporter un début de réponse à ces interrogations. Nous nous sommes également efforcés de démontrer que Mondo est le symbole d’une vie controversée où l’affrontement de l’homme avec la nature pourrait être le reflet de toute étude écopoétique.

 

Perspectives historiques de la recherche

La présente étude aborde un territoire très peu exploré en Iran et désire alors pousser plus loin les limites de la recherche. Quant aux études existantes connexes à notre sujet, des recherches ont été réalisées, nous allons en citer, entre autres, quelques-unes: Étude du bon sauvage dans l’univers romanesque de Mondo et Vendredi (2015); les auteurs ont procédé à l'analyse de l’univers interne de ces deux œuvres en s’appuyant sur les idées bachelardiennes. L'étude du procédé expressif de l'hostilité de ces deux écrivains contre la vie moderne est l’objectif affiché de cette recherche. Par ailleurs, l’article Approche écopoétique de la littérature de jeunesse persane (2019) explore le sujet de la problématique environnementale à travers Les Intelligents de la planète d'Orak, en étudiant la façon dont la question de l’environnement est évoquée dans la littérature de jeunesse persane. La Ville, lieu de découverte et d’hostilité: Mondo de J.M.G. Le Clézio et Vingt-quatre Heures dans le sommeil et le réveil de Samad Behrangi. (2020). La chercheuse se propose de développer le thème de l’errance, de la solitude chez les deux écrivains, présentant aux lecteurs des enfants errants qui n’arrivent pas à s’intégrer à la cité moderne et posent le problème de l’intégration de l’enfant dans la société moderne et la communauté urbaine. Une autre recherche intitulée: Ecopoétique et imagination environnementale, pour un écologisme humaniste et une perspective éducative dans Mondo et Autres Histoire de J.M.G Le Clézio (Guerid, 2021), Revue algérienne des lettres; dans cette recherche, l’auteur algérien aborde l’écocritique et l’écopoétique, en mettant l’accent sur une lecture écopoéticienne de Mondo et autres histoires.

Parallèlement aux recherches associées déjà effectuées sur Mondo, cette étude, sans pour autant se targuer d'une parfaite nouveauté, cherche à jeter un regard nouveau sur cette nouvelle. Le choix du sujet se justifie par la faible quantité de recherche en Iran concernant l’analyse écocritique de ladite nouvelle, nous souhaitons également pousser plus loin les analyses et combler au moins pour partie les lacunes en la matière.

 

 

Cadre théorique de la recherche

L’œuvre le clézienne se divise, en principe, en deux parties: d’une part ses romans, empreints de négativité, rejettent la société fortement industrialisée qui met en danger l’homme et la nature par la surexploitation des éléments qui l’ont créée, et d’autre part, Le Clézio tente d’échapper à cette société en cherchant un sentiment d’harmonie avec la nature, et met l’enfant, «symbole d’innocence et d’amour» et la nature au centre de son écriture. Il est partagé entre la quiétude de l’univers naturel et l’agitation du monde industriel :»Réaliste et visionnaire à la fois, il (Le Clézio) est l'un des rares écrivains à avoir su rendre avec autant d'acuité l'agression du monde d’aujourd’hui «(Berton,1983: 144). Dans le sillage de Baudelaire, Le Clézio détaille tout au long de sa narration le paysage de la ville moderne, parallèlement à la description de la nature dans ses derniers romans. Lors de la Foire du Livre de Francfort en 2017, J.-M. G. Le Clézio reconnaît que les enjeux environnementaux sont les grands axes de sa narration :«Je crois beaucoup à l’écologie, c’est mon vrai combat, je ne suis militant d’aucune cause que de celle-ci. L’équilibre!». Le combat qu’il mène à travers Mondo, témoigne de sa volonté d’encourager une prise de conscience des problèmes environnementaux. Alors dans le présent article nous nous intéressons à étudier le rôle symbolique des éléments de la nature (la mer, les montagnes, les collines, les animaux, etc.) à travers une lecture écopoétique de Mondo. Grandement marqué par son vécu et de ses expériences, l’auteur, qui avoue souvent fuir «la vie agressive des grandes villes» (Le Clézio, 1997: 10), traduit cette attitude par des conduites et des réactions de Mondo. Le thème de la nature qui parcourt cette nouvelle constitue le canevas de la critique thématique. Par ailleurs l’univers romanesque le Clézien demeure au sein de la pensée novatrice comme l’évasion de l’être humain dans la nature, dont les signes, les traces et les marques constituent la trame de la critique thématique. En sus, on voit les signes dans la mobilité de Mondo dans la nature, les traces de son enfance le conduisent vers l’évasion et en fin de compte les marques de son parcours évolutif font de lui un personnage ultra- émouvant. Certes, la critique thématique se caractérise par un acte de conscience au moment où l’imagination de Mondo s’approche plus ou moins de son désir créatif qu’est la sublimation identitaire.

