نوع مقاله : مقاله پژوهشی
نویسندگان
1 استادیار زبان و ادبیات فرانسه، گروه زبان و ادبیات فرانسه، دانشگاه تهران، تهران، ایران
2 کارشناسی ارشد، گروه زبان و ادبیات فرانسه، دانشگاه تهران، تهران، ایران
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Dans les cours de français à l’université de Téhéran, nous constatons souvent que la plupart des étudiants cherchent toujours à éviter d’entrer en confrontation avec l’interlocuteur quand la langue d’usage en classe est le français. Pourtant, les mêmes étudiants lors des exposés (monologues suivis) qu’ils font et dans les cours où l’usage du persan est toléré en raison de l’objectif ou du contenu du cours, s’expriment plus et défendent davantage leurs opinions. Dans une perspective théorique, si on accepte que « d’une façon générale, tout énoncé est considéré comme contenant un aspect argumentatif et en particulier une orientation argumentative » (Anscombre & Ducrot, 1983 : 150), l’importance d’expliciter la complexité observable dans la description des pratiques argumentatives lors de l’expression en langue étrangère va de soi. Mais les usages dominants dans l’enseignement de langue tendent à sous-estimer la variété des pratiques argumentatives en classe. En effet, dans les textes de référence comme CECRL, la dimension argumentative occupe une place de choix (seulement dans les descripteurs à partir du niveau B1). Dans ce contexte, l’inégal accès des locuteurs natifs et non-natifs à un intertexte ou interdiscours pertinent (Bouchard, 1996 :174) lors de l’argumentation comme « mode de construction du discours qui vise à le rendre plus résistant à la contestation » (Doury, 2003 : 13) est aussi à souligner.
L’argumentation n’est pas, nous semble-t-il, seulement un moyen purement linguistique au service de l’expression orale des apprenants d’une langue étrangère mais elle constitue notamment un moyen au service de leur vie sociale. Traiter la compétence argumentative dans le cadre de l’enseignement-apprentissage des langues étrangères sollicite un travail constant sur « le développement des compétences linguistiques et intellectuelles des apprenants » (De Castera & De Castera, 2001 :58). Notre objectif dans cet article est de revisiter cette problématique à partir des résultats obtenus lors d’une enquête dans le contexte universitaire en Iran. Le choix du contexte universitaire se justifie par le fait que l’université a pour mission de former des individus réflexifs et autonomes étant capables de communiquer, s’exprimer ou bien contacter les autres de façonne efficace. Nous supposons que l’efficacité d’une communication dépend, entre autres, de ses composantes argumentatives et qu’il existe une relation réciproque entre communication et expression. Les recherches de Sorez (1995) ont montré que les individus ayant problème dans la communication ont aussi des difficultés dans l’expression orale. C’est pourquoi développer la compétence communicative des apprenants est nécessaire pour le développement de leur expression orale et vice-versa. Ce que nous essaierons de montrer dans cet article, c’est que la compétence argumentative constitue un objet d’enseignement particulièrement pertinent pour améliorer la compétence communicative et l’expression orale des étudiants iraniens.
En didactique des langues étrangères, la terminologie utilisée pour aborder la question de l’argumentation n’est pas unifiée. Dans les travaux récents, certains auteurs comme Justo, (2012) dans un article intitulé « Développer une compétence argumentative écrite : connaissances théoriques à maîtriser par l’enseignant ? », ont formulé leurs analyses sous le terme de la compétence argumentative. Dans cet article, l’auteur insiste sur le fait que développer une compétence textuelle argumentative écrite auprès d’apprenants novices, présuppose un tas de connaissances théoriques comme l’évolution que le concept d’argumentation suit depuis ses origines, les caractéristiques spécifiques du texte argumentatif et les sous compétences de la compétence argumentative à savoir : compétence textuelle et compétence stratégique (stratégies argumentatives efficaces). Dans les travaux moins récents, les auteurs avaient également abordé ce sujet mais suivant l’étude des typologies de textes et l’enseignement du texte argumentatif. Brassart (1996) dans un article « Didactique de l’argumentation écrite : approches psycho-cognitives » et Ntirampeba (2003) dans un autre article intitulé « La progression en didactique du texte argumentatif écrit » abordent la question de l’argumentation en utilisant les données sur la complexité du texte argumentatif et présentent une synthèse de données psycho-cognitives et psycholinguistiques qui pourraient faciliter l’apprentissage de ce type de texte. Les travaux de François (1980), Caron (1987), Chartrand (1993) et Kerr-Barnes (1998) vont dans le même sens. Comme nous pouvons constater, ces recherches sont penchées sur l’argumentation à l’expression écrite.
