Type de document : Original Article
Auteurs
1 Maître de Conférences, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Université Shahid Beheshti, Téhéran, Iran
2 Associate Professor, Faculty of Literature and Human Sciences, Shahid Beheshti University, Tehran, Iran
Résumé
Mots clés
Sujets principaux
Introduction
Dans cette étude, nous avons l’intention d’aborder la métaphore, appartenant au groupe de figures du sens ou les Tropes désignant des figures du style qui indiquent certains détournements du sens et qui ont pour la base, la manipulation de la forme afin d’obtenir un sens précis par l'auteur.
Ce travail de recherche a pour but, de dessiner une perspective des problèmes de traduire la métaphore. Pour cet objectif, nous allons étudier les métaphores traduites et transmises dans les ghazals de Hafiz par Charles-Henri de Fouchécour, selon des théories d’Henri Meschonnic.
Selon Meschonnic qui est un traducteur sourcier, le fonctionnement des mots est ce qui doit être considéré par le traducteur, car chaque mot joue son rôle et la traduction par décentrement, en opposition de la traduction par annexion, s’estime comme la traduction la plus acceptable qui tient compte de tous les aspects de la traduction y compris, le rythme, l’historicité, la poétique en préservant la forme et le sens et cela mérite la technique, le génie et l’art du traducteur.
Après avoir expliqué les théories de Meschonnic, nous allons aborder la métaphore; étant donné que les figures dans deux langues différentes ne s’accordent jamais complètement, nous allons montrer la métaphore en français et son équivalent en persan: Esteâ’ reh. Il faut dire qu'il n’y a pas de différence à la base de cette figure choisie. Ce sont seulement les typologies qui se diffèrent.
En matière de la traduction des figures du sens, on est souvent préoccupé par certaines questions: Est-ce que les métaphores sont traduisibles? Comment doit-on traduire les métaphores? Quels en sont les difficultés et les défis? Comment peut-on garder le même effet dans la langue du départ que dans la langue d’arrivée?
En réalité, il y a des figures du sens qui sont propres à une langue, surtout quand il s’agit des textes poétiques et traduire ces figures paraît d’abord impossible. Ces figures sont nombreuses dans le poème de Hâfez et notre but est de montrer quelle est la solution de De Fouchécour face à ces problèmes.
Historique de la recherche
En ce qui concerne les études antécédentes, on peut citer l’article: «De la connaissance de l’Orient aux rêves d’une Occidentale: la traduction des poèmes de Hâfez par Gertrude Bell», de Laurence Chamlou dans le livre Rêver d’orient, connaître l’orient, publié en 2008 par ENS éditions;
Il a expliqué la traduction que proposa Gertrude Bell, datée de 1897. C’est la fascination de Gertrude Bell et sa passion pour l’Orient qui ont donné naissance à ce travail de traduction fondé avant tout sur une connaissance et une compréhension de l’Orient indispensables à tout traducteur de poésie persane. Gertrude Bell fait partie de ceux qui se sont imprégnés de l’esprit et de la pensée de Hâfez. Elle est entrée dans la pensée de Hâfez, dans son mysticisme et dans sa vision du monde. Elle a compris cette place extraordinaire que tient ce poète et le dialogue qu’il instaure avec chaque Persan. Elle a su entrer dans un monde aux normes si différentes de celles de l’Occident et sentir les paradoxes, les allégories et les nuances d’une langue et d’une structure radicalement autres. Une fois cette donnée essentielle acquise, Gertrude Bell a pris le parti d’expliquer, d’expliciter les images de la poésie de Hâfez dans une langue anglaise d’une grande pureté et d’une vibrante mélodie. Selon Laurence Chamlou, la traduction de Gertrude Bell a une force de résonance, un écho qui est le propre de toute poésie.
En Iran, nous avons trouvé un article intitulé: «Traduisibilité des poèmes de Hafez basée sur la traduction de Fouché Coure», écrit par Behzad Hashemi et Shahbaz Mohseni (2019). Ils ont analysé la traduction de Fouché Coure pour dire que la traduction de la poésie est relative et on ne peut s’attendre une traduction parfaite.
Mitra Moradi (1390) dans son mémoire de maîtrise intitulé «Polysémie et traduction dans Le Divan de Hafez» a expliqué les difficultés de la traduction des poèmes de Hafez.