 

De l’écocritique à l’écopoétique

Dans la lignée des romans dont l'action se déroule principalement dans la nature où la présence humaine problématise les effets de toute attitude volontaire envers la quête d’identité, l’écocritique devient le vecteur de cette réalité transcendante: le rapport entre l’homme et la nature se fait par l’autonomie de l’esprit. Celle-ci se cristallise dans le sens où l’écopoétique fait l’objet d’une connaissance intime lorsqu’il s’agit d’une tendance conflictuelle: l’admiration s’oppose à l’exagération. De là provient la cohérence entre l’écocritique et l’écopoétique de sorte que Mondo de le Clézio représente l’itinéraire d’un discours purement littéraire: «l’idée d’un discours sur l’environnement, discours que serait celui de la littérature» (Franco, 2016: 234). De plus, l’écocritique du XXIe siècle examine plus particulièrement le rapport entre l’humain et son environnement ; elle tente de sensibiliser l’opinion publique à l’égard de l’environnement en responsabilisant les gens envers la nature. Dans l'introduction de son ouvrage intitulé "The Ecocriticism Reader: Landmark in Literary Ecology”, Cheryll Glotfelty propose la définition générale de ce terme: «L’écocritique étudie les rapports entre nature et culture et, plus précisément, les artefacts culturels de la langue et de la littérature. En tant qu’approche critique, elle a un pied dans la littérature et un autre sur la terre; en tant que discours théorique, elle négocie entre l’humain et le nonhumain» (Glotfelty, 1996: 19). Ou tout simplement, Glotfelty la définit comme «l’étude du rapport entre la littérature et l’environnement naturel» (Glotfelty, 1996: 18). Trois ans plus tard, au cours d'un forum PMLA sur l’écocritique, Ursula Heise propose une autre définition de l’écocritique, insistant sur une étude en profondeur du concept de la nature: «l’écocritique analyse les manières dont la littérature représente la relation humaine à la nature à des moments particuliers de l'histoire, quelles valeurs sont attribuées à la nature et pourquoi, et comment les perceptions de la nature façonnent les tropes littéraires et genres» (K. Heise, 2008: 1097). Cette définition cherche à mieux comprendre les images, mythes, motifs, genres et récits qui sont utilisés pour parler de la nature dans les productions littéraires. Plus tard le terme anglo-saxon d’écocritique cède sa place à l’écopoétique, notion en vogue dans l’espace francophone, qui se focalise sur «l’écriture et la forme même des textes comme une incitation à faire évoluer la pensée écologique, voire comme une expression de cette pensée (Jaquier, 2015: 1). Par opposition à l’Ecocriticism, «courant anglo-saxon qui se fait jour au cours des années 1970, dans lequel elle s’inscrit, l’écopoétique permet d’aborder sous un nouvel angle des œuvres qui témoignent d’une conscience environnementale et s’impose plutôt dans l’espace francophone, se caractérisant par une approche formelle plus prononcée» (Glotfelty, 1996: 15). Elle se focalise sur la découverte de nouvelles formes d’habitat, de nouveaux rapports entre l'homme et la nature; elle prend goût aux nouveaux langages pour dire la nature et met l’accent sur l’écriture, le style, l'esthétique, les techniques et formes littéraires: «il s’agit d’analyser par exemple la signification des métaphores et la façon dont celles-ci ajoutent un sens supplémentaire aux descriptions du monde naturel; de voir comment les auteurs expriment le rapport entre l’homme et l’environnement par le biais des procédés d’anthropomorphisme, de personnification et de zoomorphisme» (Schoentjes, 2013: 278). Partant de ce point de vue, il faut dire que le discours littéraire pourrait être le pivot de tout élan perfectible notamment quand il s’agit d’un Mondo de le Clézio. Ainsi, la lecture écopoétique de Mondo, nous révèle, d’une part le rapport entre le protagoniste et l’environnement, et de l'autre, son rapport avec les animaux, et ce, grâce à l’usage des figures de style qui sillonnent cette nouvelle. Dans ce sens, nous avons également tenté d’examiner comment le questionnement environnemental est représenté à travers le langage imagé de Mondo.