La question de l’argumentation lors de l’expression orale a aussi été étudiée même depuis 1980 mais en français langue maternelle (FLM). Garcia (1980) dans son article « Argumenter à l'oral : de la discussion au débat » avec le souci de libérer la parole des élevés à l’école et à partir d’un corpus des discours des élèves français, a présenté une synthèse des difficultés de ce public dans l’argumentation à l’oral.
Dans le contexte iranien, même si cette problématique est abordée, d’une manière ou l’autre, dans les différentes recherches sur le développement de l’expression écrite des apprenants iraniens, à notre connaissance il n’y a qu’une seule publication qui traite l’argumentation comme un sujet indépendant. C’est l’article de Bassanj et Shobeyri (2011) intitulé « Le texte argumentatif et la typologie de textes » où les auteurs avec une analyse détaillée des caractéristiques du texte argumentatif ont présenté le texte argumentatif comme l’une des formes principales de la textualisation. Cet article ayant une fonction introductive, n’a pas utilisé les données de terrain auprès des apprenants iraniens. Si on admet que l’argumentation est aussi un acte de communication, la recherche de Ghafoori et ses collègues (2015) a montré que d’après les enseignants du FLE en Iran, la langue française ainsi que son enseignement pèsent plutôt lourd du côté de la grammaire et que ces enseignants restent majoritairement indifférents vis-à-vis des valeurs communicatives de cette langue en tant qu’objet de réflexion. Nous savons également qu’à côté des activités comme l’analyse et la création, l’argumentation et le débat en classe de langue française font aussi partie des activités de haut niveau cognitif (Gashmardi & Sadeghpour, 2018). Dans une recherche récente, Armiun et ses collaborateurs (2019) ont montré l’importance de l’expression orale par rapport aux autres compétences chez les enseignants du FLE en Iran. Nous constatons donc que le champ de recherche sur les discours argumentatifs des apprenants du FLE en Iran et son impact sur l’expression orale des apprenants est loin d’être clos et que ces publications, diverses selon leur démarche ainsi que leur objectif, contribuent à une description de la complexité de l’acte argumentatif en classe de langue.
Dans le cadre de cet article, en mobilisant des concepts comme le discours argumentatif et les marqueurs argumentatifs, nous allons tenter de connaître la place et la qualité des discours argumentatifs dans les productions orales des étudiants iraniens. En effet, nous avons choisi d’étudier les usages des marqueurs argumentatifs dans les discours des étudiants comme un critère de qualité de l’acte argumentatif. Notre choix s’est porté plutôt sur les aspects discursifs de ces usages, car selon nos observations préliminaires, le manque des outils linguistiques pour formulation des raisonnements logiques constitue un facteur important qui influe sur l’expression orale spontanée des étudiants. En fonction des questions posées sur la place et la qualité des discours argumentatifs dans les productions orales spontanées des étudiants iraniens, nous avons avancé l’hypothèse qu’aujourd’hui, même si les activités argumentatives en organisant les éléments de comportement, de réflexion et de raisonnement, pourraient contribuer de manière significative au développement des compétences linguistiques et communicatives des étudiants, les démarches fondées sur la prise en considération de ces activités n’occupent pas une place raisonnable dans les cours de français en Iran.
