نوع مقاله : مقاله پژوهشی
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دانشگاه آزاد اسلامی واحد تهران
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Introduction
«L’expérience vécue» et «le discours de la narration»
Dans l’articulation de notre rapport au réel, se distingue deux niveaux, ou deux temps successifs: d’un côté un vécu, le vécu de l’expérience, ce que nous sommes en train de vivre dans notre «for intérieur», de l’autre, «un discours», le discours de la narration, effort qui nous permet d’objectiver ce que nous sommes en train de vivre dans notre for intérieur et même de l’interpréter, en des termes potentiellement accessibles à tous. En d’autres termes par opposition à ce que notre expérience est quelque chose d’intimement personnel et, dans cette mesure, d’intransmissible, le discours de sa narration, en lui donnant un aspect textuel, la rend accessible à tout le monde.
Du point de vue de la sémiotique structurale classique et narrative, «le vécu de l’expérience», (ou bien «l’expérience vécue»), notion clé de la phénoménologie, doit être distingué du «discours de la narration» qui le prend en charge; en effet pour ce point de vue classique de la sémiotique, «le vécu» s’oppose au «discours», à la manière d’un «donné présémiotique», qui est étranger à toute mise en forme signifiante du monde, et de là, étranger à toute analyse sémiotique.
En effet, selon cette perspective classique de la sémiotique, autant «la narration» et le «discours» passe pour un objet d’analyse, autant «l’expérience vécue» a été considérée comme un niveau de «la réalité substantiel» et «évanescent» qui par nature, n’est pas analysable.
Selon les sémioticiens strictement structurales, pour atteindre le sens d’un discours, nous n’avons qu’ à analyser les productions manifestes qui produisent le sens, c’est-à-dire « les textes » qui sont le support manifeste du sens à appréhender. D’après ce point de vue fort structural, toute analyse sémiotique refuse en tant que l’objet de son analyse l’ expérience vécue des sujets. En d’autres termes, des termes tels que «présence», «expérience», «corps», «vécu», «impressif» et «passion» sont éxclus du champ d’analyse de toute analyse sémiotique . Ce vocabulaire met l’accent sur ce que Eric Landowski appelle «la dimension perdue du sens» (2004: 2). Jacques Fontanille parle également à ce propos de «retour du refoulé» (2003: 10), car le fait d’exclure ces notions de l’analyse des discours énoncés et de se contenter de travailler sur les méthodes qui privilégient les «textes», nous empêche de saisir l’expérience «comprise comme moment de l’émergence du sens». (Op.cit.: 2)
En effet, un tel rejet paraît justifié tant qu’on s’en tient à l’idée que «l’expérience» (et toutes les notions qui la concernent) constitue la matière de la narration. C’est-à-dire que «Raconter», c’est toujours raconter quelque chose, et ce quelque chose que la narration raconte, c’est précisément «l’expérience». En effet, selon cette optique, ce qu’on appelle l’«expérience» se situe sur un plan qui interdit à un sémioticien de rien en dire.
L’expérience serait en somme, par rapport à la narration, ce que, selon une vue linguistique, la chose est par rapport au mot: c’est-à-dire, son référent.
Bref, selon cette optique, le «texte» avait une sorte de primauté absolue par rapport au «vécu de l’expérience», et «le vécu de l’expérience» n’est jamais l’objet d’analyse d’un sémioticien.