 

Mondo face à la nature

La nature occupe une place centrale dans Mondo. Elle est le point de départ de l’histoire, le moteur des aventures et suscite chez le lecteur une attitude positive lui permettant de façonner son imaginaire environnemental et l’amène vers l’utopie d’une réconciliation entre nature et civilisation humaine. A travers Mondo, Le Clézio met l’accent sur un aspect essentiel des écrits de la nature qui est celui du rapport entre les hommes et les animaux, les hommes et leur habitat; une analogie s'établit entre l’état d’âme de ses personnages et leur milieu qui favorisera une prise de conscience écologique et va dans le sens de l’idée selon laquelle:« la manière dont la littérature montre le monde naturel n’est en effet pas sans influencer le regard que nous lui portons» (Schoentjes, 2013 :117). La nature se relie étroitement aux sentiments du protagoniste et à ses idées maîtresses, elle incarne un refuge dont il dispose pour se ressourcer et fuir les turpitudes de la société. L'image de la nature évolue suivant la narration et en fonction de la sensibilité artistique au monde extérieur; ce récit est marqué de part et d’autre part des éléments naturels: »Le Cosaque ressemble à un ours avec son bonnet de fourrure« (Le Clézio,1978: 58); »le tuyau d'arrosage de l'ouvrier ressemble à un serpent «(Le Clézio,1978: 59); »les pièces qui tombent par terre dans le spectacle de Le Gitan sont comme une grosse pluie« (Le Clézio, 1978: 60); et« le bruit des voitures circulant sur la place ressemble à un bruit doux comme l'eau» (Le Clézio, 1978: 61). Thi Chin essaie de faire comprendre à Mondo que la nature est une richesse universelle et la source de vie pour l'humanité en entière sans aucune distinction:
»-C'est beau, dit-il. Qu'est-ce qui fait tout cet or? - C'est la lumière du soleil, dit Thi Chin. -Alors vous êtes riche? – Thi Chin riait." Cet or-là n'appartient à personne« (Le Clézio, 1978: 47).

 

Mondo sensibilisé au contact de la nature

Le rôle des perceptions sensorielles – visuelle, auditive, olfactive, tactile et même gustative -est considérable à travers la narration le clézienne, son écriture s’attache à rendre présent l’environnement naturel en s’appuyant sur les impressions sensorielles: Le pouvoir du regard est l'un des traits déterminants de Mondo, lequel doté d'un esprit ouvert est capable de voir, sentir, toucher et d'entendre la nature environnante:

»Il s'arrêtait pour regarder (la vue) dans les caniveaux, ou pour arracher (le toucher) des feuilles aux arbres. Il prenait (le toucher) une feuille de poivrier et il l'écrasait (le toucher) entre ses doigts pour sentir l'odeur (l’odorat) qui pique le nez (l'odorat) et les yeux (la vue). Il cueillait (le toucher) les fleurs du chèvrefeuille et il suçait (le goûter) la petite goutte sucrée (le goûter) qui perle (la vue) à sa base du calice. Ou bien il faisait de la musique (l'ouïe) avec une lame d'herbe pressée contre ses lèvres (goûter)« (Le Clézio, 1978: 40).

Il faut souligner l’importance que Le Clézio accorde à la vue dans cet ouvrage; comme si l’être vivant, c'est d'abord savoir regarder, ce sens l'emporte sur les autres dans la narration: »C’était un garçon d'une dizaine d'années, avec un visage tout rond et tranquille, et de beaux yeux noirs un peu obliques. Mais c'était surtout ses cheveux qu'on remarquait, des cheveux brun cendré qui changeaient de couleur selon la lumière, et qui paraissaient presque gris à la tombée de la nuit «(Le Clézio, 1978: 6). L'importance du regard réside dans le fait que, chez Le Clézio, le regard apparaît comme un lien reliant le monde profane au monde sacré, le regard engage aussi bien deux facultés pour percevoir l’univers intérieur et extérieur: les sens et la conscience; cette possibilité qui pourrait dépasser les facultés humaines pour connaître véritablement, comme une force divine, un don surnaturel.

