نوع مقاله : مقاله پژوهشی
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1 دانشجوی دکتری ادبیات دانشگاه تهران
2 استادیار دانشگاه تهران
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Introduction
Cette recherche est suscitée par le désir de mener une étude comparative sur le concept d'écart générationnel dans l'œuvre d'Annie Ernaux et de Fariba Vâfi afin d'élaborer un panorama saisissant des avatars de la modernité dans la décomposition des liens entre l'individu et la société, cela en vue de démystifier notre problématique, ce qui « favorise les artisans de la transition au capitalisme, un processus souvent associé à l’un des avatars de la modernité, la modernisation de la société dite traditionnelle.». (Gazzaniga, 1992: 64).
Selon cette approche moderniste, l’œuvre des deux écrivains est utopique dans ce sens qu'elle conteste l'ordre établi et réclame le changement. C'est à la fois le refus de l'ordre mais aussi sa transformation, son amélioration et c'est ainsi qu'elle est le reflet d'une réalité brute disséquée. Ce qui nous amène à nous demander, hypothétiquement, en quoi l'œuvre d'Ernaux et de Vâfi permettent à l'individu de s'évader de sa propre réalité alors qu'il ne s'en affranchit pas complètement et ce de façon délibérée.
En constatant que l'écriture ernausienne et Vâfienne sont des lieux privilégiés de réconciliation de l'individu avec sa condition, elles racontent l'histoire d'une destinée pour en faire un mythe même si les personnages n'accomplissent aucun exploit. Elles déploient en effet des personnages qui ne sont pas piégés par l'arbitraire, qui agissent par la volonté. Les personnages voudraient rester fidèles à leurs origines, mais la modernité survient et ils se laissent entraîner, avec une honte secrète, là où les nécessités de l'existence les détournent de leur monde intérieur.
Les personnages de Vâfi et d'Ernaux ne sont plus des êtres typiques, ni des manifestations de passions exclusives, mais plutôt l'écho des profondeurs, de refoulements, d'impulsions secrètes, des désirs cachés et sentiments inavoués, la tendance à la transgression à l'issue de laquelle il y a l'écart. Ce concept accentue la volonté de manifester le dynamisme d’une existence partagée.
Dans ce processus de mise en évolution des valeurs, les questions qui paraissent essentielles et qui méritent la réflexion, s'articulent autour des interrogations sur la place de la modernité dans toutes ces péripéties, sur la manière d’éviter la persistance de la souffrance et le sentiment de reniement de ses origines, sur l’approche de Vâfi et d’Ernaux face à la modernité, et enfin, sur la façon qu’elles adoptent en vue de réhabiliter le statut de la femme moderne à travers la littérature féminine.
Modernité
Michel Foucault critique la modernité et l'humanisme avec sa proclamation de la «mort de l'homme» et le développement de nouvelles perspectives sur la société, la connaissance, le discours, et le pouvoir; Foucault rejette l'équation de la raison, et le progrès, en faisant valoir que les formes modernes de la puissance et de la connaissance ont contribué à créer de nouvelles formes de domination. Dans une série d'études historico-philosophique, il a tenté de développer et étayer ce thème à partir de différents points de vue: la psychiatrie, la médecine, l'émergence des sciences humaines, la formation de divers dispositifs disciplinaires, et la constitution des différences. (Foucault, 1971: 42).
Ainsi, cette conscience et sensibilité en mutation des individus face à la différence et à la variabilité constante des expériences, focalisent alors la description romanesque. (Caulier & Rousseau, 2009: 29).
L’autre fait quant à la théorisation du roman c’est la question liée à l’espace et temps qui constitue l'ambiance. Les climats diffèrent des atmosphères par leur plus grande variabilité dans le temps et dans l’espace. Plutôt de nature projective, ils ont un caractère plus circonscrit et momentané. Selon Martuccelli et Barrère(Caulier, & Rousseau, 2009: 42), ils ne sont pas forcément uniques mais ils sont, malgré tout, difficilement reproductibles, ce que l’analogie météorologique laisse bien transparaître. Ils varient en acuité et en force, et peuvent être de basse intensité, comme une toile de fond d’une situation, ou comme envahir le devant de la scène, et devenir la situation elle-même.
Parce qu’elle est essentiellement mouvement et dialectique de l’ancien et du nouveau, la notion de modernité a été au cœur de la démarche des écrivains Ernaux et Vâfi, dont l’œuvre entière est cimentée par cette volonté partagée de saisir le changement social en faisant du temps et de l’espace des catégories d’analyse au plein sens du terme.
D’ailleurs, la remise en cause des traditions et des lois religieuses par les personnages féminins commence après la modernisation. Dans ce contexte, les femmes écrivains, comme Vâfi et Ernaux, la littérature et l'écriture des femmes en général, devraient assumer la responsabilité de la transmission des valeurs et des identités traditionnelles pour les générations futures.
