نوع مقاله : مقاله پژوهشی
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دانشگاه فردوسی مشهد
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Introduction
La littérature a toujours favorisé un espace propice de quête pour l’homme en proie aux interrogations perpétuelles sur son être. Ces réflexions semblent être inextricables aux créations de tout auteur, car consciemment ou non, il conçoit l’œuvre au prisme de ses croyances et y projette sa perception du monde. C’est cette transfiguration du vécu axiologique dans l’œuvre qui «distingue la condition existentielle de l’artiste de celle de l’homme ordinaire» (Balint Babos, 2016: 1). Cette implication ontologique de l’artiste, inhérente à toutes ses créations, est naturellement sujette aux fluctuations des circonstances sociales, politiques et culturelles de son vivant. À cet égard, il semble qu’aucun impact ne soit plus décisif que celui de la guerre sur la crise ontologique de l’artiste, car rien de tel ne peut mieux mettre à nu l’instabilité et la fragilité de la vie des hommes frôlant à chaque instant la mort. C’est pourquoi la prise de conscience ontologique acquiert une intensité exemplaire après les Guerres mondiales: en témoignent l’émergence du Surréalisme après la Première et celle de l’Existentialisme après la Seconde. Depuis cette dernière, la modernité, ses fléaux et ses promesses d’émancipation illusoires n’ont fait que prolonger les préoccupations de l’homme pour connaître son vrai statut dans le monde. Cette inquiétude a fini par ouvrir une perspective ontologique de connaissance de soi par Thomas Kuhn en 1970, grâce à son ouvrage Les Structures des révolutions scientifiques où il introduit l’idée de la relativité de notre connaissance du monde, étant donné la non-conformité de la réalité avec notre perception de celle-ci. Cette pensée révolutionnaire a préparé l’émergence de la pensée postmoderne qui continue à discréditer le positivisme au profit du principe de l’incertitude, notion empruntée elle-même à la physique quantique. L’avènement de ce principe n’a fait que relancer avec un élan sans précédent, le questionnement ontologique.
En littérature, cette question ontologique s’empare de la perspective axiologique donnant lieu à de nombreux ouvrages, dont ceux de Jean-Marie Gustave Le Clézio, écrivain français de renommée internationale. Étant l’héritier de l’existentialisme et contemporain du postmoderne, Le Clézio laisse une empreinte sensible de ces tendances réflexives dans ses ouvrages. Cependant, les investigations qui sont vouées à explorer ces derniers, ne soulèvent qu’indirectement leur dimension ontologique. Marina Salles dans son livre intéressant intitulé Le Clézio notre contemporain, scrute brièvement les liens intertextuels reliant l’écriture leclézienne à celle de Sartre, en mettant l’accent sur les notions existentialistes de liberté et de responsabilité et en parcourant notamment, à travers les essais de Le Clézio, l’admiration de ce dernier pour le philosophe et l’homme de lettre engagé (2006: 257-265); et Keith Moser dans son article (2016: 13-29) se concentre, dans une perspective psychologique, sur la folie du protagoniste leclézien comme symptôme de l’angoisse existentielle de l’homme moderne. Nous reviendrons sur ces deux recherches au cours de notre article[1].
Ainsi, l’absence d’une étude centrée particulièrement sur l’aspect ontologique du Procès-verbal (1963), le premier roman de Le Clézio, se fait pourtant sentir. C’est ce qui nous a motivées à effectuer cette recherche. Nous allons donc, tenter de savoir quelle est la perception du romancier de l’être humain et de son statut dans le monde. A cette fin, dans un premier temps, nous considérerons le protagoniste dans son faisceau de relations avec le monde, ce qui nous amènera à étudier ses interactions d’ordre intellectuel, émotionnel et social avec ce dernier. Cet examen nous révèlerait les moyens de connaissance de l’être adoptés par le personnage. Dans un second temps, nous nous pencherons de plus près sur les modalités de la prise de conscience ontologique du protagoniste. Cette étude nous permettrait de savoir comment le personnage leclézien vit l’existence dans le sens philosophique du terme.