 

Mondo devant les éléments de la nature (l’océan, la mer et la plage)

La mer est omniprésente dans son immensité au sein de la production littéraire de Le Clézio, y compris à travers Mondo, étant décrite comme couverture infinie, une porte vers un ailleurs et une image concrète de liberté ne connaissant aucune frontière: l’eau reste un élément constitutif de la nature vitale pour l’être humain, raison pour laquelle elle est présente partout dans le roman :«Les pages qu’il consacre à la mer sont parmi les plus belles que Le Clézio ait écrites. Rares sont ses livres qui n’y font pas référence» (De Cortanze, 2009: 19). Elle est à la fois ce don divin qui renferme les souvenirs les plus profonds et à la fois un symbole du liquide utérin qui fait revenir sur son lieu d’origine. Cet élément joue le rôle de matrice maternelle, ainsi que de vecteur de l’imagination humaine et divine. Ce qui rappelle l’image de l’eau dans l’imaginaire collectif, comme le suggère Bachelard :«L’œil véritable de la terre, c’est l’eau. Dans nos yeux, c’est l’eau qui rêve. Nos yeux ne sont-ils pas cette flaque inexplorée de lumière liquide que Dieu a mise au fond de nous-mêmes?» (Bachelard, 1991: 45). La mer est présente même dans la ville et Mondo n'en est jamais loin: La belle colline qui se trouve »juste au-dessus de la mer, tout près des nuages» (Le Clézio, 1978: 42). A travers Mondo, on rencontre de nombreuses formes d’eau: la mer, les vagues, les nuages, les brise-lames et l’arroseur, etc., chacune représentant une image, suscitant chez le lecteur de multiples interprétations du fait de sa richesse sémantique et éveille chez lui une prise de conscience du respect envers cet élément nécessaire à la vie. En premier lieu, la mer est associée à la liberté, c’est l’eau également, autant dire: source de vie, de purification et de guérison. Et lorsque Mondo se baigne dans la mer, il s’imagine purifier le corps par l'eau, et la baignade est vue comme le rituel le plus courant de la purification avant son entrée dans le domaine sacré, incarné par la colline au-dessus de la ville :»Mondo restait longtemps dans l’eau jusqu’à ce que ses doigts deviennent blancs et que ses jambes se mettent à trembler» (Le Clézio, 1978: 31). La baignade représente également le retour de l’homme à la source de la vie, elle symbolise aussi le baptême conduisant à sa purification: «Ce geste symbolique de la purification dans l’eau est considéré comme le pas préliminaire de l’ascension et de la rencontre avec le dieu, qui dépouille l’enfant de tous ses biens d’ici-bas» (Ayati, 2013: 10). Par ailleurs l’eau purificatrice est qualifiée par le qualificatif "transparente" (Le Clézio, 1978: 32). L’eau ne cesse de changer de forme à travers cette nouvelle: chaque état possédant une signification différente:

 

[…]il y avait un nuage de gouttes qui montait dans l'air. Ça faisait un bruit d'orage et de tonnerre, l'eau fusait sur la chaussée et on voyait des arcs-en-ciel légers au-dessus des voitures arrêtées. C'était pour cela que Mondo était l'ami de l'arroseur. Il aimait les gouttes fines qui s'envolaient, qui retombaient comme la pluie sur les carrosseries et sur les pare-brise« (Le Clézio, 1978: 13).

 

Grâce à ce phénomène naturel, le protagoniste et l’arroseur échangeaient de signes d’amitié sans échanger aucune parole. Du reste c'est au sein de la nature, sur la plage que Mondo recouvre la paix, la tranquillité, la liberté et tout ce qui peut calmer son esprit «Il (Mondo) voulait retourner s'asseoir au bord de la mer, sur la plage, pour dormir» (Le Clézio, 1978: 70). Cette plage, lieu paradisiaque, secrétaire, lieu d'absence et de solitude s’oppose à la ville moderne, source d’agitation, de bruit et de désordre: «il regardait la foule qui avançait dans la rue. Ils n'avaient plus l'air fatigué comme au matin. Ils marchaient vite, en faisant du bruit avec leurs pieds, en parlant et en riant très fort» (Le Clézio,1978: 37).

 