En ce qui concerne la théorie de Meschonnic, on peut citer l’article de Mohammad Rahim Ahmadi (2011) «La poétique de la traduction chez Mohammad Qazi», il a analysé la traduction de Mohammad Gâzi selon les idées de Meschonnic.
Enfin, il faut citer les travaux d’Inês Oseki-Dépré (1999), dans son livre: Théories et pratiques de la traduction littéraire sur l’étude comparative des traductions qui montre des éclaircissements pour l’analyse. Nous nous sommes inspirées de ses études concernant la classification des théories et des positions prises par les traducteurs afin de passer de la théorie à la pratique, nous avons pris en compte l'horizon traductif qui a imposé des règles implicites pour traduire et c’est sa manière d'analyser qui nous a aidées à élaborer ce travail.
Meschonnic et la traduction de la poésie
Henri Meschonnic en tant que linguiste, poète et traducteur français, définit les concepts tels que le discours, la poétique, le rythme, le fonctionnement, la transparence, le décentrement, … et la traduction dans sa théorie.
Selon Meschonnic, dans la traduction littéraire, il y a le primat empirique du discours sur la langue. Ce primat passe par celui de la rythmique, de la prosodie, de la polysémie. Le texte littéraire met en jeu tellement de composantes que toute réflexion sur sa traduction est confrontée à une problématique complexe.
Pour lui l’unité de langage, c’est le discours et non le mot et son sens. Et la traduction réussite se définit par lui, comme une traduction qui respecte la poétique et l’unité de la traduction.
Le rythme est un terme principal pour Meschonnic qu’il a proposé comme unité d’équivalence et l’organisation du mouvement de la parole dans l’écriture; d’après lui, il faut que le traducteur cherche le rythme du texte à traduire. Pour lui, le rythme n’est plus en opposition avec le sens, il prend le rythme comme 1'organisation et la démarche même du sens dans le discours. Le rythme permet de définir la forme d'une œuvre, mais il détermine également son sens. Le rythme est le noyau de tous les niveaux d’analyse du texte littéraire; Toute la poétique de Meschonnic repose sur une pensée renouvelée de ce terme (Bourassa, 2013: 89). Cette notion est proposée comme unité d’équivalence ou l’organisation du mouvement de la parole dans l’écriture.
Par la définition que Meschonnic donne du rythme, ce ne sont pas les mots qu’il faut traduire, mais plutôt le rythme dans le discours, ce que l’auteur nomme l’«oralité» propre de chaque texte («le son, la couleur, le mouvement, l’atmosphère» selon Valery Larbaud) propre à chaque texte (Lombez, 2003: 360).
Ainsi, le grand transformateur du traduire n’est pas le sens, les différences dans le sens, l’herméneutique. C’est le rythme. Pas le rythme au sens traditionnel, d’alternance formelle du même et du différent, ordonnance, mesure, proportion. Mais le rythme tel que la poétique l’a transformé, organisation d’un discours par un sujet, et mouvement de la parole dans l’écriture, prosodie personnelle, sémantique du continu (Meschonnic, 1999: 131). Donc, le traducteur pour rester fidèle doit tenir en compte ce que le texte fait, ce n’est plus à traduire la langue mais un système de discours. Selon la définition que Meschonnic donne du rythme, on peut dire que «le rythme (à la fois prosodie et rythme, intensité, souffle et geste) est plus porteur de sens que le signifié lui-même» (Meschonnic, 1970: 269-270).
En plus, ce poéticien reproche aux traducteurs de faire de la trahison qu’ils opèrent envers la littérature. Ils détruisent l’association de la forme et du sens dans l’original lorsqu’ils ne conservent que le sens. Et pour la cacher, le traducteur fait tout pour effacer tout ce qui montre que c’est une traduction, il cherchera le naturel, dans la langue d’arrivée; Meschonnic l’appelle «une transparence»: Il essaie d’effacer sa présence et faire tout pour que le lecteur ait l’impression de lire un texte écrit en langue d’arrivée.
Traduire un texte ne signifie pas, faire comme s'il ne s'agissait pas d'une traduction et effacer toute marque de différence, mais de montrer cette différence. En considérant ce point qu’il faut que le travail du traducteur possède la même qualité que celui de l’auteur; le traducteur doit assumer son rôle de créateur au même degré que l’auteur de sorte que sa présence doit être ressentie.