Le discours argumentatif : de la théorie aux pratiques observables en classe de langue
Préalablement à tout questionnement, il nous semble nécessaire de nous arrêter sur ce que signifie « le discours argumentatif ». La définition du discours argumentatif n’est pas aisée ; c’est une catégorie relativement récente dans le domaine des langues étrangères qui a donné lieu à de multiples recherches. Avant d’être utilisée en didactique des langues, le concept de l’argumentation dont quelques principes servent de base à cette recherche, a été élaboré en rhétorique et en philosophie. Sur la valeur de l’argumentation en rhétorique, Aristote disait : « pour être un art véritable, la rhétorique doit être centrée sur une argumentation rationnelle » (cité dans Perelman, 1989 : 10). En rhétorique comme en philosophie, le concept de l’argumentation a été utilisé à des fins différentes. Depuis le moyen âge « persuader » et « convaincre » sont reconnus comme les deux objectifs de l'argumentation en général (Perelman et Olbrechts-Tyteca, 2008). Selon cette perspective, le discours persuasif, tel qu’il est abordé en rhétorique, s’adresse à un auditoire particulier et le discours convaincant, tel qu’il est abordé en philosophie s’adresse à un auditoire universel. Il s’agit de la différence qui peut exister entre l’opinion et la vérité. Avec les publications de Ducrot et Anscombre à partir des années1980 sur la théorie de l’argumentation dans la langue, la dimension linguistique et discursive de l’argumentation, restée longtemps comme une préoccupation spécifique aux philosophes et rhétoriciens, est devenue un objet d’étude en sciences du langage. En analyse de discours, l’argumentation se définit dans « un rapport triangulaire entre un sujet argumentant, un propos sur le monde et un sujet cible » (Charaudeau, 1992 : 783-84). Ces propos indiquent que la notion de l’argumentation, telle qu’elle est acceptée en général de nos jours, est pratiquement distincte de sa définition en rhétorique classique ou en philosophie.
Le discours argumentatif oral en classe de langue étrangère a lieu quand un apprenant présente un énoncé dans le but de faire admettre par un locuteur un autre énoncé. Dans ce cas, le premier énoncé est l’argument et le deuxième énoncé est la conclusion. D’après Moeschler, argumenter ce n’est pas « démontrer la vérité d’une assertion » ni « indiquer le caractère logiquement valide d’un raisonnement » mais plutôt « revient à donner des raisons pour telle ou telle conclusion » (1985 : 46). En outre, l’argumentation dans le sens large du terme se définit comme « une opération qui prend appui sur un énoncé assuré (accepté), l’argument, pour atteindre un énoncé moins assuré (moins acceptable), la conclusion » (Plantin, 1996 : 24).
Le débat semble la forme la plus fréquente de l’usage oral du discours argumentatif par les apprenants dans les cours de langue. Selon l’ouvrage Sémiosis et pensée humaine de Duval (1995), dans une première étape, le discours argumentatif sert à répondre à des exigences dialogiques. L’argumentation en classe de langue comme une activité dialogique est composée de différentes voix et au moins de deux partenaires émettant et recevant. Cette activité se déroule dans un espace où les positions de chaque apprenant peuvent être amenées à se transformer et à s’enrichir (Nannon, 1996 : 68). Dans cette perspective, Thyrion (1997) insiste sur le fait que « l’argumentation aurait donc un rôle positif déterminant mais elle nécessite des habiletés langagières, cognitives et communicationnelles complexes ainsi qu’un contexte d’apprentissage particulier » (cité par Moussi, 2016 : 167). En effet, enseigner le discours argumentatif, implique non seulement des connaissances linguistiques spécifiques à cet enseignement, mais demande à l’enseignant d’être attentif aux différentes formes d’argumentation utilisées dans les discours produits par les apprenants.
Comme l’argumentation a souvent été mise de côté dans l'enseignement du FLE aussi bien dans la formation des enseignants, un recours aux disciplines qui traitent ce sujet de manière plus pertinente s’impose. Cependant, les savoirs sur le discours argumentatif ne sont pas tous transmissibles directement aux enseignants de langues et aux apprenants. Selon Cuq (2003), la transposition didactique des idées n’est pas une tâche simple. Il explique, en se référant aux travaux de Chevallard (1985) qu’une notion issue de l’extérieur de la didactique est transformée d’abord en un objet enseignable (sélection, programmation), puis en un objet enseigné (présentation, explication, évaluation) et enfin éventuellement, par extension, en un objet d’apprentissage (Cuq, 2003 : 240). Nous tentons de définir dans la partie suivante deux critères pour présenter les discours argumentatifs comme d’abord un objet enseignable et ensuite un objet enseigné en classe de FLE.