Valeurs en crise
Réputées pour leur écriture qualifiée blanche, les deux écrivains femmes célèbrent, chacun dans un contexte socio-culturel différemment élaboré, le poids écrasant d'une grave crise des valeurs familiales de l'homme moderne en proie avec le traumatisme causé par le renversement des structures sociales.
Dans les œuvres d’Ernaux et de Vâfi, les personnages épris d’une logique individualiste, aspirent à un système de valeurs qui méprise les valeurs culturelles traditionnelles. Ils ne respectent pas leurs parents, ne reconnaissent pas leur autorité, et partagent une vision utilitariste qui réduit les parents à des objets qu’utilisent les enfants.
En plus, l'homme moderne, représenté dans l’œuvre des deux romancières, est marqué par une transition profonde de la tradition vers le moderne, et dont les répercussions retentissent cruellement sur un monde en décomposition qu'est son milieu familial. Il reste d'ailleurs à dire que cet individu est dans la prison de son esprit, dans les limites des schémas qu’il a lui-même créées.
Cette crise de valeurs mène à un décalage incontournable entre deux générations qui tissent l'histoire des œuvres d'Ernaux et de Vâfi, sous l'onglet d'un «Je» autobiographique. Le cas d’Ernaux est une narration majoritairement à la première personne, ce qui est d’ailleurs le cas de Vâfi, pour ainsi brandir le thème majeur de l'écart générationnel dont l'objet est l'individu qui se forme et se déforme dans et par la société, suite aux conflits dus à la rupture entre le passé et le présent de la structure sociale.
L'œuvre d'Ernaux et de Vâfi, étant comme l'expression par excellence de cet écart générationnel et cette rupture conflictuelle, serait, sur un deuxième plan, le seul moyen de combler cette lacune jugée à la fois intrinsèque et extrinsèque. Cette mise à l'écart sociale s'accompagne souvent d'une rupture, mais quelque fois d'un repli identitaire vers les coutumes et les valeurs culturelles des parents.
D'un côté, la génération d'hier enracinée dans ses valeurs authentiques mais traditionnelles et ses cadres inflexibles et quelquefois même incompréhensibles pour ce qui est du moderne, de l'autre côté, la génération d'aujourd'hui délaissée du caractère dogmatique des concepts traditionnels, très ouverte et flexible aux changements du temps, et qui cherche ses idéaux dans les relations avec les autres, dans un passage du "Moi" à "Autre" tout en restant fidèle aux principes archétypaux de l'archaïsme, un courant contre moderne au sein du moderne. Ce qui fait que d'un côté cet écart générationnel devient de plus en plus profond et de l'autre côté une grave crise d'identité naît à l'issu de ces changements du contexte social.
Ernaux et Vâfi, dans leur écriture, mettent en évidence le jeu de la modernité à différentes échelles spatio-temporelles, avec ses enjeux sociétaux, ses continuités et ses ruptures. Cependant, la vision du monde et les valeurs de ces deux écrivains ressemblaient à des femmes modernistes et laïques qui ne touchent pas la conviction des femmes religieuses qui réclament l'application de la loi religieuse.
Vâfi et Ernaux écrivent aux contours de la modernité
Ce vécu de transition mène à l'apparition des personnages archétypaux doués d'une morale traditionnelle et en revanche avec une pensée moderne. Cette dualité provoquerait une série de problèmes dont la société ne reste pas à l'écart. Nous partons d'un constat pessimiste. Ces personnages agissent différemment par rapport à ce que nous voyons dans les romans classiques où la fatalité et le destin jouent un rôle très important dans la marche de l'histoire. Ils ne sont plus passifs, pas plus que l'objet d’une remise en question, mais plutôt sujet à remettre en question par excellence, et vivent dans et par leurs actes sans quoi leur vie n'aurait pas de sens. C'est ainsi que leur soumission ou démission face à la modernité prend du sens à travers une morale de refus, un goût de changement pour réhabiliter leur statut social et s'approprier ainsi une réalité sociale respectable et exigeante.
Une fois la modernité en vogue, la distance entre la génération d'aujourd'hui et d'hier est de plus en plus grande. Cette absence d'entente mutuelle, nous le trouvons bel et bien caractérisée dans l'œuvre de Fariba Vâfi, l'écrivain qui se classe à l’extrême contemporain du roman iranien, et d'Annie Ernaux, écrivaine française et habile en monologue et autoanalyse, ayant toutes les deux l'ambition de mettre en relief ce fossé cruel entre les deux générations, dans leur perception de l'espace-temps aussi bien que dans la conception de leurs univers intimes. Ce qui serait la source de nombreux problèmes dont l'œuvre de ces deux écrivains fait écho. Je ne cherche pas à entrer dans les détails sociologiques de l'intrusion de la modernité dans les sociétés arriérées pour éviter les pièges éventuels d'un discours purement centré sur la sociologie pour en venir à cette double définitions issue d'un penchant, disons tendance, pour le luxe et le chicane afin d'en évaluer les variances exclusivement prototypes d'un axe tradition/moderne.