Alors, Meschonnic définit le décentrement comme un concept capital de cette façon:
«Le décentrement est un rapport textuel entre deux textes dans deux langues-cultures jusque dans la structure linguistique de la langue, cette structure linguistique étant valeur dans le système du texte. L'annexion est l'effacement de ce rapport, l'illusion du naturel, le comme-si, comme si un texte en langue de départ était écrit en langue d'arrivée, abstraction faite des différences de culture, d'époque, de structure linguistique. Un texte est à distance: on la montre, ou on la cache» (Meschonnic, 1972: 3).
La transparence et le décentrement sont deux notions complètement différentes chez Meschonnic. Le mot «transparence» tel qu’il est employé par Meschonnic recouvre un aspect négatif, alors que le «décentrement» est plutôt positif (Ahmadi, 2011: 5).
Le fonctionnement a une place très importante dans ses idées; une bonne traduction exige la considération du fonctionnement des éléments du texte. Les ciblistes font erreurs lorsqu’ils oublient qu’une pensée fait quelque chose au langage et que c’est cela qui doit être traduit. Quelles que soient les langues, il n’y a qu’une source: ce que fait le texte et il n’y a qu’une cible: faire dans l’autre langue ce qu’il fait. Meschonnic (1975) dit «traduire ce que les mots ne disent pas, mais ce qu’ils font». La définition que Meschonnic donne d’une bonne traduction est «La bonne est celle qui fait ce que fait le texte, non seulement dans sa fonction sociale de représentation (la littérature), mais dans son fonctionnement sémiotique et sémantique» (Meschonnic, 1999: 85).
Ce théoricien présente quatre tératologies en traduction:
«les suppressions ou omissions dans le texte, il manque un mot ou un groupe de mots; les ajouts, parce que la traduction se croit tenue d’expliquer; les déplacements de groupes (l’unité étant le groupe, non le mot)-pour des raisons à jamais mystérieuses, ou non encore élucidées, ce qui était au début, la fin au milieu, prétendument pour respecter les habitudes d’une autre langue-sens aucune contrainte linguistique, et sans aucune idée d’une sémantique de position; enfin, banalement, on observe à la fois une non-concordance et une anti-concordance: non-concordance, quand une même unité de sens est rendue par plusieurs, en défigurant le rythme sémantique, et anti-concordance ou contre-concordance, quand inversement plusieurs sont rendues par une seule. Naturellement, non-concordance et anti-concordance peuvent s’ajouter» (Meschonnic, 1999: 27).
Et il demande aux traducteurs d’en éviter afin d’avoir un bon résultat. Nous allons voir les tératologies à travers les analyses, mais avant, il nous faut étudier les figures du sens en français et en persan pour savoir quelles étaient les problèmes de la traduction.
Les figures du sens en français
On sait bien que le classement des figures est si nombreux et parfois si opposé et donc nous avons décidé de choisir des sources plus nouvelles et modernes et aussi celles plus proche du classement persan, mais bien sûr très célèbres et confiantes, comme celles de Pierre Fontanier, Gerard Genette, Georges Molinié et Nicolas Laurent afin d’avoir plus d’exactitude dans l’étude et aussi de diminuer les risques d’un mauvais classement, ce qui influencera l’analyse.
Georges Molinié, dans son Dictionnaire de rhétorique, sur l’aspect linguistique du mot ou de la phrase, classe les figures selon le niveau discursif où elles évoluent en distinguant entre, d'une part, les figures microstructurales et les figures macrostructurales, ce qui existe en persan, mais avec une différence dans le classement: Bayan et Badi’.
En ce qui concerne les figures microstructurales qui sont l’objet de notre étude, d’après Georges Molinié, dans son ouvrage la stylistique: elles «sont attachées à des éléments formels précis dont elles dépendent»,
«se signalent d’emblée et s’interprètent à l’intérieur du macrocontexte» et «sont obligatoirement identifiables pour l’acceptabilité sémantique de l’énoncé» (Molinié, 1993: 130-131). Elles comprennent les figures de diction, les figures de construction et les figures de sens (Tropes). Ce dernier est l’objet de notre étude.
En effet, un Trope désigne toutes les façons de détourner le sens du mot afin de lui faire signifier ce qu’il ne signifie point dans le sens propre. Donc, elles opèrent un changement dans le sens des mots. Les trois Tropes essentiels sont: la métaphore, la métonymie et la synecdoque[1]. La comparaison est une figure liée à la métaphore, mais ce n'est pas strictement un Trope parce qu'elle n'opère aucun détournement de sens (M. Grise, 2002: 47).