La cohérence et la cohésion des discours argumentatifs lors de l’expression orale
Dans la situation d’apprentissage de langues étrangères, la question qui se pose est de savoir quels sont les critères de la pertinence d’un discours argumentatif. Divers travaux théoriques (notamment Hayes & Flower, 1980) ont montré l’importance de deux critères fondamentaux pour la pertinence d’un discours, à savoir la cohérence et la cohésion. La cohérence du discours argumentatif, de nature logico-sémantique, concerne l’organisation des contenus argumentatifs lors de la planification tandis que la cohésion, de nature lexico-syntaxique est établie au niveau linguistique.
Dans le cadre de cette recherche sur la qualité des discours argumentatifs des étudiants iraniens, nous avons vérifié la cohérence des discours à partir de la pertinence des formes d’argumentations utilisées. Lors des activités qui demandent aux apprenants de soutenir ou réfuter une idée en classe, trois formes classiques de l’argumentation dans leur discours peuvent être distinguées. C’est les formes analytique, dialectique et rhétorique. L’argumentation analytique s’inscrit dans la théorie de la logique ; on y voit des processus inductifs ou déductifs pour avoir une conclusion à partir des prémisses. L’argumentation dialectique manipule notamment des prémisses qui ne sont pas forcément vrais. En effet, elle analyse les différents aspects opposés d’une problématique. L’argumentation rhétorique qui est plutôt consacrée à l’oral, a comme objectif de persuader l’auditoire de manière constructive.
Dans un discours argumentatif pertinent, l’usage correct des marqueurs de relation, de l’anaphore et du champ lexical, en tant que trois composantes de la cohésion, sont également exigées. Pour vérifier la cohésion des discours des apprenants, nous avons limité l’objet d’étude à l’analyse des usages d’un type particulier des marqueurs de relation dans les discours des étudiants, à savoir les marqueurs argumentatifs. Notre choix qui s’est porté sur l’usage des marqueurs de relation comme composante de la cohésion des discours argumentatifs trouve sa justification dans nos observations préliminaires où le manque des outils linguistiques pour formulation des raisonnements logiques lors de l’expression orale spontanée des étudiants était élevé.
Du point de vue linguistique aussi, la compréhension juste et l'usage correct des marqueurs de relation et de négation (conjonctions, adverbes, etc.) est un signe évident de maturité syntaxique (Brouillet & Gagnon, 1990). Les rapports logiques entre les idées dans un discours sont également indiqués à travers ces marqueurs de relation et de négation qui prennent aussi quelquefois valeur de connecteurs logiques (Lacharité, 1987). Nous avons décidé de vérifier ces éléments dans leur double caractère de structurants du discours et d’opérateurs logiques. Sous l’angle argumentatif, les connecteurs sont définis par Plantin comme : « mots de liaison et d’orientation qui articulent les informations et l’argumentation d’un texte. Ils mettent notamment les informations contenues dans un texte au service de l’intention argumentative globale de celui-ci » (1989 : 119). Plus récemment Mahmudova (2017) établit deux listes de connecteurs restreinte et ouverte. Au sens restreint, les connecteurs sont les termes qui assurent la liaison à l’intérieur d’une phrase complexe. On y inclut les conjonctions de coordination (mais, ou, et, donc, or, ni, car) et les conjonctions de subordination (pour que, de peur que, bien que, tandis que, etc.) qui sont des mots-outils invariables qui servent à introduire une proposition subordonnée. Au sens large, les connecteurs sont tous les termes qui assurent l’organisation d’un texte, avec les conjonctions de coordination et de subordination. Riegel et ses collaborateurs traitent les connecteurs comme :
« des éléments de liaison entre des propositions ou des ensembles de propositions, ils contribuent à la structuration du texte en marquant des relations sémantico-logiques entre les propositions ou entre les séquences qui le composent. Pour rapprocher ou séparer les unités successives d’un texte, les connecteurs jouent un rôle complémentaire par rapport aux signes de ponctuation » (1994 : 616).
De ce point de vue, nous pouvons dire que les connecteurs se considèrent comme des éléments qui assurent la cohésion et la logique d’un discours argumentatif. Dans ce cadre conceptuel, nous avons tenté de définir notre objet de recherche.