Aujourd’hui, nous envisageons l’étrangeté de l’autre au lieu de prendre en considération sa propre altérité. Penser l’altérité, c’est aussi penser l’identité, la relation, le lien. Nous créons des catégories d’exclusion alors que nous sommes faits pour vivre les uns avec les autres. (Caulier & Rousseau 2009: 49) Cette affirmation fait état d'un traumatisme causé par la famille. Cela tient pour beaucoup à cette tendance de rupture avec les origines familiales, ce qui conduit à rendre plus profond cet écart entre générations.
Dans cette optique, «devenir immobile» du monde franco-iranienne serait la principale clé de lecture pour comprendre cette attitude envers l'altérité: les sollicitations de la modernité ont été rejetées (ou au moins limitées) car ils étaient contre l'intérêt logique communautaire, tandis que les oppositions aux changements seraient reliées aux résistances à l'égard du nouveau, le changement comporte des risques et des incertitudes.
Entreprises échouées et rêve de l'émigration
Mon oiseau de Fariba Vâfi se fait un roman dans lequel rien ne porte sur la politique et qui ne se concentre pas directement sur la société dans son ensemble mais traite d'un thème à dimension sociologique, celui de la hantise de l'immigration.
Le livre s'ouvre sur la phrase: «C'est la République communiste de Chine.» (Vâfi, 2002) En réalité, la femme n'a jamais été en Chine; c'est juste dans son imagination qu’elle voit la Chine bondée, confuse, et pleine de gens. Aussi étranger et éloigné que ce soit ce pays de Chine d’elle, elle sent étrangère et en même temps hétéronome dans son rôle de mère et d'épouse. A l'intérieur, elle sent un énorme désir insatiable - un désir de liberté - qui finit par la destruction de son mariage.
Elle a grandi remplie «de mille craintes» (Vâfi, 2002: 34), la crainte permanente d'être abusée par son oncle et la peur des punitions fréquentes infligées à elle comme un enfant quand elle a été forcée de s'asseoir seul dans la cave sombre. La mort de son père était également une expérience traumatisante pour elle. La jeune femme veut se sentir indépendante; elle ne veut plus supporter la peur, ni subir les contraintes, elle veut se débarrasser de la dépendance à sa famille et à son mari dans son impuissance. Mais cet objectif semble hors de portée. Son plan échoue à un stade précoce, car elle et son mari, Amir, ne peuvent s'entendre au sujet de leur avenir. Amir est obsédé par l'idée d'émigrer au Canada. Un avenir en Iran semble inimaginable pour lui.
«Si nous restons ici, rien ne changera» (Vâfi, 2002: 12), déclare-t-il avec emphase. Il dit à sa femme: «Si tu restes ici, tu seras pourrie, il n'y a pas d'avenir ici pour vous, ni pour toi, ni pour les enfants.» (Vâfi, 2002: 12) Comme Amir trouve la situation, il serait capable de peu pour mettre en œuvre ses plans. Son rêve d'émigration reste juste un rêve durable. Amir ressemble à un «oiseau migrateur forcé de vivre dans une cage.» (Vâfi, 2002: 86) chaque effort qu'il fait, laissant sa femme et ses enfants seul derrière lui, il rentre toujours après un certain temps, rarement avoir parcouru plus loin que Bakou.
L'émigration reste comme une chimère iranienne. Avec des moyens simples et mémorables, des métaphores originales, le roman décrit la réalité de la vie quotidienne en Iran contemporain. Le rêve de l'émigration est décrit ainsi comme une chimère répandue en Iran moderne. Quelques millions d'Iraniens ont quitté le pays -légalement ou illégalement- ce qui a entraîné des risques mortelles à la recherche d'un pays meilleur, et évidemment d'une vie meilleure.
Par l'intermédiaire du principal protagoniste du roman, Vâfi décrit une lutte de libération qu'une jeune femme doit mettre en place à la fois pour elle-même en privé et pourtant aussi symboliquement pour beaucoup d'autres. Le fait qu'elle ne peut pas se déplacer et qu'elle est confrontée aux règles de la société, imposées par les hommes, est quelque chose que la héroïne doit accepter sur une base quotidienne.