La métaphore
C'est le Trope par ressemblance pour Pierre Fontanier. La métaphore se définit à employer «un mot dans un sens ressemblant à, et cependant différent de son sens habituel» (Todorov et Ducrot, 1972: 354).
Alors que dans la métonymie, le signifié dérivé fait généralement apparaître un enrichissement sémique par rapport au signifié littéral, dans la métaphore, le signifié dérivé fait apparaître un appauvrissement sémique par rapport au signifié littéral (M. Grise, 2002: 49). La métaphore est fondée donc sur l’intersection sémique entre les unités mises en jeu.
En considérant que le comparant peut être un verbe; un adjectif ou un participe passé en emploi adjectival; un adverbe ou un nom, nous avons:
Certains professionnels du langage peuvent chercher à se distinguer en trouvant nouvelles métaphores, on a ici:
D’autres métaphores lexicalisées sont d’un usage tel qu’elles ne se signalent guère à l’attention du lecteur. Elles s’additionnent au signifié littéral et ressortissent au mécanisme de la polymérisation des mots (Laurent, 2001: 57).
Les figures de sens en persan
En persan la rhétorique est composée de trois parties: la science de «Badi’», la science de «Bayan» et la science de «Maa’ ni» (Kadkani, 1996: 44). Dans cette étude, ce que nous avons l’intention de vérifier, ce sont les figures du sens qui se trouvent dans la science de «Bayân». Cette science est divisée en quatre parties: «Tashbih», «Majâz Morsal», «Kenâyeh» et «Esteâ’ reh». Ici, on évite de traduire les noms des figures afin de ne pas tomber dans le piège de perdre une partie du sens; mais d’après ce que nous avons vu dans la partie précédente comme la définition des figures du sens, on a trouvé «Esteâ’ reh» comme l’équivalent de la métaphore.
Il faut souligner que ces figures ne sont pas tout à fait équivalents mais parmi toutes les figures du style définies ne persan et en français, elles se ressemblent beaucoup. Évidemment, chaque spécialiste a ses propres idées. Et au lieu de trouver des classements qui s’accordent complètement l’un l’autre et qui est impossible bien sûr, nous avons décidé d’employer des sources plus modernes, ce qui s’emploient davantage par les stylistiques.
En persan, pour les figures «microstructural» et «macrostructural», on a respectivement: «Bayân[2]» et «Badi’[3]»; mais ce qui diffère est le sous-classement de ces figures.
Il faut souligner que le terme «Tropes» n’existe pas en persan comme un sous-classement du groupe microstructural et seul, les éléments des Tropes tels que synecdoque, métonymie et métaphore existent comme des éléments directement placés dans la classe «Bayan». Voici le tableau des classements pour mieux saisir le cas:
En français:
En persan:
Esteâ ‘reh
Esteâ ‘reh étant un Majâz (au sens général du terme), consiste à employer un mot à la place d’un autre en s’appuyant sur la ressemblance entre ces deux mots. Dans la typologie de Esteâ’ reh, nous sommes en face de pluralité du classement par les théoriciens. Alors, ici nous donnons l’un de ces classements afin d’avoir un regard sur ce qui est Esteâ’ reh dans la littérature persane:
Donc, on n’a pas essayé de traduire les figures afin d’être plus fidèle. Et il faut noter que les définitions de figure du sens présentées par Nicolas Laurent dans son œuvre intitulé Initiation à la stylistique sont prises comme la ressource principale à analyser. Donc, les ressources persanes utilisées pour trouver et analyser les figures des poèmes sont choisies par rapport à l’œuvre citée. Mais comme nous voulons analyser les poèmes de Hâfez en persan, les ressources persanes sont en prioritaire et afin de garantir l’exactitude des analyses, on a décidé de les analyser selon ses définitions en persan, au lieu de chercher les métaphores par ses définitions et ses typologies en français.