Les moyens de connaissance
La parution du Procès-verbal synchronise avec l’épanouissement de la littérature postmoderne où «la dominante ontologique remplace celle épistémologique» (McHale, 2004: 10). Ce roman de Le Clézio fait écho à ce contexte littéraire, en incarnant cette particularité à travers le processus cognitif de son protagoniste cherchant à trouver sa position propre dans le monde. Au cours de sa lecture, le lecteur peut ainsi remarquer que le regard ontologique s’empare progressivement de l’esprit d’Adam Pollo, le personnage principal. Celui-ci se rend compte que la conscience d’exister est une capacité réservée uniquement à l’homme, ce qui le conduit à «contempl[er] sa propre intelligence dans l’univers, dont il était sûr à présent d’occuper éternellement le centre sans relâche» (Le Clézio, 1963: 80). La prise de conscience de cette différence de l’homme avec les autres espèces évolue sa vision de soi, car désormais pour lui, l’essentiel c’est de vivre la conscience d’être: «L’important n’est pas de savoir, mais de savoir qu’on sait. C’est un état où la culture, la connaissance, où le langage et l’écriture ne servent plus à rien […] on peut être qu’on est. C’est un état, simplement. Mais c’est le seul aboutissement possible de la connaissance, en fin de compte. […] On est qu’on est —oui, c’est ça. Être d’être». (Le Clézio, 1963: 298-299)
Adam recherche un contact direct, sans aucun intermédiaire avec l’univers. Contrairement à l’homme moderne, il ne s’appuie pas sur la raison pour connaître la vérité. L’absence de la raison l’aide à vivre pleinement cette conscience d’être et à acquérir une meilleure connaissance de soi, car elle met l’homme en mesure de donner libre cours à ses pensées et à son imagination et favorise par-là, une expression sans contrainte du Moi. Pour Adam, la folie consiste à adopter en outrance, une manière différente de voir le monde. Ainsi, peut-il dépasser la limite du temps et éprouver une appartenance absolue à l’univers: «Pour donner un autre exemple d’une folie devenue familière à Adam, on pourrait parler de cette fameuse Simultanéité. La simultanéité est un des éléments nécessaires à l’Unité qu’Adam avait un jour pressentie […]. La simultanéité est l’anéantissement total du temps et non du mouvement» (Le Clézio, 1963: 203). Cette appréhension singulière du monde amène Adam à expérimenter un état exceptionnel, celui de l’extase. Grâce à cet état, Adam peut se munir du «savoir suprême» et de ce fait, du pouvoir absolu: «L’objectif n’est pas la "communication possible" de l’homme avec Dieu mais la conquête d’un "état spirituel pur" défini par la formule "être d’être" qui apparente l’homme à la divinité» (Salles, 1996: 99). En effet, l’expérience d’éternité n’est possible que par une ouverture extatique d’Adam, car «percevoir la mort dans la vie et la vie dans la mort témoigne d’une attention aiguisée au monde, d’une recherche de l’éternité». (Salles, 2007: 294)
L’état d’extase initie Adam, en quelque sorte à l’expérience de la mort: «Adam semblait le seul à pouvoir mourir ainsi, quand il le voulait, d’une mort propre, cachée; le seul être vivant du monde qui s’éteignait insensiblement, non pas dans la décadence et la pourriture des chairs, mais dans le gel minéral» (Le Clézio, 1963: 77-78). Adam ne se borne pas aux apparences. Il essaie au contraire, d’aller au-delà de celles-ci pour acquérir une connaissance cosmique qui ne peut pas s’exprimer avec les mots. À la recherche «de l’essence même de la réalité» (Salles, 1996: 93), Adam perd sa première existence pour en retrouver une autre. Cette transformation se manifeste donc sous forme d’une transcendance de soi: «En visant bien au centre, les yeux mi- clignés, on se trouvait tout d’un coup face à face avec une communication d’un ordre nouveau, qui faisait fi du relief, de la pesanteur, de la couleur, de la sensation tactile, de la distance, du temps, et qui vous enlevait toute envie génétique, atrophiait, mécanisait, était le premier jalon de l’anti-existence». (Le Clézio, 1963: 69)
L’état d’extase implique donc, une sorte de détachement du monde et c’est par-là qu’Adam peut affranchir ses limites. Mais d’un autre côté, cette «expérience de "sortie de soi" le déstabilise, bouleverse [s]a pensée et [le] conduit à une dépersonnalisation voire une désidentification» (Grossman, 2008: 93). Cet état d’entre-deux du protagoniste, provenant d’un «paradoxe ontologique (l’être n’a pas d’être)» (Vinclair, 2016: 6), traduit un état de «devenir», de passer d’un niveau de l’existence à un autre. Cette position inhabituelle de l’être est connue depuis Aristote. Celui-ci déclare à ce propos: «De même, en effet, qu'il existe toujours un intermédiaire, qui est le Devenir entre l'Être et le Non-Être, de même aussi il y a ce qui devient entre ce qui est et ce qui n'est pas» (Aristote, 1840: 142). Ce passage ontologique n’est possible que par le biais d’une «conscience réfléchie» (Sartre, 1943: 298). Ainsi, après la négation du mode d’être par des actes et des paroles, Adam expérimente un nouveau mode d’être, celui qui émane de la conscience d’être. Celle-ci se définit comme «être une décompression d’être» (Gabriel, 1981: 50-51). C’est ce mode d’être que cette fameuse formule de Sartre incarne: «Je suis ce que je ne suis pas, je ne suis pas ce que je suis» (Sartre, 1943: 299). En effet, Adam vit en tant qu’un être pour soi, car il est doté «d’un pouvoir néantisant qui l’arrache de l’en soi, qui lui permet de s’en distancer, de prendre position face à lui» (Salzmann, 2000: 23). Il cesse d’exister en tant qu’objet prédéfini à l’image des hommes souvent pris aux méandres de la vie quotidienne, dont l’existence se réduit à leurs actes répétitifs. La réflexion et la méditation sur l’être permettent à Adam de dépasser, non seulement les frontières spatio-temporelles, mais aussi son propre être:
«Ce qui agit Adam, c’est la réflexion, la méditation lucide. Partant de sa propre chair humaine, de sa somme de sensations présentes, il s’anéantit par le double système de la multiplication et de l’identification. Grace à ces deux données, il peut raisonner aussi bien dans le futur que dans le présent et le passé […]. Peu à peu il s’anéantit par l’autocréation. Il exerce une sorte de sympoésie et finit […] dans oubli et absence. Bientôt il n’existe plus. Il n’est plus lui-même. Il est perdu […]» (Le Clézio, 1963: 205).