Cependant, «l'oiseau» dans le titre du livre est comme un fil conducteur dans la vie de la jeune femme iranienne; elle doit apprendre à ne plus avoir peur des contraintes autour d'elle et à prendre la liberté de sortir et de faire son propre monde, ce qu'elle fait réellement dans le dernier chapitre du roman. Mais la femme apprend progressivement à se battre pour obtenir des petites libertés. Cela paraît ainsi comme des entreprises courageuses comme l'héroïne de Mon Oiseau qui reste, qui n'a plus d'horreur de l'endroit préalablement rempli d'effroi: «J’aime la cave» dit-elle à la fin du roman; «Je désire parfois y retourner ... depuis quelque temps, j’ai compris que je porte toujours une cave avec moi.» (Vâfi, 2002: 138).
En utilisant une phrase simple et révélatrice, telle celle du haut, il est possible de donner une expression à ce qui se passe à l'intérieur d'une personne qui change, qui ne renonce pas à la lutte pour l'émancipation, même si cet effort peut d'abord sembler une cause vouée à l'échec.
Fariba Vâfi a été bien saluée pour avoir décrit les côtés quelconques de la vie quotidienne en Iran d'une manière subtile, douce et convaincante. Un tel récit apparemment banal contient un sous-texte implicite qui traverse l'ensemble microcosme décrit dans le roman et l'amène vivement à la surface.
La volonté pour l'écriture chez Ernaux vient du fait qu'elle se sent mal à l'aise dans son existence, c'est le motif qui la pousse à vouloir écrire; Sylvie Boyer (Boyer, 2004: 10) la décrit comme une écrivaine qui tente des territoires peu fréquentés et dont les livres traduisent l'expérience vécue dans la souffrance, la violence et la solitude, de telle façon que peu de gens oseraient présenter. Comme matériau d'écriture Ernaux soulève la déchirure culturelle et sociale des « exilés » ou « immigrés » de l'intérieur; des ouvrages tels que La place, La honte en témoignent.
L'inconfort et la déchirure que subit Ernaux se caractérise par une sorte d’écart teinté par une complexe d'infériorité, disons une certaine distance qui se fait à cause des lacunes qu'elle ressent au milieu duquel elle vient. Dans un ouvrage paru aux Belles Lettres, Janine Altounian (Altounian, 1990: 69) a reconnu dans l'œuvre d'Annie Ernaux cette problématique de l'entre deux et la rupture, montrant le passage d'un monde sans culture intellectuelle (dont elle est issue), où les mots manquaient, à un monde cultivé:
Je travaillais mes cours, j’écoutais des disques, je lisais, toujours dans ma chambre.» […] « Un jour : Les livres, la musique, c’est bon pour toi. Moi je n’en ai pas besoin pour vivre (Ernaux, 1994: 79-83).
La déchirure et l'écart sont les enjeux primordiaux de l'œuvre d'Annie Ernaux et l'inconfort qui en ressort est décrypté à travers L'écriture comme uncouteau (Ernaux, 2003: 155):
Elle a cessé d’être mon modèle.» à « À certains moments, elle avait dans sa fille en face d’elle, une ennemie de classe.(Ernaux, 1987: 63-65).
Comme le suggère Golopentia, «Les Armoires vides, Ce qu'ils disent ou rien et La Femme gelée, sont des romans d'anamnèse dans lesquels un personnage féminin interroge pour se l'expliquer le parcours qui l'a acculé à l'impasse.» (Golopentia, 1994: 86).
Mais à quoi tient exactement cette impasse? Chez Ernaux nous remarquons surtout sa pathologie de l'émigration culturelle; dans un entretien de mars 1992, elle affirme nettement cette prétention scientifique: «La littérature, si elle est un art, demeure avant tout une science humaine. [Elle estime que] le transfuge de classe, comme l’émigré, est en position d’observateur et d’ethnologue involontaire, dans la mesure où il est éloigné à la fois de son milieu d’origine et de son milieu d’accueil.» (Ernaux, 1993). Comme l’atteste aussi cette scène dans Les Années:
Sans doute elle ne pense qu’à elle, en ce moment précis où elle sourit, à cette image d’elle, […] Ses parents, qu’elle avait entraînés là contre leur gré, se demandaient s’ils avaient assez d’argent pour payer les consommations (Ernaux, 2008: 66-67).
Base de la rupture à l'aperçu du moderne
Afin de définir l'extrême contemporain en littérature, il est nécessaire de voir dans la culture contemporaine les modèles d’écriture et les types de configuration du champ social où ces modèles s’élaborent. L’instabilité sociale de l’extrême contemporain se caractérise par la représentation momentanée et fuyante de la société, tout comme les textes narratifs, qui traduisent en écriture la culture postmoderne. (Gontard, 2003: 31).