L’analyse des métaphores (Esteâ’ reh) dans les Ghazals
Jusqu’aujourd’hui la traduction de Hâfez par Charles Henri de Fouchécour, écrit en 2006, est la plus nouvelle étude française publiée à propos de Hâfez:
D’abord une introduction de soixante-dix pages tout à fait documentaires sur présentation de Hâfez, son historicité et les spécificités de son poème. La principale partie de l’ouvrage, contient la traduction des ghazals qui sont traduits Beyt par Beyt, et les commentaires des 486 ghazals sur la base du Divân de Parviz Natel Khanlari[4]. Les commentaires et les points de vue du traducteur relatifs à chaque Beyt sont écrits après la traduction de chaque ghazal. Et avec la traduction, le type, le Bab et le rythme du poème sont présents. L’ouvrage comporte quelques annexions: mètre persan dans les ghazals du Divân, correspondance entre caractères persans et caractères latins, index thématique qui commence par «Adam» et se finit par «Sabâ», l’index des noms propres de «Ahûr» et «Zunthor», Bibliographie sélective.
Afin d’être plus exacte, on a employé des ressources les plus célèbres et les plus confinables comme les œuvres de Shamisa, Kadkani, Khorramshâhi et Khatib Rahbar pour trouver les métaphores.
Ghazal 5
ده روزه مهر گردون افسانه است و افسون
نیکی به جای یاران فرصت شمار یارا
La sollicitude du ciel- qui dure un instant- est fable et sortilège.
Compagnon, le bien fait aux compagnons, tiens-le pour une aubaine!
Observation: Dans le texte et dans la traduction, Gardoun et ciel sont des métaphores, mais les sémèmes du mot «gârdoun» ne couvre pas complètement «ciel» en français, et donc cette équivalence ne peut avoir le même fonctionnement que la figure joue en persan et selon ce que Meschonnic dit une bonne traduction exige la considération du fonctionnement des éléments du texte. Les ciblistes font erreurs lorsqu’ils oublient qu’une pensée fait quelque chose au langage et que c’est cela qui doit être traduit. Meschonnic parle de «traduire ce que les mots ne disent pas, mais ce qu’ils font».
حافظ به خود نپوشید این خرقه ی می آلود
ای شیخ پاک دامن معذور دار ما را
Hâfez n’a pas revêtu de lui-même ce froc trempé de vin.
Ô cheikh au pan de robe intact, tiens-nous pour excusés!
Observation: Le traducteur essaye d’opérer le décentrement que Meschonnic explique: il restitue le sens avec le même rythme de l’original mais l’expression française ne garde pas la même composition que celle en persan; ainsi, l’unité rythmique, le nombre de composantes ou la division phrastique ne recouvrent pas ceux de la figure en persan.
Observation: il y a non-concordance qui défigure le rythme sémantique. Pourtant le traducteur a bien compris le sens de la figure voire l’ironie cachée: «L’adresse au Cheikh» est ironique. Le froc trempé de vin est sans doute l’habit du pauvre sur lequel ont coulé des larmes de sang à cause de l’hypocrisie des ascètes au vêtement propre.» (De Fouchécour, 2006: 102) En ce qui concerne la transparence, il ne donne plus d’explication à cette figure et cela peut juger acceptable, pourtant il n’utilise pas les mêmes composantes que le texte original pour respecter le rythme.
Ghazal 129
ساقی بیا که شاهد رعنای صوفیان
دیگر به جلوه آمد و آغاز ناز کرد
Echanson, approche! car le bel aimé des soufis
s’est remis à parader, s’est mis en frais de coquetterie.
Observation: la figure est supprimée; selon Meschonnic ce qui est marqué dans le texte original, doit l’être aussi dans le texte traduit; le traducteur a donné un sens du mot dépourvu de la figure et le fonctionnement de la composante ne joue pas le même rôle que dans l’original.
فردا که پیشگاه حقیقت شود پدید
شرمنده رهروی که عمل بر مجاز کرد
Demain, lorsque le Seuil du palais de Vérité deviendra visible,
honteux sera le cheminant qui aura agi par métaphore!
Observation: cette traduction souffre d’anti-concordance; le traducteur a ajouté «palais» pour mieux faire comprendre le sens du mot «pishgâh»; la forme est détournée et selon ce que l’on a dit plus haut, le rythme n’est pas respecté et la traduction souffre de la transparence.
Ghazal 136
گفتم این جام جهان بین به تو کی داد حکیم
گفت آن روز که این گنبد مینا میکرد
Je lui dis: «Cette coupe où l’on voit le monde, quand le Sage te l’a-t-Il donnée?»