Mondo devant la colline, vers une perspective surnaturelle

On comprend l’attirance de la hauteur et la profonde impression exercée par celle-ci sur le protagoniste, laquelle traduit ses aspirations à la transcendance de la nature, lui offrant un accès direct à la pureté et à l’innocence. La colline devient alors le lieu d’un «ailleurs» où les lois humaines restent lettres mortes: dès que Mondo se trouve là-haut, il se croit à l’abri des règles fixées par les humains: «C'était vraiment une belle colline, juste au-dessus de la mer, tout près des nuages, et Mondo l'avait regardée longtemps, le matin, quand elle était encore grise et lointaine, le soir, et même la nuit quand elle scintillait de toutes les lumières électriques. Maintenant il était content de grimper sur elle» (Le Clézio, 1978: 42). La colline met effectivement Mondo hors du monde «d’en bas», le sépare et l’isole dans un espace particulier et lui ôte ses repères, jusqu’à le faire entrer dans l’inconnu total, laissant le monde des hommes derrière lui et au-dessous de lui. Alors, le sentier qui mène vers les sommets des collines était un escalier zigzagant, éprouvant et difficile à arpenter et n’avait rien d’harmonieux. Ce qui représente les épreuves de Mondo sur son chemin vers le bonheur, il était fasciné par ce chemin tortueux et ardu qui «semblait conduire vers le ciel et la lumière» (Le Clézio, 1978: 42). Les collines, qui se pointent vers le ciel, séparent Mondo d’avec le monde profane: «Egalement dans le désert, les collines ouvrent la voie vers le désert, donnent accès au sacré» (Baheiedin, 2013: 7,). Les sentiers, les hauteurs et les collines font partie intégrante de l’environnement de Mondo, les hauteurs autour de la ville incarnent son ascension et son passage à une vie nouvelle, et les liens qu'elles tissent entre la terre et le ciel prennent pour lui un aspect sacré, ouvrant un accès vers la divinité comme un lieu d'élévation :»La belle colline qui se trouve juste au-dessus de la mer, tout près des nuages» (Le Clézio,1978: 42). Les chemins menant aux sommets de la colline, incarnent l’ascension de l’âme du protagoniste; ils lui permettent d’accéder à l’au-delà, à l’instar: »des échelles ou des escaliers servent aux défunts pour monter au Ciel» (Mircea,1952: 63).

 

Mondo et l’univers des oiseaux 

Le bruit des vagues avec celui des oiseaux forment une symphonie naturelle et l’univers des oiseaux représente un monde de paix et de pureté, un monde vierge où la nature a été épargnée. Le chant des oiseaux, le bourdonnement des insectes révèlent la bonne santé de la nature, imperceptible et incompréhensible pour l’espèce humaine. Passionné qu’il fut des oiseaux pour leur caractère doux, Mondo, quelque affamé, jette des morceaux de pain aux mouettes et les partage avec eux. Mais ce ne sont pas effectivement les miettes de pain, symbolisant la terre, qu'il partage avec eux, mais sa solitude, évoquée comme un instant de joie et de distraction: »Mondo descendait la colline jusqu'à la mer, et il allait s'asseoir à sa place sur la plage déserte. Il n'y avait personne d'autre que les mouettes à cette heure-là» (Le Clézio, 1978: 67). Les mouettes, incarnant la liberté et la paix intérieure, sont évoquées symboliquement, grâce à leur capacité de voler, comme les messagers envoyés du ciel vers les terriens. En adoptant ce geste, illustrant une meilleure entente avec les éléments de la nature, Mondo tente d’apprivoiser les animaux qui la peuplent. L’auteur parle aussi des colombes qui incarnent ce voyage délivrant l’homme de l'angoisse qu'il vit dans le monde moderne, celle dont parle Le Clézio dans la plupart de ses romans. Ou plus loin, lorsque l’oiseau est doté de traits infantiles: »Les oiseaux de mer glissaient dans le vent, planaient, tournaient lentement en poussant des gémissements d’enfant« (Le Clézio, 1978: 55). L’oiseau symbolisant la liberté est personnifié et ses cris comparés aux gémissements d’un enfant, lui-même incarnant l’innocence et la candeur; par son vol, l’oiseau apparaît comme un être toujours en quête d’une élévation divine: «le recours au personnage enfantin est la marque d’une préférence prononcée pour l’inné et le pure qui pourrait exprimer la transparence de la vie humaine à l’état naissant» (Sayegh, 2020: 3). Mondo manifeste sa passion et sa curiosité de découvrir les pays lointains par son amour profond envers les pigeons voyageurs: »Mondo aimait bien quand il (le vieux Dadi) parlait, parce qu’il savait beaucoup d’histoires sur les pigeons voyageurs et sur les colombes. Il parlait de leur pays, un pays où il y a beaucoup d’arbres, des fleuves tranquilles, des champs très verts et un ciel doux» (Le Clézio, 1978: 51). Par ailleurs la référence faite aux arbres pouvant être interprété comme le retour à une harmonie perdue entre les arbres et les hommes, ceux-ci étant inhabiles à écouter le langage des premiers. Cette ignorance des hommes envers le langage des arbres constitue en soi un appel au respect de la nature. Et le ciel est porteur d’un message important: rien ne peut remplacer l’espace vaste de l’élément aérien, source de lumière, de vie et de liberté. Ou plus loin encore lorsque l’auteur fait référence au palmier: «Mondo aimait beaucoup les îles. Oh oui, il y a beaucoup d'îles, des îles avec des rochers rouges et des plages de sable, et sur les îles il y a des palmiers!» (Le Clézio, 1978: 22), ces derniers symbolisent «l'immortalité de l'âme et la résurrection» (Chevalier, 1998: 621).