Fondamentalement, la modernité dans le domaine de l’art se traduit par les valeurs d’innovation. L'art dit moderne s’identifie d'emblée par sa spécificité novatrice et par la rupture avec les formes venant du passé. Cette position par la rupture est l’objet même des «avant-gardes qui, prises dans cette idéologie évolutionniste, ont fini par constituer une manifestation extrême de la modernité» (Compagnon, 1990: 163), ce qui mène à une rupture avec la modernité même avec la période dite extrême contemporain.
C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre l’une des significations essentielles que Luc Ferry donne à l’avènement de la postmodernité :
Dès lors, le postmoderne serait à comprendre comme l’indice d’une rupture avec les Lumières, avec l’idée de Progrès selon laquelle les découvertes scientifiques et, plus généralement, la rationalisation du monde représenterait ipso facto une émancipation pour l’humanité. (Ferry, 1990: 329).
La crise provenant de la modernité en turbulence nous apparaît quand-même comme un processus lent ; liée à la postmodernité, la crise change donc de statut et constitue plutôt un horizon de turbulence sous lequel quelque chose est en cours d’achèvement. Jean Baudrillard va même jusqu’à voir dans la crise une «catastrophe au ralenti.» (Baudrillard, 1990 : 41)
Ainsi, l’extrême contemporain se traduit comme le temps de passage et l’ère de désintégration où la formulation d’une valeur authentique est incertaine et la représentation de l’existence reste indéchiffrable. Toutefois, il paraît assez juste que la désintégration soit le bon terme pour décrire l’étrangeté de ce qui se déroule actuellement. Effectivement, les pratiques sociales se manifestent sous forme de représentations dont l’articulation avec les figures textuelles mènent à la formation des dispositifs narratifs dont la récurrence permet de postuler l’émergence d’une écriture propre à cette époque.
D’après Marc Gontard (2003, 9), c’est plutôt le retour à la linéarité narrative et une écriture du discontinu qui tente au contraire de déconstruire tout effet de continuité. À ce propos, la formulation des phrases semblables à la note devient un mode d’écriture postmoderne, refusant le principe d’unité et de construction mais aussi la hiérarchie et l’encadrement. Cette dimension de fracture et du fragment libre dont l’irrégularité apparaît autant dans l’effet de discontinuité du texte que dans l’hétérogénéité des particules-événements, explique son emploi chez un auteur de la nouvelle génération comme Annie Ernaux et Fariba Vâfi.
À plus forte raison, le cas d’Annie Ernaux fait preuve d’une maîtrise de style plus saillante qui traduit sa volonté pour l’expérimentation savante de l’acte d’écrire. Bien évidemment, c’est l’auteur entant que sujet qui crée et il n’est pas réduit à son genre féminin ou masculin. Psychologiquement, il y en chacun de nous, hommes ou femmes, existent ces deux composantes. Nous pouvons dire donc qu’ «on ne crée pas avec son sexe mais son moi profond» (Wilwerth, 1987 : 16)
Quant à Fariba Vâfi, elle se met visiblement dans la peau de ses personnages féminins et son expression romanesque est plutôt une voix féminine. Sa narration même se compose quasiment d’une féminité par la façon dont parle très souvent la narratrice.
Mastaneh dit que le quartier a changé ; elle le dit toujours. Mais pourquoi le quartier qui est dans ma tête ne change pas. Ses habitants même ne vieillissent pas et restent pareils aux longues années précédentes. (Vâfi, 2008: 67).
La volonté d’affranchissement c’est donc la spécificité que Vâfi et Ernaux partagent les deux en profitant de l’espace textuel afin de se libérer et de se défouler dans les limites de leur identité féminine qui cherche alors un espace pour s’exprimer, s’exposer voire se réajuster. L’idée maîtresse de «trahison» de classe et de «honte» culturelle et sociale liées au déclassement est mise en récit dans un style évolutif ; d’où l’impression d’écrire dans un style moderne sans dépouillement et d’une posture de l’entre-deux. Cette dernière manifeste clairement l’appartenance d’Ernaux et de Vâfi à la catégorie sociale des transfuges de classe qui ont une lecture moderne de la tradition.
Identité et image de soi
Dans le contexte d'une société orientale telle que celle d'Iran, il est intéressant de rechercher les éléments constitutifs de l'identité des femmes par sa différence avec l'image des femmes occidentales notamment en ce qui concerne les françaises étant parmi les pionniers de l'avant-gardisme féministe. Dans ce domaine, les recherches sociologiques visant à mettre en lumière ce processus dans les sociétés musulmanes sont rares. La plupart du temps, nous considérons que ces femmes sont des témoins passifs de la tradition et de la religion; nous ne nous avisons pas en fournir un aperçu en terme d'identité et d'un point de vue sociologique.