L’un des reflets de cette première approche est le modèle sémiotique classique de la «jonction» en grammaire narrative (Greimas, 1993: 201). Dans ce modèle, il ne saurait y avoir aucun rapport direct de sujets aux sujets, au contraire, sont concevables exclusivement des rapports intersubjectifs économiquement médiatisés par des transferts d’objets. Autrement dit, les sujets ne se réalisent que par les objets de valeurs qui circulent entre ces derniers. En effet, le principe général de la structure narrative est basé sur un principe «économique» qui veut dire le«retour au même» et au centre du foyer. Les objets de valeur circulent entre les mains des sujets sans qu’ils perdent leur valeur initiale, comme s’ils étaient hors de tout contexte historique (kersyté, 2009). En effet dans cette conception, nous avons affaire aux sujets et objets en papiers, c’est-à-dire «des êtres en papier» qui sont exclus de la «vie» et de leur expérience vécue. (Courtés, 1991: 55)
À vrai dire, le modèle classique narratif repose sur l’idée d’une nécessaire antécédence logique, ou même temporelle, de l’expérience par rapport à la narration. Mais cette relation peut s’inverser, que la narration peut précéder l’expérience, ou que les deux moments peuvent se superposer et à la limite se confondre. En effet, la question qui s’impose, c’est qu’indépendamment de toute narration, n’y a-t-il pas en fait, dans l’expérience même, une forme propre de présence du sens? Si «le vécu» doit être distingué du «discours» qui le prend en charge, ce n’est pas pour autant que le premier s’oppose nécessairement au second à la manière. Nous postulerons au contraire que nous avons là affaire à deux procès de production de sens qui se développent chacun selon un régime de signifiance spécifique, sans pour autant que leur relative autonomie exclue la possibilité d’interférences entre l’un d’un donné présémiotique étranger à toute mise en forme signifiante du monde et l’autre. À ce titre, l’expérience, aussi bien que la narration, et plus encore les relations qui se tissent entre elles, relèvent de la réflexion et de l’analyse sémiotiques.
Notre recherche est basée sur un cadre conceptuel inspiré des réflexions d’Eric landowski concernant la relation qui existe entre la «sémiotique de la jonction» et la «sémiotique de l’expérience».
La perspective phénoménologique de la sémiotique
En effet, la sémiotique ouverte à «la perspective phénoménologique» donne l’occasion à la sémiotique de sortir du cadre rigide du texte pour retrouver les dimensions perdues du sens telles que «la présence», «l’expérience», «l’esthésie», «le vécu de l’expérience», etc.
En effet, indépendamment des significations portées par les récits ou discours narratif, il nous arrive parfois, face à autrui, sous la forme actorielle de personne ou de choses, d’être saisis par le surgissement d’un sens qui s’impose à notre intuition bien qu’il n’émane d’aucune narrativité discursive.
Voilà pourquoi on peut dire que l’expérience, aussi bien que la narration et le discours, et plus encore les relations qui se tissent entre elles, relèvent, tous les deux, de la réflexion et de l’analyse sémiotiques.
C’est en fait «le réel» dans sa globalité qui a vocation à signifier et notre tâche est de rendre compte de la manière dont l’ensemble des éléments qui nous entourent font sens à travers l’expérience directe et immédiate que nous en avons. En effet, ce sont ces éléments, choses et gens avec lesquels notre simple présence ici ou là nous mettent à chaque instant en rapport, qui, tous ensemble, composent l’univers sémiotique à l’intérieur duquel nous sommes immergés. D’après cette perspective phénoménologique, « se donnant pour objectif la saisie du sens en tant que dimension éprouvée de notre «être au monde» et se voulant directement en prise sur le quotidien, le social et le «vécu», la recherche sémiotique s'oriente ainsi, de plus en plus explicitement, vers la constitution d'une sémiotique de l'expérience » (Landowski, 2004: 35). À vrai dire cette nouvelle perspective, imprégnée des notions phénoménologiques, telles que «présence», «vécu de l’expérience», «corps», etc., est à l’origine d’une évolution théorique qui rend possible le passage d’une théorie de l’action «en papier» à une théorie de la praxis «en acte».
Mais il faut souligner que même Greimas dans Sémantique structurale s’interrogeait sur le sens en général. Autrement dit, il ne s’intéressait pas seulement à la signification des textes, mais au sens qui provient directement aux activités humaines, ou tout simplement au sens de la vie . En effet selon Griemas du premier livre « habiter le monde c’est «du matin au soir et de l’âge prénatal à la mort», être «assailli par les significations qui nous sollicitent de partout» (Greimas, 1966: 8). Bien que selon le Greimas de Du sens II , « les rapports intersubjectifs dans la grammaire narrative soient conçus comme un échange économique qui porte sur des objets de valeur destinés à l’appropriation, les sujets n’étant que les lieux de leurs transferts» (Greimas, 1983: 47), mais dès son premier livre, il pensait à des ensembles sensibles de nature non linguistique qui allaient aboutir à la rédaction de son dernier livre, De l’imperfection, où le sujet ne se définit pas seulement par sa compétence modale, et l’objet n’est plus conçu comme un objet de valeur qui circule, dans un système clos, d’un sujet à l’autre. Cette nouvelle perspective qui se pose dans de l’imperfection, montre le cheminement intellectuel de Greimas vers la perspective phénoménologiques, notamment. celle de Merleau-Ponty. Dans son dernier livre, les sujets sont dotés du corps et les objets sont conçus comme des réalités matérielles.