Il répondit: «Le jour où Il formait cette coupole d’azur émaillé.»
Observation: il y a non-concordance, or le traducteur a compris le sens de cette expression[6] et il a essayé de le faire comprendre dans la traduction aux lecteurs français, il a ajouté des mots et il a déformé la traduction par une clarification. Alors, la forme de la figure intégrée dans l’expression est changée, et donc la destruction du rythme a été également changée; et comme Meschonnic l’explique, c’est une sorte de trahison quand le traducteur ne prend en compte que le sens.
گفت آن یار کزو گشت سر دار بلند
جرمش این بود که اسرار هویدا میکرد
Il reprit: «Ce compagnon par qui le haut du gibet fut élevé,
avait commis ce crime de révéler les mystères.
Observation: la figure est bien gardée et ce qu’il y a du caché dans le beyt est bien transmis. Selon la théorie de Meschonnic, même l’absence d’une chose doit être traduite et cela est aussi porteur du sens (Meschonnic, 1973: 315).
Ghazal 194
یا رب این نودولتان را با خر خودشان نشان
کاین همه ناز از غلام ترک و استر میکنند
Seigneur, remets sur leur âne ces parvenus,
ils se montrent si fiers de leur esclave turc et de leur mulet!
Observation: en gardant le sens et la forme de la figure, le traducteur a gardé le rapport entre les deux langues, à savoir le décentrement expliqué par Meschonnic et donc on peut l’estimer acceptable.
Ghazal 250
ای دل غمدیده حالت به شود دل بد مکن
وین سر شوریده باز آید به سامان غم مخور
L’état de ce cœur affligé va s’améliorer, ne te décourage pas!
Et cette tête troublée va s’apaiser, ne te désole pas!
Observation: le traducteur n’a pas fait attention à la manière de présenter le sujet; dans le beyt, le poète s’adresse à son cœur, «ey del», mais dans la traduction «del» est devenu troisième personne du singulier. La fidélité n’est plus examinée dans l’opposition binaire sens/forme, la confrontation des termes séparés ou des phrases ne sont pas suffisantes. D’autant plus que nous n’avons jamais accès direct au texte, parce qu’il vit uniquement à travers la lecture. Dans l’original, le sens est inséparable de la forme. Il est nécessaire d’envisager l’analyse de la totalité de l’œuvre, de sa cohérence, des rapports qui régissent sa structure interne et qui en font un discours poétique. Le processus de la traduction est perçu comme une relation non pas entre deux langues, mais entre deux discours, subjectifs, caractérisés, par des propriétés rythmiques, prosodiques et sémantiques et deux écritures qui mènent chacune à un texte. Le rythme est proposé comme unité d’équivalence – «[…] organisation du mouvement de la parole dans l’écriture […]» (Meschonnic, 1999: 56). Le but de la traduction est beaucoup plus qu’une restitution du sens; c’est un mode de signifier: traduire ce que les mots ne disent pas, mais ce qu’ils font (Mitura, 2008: 28).
ای دل ار سیل فنا بنیاد هستی بر کند
چون تو را نوح است کشتیبان ز طوفان غم مخور
Si le torrent du néant arrache les fondements de l’existence, mon cœur,
puisque Noé est ton pilote, du Déluge ne te désole pas!
Observation: le traducteur a ajouté un adjectif possessif pour mieux transmettre le sens de l’expression «ey del»; dans ce vers on a aussi une transparence qui est dénoncé par Meschonnic.
Ghazal 275
یا رب آن نوگل خندان که سپردی به منش
می سپارم به تو از چشم حسود چمنش
Seigneur, cette Rose nouvelle, riante, que Tu me confias,
je la confie à Ta garde contre l’œil jaloux du Parterre
Observation: la majuscule employée pour la mise en relief n’existe pas dans le beyt original, en plus, la virgule que le traducteur a utilisée, a changé la manière d’évoquer le sens de la figure; l’action qui ne peut garder le rythme original et aussi détruit le fonctionnement des éléments.
به ادب نافه گشائی کن از آن زلف سیاه
جای دلهای عزیزست به هم برمزنش
Dénoue avec tact la poche de musc de Cette noire chevelure:
elle est le lieu des cœurs de prix, ne la bouleverse pas
Observation: le sens du terme «nâfeh» évoque le sème «la gazelle», mais ce sème ne se voit pas dans la traduction ; on dirait que le traducteur a donné le sens de la figure. Comme on l’a déjà dit dans les déformations précédentes où le traducteur a changé la forme qui a abouti à la destruction de la poétique et donc le détournement du rythme, il lui fallait être plus attentif au choix des figures pour garder le rapport poétique entre les deux langues.