En outre, la littérature qui s'en provient ne porte pas une étiquette dite femmes et orient. De même, il ne suffit pas de prendre les contextes sociaux ou religieux relatifs aux femmes comme base d'une argumentation pour définir la place des femmes dans une telle société plus fidèles aux traditions. Quant à la différence de l’univers où s’inscrivent alors les œuvres de Fariba Vâfi et celles d’Annie Ernaux il est pertinent de noter la distinction de Georg Lukács (1989) en ce qui concerne la civilisation close organisée autour d’un code fort et strict où les valeurs sont évidentes et incontournables.
C’est dans un pareil climat où se dessine l’intrigue des romans de Vâfi tandis qu’Ernaux prend la liberté d’écrire plus courageusement et ose s’exprimer ouvertement dans le cadre des autobiographies parce qu’elle vient d’une société à civilisation ouverte, celle qui se remet en cause et les valeurs peuvent continûment se renouveler. Même si le rapprochement du terme civilisation et société ne correspond pas tout-à-fait à la théorie de l’idée du conformisme traduit donc le défi des personnages de Vâfi qui auraient mal à oser la négation.
Elles tentent donc de parvenir à la réalisation de soi en réconciliant les exigences incontournables des traditions avec les conditions actuelles du système social existant. Toutefois, il s'agit dans ces œuvres d'un rêve qui ne dépasse pas tellement les mesures de la réalité alors il faut y voir une tentative même échouée d’affranchir les contraintes:
Mahrokh était partout et nulle part. Elle bougeait dans l’étroite géographie de sa destinée mais elle finissait constamment par s’empiéger dans un bout ou l’autre. Elle ne réussissait qu’à faire quelques pas plus loin (Vâfi, 2007: 39).
En outre, l’amitié représente une valeur forte pour ces femmes qui se soutiennent entre elles dans les difficultés, elles entourent les unes les autres dans les moments douloureux et la détresse. Quant à la figure maternelle, nous constatons des mères soucieuses et bienveillantes mais surtout celles qui ne restent pas à l’abri de la tyrannie patriciale que Vâfi déplore: «Tarlan…la mère était manipulée par le père, elle restait impuissante et inconsciente…» (Vâfi, 2003: 175)
L’image fournie de femme comme nous constatons chez Vâfi fait preuve de l’immobilité et de l’hésitation. En effet, le déploiement emphatique de la crise nous laisse saisir la composition des valeurs au sein de la société iranienne. Dans le sillage des mutations contemporaines, nous pouvons pourtant saisir le modèle d'une société incertaine, prise entre le recours à des principes rassurants et stabilisant du passéisme et un désir de modification pour l’amélioration de son sort.
Ainsi, elle fait découvrir l’image qu’elle porte de la femme de son pays ou bien peut-être celle qu’elle s’est faite et veut aider à la mieux connaître, à ce tournant essentiel dans l’histoire d’un pays au Moyen orient qui représente plusieurs mises en causes sociales et culturelles.
Ainsi, les mutations de la société iranienne et française, à partir de la fin du XXe siècle, ont renforcé les différences entre ces catégories de femmes qui continuent à construire leurs propres identités et à se construire des identités propres.
Emergence du «Je», porteur de la culture de son temps
La femme dans l’œuvre de Vâfi représente l’exotisme pur dans le sens où elle apparaît comme un être quasiment incompréhensible au regard de l’être masculin. Elle reste inconnue de par ses vœux qui l’enfoncent dans une solitude impénétrable et impeccable. Au contraire de l’image ernausienne de la femme, un être idéaliste et exigeant, Vâfi retrace l’image d’une femme qui connaît bien les situations dans lesquelles elle fait figure d’un être précieux, mais jamais prétentieux. Dans Le Rêve de Tibet, (le non-lieu), le narrateur expose le lecteur à une exhibition des émotions de révolte. L’œuvre de Vâfi nous présente une atmosphère de révolte, mais jamais la révolte même. L’espace culturel d’Iran ne permet ni au personnage ni à l’auteur de s’élever au-dessus des règles de vie sociales. C’est pour ça que nous pouvons juger que son œuvre ne dépasse jamais la réalité sociale et de ce fait elle a une approche conservatrice. La révolte y est étouffée par les interdits.
L’obstacle le plus important en effet n’est pas vraiment extrinsèque, dans les occupations et préoccupations matérielles et sociales quelque absorbantes qu’elles soient; les obstacles les plus redoutables sont en elle et cela à plusieurs niveaux; Le premier de ces obstacles est parfaitement identifié par la femme. Elle a clairement conscience de ne pas être spirituellement à la hauteur de son désir. En ce sens, l’obstacle le plus important et contre lequel elle ira lutter toute sa vie est ce qu’elle appelle l’amour-propre ou amour de soi. Elle va donc travailler à se rendre vertueuse.