«L’autocréation» d’Adam survient donc, lorsqu’il choisit de vivre autrement l’expérience de l’existence. Par cette entreprise délibérée, il se différencie des hommes ordinaires: «seuls les "surhommes" ont la conscience et le courage de se réaliser à chaque instant et dans chaque acte. […] l’homme ne se réalise pas sans choix conscient, sans décision de devenir ce qu’il est, de devenir ce qu’il peut être et ce qu’il doit être». (Vandenberghe, 2000: 6)
Une autre caractéristique qui distingue Adam des autres, c’est son recours à la connaissance sensorielle. Celle-ci est en effet, son moyen de connaissance privilégié. Pour Adam, la connaissance sensorielle est la mesure de tout, «la voie des certitudes» (Le Clézio, 1963: 204). Il oppose ainsi, «la valorisation du corps senti et sentant» (Salles, 2007: 237) à la primauté de la raison. C’est la raison pour laquelle il refuse d’admettre les présupposés scientifiques. En colère, il s’adresse aux étudiants dans l’asile et dit: «Vous voulez toujours introduire partout vos satanés systèmes d’analyses, vos trucs de psychologies» (Le Clézio, 1963: 300). Pour lui, la perception de l’existence passe par les sens, par «la synesthésie, c’est à dire: exister par toutes les sensations» (Cortanze, 2009: 59). C’est pourquoi en décomposant le sens de la phrase "Quelle heure est-il?" pour Michèle, il interprète ainsi le sens du verbe «être»: «Est ? l’existence; encore un mot, un anthropomorphisme par rapport à l’abstrait, dans la mesure où l’existence est la somme des sensations synthétiques d’un homme». (Le Clézio, 1963: 72)
De ce fait, pour Adam, la perception visuelle et auditive du monde qui l’entoure acquière une importance considérable. Adam s’intéresse beaucoup à contempler la nature et à interpréter les «images» (Le Clézio, 1963: 167). De même, dans ses descriptions, il tient souvent à préciser la couleur: «blanchâtre (Le Clézio, 1963: 20), kaki (Le Clézio, 1963: 64), vermillon (Le Clézio, 1963: 126, 230), ocre (Le Clézio, 1963: 230)». Les capacités auditive et visuelle se développent chez Adam particulièrement grâce à l’état d’extase. Dans cet état, le protagoniste est pourvu d’une faculté visuelle exceptionnelle: «Adam se nommait tout bas le maître des choses; […] on avait la faculté de laisser entraîner son regard infiniment autour, par degré circonvultionnés […] il fallait décréter que seule la connaissance sensorielle est mesure de la vie. Dans ce cas, Adam était à coup sûr le seul être vivant au monde». (Le Clézio, 1963: 35)
De même, pendant l’extase, il retrouve une capacité auditive surhumaine: «il [Adam] avait parlé de chuintements et de sifflements, […] des grincements, des froissements de couches d’air, le frôlement des poussières tombant sur des surfaces planes, amplifiés 1500 fois» (Le Clézio, 1963: 67). Adam fait aussi attention aux bruits des animaux et essaie de les imiter, comme il imite l’aboiement du chien ou les gémissements du rat. L’attention portée à la connaissance sensorielle chez les personnages lecléziens est due en partie, à l’hypersensibilité de l’auteur: «Le microscopique l’émeut [Le Clézio]. Certes, étant myope, il a tendance à regarder les choses de très près, à se laisser entraîner par le détail et à y voir tout un infini» (Cortanze, 2009: 44). L’hyperacuité visuelle, selon Marina Salles peut être même «une source de souffrance: elle est une des composantes de la folie d’Adam» (2007: 229). L’importance de la perception sensorielle chez Adam vient surtout du fait qu’elle mène à l’assimilation du protagoniste au monde perçu: «À force de voir le monde, le monde lui était complètement sorti des yeux; les choses étaient tellement vues, senties, ressenties, des millions de fois, avec des millions d’yeux, de nez, d’oreilles, de langues, de peaux, qu’il était devenu comme un miroir à facettes. Maintenant les facettes étaient innombrables […]». (Le Clézio, 1963: 91)
Un autre exemple de cette assimilation concerne la sensibilité auditive d’Adam. À force d’écouter attentivement les bruits, celui-ci a l’impression que son esprit devient comme une sorte de réceptacle émettant tout ce qu’il a entendu: «Adam écoutait lentement, sans bouger les yeux d’un centimètre; il n’avait besoin de rien. Tous les bruits (le gargouillis d’eau dans les conduites, les coups sourds, les craquements des cossidés, les cris d’ailleurs entrant dans la chambre, coupés un à un, le murmure d’une chute de poussières voisines, quelque part sous un meuble, les légères vibrations des phagocytes, le réveil grelottant d’une paire de phalènes) semblaient venir de lui-même» (Le Clézio, 1963: 262-263). Adam prend en effet, la forme d’un mini cosmos. Autrement-dit, son corps reflète tout ce qu’il a perçu par la peau:
«Mais de près, avec ce soleil qui marbrait la peau, et ces plaques d’eau de mer, on aurait dit que le corps d’Adam était lentement envahi par des taches de toutes sortes de couleurs, variant entre le jaune cru et le bleu. […] Les atomes d’Adam auraient pu se mêler aux atomes de la pierre, et lui, s’engloutir très doucement à travers terre et sable, eau et limon; […] et les atomes tournaient comme de minuscules planètes, dans l’immense, l’universel corps d’Adam» (Le Clézio, 1963: 230-231).