عرض و مال از در میخانه نشاید اندوخت
هر که این آب خورد رخت به دریا فکنش
Amasser honneurs et biens tires de la Taverne ne convient.
Qui boit à ce Breuvage, jette à la mer ce qu’il possède!
Observation: «Breuvage» est écrit à la place de «âb»; le sémème de deux mots ne s’y accordent pas[8] et en considérant que le traducteur a cherché un équivalent en français, on peut dire que, sur le plan paradigmatique, le poète a choisi le simple mot «ab» avec un emploi précis afin de suggérer le sens «eau de la vérité et de la gnose», mais le choix de «Breuvage», est définitivement un détournement du sens en ce qui concerne les critères du choix du mot du point de vue culturel, historique, fonctionnel, contextuel, … et la traduction souffre aussi de la transparence que le traducteur a fait pour effacer sa présence.
Ghazal 313
روی نگار در نظرم جلوه مینمود
وز دور بوسه بر رخ مهتاب میزدم
En mon œil le visage de la Belle Figure faisait parade
et de loin je posais un baiser sur Sa face de clair de lune!
Observation: C’est une métaphore qui signifie «bien-aimée», mais il est un peu loin du sens de «negâr». D’abord, la non-concordance a détourné la forme; et puis, ces mots ne suggèrent pas le sémème du mot «negâr». Ce dernier a des sèmes comme: «image, idole, bien-aimée, amie». Mais dans «belle figure[9]», des sèmes de «negâr» s’ajoutent par la métaphore et pas tout seul. En tout cas, cette expression n’a pas respecté la forme et le sens. Et aussi comme on l’a déjà dit, le traducteur a utilisé la majuscule qui n’a pas de référence dans le poème. C’est un exemple de la transparence et de la distance détruite entre les deux langues qui sont expliquées par Meschonnic.
Conclusion
Nous avons essayé de faire une étude comparative de la métaphore dans la traduction française du Divân de Hâfez en profitant des théories d’Henri Meschonnic. L’emploi des idées de ce théoricien pour analyser cette traduction, présente l’immense avantage d’en révéler les points faibles mais aussi les points forts du travail du traducteur et les solutions trouvées par le traducteur en face des obstacles de la traduction. Selon ses théories, une bonne traduction est celle qui «fait ce que le texte fait» (Meschonnic, 1999: 16).
Quant à l’étude de la traduction de notre corpus, nous avons vérifié les choix du traducteur pour les métaphores: Les 16 vers étudiés avaient en somme 17 Métaphores.
Alors, l’examen des métaphores des Ghazals montre que, au cas de la compréhension de sens exact de ces figures-là, le traducteur en avait une bonne interprétation et compréhension, ce qu’il a prouvé dans les commentaires et aussi dans quelques équivalences qu’il a présentés; Comme Meschonnic le dit au niveau de la traduction des textes littéraires qu’ils devraient être traduits par les experts de ce domaine, on peut dire que cette partie de la traduction est bonne, mais en ce qui concerne les équivalents de cette figure et le fonctionnement du rythme, il nous faut une analyse plus complète.
En plus, le traducteur ayant nié l’un des éléments construisant le rythme du poème, n’avait pas eu un bon résultat. Comme par exemple, où il n’a pas respecté la forme comme un élément significatif, on constate que sa traduction souffre de la non-concordance, de l’anti-concordance et parfois de l’ennoblissement. En outre, le traducteur a donné dans presque tous les cas une métaphore pour Esteâ reh et donc on peut dire qu’il est possible d’avoir les mêmes contraintes de la métaphore en français qu’Esteâ reh en persan dans la traduction de ce type de figure.
En somme, on peut dire que dans presque tous les cas, le traducteur avait une bonne interprétation, ce qui venait sûrement des recherches détaillées qu’il avait faites sur Hâfez et ses ghazals, mais malheureusement, cela n'est paru que dans les commentaires qu’il avait destinés à la fin de chaque ghazal. Dans la plupart des cas, il avait choisi de donner une traduction par annexion au lieu de garder le décentrement et par conséquent, un détournement du sens.