 

Mondo et le monde des insectes

Le Clézio est obsédé plus que tout autre romancier contemporain par l’image de l'insecte, et sa présence dans la quasi-totalité de ses écrits est loin d’être ignorée, les insectes sont loin d’être oubliés dans le discours de l’auteur: l’un des thèmes les plus récurrents tout au long des récits lecléziens est la présence et l’abondance des insectes dans la nature. Le Clézio énumère à plusieurs reprises les diverses espèces d’insectes qu’il observe. En créant un inventaire des animaux, il rappelle aux humains la grande abondance de ressources naturelles. L’insecte, comme le jeune héros de l’histoire, exprime la vivacité et la joie de vivre grâce à une grande acuité de l’esprit et sa connaissance du réel, et il est même doté des traits humains: «L’insecte-pilote faisait sans se lasser son bruit de scie, pour te parler, pour t’appeler» (Le Clézio, 1978: 46). Le langage de l’insecte est en fait le bruit de ses ailes; sa présence à côté d’un enfant à travers la narration, fait oublier le temps en le niant: «Les insectes, par milliers, représentent déjà une vie sans fin, une force incommensurable, que le feu même semble ne pas pouvoir vaincre» (Siganos, 1982: 7). En effet, on constate dans cette nouvelle, le caractère impérieux et universel de cette présence animale qui se déclare, en premier lieu par son chant, qui frappe l'imagination des hommes et embrasse un large éventail de symboles dans la pensée primitive comme dans la poésie moderne. Il est donc normal que le Clézio accorde une place particulière à cette manifestation sonore qui s'assimile à sa vision du monde: «Le crissement permanent des criquets ou le bourdonnement des abeilles représente pour lui "l'électricité universelle", cette inlassable énergie qui parcourt la Terre, et dont la prise de conscience apporte à l'homme la certitude qu'il fait partie d'un Tout cohérent» (Siganos, 1982: 8). Le grincement connu du criquet donne à tout lieu un air familier, berce comme une présence amie: «Oui, ils (les criquets) disent beaucoup des choses, mais on ne comprend pas ce qu’ils disent» (Le Clézio, 1978: 65). Aussi le cri de l'insecte peut-il être entendu comme une invitation, et même comme un effort de communication avec les hommes; manifestation de l'indicible harmonie entre le ciel, la terre, et les êtres qui l'habitent: «C'est pourquoi, lorsque le jeune Mondo parcourt la nuit, le jardin d'une vieille vietnamienne qui l'a recueilli, et qu'il découvre avec elle la beauté du ciel, le chant lancinant du criquet les accompagne dans leur contemplation, comme s'il s'agissait du bruit même des étoiles» (Le Clézio, 1978: 9). Cette musique nocturne prend une véritable signification cosmique. Il n'est donc pas étonnant qu'il apparaisse comme un élément primordial et nécessaire à la compréhension du mystère de l'existence. Ou lorsque le vieillard, apprenant à lire à Mondo, compare la lettre A à une mouche; Mondo essaie de mémoriser et d’identifier les lettres du nom du vieillard qui est en train de lui enseigner à lire. Il a décrit à Mondo: «la lettre A comme une grande mouche aux ailes repliées en arrière» (Le Clézio, 1978: 69). Il s’agit d’une métaphore où le terme une mouche (comparant) renvoie à la lettre A, chargée de caractéristiques entomologiques.

 