D’une certaine manière, les pratiques ascétiques auxquelles elle livre son corps ont pour but de guérir son âme. Il n’est pas inintéressant de considérer ici à quel point l’être tout entier de Vâfi participe de ce qui est bien plus qu’une aventure spirituelle: il s’agit véritablement de l’émergence d’une créature nouvelle. Le désir invincible de l’union à l’écart, le vœu d’être «toute à elle›», concerne la totalité de sa personne. Le sujet engagé ici est un sujet intégral.
Le personnage de Vâfi erre toujours entre le permis et le défendu. Il semble que la discipline l’emporte sur la révolte, et s’il y a un sentiment de révolte, il est pour autant virtuel. Le titre du livre «Rêve de Tibet» est explicatif de ce point de vue qu’il explicite un phénomène de l’inconscient qui va être reflété dans le livre sous un jour refoulé. Le rêve d’idéal chez Vâfi se diffère, sur ce point, de celui que nous trouvons chez Ernaux. Cette dernière fait du rêve une introduction à la révolte qui touche l’expérience vécue de l’auteur au même titre que son expérience littéraire. Cette révolte actualisée passe par l’écart dans sa pensée aussi bien que dans la pensée inconsciente de son texte. Dans l’optique d’Ernaux, le rêve se démasque par un processus de décharge et cette démystification fonctionne comme un mystère décrypté. Au contraire, Vâfi ne déchiffre en rien le rêve de ses personnages puisqu’il n’en résulte aucun pari sur le destin exemplaire qu’elle leur a dessiné.
Ernaux cherche plutôt à interpréter les rêves, les passions et la façon dont se rencontrent les personnages, dont se conviennent les décors et les êtres, dont les événements de la vie personnelle s’inscrivent dans les événements de la vie publique, dont s’achèvent surtout les existences, l’histoire elle-même, voici ce qui constitue, à l’intérieur de ses œuvres, l’image du destin. Tandis que l’univers de Vâfi est un univers où l’action trouve sa forme et les mots de la fin sont prononcés, les êtres livrés aux êtres, et où toute vie prend le visage du destin. Dans cet univers, la douleur peut, si elle le veut, endurer jusqu’à l’écart, les passions ne sont jamais distraites et les personnages sont livrés à l’idée fixe et toujours présents les uns aux autres. Vâfi fabrique du destin sur mesure et c’est ainsi qu’elle concurrence la création au contraire d’Ernaux qui ne cherche jamais de fonder une entreprise d’apprentissage par s puissance et sa volonté créatrice.
Au fait, l’œuvre de Vâfi est à la fois le refus de réel mais aussi sa transformation, son amélioration par rapport à celle d’Ernaux qui n’est que la réalité brute disséquée. En effet la fonction attachée à ce genre d’écriture se présente comme celle des verres de correction qui ne changent pas le monde mais permettent de mieux le voir. Mais le cas d’Ernaux est un peu différent, si l’œuvre de Vâfi fonctionne comme les verres de correction, l’œuvre d’Ernaux est la correction même visant à matérialiser cette pensée de midi en donnant l’espoir d’un monde meilleur.
Dans les deux cas, nous pouvons donc avoir différentes visions du monde de l’auteur, ce qui nous amène à nous demander en quoi le roman permet à l’homme de s’évader de sa propre réalité alors qu’il ne s’en affranchit pas complètement et ce de façon délibérée. Alors que nous constatons, chez Vâfi, que son œuvre ne décrit qu’une réconciliation de l’homme avec sa condition, Ernaux met l’accent sur l’idée selon laquelle le roman raconte l’histoire d’une destinée pour en faire un mythe. Ernaux n’avait pas les caractéristiques d’une héroïne puisqu’elle s’ennuyait, méprisait ses parents et menait une vie médiocre, pourtant elle s’est fait un véritable mythe même si elle n’accomplit aucun exploit. Ce mythe, nous devons le chercher dans l’écart ayant l’image de son destin à quoi elle ne croit pas tant.
La soumission de la femme à des exigences du destin fatal, déterminé par le système patriarcal traditionnel, fait l'objet d'un large consensus entre les tenants de la modernité et des écrivains engagés tels Ernaux et Vâfi qui puisent leurs arguments dans le domaine de la littérature insoumise.
Conclusion
Pour éclairer le processus de formation de cette identité à l'extrême contemporain, il fallait tenir compte de la dimension de l'identité dans le sens sociologique du terme, mais aussi dans le sens de moi tel qu'il apparaît dans la fiction produite par une écrivaine iranienne telle Fariba Vâfi. La formation d'une identité féminine est la contrepartie d'un processus qui s'est développé au fil des évolutions sociales et culturelle qui ne rompent quand-même jamais avec les traditions et les valeurs enracinées dans les croyances d'un peuple.