La méthodologie de la recherche
La méthodologie de cette recherche est de nature descriptive et analytique. Il s'agit d'une étude observationnelle et rétrospective. Pour étudier la qualité des pratiques argumentatives des étudiants iraniens lors de l’expression orale en français, nous avons observé les séances d’un cours destiné aux étudiants de licence en langue et littérature françaises. Afin de collecter les données, nous avons utilisé un dispositif qui comprend quatre éléments : l’observation des séances, les enregistrements audio, les grilles d’évaluation et le journal du bord du chercheur. Au cours du deuxième semestre de l’année universitaire 2017-2018, nous avons observé les séances d’un cours de licence à l’université de Téhéran qui s’intitule « L’exposé et le débat ». En avril 2018, nous avons enregistré trois séances de ce cours. Les séances ont duré approximativement entre une heure et demie et une heure quarante-cinq minutes chacune. Le tableau suivant présente les informations générales concernant les séances enregistrées :
Tableau 1 : Tableau récapitulatif des séances observées
Séance/Cours |
Le sujet du débat |
Nombre d’étudiants |
Durée |
1ère séance de cours du débat |
La mixité à l’école |
9 filles/ 5 garçons |
1h30mn |
2ème séance de cours du débat |
La Shoah (holocauste) |
6 filles/4 garçons |
1h30mn |
3ème séance de cours du débat |
Internet |
8 filles/ 5 garçons |
1h30mn |
La population de cette étude consiste en 16 étudiants (5 garçons et 11 filles) en quatrième année de licence. Parmi eux, il y avait 5 garçons et 11 filles. Quatorze étudiants ont contribué à l’argumentation pendant les trois séances enregistrées. La première moitié de chaque séance est consacrée à l’un des étudiants qui présente son exposé concernant un sujet préféré et argumentatif. Pour la deuxième moitié de classe, avant de commencer à argumenter, les étudiants sont divisés en équipes pour évaluer les différents aspects de l’exposé qui venait d’être présenté. Pour vérifier la cohérence des discours argumentatifs des étudiants, nous avons utilisé une grille d’observation pendant la classe. Nous avons complété et rectifié ces grilles après avoir fait le verbatim (transcription mot pour mot) des enregistrements audio des cours. Pour l’étude de la cohésion dans les discours argumentatifs, nous avons analysé ce verbatim. Pour le contrôle de notre compréhension dans chaque étape de l’analyse, nous avons aussi consulté les notes que nous avions prises lors des observations sous forme du journal de bord du chercheur.
L’analyse des données
La première partie de notre analyse des données comprend une phase exploratoire, au cours de laquelle en observant des séances du cours, nous avons cherché à déceler le sens des actions conjointement menées dans la classe par le professeur et ses étudiants. Pendant l’argumentation, les étudiants ont été placés dans les groupes Pour et Contre (désormais groupe P et groupe C). L’animation des séances a été fondée sur une simulation qui comprend deux présidents, deux journalistes et deux secrétaires du débat. Le nombre des étudiants dans chaque groupe variait selon le nombre des étudiants qui étaient présents en classe. Selon le scénario prévu, après l’annonce de la problématique du débat, les étudiants choisissaient le groupe auquel ils souhaitaient participer. Les journalistes du débat présentaient l’introduction et la conclusion ; les présidents du débat avaient pour rôle de gérer les tours de parole ainsi que le temps pendant l’argumentation. Les secrétaires étaient censés annoter les idées-clés du débat en écoutant.
La deuxième phase concerne l’analyse des séances enregistrées. Nous avons essayé d’analyser le niveau de cohérence, notre premier critère de pertinence du discours argumentatif, dans les productions orales des étudiants. Nous présentons ici le déroulement des trois séances enregistrées et notre évaluation de ce critère.