[1] Pierre Fontanier réduit les Tropes à trois figures exemplaires: la métonymie, la synecdoque et la métaphore. Dictionnaire de la Littérature française du XIXe s. 2016 publie par Encyclopaedia Universalis (https://books.google.com/books)
[2] بیان
[3] بدیع
[4] Pour ne pas faire face à des différences qu’il existe entre diverses versions, et aussi à la différence entre les numéros des ghazals, nous avons utilisé la même référence.
[5] فلک (Servatiyân, 2009: 57)
[6] Il l’explique bien en commentaire.
[7] L’action de couper le nombril de gazelle (Khorramshâhi, 2000: 93)
[8] Les sémèmes de Breuvage comportent: boisson, une vertu particulière Et les sémèmes de «ab» comportent: مایع، شفاف، بی طعم، بی بو
[9] figure, admirable, charmant, superbe
Ahmadi, M-R. (2011). La poétique de la traduction chez Mohammad Qazi. Revue Recherches en langue et Littérature Françaises, Université Tabriz: Faculté des Lettres, Année 6, n 9: 1-19.
Bacry, P. (1992). Les figures de style. Paris: Belin, 1992.
Bourassa, L. (2015). Henri Meschonnic, Pour une poétique du rythme. Paris: Rhuthmos.
De Fouchecour, Ch.-H. (2006). Le Divân. Paris: Verdier.
Du Marsais, C. (1818). Les tropes. Paris: Fontanier.
Ducrot, O., TODOROV, T. (1972). Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage. Paris: Seuil.
Fontanier, P. (1997). Les figures du discours. Paris: Flammarion.
Fromihague, Catherine; Les figures du style; Paris: Colin, 2010.
Genette, G. (1968). «Introduction» à l’ouvrage de P. Fontanier, Les figures du discours. Paris: Flammarion.
Hafez, Kh. (1983). Divan Hafez, vérifié et expliqué par Natel Khanlari, P., Volume 1, deuxième édition, Téhéran: Kharazm [en persan]
Kadkani, M. (1979). Les figures dans la poésie persane. Téhéran: Negah [en persan]
Khatib Rahbar, Kh. (1996). Divan des Ghazals de Hafez. Téhéran: Safi Ali Shah [en persan]
Khorramshahi, B. (2000). Hafez Nameh. Téhéran: Société des éditions scientifique et culturelle [en persan]
Laurent, N. (2001). Initiation à la stylistique; Paris: Hachette.
Meschonnic, H. (1970). Les cinq rouleaux. Paris: Gallimard.
Meschonnic, H. (1970). Pour la poétique I. Paris: Gallimard.
Meschonnic, H. (1973). Pour la Poétique II, Epistémologie de l’écriture et poétique de la traduction. Paris: Gallimard.
Meschonnic, H. (1982). Critique du rythme. Anthropologie historique du langage; Lagrasse: Verdier.
Meschonnic, H. (1985). Les états de la poétique. Paris: Presses universitaires de France.
Meschonnic, H. (1995). Politique du rythme. Politique du sujet. Paris: Verdier.
Meschonnic, H. (1995). Traduire ce que les mots ne disent pas, mais ce qu'ils font», Meta: journal des traducteurs. Meta: Translators' Journal, 40)3(,
514-517.
Meschonnic, H. (1999) Poétique du traduire. Paris: Verdier.
Meschonnic, H. (2000). SOULAGES, Pierre; Le Rythme et la Lumière. Paris: Odile Jacob.
Mitura, M. (2008). L’écriture vianesque: traduction de la prose. Berne: Peter Lange.
Mohsenii, Sh. HASHEMI, B. (2019). Traduisibilité des poèmes de Hafez basée sur la traduction de Fouché Coure., Revue Etude de la langue et la traduction, l’Université Ferdowsi de Mashhad, Volume 2, n 1. : 255-274 [en persan]
Molinie, G. (1993). La stylistique. Paris: Presses Universitaires de France.
MORADI, M. (2012). Polysémie et traduction dans Le Divan de Hafez, Mémoire de master, université Shahid Beheshti, Téhéran [en persan]
Oseki-Dépré, I. (1999). Théories et pratiques de la traduction littéraire; Paris: Armand Collin.
Servatian, B. (2009). Descriptions des sonnets de Hafez. Téhéran, Negah-e-No [en persan]