Les figures de style à travers Mondo

Parmi les procédés de langage utilisés par Le Clézio exprimant le rapport entre l’homme et l’environnement, la personnification joue un rôle majeur, c’est grâce à elle que le narrateur peut constamment reconsidérer sa place dans le monde, s'y adhérer ou s’en éloigner. Le Clézio perçoit la nature comme une véritable entité vivante, donnant vie à tout: lumière, vent, nuages, plantes, rochers, tous dotés de caractères anthropomorphes et rehaussés au niveau de l’homme. A travers Mondo, le protagoniste tente de chercher les amitiés qu'il espère trouver parmi ses prochains dans des objets inanimés; étant incapable d’établir des liens avec eux, il se renferme progressivement en lui-même et se retire vers la nature en nuant des liens avec des masses inertes: Mondo a une relation privilégiée avec un bloc de ciment, qui est son endroit préféré; conscient du fait que ce bloc avec lequel il entame une conversation est sans vie et demeure coi, il va pourtant vers celui de son choix, le salue et lui parle; «C’était un bloc un peu incliné, mais pas trop, et son ciment était usé, très doux. Mondo s’installait sur lui, il s’asseyait en tailleur, et il lui parlait un peu, à voix basse, pour lui dire bonjour« (Le Clézio, 1978: 28). Ou le processus de l’humanisation qui est en cours: Mondo attribue des caractères humains à cette masse solide, l’opte pour son confident; par ailleurs les syntagmes «il lui parlaitpour lui dire bonjour» reflètent la vision animiste de l’auteur; toujours les mêmes blocs de ciment, représentés sous les traits d’une personne :»Mondo connaissait bien tous les blocs de ciment, ils avaient l'air de gros animaux endormis, à moitié dans l'eau, en train de chauffer leurs dos larges au soleil« (Le Clézio, 1978: 18). Bien qu’il s’agisse d’un objet, il est pourtant doté de traits humains. Ou plus loin, lorsqu’il parle d’un bateau: «Il pensait aussi au bateau Oxyton qui faisait des mouvements pour se détacher du quai, parce qu’il voulait aller jusqu’à la mer Rouge» (Le Clézio, 1978: 71). Ce processus d’humanisation de la nature est fréquemment employé à travers Mondo: Le bateau Oxyton est personnifié à l’instar des humains, par l’emploi du syntagme verbal »il voulait aller «une volonté de voyager lui est attribuée. Jean Ominus souligne que »ce pouvoir d'animation a fait le succès de Le Clézio auprès des enfants parce qu'ils adorent quand la nature se rapproche de l'expérience humaine« (1994: 110). Par ailleurs, l’alphabétisation du protagoniste se réalise dans une école en plein air, un retour à la nature afin de remonter aux origines de codes que l’homme employait fréquemment  par la passé; par exemple lorsque le vieillard se réfère à la nature pour expliquer la forme des lettres de l’alphabet à Mondo en se servant des métaphores anthropomorphes représentées en symboles dont les formes prêtent à des significations qui rappellent les éléments de la nature, à chaque lettre, le maître associait un rapport avec la nature: »G, un gros homme assis dans un fauteuil« (Le Clézio, 1978: 61); une description anthropomorphe de la lettre G qui est personnifié. »P dort sur une patte« (Le Clézio, 1978: 61): le vieux reconnaît bien que la patte renvoie à un animal, un chat ou à un chien, à ce qui paraît, animaux adorés de Mondo: Les lettres ne sont plus des signes muets et neutres, mais ils s’associent étroitement à la nature, ayant pour fonction de transmettre aux êtres humains le secret des éléments naturels et la beauté du monde vivant. Le pentagone finalement obtenu illustrant le nom de Mondo confirme la primauté du rôle de la nature en tant que maître suprême de tout être humain, il symbolise également l’harmonie et l’équilibre naturels en suivant un temps circulaire dans le sens de l’aiguille d’une montre.

Ou plus loin les lettres V, W, »ce sont des oiseaux, des vols d’oiseaux «(Le Clézio, 1978: 61): associant la forme des lettres V et W aux oiseaux de mer, aux longues ailes volant dans le ciel »Le motif de l’oiseau est récurrent dans les récits de Le Clézio, suggérant d’un côté, la liberté totale des personnages et de l’autre, le sentiment d’élévation et d’ascension. Il est présent dès les premières pages et revient une dizaine de fois dans le texte sous des formes différentes» (Ayati, 2013: 11). L’oiseau, motif récurrent de son œuvre, illustre une transcendance à atteindre: l’oiseau, n’est pas moins doté de qualités métaphysiques dans l’œuvre de Le Clézio, il sert le plus souvent de métaphore du ciel et de signe annonciateur des hauteurs spirituelles. Cette créature est la plus libre des créatures, se déplaçant partout, son vol représente la liberté de l’âme.