Pourtant, c’est toujours la notion de « conjonction », suggérant l’idée de la domination unilatérale du sujet sur l’objet qui se pose dans De l’imperfection «C’est sur le plan physique, au niveau de la sensation pure [...] que se fait la conjonction de l’objet et du sujet ou, plutôt, l’envahissement du sujet par l’objet...» (Greimas, 1987: 52). Dans ces rapports il insiste sur l’absorbation du sujet par l’objet: «L’emprise qu’exercent les images bouleverse le rapport des forces: au plaisir de l’éloignement de la réalité allégée et évanescente se substitue l’absorption du sujet par le monde de l’illusion...» (Greimas, 1987: 59). Ce changement de la perspective, (qu’on peut le poursuivre à travers l’évolution des idées de Greimas), détourne le regard exclusif de la sémiotique sur le discours de la narration pour l’ouvrir au vécu de l’expérience et à tout ce qui concerne la vie elle-même.
Mais la question c’est qu’il faut préciser selon quelle perspective, à quel titre et dans quelles conditions, nous attribuons à une réalité donnée le statut d’une réalité «sémiotique». Ce qui est très important c’est que, la «sémioticité» d’un objet, quel qu’il soit, dépend évidemment du regard que nous projetons sur lui. C’est donc ce «regard» qu’il nous faut interroger, selon les circonstances et en fonction des rapports que nous établissons aves les autres et les choses. On est convaincu qu’un objet - texte ou autre – ne signifie qu’à partir du point de vue d’un sujet ; Alors « on doit donc admettre aussi que le sens qui sera attaché, en particulier, à un texte dépend constitutivement à la fois de l’intertexte pris en compte par celui qui effectue ladite construction, et du «contexte» à l’intérieur duquel elle est effectuée » (Landowski, 2013: 15). En effet, selon les types de relations que nous établissons avec ce qui nous entoure, et les différentes types d’objets auxquels nous avons affaire , on peut distinguer deux manières de regarder le monde et de le faire signifier. Alors, nous disons qu’il s’agit là de «deux régimes d’accorder le sens au monde», ou bien de «deux régimes de regard» sur le monde, qui sont à la fois distincts et complémentaires. Les caractéristiques de l’un de ces régimes du regard correspondent à celles du «discours de la narration» (c’est -à-dire ce qui reste dans le cadre de la sémiotique classique narrative pour laquelle le texte est par nature analysable), et les particularités de l’autre régime du regard, à celles du «vécu de l’expérience» (ce qui concerne la perspective phénoménologique de la sémiotique).