Toutefois, l'identité de la femme s'est remaniée pour atteindre sa dignité en tant qu'actant social plus autonome. Nous y voyons une femme plus indépendante, au moins cherchant davantage d'autonomie, tout en restant fidèle aux principes attendus d'une femme. La féminité se veut alors une affirmation sur les critères de la modernité et les valeurs qui lui sont liées. Dépassant le féminisme de Beauvoir, l'essor féminin quête alors une vision authentique en pivotant sur les normes et les valeurs dites modernes. Nous pourrions alors parler de femme-individu qui se voit face à une relation distante et porteuse de conflits avec le cercle familial.
Cela correspond bien à l'écart actuel des générations et des milieux de la société, et cela pourrait être considéré comme leur manière de prendre part au processus de modernisation. Il semble que pour les femmes alors, la différenciation de l'image qu'elles requêtent aussi ait entraîné l'idéalisation d'un univers qui se revendique dans les rêves. Nous pouvons nous en rendre compte à travers les œuvres dont les thèmes récurrents traduisent la désillusion et des gémissements refoulés.
Dans les textes de Fariba Vâfi, au début, ces femmes sont exaltées d'une attitude qui veut s'évanouir par son ardeur, cependant elles finissent toujours par retrouver cette déception après avoir connu les contradictions de la vie dans une impasse. Toutefois, cette femme doit vivre en s'adaptant à sa vie dite alors moderne. C'est donc la femme qui se voit dans un conflit entre le choix d'autonomie ou de dépendance, de conscience ou de résignation. Cependant, sans se laisser aller par une réflexion obsédée à l'égard des femmes il faudrait justement admettre que cette vision entraîne, bien plus pour les femmes que pour les hommes, une vision nouvelle d'un mode de vie distinct et d'une identité différente. C'est à travers cette vision que les femmes trouvent un espace à elles et une position existentielle qui formulent des questions qui sont de véritables défis.
Vâfi est plutôt à la recherche de l’exposition d’une image plurielle de femme en tant qu'individu vivant à cette époque dite extrême tandis qu'Annie Ernaux, par son parcours autobiographiques transpose la pluralité des existences dans son individu surgissant au texte. L’intérêt de l’œuvre d’Ernaux réside dans cette prise de conscience de lecteur de sa condition d’homme et du statut qu’il doit occuper dans la société. Si nous considérons l’œuvre de Vâfi comme la représentation du rêve, Ernaux fait un pas de plus et nous montre la réalisation du rêve, disons la réalisation de soi par le biais de l'univers d'écriture. La réécriture des expériences est comme un catalyseur du processus mental à travers lequel Ernaux espère aller jusqu'au bout sans se retenir.
Vâfi reste inconnue par ses vœux qui l’enfoncent dans une solitude impénétrable et impeccable. Au contraire de l’image ernausienne de la femme, un être idéaliste et exigeant, Vâfie trace l’image d’une femme qui a le sens de situation et ne dépasse jamais la réalité sociale et de ce fait elle a une approche conservatrice. La révolte y est étouffée par les interdits.
Tout compte fait, les œuvres de ces deux écrivains, caractérisent une époque, celle qui marque l’apogée de l’individu. Le destin du monde s’identifie à l’ascension ou à la chute fulgurante des personnages. Ces personnages semblent exiger une stabilité sociale capable de leur assurer une identité.
Finalement l’approche de Vâfi et d’Ernaux face à la modernité est diagnostiquée par la soumission ou la démission face à la modernité. Devant la vogue de la modernité nous ne pouvons que nous soumettre car c’est un courant qui va de soi; son but n’est que de répondre aux besoins de l’homme en tant que l’objet et le sujet des questions existentielles. L’individu n’est pas distinct de son milieu social, donc son identité va se former dans l’identité sociale. Tout en se soumettant à ce mouvement perpétuel, il s’en démet par le désir de soulever au-dessus de ses nostalgies informulées et ses désirs irrésistibles, un refuge contre les peines de la vie, cela à travers l’écriture-traitement.
Effectivement, soumission ou démission prend le sens selon l’engouement ou le rejet du narrateur face à son milieu. Dans ce processus de la modernisation, la révolte, comme le point de relais de l’écart, se définit comme une volonté de distinction par rapport au goût populaire. En fin de compte, la philosophie de l’écart serait une mise à pied de toute moralité parce que la morale n’est qu’un élan de beauté infinie qui surgit au fil des événements et pas un élan positiviste élaboré et tellement conseillé par les moralistes.