Il faut noter également, que le penchant du protagoniste pour les endroits donnant sur les trois étendues de la terre, de la mer et du ciel proviendrait de sa tendance pour voir le monde «à plusieurs facettes». Cela justifie son choix d’occuper une maison située sur une colline (Le Clézio, 1963:17). Il privilégie ainsi les lieux qui lui permettent d’avoir une vue élargie: «C’était le point culminant de la route. Le seul endroit de la côte où la vue se multipliait des milliers de fois, sur les trois étendues de la mer, de la terre, et du ciel». (Le Clézio, 1963: 80)
Aussi faut-il prendre en considération la place de la «femme» ou plutôt du «genre féminin» comme altérité dans l’approche ontologique d’Adam du monde. Le genre féminin joue en effet, le rôle d’un intermédiaire faisant parvenir celui-ci à entrer en symbiose avec d’autres formes d’existence. En témoigne la tendance d’Adam pour s’unir avec les femelles des animaux dans le jardin zoologique: «il avait découvert que le meilleur moyen de s’immiscer dans une espèce, est de s’efforcer d’en désirer la femelle» (Le Clézio, 1963: 86). Michèle aussi aide Adam dans son parcours cosmique. Elle l’accompagne parfois dans ses expériences d’extase (Le Clézio, 1963: 67-78) et joue également, le rôle d’une intermédiaire entre Adam et le monde. C’est elle qui lui procure ses provisions et l’informe de ce qui se passe dans le monde. Adam le reconnaît dans sa lettre à Michèle: «grâce à toi, Michèle, car tu existes, je te crois, j’ai les seuls contacts possibles avec le monde d’en bas» (Le Clézio, 1963: 18). De même, la lecture de la lettre de sa mère semble être décisive dans son évolution, car elle lui inspire la confiance nécessaire pour faire sa harangue prophétique (Le Clézio, 1963: 246). Ainsi, Adam qui s’intéressait à suivre des chiens errants et vivait en marge et aux dépens de la société, après la lecture de cette lettre «ne suivait plus personne» (Le Clézio, 1963: 241), au contraire, il se sentait responsable pour guider les hommes, tandis qu’avant, «il ne voulait pas prendre la responsabilité d’avoir à conduire quelqu’un» (Le Clézio, 1963:101). C’est aussi en regardant une vieille femme gravissant péniblement la route qu’il prend conscience de son existence humaine. Dans son discours au chapitre P, Adam parle ainsi de sa pensée après avoir vu cette scène: «Tout à coup, sur terre, tout fut changé. Oui d’un seul coup, je compris tout. Je compris que cette terre était mienne, et à nulle autre espèce vivante. […] Elle était aux hommes». (Le Clézio, 1963: 248-249)
Par ailleurs, la présence féminine s’accompagne souvent du goût passionné d’Adam pour le corps charnel de la femme. D’où le recours au vocabulaire érotique dans le récit. On peut dire que pour Adam, l’autrui féminin joue un rôle important dans la connaissance du monde. C’est ce qu’on peut constater par exemple, dans cet extrait de sa lettre à Michèle: «Je pense que s’il y avait ton corps nu, dans la lumière, au ras du sol, et que je puisse reconnaître ma propre chair dans la tienne, lisse et chaude, je n’aurais pas besoin de tout ça» (Le Clézio, 1963: 25). Dans cette perspective, on pourrait interpréter la tentative du viol de Michèle comme une manœuvre d’Adam pour fusionner avec le monde via le sexe féminin, car «la chair ontologique […] renvoie aussi à autrui: moi et autrui nous appartenons au même "tissu charnel". La manifestation d’autrui prend sa place entre mon corps et la chair du monde» (Cevahir Sahin, 2007: 4). Le corps est donc, comme l’écrit Maurice Merleau-Ponty, «au moins à l’égard du monde perçu, l’instrument général de [l]a compréhension». (1945: 272)