Deux régimes de regard sur le monde
En ce qui concerne le premier régime du regard, là où il s’agit d’un « regard-lecteur » qui observe le monde, en tant que « texte », il faut que le regard du sujet soit un regard détaché de ce qu’il voit, regard indifférent et neutre qui l’observe objectivement, (et à distance), comme une réalité digne d’être en elle-même interprétable et de là intelligible. D’après ce régime du regard, le monde apparaît comme une surface de signes que le sujet en tant que « lecteur » peut « lire » et déchiffrer le sens . De là notre compréhension du monde consiste à déchiffrer des formes manifestes (verbales ou non) qui peuvent être considérées comme des textes qui « signifient » pour le regard qui les observent à distance . Selon cette perspective, un texte, verbal ou non verbal, est conçu comme un texte autonome, indépendant de son « contexte historique » et de la vie, une surface sur laquelle sont inscrites les significations déjà construites, et pour ainsi dire autosuffisantes, qu’il s’agit de découvrir. En effet, ici l’énigme du texte est soluble par la lecture. Cette perspective est celle qui appartient à une sémiotique qui est appelée par Landowski «une sémiotique rationnelle» qui analyse des significations articulées, considérées comme de l’ordre de l’intelligible, du cognitif ou de la narration. (Landowski, 2004: 5)
Au contraire, selon l’autre régime du regard, le monde ne se définit jamais comme un texte, c’est-à-dire comme un réseau de signes à déchiffrer. En effet, selon cette perspective. Il n’y a donc rien à déchiffrer, et le monde ne s’offre jamais à nous comme une surface de signes qu’il faut le décoder pour atteindre le sens, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de sens, sauf que le sens qui en émane est de nature différente. À vrai dire, il ne s’agit pas du tout de déchiffrer à la surface des choses les significations des discours intelligibles, mais il s'agit au contraire d’avoir le contact esthésique et corps à corps avec les qualités sensibles des êtres et des choses avec lesquels nous sommes confrontés. En d’autres termes, selon cette optique, il s’agit d’un sens de l'ordre du sensible et de l'affectif et non de l’intelligible et du cognitif. Ce régime du regard est associé à une sémiotique nommée par Landowski (2004: 5), «une sémiotique du sensible» pour laquelle ce qui compte c’est le sens qui surgit des relations intersomatiques vécues entre le sujet, doté du corps et les choses ou les êtres incarnés.
Le premier régime du regard, comme nous avons souligné plus haut, exige le détachement du sujet de ce qu’il voit (et du monde), pour pouvoir l’observer comme une réalité objective, autonome et en elle-même signifiante, alors que la deuxième optique, au contraire du regard détaché du sujet à l’égard du monde, exige un sujet qui s’implique directement dans son rapport à l’objet. En d’autres termes, ici le sens apparait juste au moment où l’interaction s’établit entre le sujet et ce qui se trouve face à lui, contact immédiate et esthésique au cours duquel le sujet prend conscience de sa propre présence. Autrement dit selon le premier régime, c’est à la fin du travail de déchiffrement et de décodage que la signification apparaît, car il s’agit de l’énigme du texte qu’il faut déchiffrer pour le comprendre, alors que le sens que le sujet éprouve dans l’expérience et dans son interaction directe avec l’objet, c’est - à - dire dans l’instant de la «saisie», est un sens qui nait à partir de cette interaction elle-même.
Mais la question c’est que dans la quotidienneté banale, dans la société d’aujourd’hui, cela arrive très rarement que les sujets s’arrêtent en contemplation devant le mystère de la présence des choses, en établissant des relations esthésiques avec elles.
En fait dans la quotidienneté banale de tous les jours, nous sommes plutôt englués dans l’univers de l’intelligibilité de la «narration». En effet, dans le monde de tous les jours, les projets, les affaires, les urgences, les responsabilités, des grands et des petits ennuis que nous avons formé la trame de notre vie de tous les jours et nous sommes bien trop occupés pour pouvoir prêter attention à ce que nous «éprouvons» dans l’instant qui passe, et pour chercher à en saisir le sens existentiel.
À ce propos, Geninaska (1997) parle de ce fait que nous sommes aveugles aux qualités immanentes à la présence des choses, et indifférents au mystère de ce qui fait sens à travers elles.
On peut dire tout simplement que nous sommes aveugles au sens existentiel de tout ce qui nous entourent.
Mais en tout cas, nous sommes parfois séduits par la présence des choses, et de là, tout est prêt pour «expérimenter» une dimension éprouvée du sens.
Ce qui est très important à souligner encore une fois, c’est que la distinction entre ces deux régimes ne vient pas de l’objet, mais elle vient du «sujet» et de son regard sur le monde. C’est-à-dire, ce qui distingue ces deux régimes du regard, ce n’est pas la nature des objets qui s’offrent à la lecture du sujet, mais c’est la nature du regard sur le monde qui les différencie l’un de l’autre.