Mondo et la modernité le clézienne

la ville et l’espace naturel sont deux thèmes obsessionnels de Le Clézio que l’on retrouve dans sa production littéraire. Ces lieux porteraient en eux une dualité: la nature opposée à la ville. Le Clézio est en effet attiré par de vastes étendues, les espaces immenses et illimités, ces lieux originels, où tout est pur et non marqué par l’intervention humaine. Les instincts primitifs ne sont jamais plus forts que lorsque ses personnages découvrent un contexte naturel qui leur procure un ressourcement intérieur, à ces espaces mythiques s’oppose la civilisation occidentale, incarnée par la société urbaine, dépeinte négativement, couverte de métal et de ciment, constamment caché derrière la brume: «l’auteur met en scène des personnages engagés dans un processus de désobéissance aux règles du monde moderne qui privent l’homme de sa liberté et dont l’objectif fondamental est de réconcilier l’homme avec la nature qui l’environne» (Guerid, 2021: 2). Le paysage urbain décrit par Mondo ne laisse prévoir que des scènes horribles: dès qu'il entre dans la ville, il se heurte à des signes insupportables de la modernité qui impose un rythme particulier de vie; Mondo savait parler des choses simples «que les gens avaient oubliées, auxquelles ils avaient cessé de penser depuis des années» (Le Clézio, 1978: 77). Se croyant démuni, Mondo prend peur et s'enfuit de cette communauté dans laquelle il se sent si petit. Personne ne sait qu'un petit enfant existe et ce monde avance comme une machine infernale et sans pitié: «(…) seuls ceux qui regardent vers le bas pouvaient le (Mondo) voir» (Le Clézio, 1978: 67). C’est pour cela qu’à la fin de l’histoire, Mondo se bat pour fuir la captivité et s’échapper de la civilisation; raison pour laquelle, au lendemain de son arrestation: «Il a mis le feu à son matelas, dans l'infirmerie, et il a profité de l'affolement pour filer» (Le Clézio, 1978: 76). Car au lieu d'être un refuge pour Mondo, la ville moderne multiplie ses agressions à son encontre: «La ville pour ces personnages est un lieu vide, ruiné, égarant pour celui qui y survit plus qu'il ne l'habite, un pays d'ombres» (Baheiedin, 2013: 3). Mondo se voit menacé et perçoit la froideur et l’horreur de la ville moderne; l'image de la ville semble l’anéantir, l’agitation quotidienne provoque chez lui de l'angoisse, il tente alors de se retirer sous sa tente, cherchant la compagnie aux éléments de la nature, l'unique moyen pour lui de parvenir à l’ataraxie.

La conclusion

Aujourd’hui des courants d’analyse de textes (géocritique, écocritique, écopoétique, zoopoétique, etc.) se développent afin de mettre l’accent sur l’importance de l’écologie et des préoccupations écologiques au sein des études littéraires. Nous avons cherché, à travers une étude écopoétique de Mondo, à comprendre comment l’environnement naturel et la relation homme/nature et homme/animal se manifestent dans cette œuvre de Le Clézio. Cette lecture écopoétique nous a permis de réaliser que le rapport entre le protagoniste et son environnement naturel s’attribue la partie la plus importante de ce récit, que les éléments de la nature (la mer, les montagnes, les collines, les animaux, etc.) et des liens qu’ils nouent avec le personnage principal constituent les composantes essentielles de Mondo. Tout au long du roman, par une série d’oppositions dans les attitudes de Mondo, Le Clézio confronte en fait deux visions du monde et la vie: la vie en communion avec la nature, telle que la mène Mondo, et celle au sein de la communauté, un mode de vie auquel Mondo tente d’y échapper, au profit d’une vie simple, en accord avec la nature et les animaux. A travers Mondo, Le Clézio fait une peinture parallèle mais contrastée de la nature et de la ville et remet en cause la société moderne et sa violence, prônant au contraire le retour au «Paradis Perdu» et cherche une reconnexion de l’homme avec l’Age d’Or. Notons que le héros de ce court récit est un enfant, en butte à une modernité: l’enfant, symbolisant la candeur et la pureté, est présenté comme le défenseur d’une nature en danger, celle-là même avec laquelle il est en connexion. La simplicité classique de style du roman, l’expression des éléments premiers de la nature et du regard de l’enfant sur la ville et la société moderne, son entente avec la nature, sa solidarité avec l’humanité confèrent à cette nouvelle un caractère purement écologiste. Ce récit est un livre plein de concepts très significatifs, disparus ou oubliés chez l'homme moderne. D’ailleurs, avec une simplicité instinctive de l’écriture, Le Clézio déploie un univers bondé d’images et de sens de la nature intacte pour rétablir la symbolique des éléments naturels basée sur les pensées anciennes. Il reste à souhaiter que par les voies qu’elle trace, cette recherche puisse ouvrir la voie à d’autres études encore plus soucieuses de l’environnement.

 

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