La stratégie narrative dans Le Procès-verbal, est en harmonie avec la visée ontologique de l’œuvre. Ainsi, la sortie de Soi chez le protagoniste s’accorde-t-elle avec le dédoublement narratif. Cela se produit lorsqu’Adam emploie le pronom «il» au lieu de «je» dans une lettre adressée à Michèle (Le Clézio, 1963: 21). Ou au chapitre I, lorsqu’Adam écrit ses lettres sous forme de «question» et «réponse» suggérant au lecteur que c’est lui qui répond à ses propres lettres. Adam se considère donc en tant qu’autrui. C’est pourquoi selon Bollème, le dédoublement de l’instance narrative doit être expliqué par un «dédoublement de personnalité» (1963: 794). D’après lui, cet ouvrage de Le Clézio est composé «sur le ton d’une sorte de monologue du type -qui se raconte- des histoires tout haut, pour lui-même et pas spécialement pour les autres. C’est un Je qui se raconte lui-même parce qu’il se voit comme s’il était l’autre». (Bollème, 1963: 794)
Aussi, ne faut-il pas perdre de vue que ce regard porté sur le Moi serait l’un des composants de l’écriture leclézienne: «La fréquence de la phrase rimbaldienne "je est un autre" dans son œuvre nous dit d’une autre façon la rencontre de l’altérité. Cette voie n’est pas donnée d’emblée, mais quêtée de livre en livre […]» (Roussel-Gillet, 2010: 36). D’ailleurs, l’auteur affirme ce constat dans l’un de ses entretiens avec Pierre Lhoste, où il lui parle de la finalité ontologique de son écriture: «Je n’ai pas voulu écrire des romans différents, mais continuer la même histoire, à la fois la mienne et celle des autres en plusieurs chapitres. Donc, Le Procès-verbal c’est le premier chapitre: à la fois la découverte d’une littérature et une sorte de présentation, la façon dont j’envisage la vie» (1971:62). Essayons de voir maintenant, comment cette crise ontologique se manifeste chez le protagoniste du Procès-verbal.
La prise de conscience ontologique
L’étude du Procès-verbal confirme bien cette remarque de Marina Salles selon laquelle, ce roman de Le Clézio «soulève des questions permanentes et fondamentales qui se posent à l’humanité. Elles ont trait à la connaissance, aux rapports de l’homme avec l’univers, au désir de maîtriser le temps, de s’opposer à la mort» (1996:112). À cet égard, l’une des questions ontologiques principales dont l’œuvre est imprégnée est celle de la contingence. Dans son analyse des rapports entre la littérature et la crise de l’ontologie, Pierre Vinclair définit ainsi la contingence:
«"Contingence" est la notion empruntée à la philosophie classique, et plus particulièrement à l’ontologie (qui s’intéresse à l’être de ce qui est). La contingence caractérise le défaut de raison suffisante —c’est‑à‑dire l’absence de nécessité de l’existence d’une chose, ou son absence de fondement. En ce sens, la contingence n’est pas tant une catégorie ontologique qu’une catégorie d’ontologie négative puisqu’elle nomme l’impossibilité de répondre à la question "pourquoi y a‑t‑il ce qu’il y a?" et finalement son refus pur et simple». (2016: 1)
De ce point de vue, dans les réflexions du protagoniste, l’autrui possède une place importante, car il pose la question de la contingence. Ainsi, toutes les tentatives d’Adam pour expérimenter la symbiose avec les autres formes d’existence affirment-elles son attention à sa propre contingence. Les efforts d’Adam pour s’unir aux animaux (Le Clézio, 1963: 85) dans le jardin zoologique prennent la forme d’une métamorphose et lui offrent à chaque fois la possibilité d’éprouver les sensations de ces autres configurations d’existence: «La possibilité d'être et de ne pas être qui caractérise la contingence est l'attribut exclusif d’un être qui peut en raison de sa matière, perdre la forme qu'il possède pour acquérir une autre». (Jalbert, 1959: 354)
Devenir altérité c’est l’expérience qu’Adam vit à chaque fois qu’il s’immerge dans son extase matérielle. Pour lui, tout comme pour Roquentin[2], la confrontation à la «contingence» de l’existence, change radicalement le regard du personnage. À cet égard, on peut dire que Le Procès-verbal se rapproche de cet ouvrage de Sartre, car «la Nausée, c’est au fond la prise de conscience de la contingence». (Gabriel, 1981: 42)