La première séance. Après avoir transcrit tous les discours des étudiants, nous avons tenté d’analyser les productions verbales de ceux qui étaient plus actifs dans les échanges argumentatifs. Au total, il y avait 13 étudiants présents dans le cours : 5 garçons et 8 filles ; sept étudiants ont participé aux activités argumentatives et les autres étudiants avaient les rôles des journalistes, des présidents et des secrétaires du débat (2 journalistes, 2 présidents, 2 secrétaires). Les sept étudiants sont divisés en groupes P et C pour se lancer dans le débat. Il y avait 3 étudiants dans l’équipe C et 4 étudiants dans l’équipe P. D’après l’analyse du verbatim, le nombre d’arguments produits par les participants de groupe P était 27 et ce nombre était 37 pour le groupe C. On peut constater d’amblée que le nombre d’arguments du groupe C est plus que d’arguments du groupe P, tandis qu’il existe plus de participants dans le groupe P que dans le groupe C. À ce stade, d’après nos critères d’évaluation de qualité de l’argumentation, nous avons divisé aussi les étudiants en trois catégories « faible », « moyen » et « fort ». Ces critères seront expliqués par la suite.
La deuxième séance. D’après notre observation du 18 April 2018, il n’y avait pas assez de participants en classe ; en conséquence, le débat pendant la deuxième moitié du cours n’était pas suffisamment animé. Le nombre des étudiants dans le cours était 10 dont 4 garçons et 6 filles. Le premier étudiant a commencé à présenter son exposé sous le plan analytique. Après l’exposé et la phase d’évaluation de différents aspects de l’exposé, la deuxième moitié du cours a commencé avec la participation de 5 étudiants. Il y avait 2 étudiants dans le groupe P et 3 étudiants dans le groupe C. Malgré le nombre identique des participants au sein des deux équipes, le nombre d’arguments du groupe C est plus que celui du groupe P. Au total le nombre d’arguments produits est 27 pour groupe P contre 43 pour groupe C. Comme la séance précédente, nous avons classé les étudiants actifs du débat en trois catégories : « faible », « moyen » et « fort ». Il faut noter que ces catégories sont formées d’après les critères de notre grille d’évaluation de la qualité d’argumentation de chaque étudiant.
La troisième séance. La troisième séance issue de notre observation s’est déroulée en 8 mai 2018. Le nombre des étudiants dans ce cours était 13 (8 filles, 5 garçons). Comme les dernières séances observées, la classe a duré une heure et demie dont la première moitié a été consacrée à la présentation de l’exposé d’un étudiant et la deuxième moitié à l’évaluation de la qualité de l’exposé et de l’argumentation des participants. Après avoir choisi les différents rôles, il y avait 3 participants dans le groupe P et 5 participants dans le groupe C. Le nombre d’arguments produits par chaque groupe lors de cette séance est 33 ; c’est-à-dire que les deux groupes ont produit le même nombre d’arguments. Nous avons appliqué les critères de notre grille d’évaluation afin d’évaluer la qualité des discours argumentatifs des participants de chaque équipe. Lors de cette séance, le nombre d’arguments produits par deux groupes est le même tandis que le nombre de participants dans le groupe C est supérieur au groupe P. Ce qui attire l’attention est que malgré le nombre des participants, le groupe P est plus productif que le groupe C.
Après avoir préparé le verbatim de toutes les trois séances, nous avons rempli la grille d’évaluation pour chaque étudiant dans une séance. Cette partie de notre corpus comprend donc 21 grilles d’évaluation remplies. Nous avons essayé de comprendre à quel niveau un étudiant donné aborde des arguments en rapport avec la thématique et la problématique, traite les différents aspects du problème et développe ses points de vue. Nous avons aussi évalué le nombre et la qualité des exemples présentés par chaque étudiant. Le tableau suivant récapitule les critères d’évaluation :
Tableau 2 : Les critères d’évaluation de la qualité des discours argumentatifs des étudiants
L’apprenant est capable d’argumenter : |
Mal |
Pas mal |
Bien |
Très bien |
Excellent |
Il est capable d’aborder des arguments en rapport avec la thématique. |
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Il est capable d’aborder des arguments en rapport avec la problématique |
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Il est capable de traiter les différents aspects du problème. |
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Il est capable de développer ses points de vue. |
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Il est capable d’exemplifier |
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La présence des exemples |
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La pertinence des exemples. |
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Selon les arguments transcrits pendant trois séances, 5% des étudiants sont excellents, 10% des étudiants sont très bien, 50% des étudiants sont bien, 15% des étudiants se trouve dans catégorie pas mal et 20% sont incapables d’aborder des arguments en rapport avec la thématique du débat. La capacité à aborder des arguments en rapport avec la problématique pendant chaque séance : 5% des étudiants sont excellents, 15% sont très bien, 45% sont bien, 15% sont pas mal et 20% sont incapables d’aborder des arguments en rapport avec la problématique du débat. La capacité à traiter les différents aspects du problème : 5% des étudiants sont excellents, 30% sont bien, 30% sont pas mal et 35% sont incapables de traiter les différents aspects du problème ; La capacité à développer ses points de vue : 5% des étudiants sont excellents, 15% sont très bien, 10% sont bien, 25% sont pas mal et 45% sont incapables de développer leurs points de vue pendant l’argumentation ; La capacité à présenter des exemples pertinents : 25% des étudiants sont bien, 15% sont pas mal et 60% sont incapables de présenter des exemples pertinents dans leurs arguments.