Cela revient à dire que d’un côté, selon le premier régime, n’importe quel objet peut être considéré comme « texte », ayant des «significations»; et à l’inverse, sous le second, tout objet, y compris un texte, au sens propre et usuel du terme, « peut être regardé comme faisant «sens», au-delà de ce qu’il signifie en termes linguistiques, discursifs ou narratifs ». (Landowski, 2012: 246)
L’aspect relatif de la nature du regard sur le monde
Certes tous les objets qui nous entourent ne se prêtent pas de la même façon à l’un et l’autre des deux régimes en question.
«Les livres» par exemple: ce sont des objets fabriqués et commercialisés en vue d’être lus, par opposition à d’autres objets qui nous invitent à établir des relations esthésiques avec eux, et à «expérimenter», à «gouter» et à éprouver les effets sensibles et euphorisants, comme par exemple: le confort d’une maison ou bien le gout d’un repas.
Mais la question c’est que «les livres» eux-mêmes, en tant que totalité sémiotique, tirent eux aussi, pour une part, leur valeur, de leur «qualités matérielles» qui sont sensoriellement perceptibles.
Par exemple, le texte que nous lisons n’est lisible que parce qu’il se trouve imprimé sur «un support», et inséré dans un «dispositif», ou bien format, type de «brochure»; tout cela est en soi-même porteur de sens.
En tout cas, on peut dire que la dimension éprouvée du sens, c’est-à-dire, la dimension du sens éprouvé à travers l’expérience sensible de l’objet peut surdéterminer la dimension de la signification textuelle.
Si un roman doté d’une couverture habituelle, est sortie une nouvelle fois en livre de poche et sous une nouvelle présentation - couverture, mise en pages, grain du papier différents -, ce nouvel aspect de nature matérielle fait du roman un autre livre-objet qui suffit à modifier notre appréhension globale du livre-texte. Tout se passe comme si la dimension esthésique du sens, celle du sens éprouvé par le sujet à travers l’expérience sensible de l’objet, exerce l’influence sur l’autre dimension, celle de la signification textuelle, issue de la narration.
Au contraire, un petit «sourire», sur le plan sensible, peut être interprété, sur le plan intelligible, comme «un programme narratif»: par exemple ce sourire «veut dire» qu’il me veut du bien, qu’on attend de moi quelque chose.
De même dans l’interlocution, non seulement le ton sur lequel on nous parle, mais «la complexion», «la physique», le «maintien» et «les allures» de la personne qui nous parlent, en nous faisant sentir une manière «d’être au monde», et plus précisément d’être présent à autrui, exerce une grande influence sur la signification que nous donnons à ses propos qu’on nous adresse.
Par exemple, parfois dans une négociation, à chaque fois que nous nous trouvons incapables d’argumenter et de manipuler la personne qui est devant nous, nous essayons d’établir par le sourire, ou le geste, ou encore par d’autres manières de persuasion une sorte de proximité affective et émotionnelle. Cette stratégie de persuasion est une stratégie à laquelle recourent couramment les publicitaires.
Cette stratégie de communication c’est ce que Landowski appelle «la contagion du sens». C’est ce que nous trouvons plutôt dans le domaine de la «Politique» et de la «publicité». (Landowski, 2004: 98)
Par exemple dans la «publicité», promouvoir un produit, c’est à la fois le faire apprécier comme une sorte de produit («une sorte de héros») dont la «narration» publicitaire montre les compétences fonctionnelles, et le faire «désirer» moyennant la mise en avant de ses «propriétés esthésiques».
De même, dans le domaine «politique», promouvoir une personnalité politique par des médias, ce n’est pas seulement montrer des «stratégies cognitives» pour la montrer crédible, ou bien rendre ses propos convaincants, c’est en même temps chercher à montrer des modalités spécifiques de la «présence» à l’autre que donne immédiatement à sentir, par exemple, une allure «tranquille» par opposition à la vue d’un corps «agité», ou le sentiment d’«aisance» qui se dégage d’un maintien à l’apparence «naturelle», par opposition à un état, pas naturel, mais «guindé».