Dans la même perspective, Adam, au cours de son discours, essaie de souligner la question de cogito: «Vous confondez l’existence comme réalité vécue et l’existence comme cogito, comme point de départ et point d’arrivée de la pensée» (Le Clézio, 1963: 300). Le cogito correspond à l’état où l’homme «s'essaie de penser la vie et sa [propre] vie» (Gaubert, 2008: 124). L’attitude d’Adam dès le début du roman, montre bien cette réflexion d’ordre existentiel, car en refusant de suivre les autres, il essaie de connaître le sens de sa propre vie. Selon lui, la piège de «la mauvaise foi» est tendue aux hommes dès leur enfance: «Les parents chosifient leurs enfants- ils les traitent en objet poss – en objets qu’on peut posséder. […] Ils doivent jouer un rôle. On attend quelque chose d’eux» (Le Clézio, 1963: 279). Adam préfère donc, se libérer des fonctions prédéfinies par la société, bien que ce choix consciencieux le fasse souffrir: «je suis écrasé sous le poids de ma conscience. J’en meurs, c’est un fait, Michèle. Ça me tue. […] il faut bien parler, il faut bien vivre». (Le Clézio, 1963: 72)
Chez Adam, la prise de conscience provient également de ses préoccupations constantes au sujet de la mort. En témoigne la présence du champ lexical concernant celle-ci. Le lecteur rencontre donc fréquemment des mots tels que la mort (Le Clézio, 1963: 17, 70, 78, 79, 80, 85, 133, 136, 145, 153, 154, 162, 171, 200, 269, 273, 294, 295, 296, 304, 306, 313), le cadavre (85, 86, 125, 126, 145, 150), le cimetière (133), l’enterrement (133,200), la morgue (155), le revenant (205), etc. Dans Le Procès-verbal, le protagoniste vit dans l’atmosphère étouffante de l’après guerres mondiales (65). Il a aussi vécu l'effroi de la guerre froide. Cela peut justifier les questions qu’il pose à Michèle concernant la guerre atomique (64), ou même sa peur et sa conduite paranoïaque: «La peur grandit invinciblement, il ne put arrêter imagination ni fureur: même les hommes devinrent hostiles, barbares […] ils vinrent en rangs serrés […] cannibales, lâches ou féroces» (24). C’est aussi son penchant vers la mort qui le mène à la violence, celle-ci étant l’un des avatars de Thanatos, la pulsion de la mort. Ainsi, il essaie de violer Michèle (42), irrite une panthère au zoo (87), tue férocement un rat (124), arrache sans raison l’un des rosiers (115) et déterre la tige d’un bambou (115).
La mort perçue comme «absence» et «vide» se constate également dans la forme du récit. On peut le voir par l’emploi des crochets vides au milieu des courriers d’Adam (212, 213, 215-216, 224, 227), l’utilisation des mots dont certaines lettres sont éliminées (100, 276) ou l’emploi des phrases laissées délibérément inachevés (137, 159, 218, 219, 226, 227). L’inexistence des éléments attendus pose la contingence de l’existence dans l’écriture. La crise ontologique se reflète aussi dans la structure du récit: «Parfois les cadres impliquent une confusion des niveaux ontologiques par l'incorporation des visions, des rêves, des états hallucinatoires et de la représentation picturale qui sont finalement indistinctes de la réalité apparente» (Waugh, 2002: 31). À cet égard, la narration dans Le Procès-verbal crée chez le lecteur une sorte de confusion du réel et de l’imaginaire. Cette perte des repères s’effectue souvent par l’intervention constante du narrateur: «Le narrateur par son intervention constante propose des interprétations et interpelle directement le lecteur. De telles intrusions renforcent en effet le lien entre le monde réel et le monde fictif […] et exposent la distinction ontologique du monde réel et du monde fictif» (Waugh, 2002: 32). Dans cette optique, à la dernière page du roman, le narrateur intrigue le lecteur en terminant le récit par ces phrases: «En attendant le pire, l’histoire est terminée. Mais attendez. Vous verrez. Je (notez que je n’ai pas employé ce mot trop souvent) crois qu’on peut leur faire confiance» (Le Clézio, 1963: 315). De même, l’emploi de «vous» dans la description du jardin zoologique, interpelle directement le lecteur pour l’amener à faire une réflexion sur sa propre existence: «[…] il flottait encore ici et là, une vague odeur de guenon, qui s’insinuait doucement en vous, au point de vous faire douter de votre propre espèce» (Le Clézio, 1963: 95). En effet, l’intrusion ostensible du narrateur contribue à établir une autre fois la question de la contingence en attirant l’attention du lecteur sur les deux niveaux fictif et réel des faits.
L’angoisse ontologique au début du roman provient du dasein du personnage au sens heideggérien du terme. Car son «être-vers-la-mort» (Heidegger, 1986: 203), le mène à ne pas assumer la responsabilité de sa vie. D’où sa nonchalance et son indifférence à l’égard de lui-même et des autres. C’est pourquoi lors de ses promenades dans la ville, il suit souvent un chien sans savoir où il va: «il ne savait pas où aller, il ne voulait pas prendre la responsabilité d’avoir à conduire quelqu’un» (Le Clézio, 1963: 101). De même, au lieu de travailler, il vit en parasite, aux dépens de Michèle (Le Clézio, 1963: 207). Non seulement, il n’accomplit aucune tâche sociale, mais en plus, il enfreint les règles de la société en commettant des vols dans les supermarchés par exemple (Le Clézio, 1963: 21, 128, 208). Ce caractère d’Adam est aussi confirmé par le diagnostic du médecin-chef dans l’asile psychiatrique. Le jeune homme est ainsi atteint du «rejet de responsabilité par affabulation» (Le Clézio, 1963: 281). Ce comportement d’Adam peut s’expliquer par sa prise de conscience ontologique. En effet, il est représenté comme quelqu’un qui fait fi de la société moderne pour découvrir sa vérité ontologique. Certes, il se distancie des hommes et vit seul dans une maison abandonnée, mais par l’emplacement de cette maison située sur une colline, il peut établir une relation plus étroite avec les éléments de la nature tels que la mer, le ciel et la terre. En effet, l’écart d’Adam de la société favorise des moments sereins pour lui permettre de mieux réfléchir sur son être en rapport avec le monde. Marina Salles souligne bien ce caractère du héros leclézien cherchant «à découvrir, à travers la seule matière, une voie pour renouer des liens harmonieux entre l’homme et le monde: cosmos et univers des objets réunis» (1996: 99). On peut qualifier cette solitude de constructive pour Adam, car elle lui permet de prendre conscience de l’absurdité de la vie comme une sorte de «révélation, l’illumination négative» (Gabriel, 1981: 45), ce qui devient pour lui «le point de départ pour "dépasser de l'étant vers l'être": «Heidegger nous montre que dans l'angoisse nous rencontrons le néant, qu'il a donc une effectivité. Dans l'angoisse, le dasein fait l'expérience du néant et réalise l'expérience ontologique. Le néant est donc ce qui permet de dépasser de l'étant vers l'être». (Colomb, 1987)
Pour Adam, comme pour les autres personnages lecléziens la solitude favorise le silence, autre condition nécessaire pour l’exploration de soi: «Pour Le Clézio, le silence n’est pas "une absence de paroles ni un arrêt de l’esprit" mais il peut représenter une forme de communication immédiate et plus vraie entre l’homme et le monde» (Salles, 1996: 90). Par le silence et la concentration, Adam peut se mettre dans un état d’esprit qui lui permet de se détacher des hommes qu’il considère comme des morts vivants. En témoigne sa façon de regarder dans les yeux de la jeune femme portant des lunettes sur la plage: «Comme si cette posture provoquait, grâce au ploiement du corps vers l’avant, la concentration d’esprit nécessaire à l’intuition de vivre, oui, de vivre tout seul dans son coin, détaché de la mort du monde». (Le Clézio, 1963: 36-37)
Ce qui est digne d’intérêt dans le récit d’Adam, c’est l’ignorance de l’homme de son statut dans le monde. Dans sa harangue, Adam le fait savoir à ses auditeurs en leur reprochant de s’être laissés porter par la routine de la vie moderne et de ne pas réfléchir à leur vrai statut existentiel: «Vous êtes des habitués. Vous n’êtes pas des hommes, parce que vous ne savez pas que vous vivez dans un monde humain» (Le Clézio, 1963: 246). L’aspect ontologique de l’œuvre de Le Clézio est étroitement lié aussi bien à son statut existentiel du protagoniste qu’à sa condition de l’homme moderne surpassé par le fusionnement des objets: «dans une perspective ontologique, elle [L’écriture de Le Clézio] montre la victoire des objets sur la volonté des hommes. […] Comme les tableaux de vanités, les produits de consommation courante exposent chaque jour la fragilité de l’homme et lui rappellent sa finitude» (Salles, 2007: 98). L’image qu’Adam représente de la ville reflète la prédominance des objets. La surabondance des moyens de transport par exemple, donne l’impression que ces derniers envahissent la ville: «Il y avait plus d’automobiles que de passants, et on pouvait à la rigueur se sentir un peu seul sur le trottoir» (Le Clézio, 1963: 109). L’identification des produits par leurs marques aussi correspond bien à une société de consommation: «Prisunic» (104), «BYRRH» (190), «Esportazione» (191), «Misty Isley» (216), «du Maurier» (38, 273), «Bic» (304). Selon Keith Moser, les troubles psychiques d’Adam Pollo proviendraient de son incompatibilité avec le mode de vie imposée par la société moderne: «Le consumérisme n’est pas une cure pour le vide existentiel vécu par Adam Pollo, c’est l’une des causes principales de son traumatisme[3]» (2016: 17-18).