Dans le domaine du cinéma, imaginez deux amis viennent d’assister ensemble à un même film, chacun en le regardant à sa manière. D’après nos deux régimes de regard, nous avons affaire à deux spectateurs différents, à savoir, un spectateur -lecteur, et un spectateur- sentimental. Le premier déchiffre le film en faisant sa lecture. En effet, rien ne lui échappe: style de mise en scène, l’intrigue, des personnages, les stratégies narratives, et les relations intertextuelles. Alors que l’autre «était» au cinéma sans vouloir rien déchiffrer. À vrai dire, il est passé complètement à côté de ce que ce film «veut» dire, pourtant le film lui a plu. En d’autres termes, le plaisir du premier spectateur est un plaisir qui vient du déchiffrement cognitif du film, alors que celui du second procède de l’enchainement d’associations suscitées par le jeu des sons et des images ou bien de l’expérience d’une dynamique du sens en train de se créer à partir d’un flux de perceptions et de sensations.
Afin de concrétiser littérairement la distinction qui existe entre ces deux régimes du regard, nous nous proposons d’évoquer sommairement deux cas extrêmes, tirés l’un et l’autre de la littérature romanesquemais opposée: d’un côté, le personnage central du Rouge et le noir, Julien Sorel, de l’autre, M. Gouliadkine, le «héros» du roman de Dostoïevski, Le double.
Julien Sorel, spectateur- manipulateur, M Gouliadkine, spectateur- sentimentale
Julien en tant que lecteur du monde qui l’entoure ne fait que déchiffrer des significations et ce déchiffrement du monde va de pair sur le plan de l’action avec un comportement fondé tantôt sur le principe de l’intentionnalité, qui fonde le syntaxe de la «manipulation» entre sujets, et tantôt sur le principe de la régularité régissant le régime de la «programmation» de l’action, c’est - à-dire les deux principes de logique narrative que le héros de Stendhal applique en toute circonstances pour analyser ses relations avec autrui. En d’autres termes, julien est à la fois un lecteur, sur le plan de la signification (car le monde est pour lui un «texte»), et un grand intrigant et manipulateur, sur le plan de l’action ou plutôt un acteur programmé qui ne cherche qu’ à manipuler. Ce sont ces principes de logique narrative que le héros de Stendhal applique en toutes circonstances pour analyser ses relations avec autrui, ce sont eux qui orientent ses décisions et qui régissent l’ensemble de ses comportements. En effet, la stratégie de la manipulation est pour cet arriviste le meilleur moyen pour réaliser son ambition, à savoir, devenir comme Napoléon le «maître du monde». À vrai dire le «modèle idéal» qu’il s’acharne ainsi à suivre et qui de bout en bout va l’enfermer dans le cadre d’une narration, il le tire lui-même, comme on peut s’y attendre, d’une lecture, celle du Mémorial de Sainte-Hélène. Pour Julien, le premier régime du regard qui concerne le discours de la narration l’emporte sur le régime qui donne la priorité à l’expérience.
En effet, d’après son modèle déjà fixé, Julien s’est assigné à lui-même un rôle thématique et bien déterminé dont il ne se départira à aucun prix. Le programme déjà défini commande indissociablement la modalité de son regard sur les gens et les choses, et la finalité de ses actes.
Loin de vouloir être imprégné dans les réalités sensibles du monde, il conçoit la vie plutôt comme un discours narratif, et à ses yeux le monde apparait comme un texte à la fois codé et de là, lisible, parce que couvert de figures intelligibles, et maîtrisable parce qu’autour de lui se trouvent des êtres manipulables et des objets qui sont des moyens fonctionnels au service de ses programmes bien définis.