L’un des moyens par lequel l’homme peut résister contre la réification, c’est savoir regarder: «Être vivant, c’est savoir voir […], c’est savoir regarder. Et quand le regard est assez lumineux, assez intense, la conscience peut venir […]» (Cortanze, 2009: 30). L’homme mécanisé menant une vie répétitive, est donc privé de cette conscience. Ce que Le Clézio préconise pour nous libérer de cette vie inhumaine, c’est le changement du regard que l’on porte sur le monde: «Ce qu’il faut, avant tout, c’est changer le rapport au monde […]. En modifiant sa perspective, l’homme vit une autre vie sur la terre» (Cortanze, 2009: 27-28). Pour Adam, savoir regarder est un élément déclencheur de la prise de conscience. Le regard qu’il porte sur les objets, est un regard particulier sans considérer la valeur utilitaire de ces derniers: «Libérer le regard signifie se défaire du rapport strictement utilitaire et de possession que l’adulte entretient avec la machine ou l’objet de consommation […] Le Clézio, dans la lignée des surréalistes, invite à changer la vie» (Salles, 2007: 113). Le souvenir de l’enfance d’Adam sur la guerre décrit un tel regard, car d’une part, Adam évoque l’atmosphère qui le fait trembler, et de l’autre, il décrit l’esthétique du mouvement du canon: «Et les canons, et les bazookas, les balles dum-dum, les mortiers, les grenades, etc. et la bombe qui tombe sur le port quand j’ai huit ans et que je tremble et que l’air tremble et que toute la terre tremble […] Le canon, quand ça part […] ça sursaute en arrière, avec un joli mouvement souple […] ça a un joli mouvement de machine huilée, un joli tic mécanique». (Le Clézio, 1963: 65)
Ce regard attentif et désintéressé est indispensable à l’éveil de la conscience. Le regard scrupuleux d’Adam dans le jardin zoologique, le préparant à s’unir aux animaux en est un autre exemple: «aussi se concentrait-il, l’œil rond, le dos vouté […] Il fouilla du regard les moindres excavations, les replis de chair ou de plumes, les écailles […] Il désherbait les jardins, entrait la tête la première dans la vase […]» (Le Clézio, 1963: 86). Ainsi, grâce à l’hyperesthésie de son personnage, Le Clézio «revivifie-t-il la sensorialité du lecteur, émoussée par les habitudes et les conditionnements» (Salles, 2007: 297). La connaissance du monde implique celle de la matière, car l’«élément "physique" débouche sur une vision "métaphysique" du monde; Pour envisager l’entier, il faut passer par le détail. Pour connaître l’infiniment grand, il faut connaître l’infiniment petit» (Cortanze, 2009: 44). L’éveil des sens permet ainsi, au personnage leclézien de sortir de l’emprise de la modernité pour connaître sa place existentielle.
Conclusion
L’étude de la portée ontologique du Procès-verbal nous révèle une approche particulière du monde, via celle du protagoniste. Ainsi, remarquons-nous que la connaissance de soi ne se réalise que par le biais de la connaissance du monde. Pour incarner ce principe ontologique, le personnage leclézien s’appuie plutôt sur la sensibilité que sur la raison. Il exploite donc, des moyens de connaissance tels que la connaissance sensorielle et l’extase matérielle. La forte capacité synesthésique du personnage et son ouverture au monde le conduisent vers une «sortie de soi» qui lui permet d’affranchir ses limites et découvrir la vérité sur son être. Ces expériences du personnage peuvent bien refléter le projet littéraire de Le Clézio pour qui «écrire, c’est voyager, c’est sortir de soi, c’est devenir quelqu’un d’autre» (Roussel-Gillet, 2010: 36).En effet, il s’agit d’une expérience fusionnelle exigeant la mort de soi pour devenir altérité et s’unir aux autres formes d’existence. Dans cette perspective, l’union d’Adam avec les animaux dans le jardin zoologique, mais aussi avec le corps féminin amènent le protagoniste à prendre conscience de sa propre contingence. Grâce à la conscience existentielle, Adam peut expérimenter la métamorphose et dépasser par-là, de l'étant vers l'être. Cet état le rapproche ainsi, de l’altérité dans toutes ses formes : le corps féminin, le gel minéral et les animaux. Notre étude a aussi montré que la pensée de la mort est l’une des sources de la prise de conscience ontologique d’Adam. Celle-ci se reflète également dans les propriétés narrative et typographique du récit.
Ainsi, pour Le Clézio, tous les moyens sont bons pour détrôner l’homme de son statut trompeur du maître de l’univers. Pour se détacher de la confiance destructive aux prouesses de la modernité, l’homme doit d’abord accepter la pluralité des moyens de connaissance. Sa désillusion ne tient qu’à une ouverture désintéressée à l’univers et à respecter l’altérité dans son sens le plus large. Le passage à l’altérité ontologique et la prise de conscience du statut existentiel de l’homme impliquent un esprit sympoétique, ce à quoi invite l’écriture leclézienne.
[1] Il faut noter qu’en raison de l’inaccessibilité, pour nous, de la thèse de doctorat de Thierry Léger, intitulée L’œuvre de Le Clézio face à l’Existentialisme, au Nouveau Roman et au Postmoderne, soutenue en 1995 à l’Université de Washington, nous avons été privées des apports certainement intéressants de cette recherche. Ce regret ne nous a cependant pas dissuadées de notre entreprise, dans l’espoir d’une future confrontation enrichissante des deux recherches, l’une parcourant l’ensemble des ouvrages de Le Clézio au prisme de trois courants philosophique et littéraire, comme le titre le laisse entendre, et l’autre, se focalisant sur un aspect particulier de l’un des ouvrages de Le Clézio, s’octroyant ainsi l’occasion de mener une étude plus précise sur le sujet proposé.
[2] Le nom de personnage principal de La Nausée de Sartre.
[3] «Consumerism is not a cure for the existential emptiness experienced by Adam Pollo, it is one of the root causes of his trauma». C’est nous qui traduisons en français.