Justement au contraire du cas de Julien, Gouliadkine n’est pas capable de déchiffrer les signes du milieu où il se trouve et de là il n’est pas capable de déchiffrer les signes et de maitriser les situations où il se trouvent. Les codes du milieu dans lequel il se traine constitue un langage qu’il ne peut pas «lire». En d’autres termes il se trouve incapable de «lire» le monde dont la signification lui échappe. Sur le plan de l’action, les principes de la «régularité» et de l’«intentionnalité» sont remplacés par les principes de la «sensibilité» et de l’«aléa», et le héros agit comme le contraire d’un manipulateur programmé. Sans aucun programme déjà déterminé, il cède au destin. En effet, à chaque instant il cherche à «s’ajuster» (sans y parvenir) aux impulsions sensibles venues de l’autre et en même temps il est résigné au sort. Tandis que Julien en observateur prenant ses distances avec son entourage, organise machinalement ses actions et ses programmes narratifs en anticipant les réactions d’autrui, M Gouliadkine se trouve constamment vacillé par des accidents esthésiques et imprévisibles qui l’empêchent de pouvoir planifier ses programmes narratifs et de lire à distance le milieu où il se trouve . Au contraire de Julien qui est un grand lecteur de son monde-texte, ici nous avons affaire d’un non lecteur, un non manipulateur, un rêveur, qui se laisse tout imprégné par les qualités sensibles inhérentes aux choses qui l’entourent. Dans l’interaction, sans pouvoir recourir à la manipulation et à la programmation, il essaye maladroitement de réagir immédiatement aux impulsions sensibles venues de l’autre. En même temps Gouliadkine est fataliste , comme nous avons dit plus haut, sur le plan de l’action, l’un des principes est l’aléa,( Landowski, 2005 :65), c’est -à-dire, il cède par avance à son destin sans pouvoir se faire l’artisan de ce dernier.
Selon ces deux régimes du regard on peut tracer l’identité de ces deux personnages qui suggère à la fois leur manière d’« être au monde ». Alors que certains parmi nous, comme Gouliadkine vivent en s’ajustant aux éléments du monde, sans pouvoir faire une « lecture » cognitive de ce dernier, d’autres, à la manière de Julien conçoit la vie comme un « discours narratif», une narration, le monde se présentant à leurs yeux comme un texte lisible et maîtrisable.
Conclusion
Dans l’articulation de notre rapport au réel, on peut distinguer deux temps successifs: d’un côté ce que nous avons appelé «le vécu de l’expérience», de l’autre, le «discours de la narration». Par opposition au premier qui nous met directement au contact esthésique du monde, sa reprise sous la forme discursive d’une narration, en nous éloignant de l’instant vécu, nous permet d’objectiver ce que nous sommes en train de vivre en des termes potentiellement accessibles à tous. En effet, dès que nous commençons à raconter ce que nous sommes en train d’éprouver, des scénarios narratifs que nous inventons, nous libèrent de l’emprise du vécu et nous installent dans la communauté du dicible. Ce qui importe c’est que pour la sémiotique qui s’intéresse à la fois au « discours de la narration » et à « l’expérience », discipline qui se veut d’une portée générale, il s’agit de deux manières du regard sur le monde, qui toutes les deux, doivent être prises en considération. En effet la sémioticité d’un objet, ne vient pas de lui -même, mais dépend du regard que nous avons sur lui. D’après le premier regard, le monde n’est qu’une surface d’inscription des signes dont la compréhension passe par leur déchiffrement. Alors que selon le deuxième régime du regard, le monde n’apparaît jamais comme un réseau de signes à déchiffrer, mais il y a tout de même de sens et de valeur qui relèvent de l’ajustement esthésique et immédiate du sujet au monde qui s’avère comme un monde non maitrisable et non déchiffrable par ce dernier.
Compte tenu de tout ce qui précède, la «narration», ou la question du discours narratif où il s’agit du premier régime du regard, selon lequel le sujet considère le monde comme un texte lisible et déchiffrable, suggère le régime de « la programmation », présenté par Landowski, où les significations sont déjà fixées et prédéfinies par avance.(Landowski, 2005 : 17-20) A l’inverse, le deuxième régime du regard sur le monde, selon lequel le monde n’est plus comme un « monde-texte », exigeant de la part du sujet un travail de déchiffrement cognitif, suggère, comme nous avons déjà souligné plus haut, le régime de « l’ajustement » qui est une interaction dynamique, esthésique et immédiate entre le sujet incarné (doté du corps) et le monde, plein de présences sensibles. En effet le passage du premier régime au deuxième régime du regard, c’est, dans la pensée de Landowski, le passage du régime de « la programmation » à « l’ajustement ».