Malgré les limites de cette méthode pour évaluer la qualité des contenus argumentatifs dans les discours des étudiants, il n’est pas inutile de s’attarder à l’étude de quelques résultats. Ainsi, il apparaît dans les grilles d’évaluation une forte convergence de qualité des contenus s’attachant autour des formes d’argumentation. Les analyses montrent que si les formes d’argumentation (analytique, dialectique et rhétorique) sont enseignées aux étudiants, comme dans le cas de la classe observée, ils peuvent les réemployer sans difficultés lors de l’expression orale, ce qui augmente la cohérence des discours argumentatifs produits.
Pourtant cet enseignement n’aboutit pas à la production efficace des discours argumentatifs. Pour produire les discours argumentatifs cohérents, persuasifs, les étudiants ont également besoin d’un minimum de savoirs historiques, sociaux, psychologiques et généraux. Les résultats de nos analyses mettent en évidence le manque d’exemples pertinents dans les discours des étudiants. Durant les observations conduites dans les classes et d’après notre journal de bord, nous nous sommes aperçus que les étudiants ayant plus de culture générale, trouvaient plus facilement un exemple ou contre-exemple sur un sujet donné et participaient donc activement aux débats.
La dernière phase est consacrée à l’analyse de la cohésion dans les discours transcrits. Comme la cohésion se manifeste au niveau local dans le discours, phrase à phrase, nous avons vérifié dans l’ensemble du verbatim les modes de formulation des idées du point de vue lexico-syntaxiques. Autrement dit, nous nous sommes intéressés aux liens logiques qui précisent le rapport entre les différents éléments de l’argumentation. Nous avons aussi limité l’objet d’étude à l’analyse des usages d’un type particulier de marqueurs de relation dans les discours des étudiants, à savoir les marqueurs argumentatifs. Le choix des principes à prendre en compte pour l’analyse des usages des marqueurs argumentatifs n’est pas simple en soi. Les critères retenus doivent être clairs et facilement exploitables. Pour cette recherche, nous avons décrit les usages des marqueurs argumentatifs à l’aide des deux paramètres suivants : le nombre et la pertinence. Sur ce plan, nous avons d’abord tenté de repérer dans le verbatim, les marqueurs argumentatifs les plus fréquents. Nous avons vérifié en deuxième étape, la pertinence des marqueurs argumentatifs utilisés.
Dans les discours des étudiants, le marqueur le plus utilisé est le marqueur et avec au total 326 occurrences réparties dans les discussions de 3 séances enregistrées. On pourrait donc s’y attendre s’appuyant sur des études déjà effectuées sur le français parlé dans différents contextes (Favard et Passerault, 1999). En raison de la portée sémantique très large du marqueur et (additive, adversative, causale, temporelle etc.), nous l’avons mis de côté dans nos conclusions et nous avons interrogé plus spécifiquement les connecteurs à forte valeur argumentative : mais, parce que, donc et alors. Le deuxième marqueur le plus utilisé avec au total 131 occurrences est mais, qui manifeste l’opposition de différentes manières dans le discours. Parce que avec 67 occurrences, alors avec 31 occurrences et donc avec 26 occurrences sont successivement les autres marqueurs les plus utilisés par les étudiants pendant les trois séances enregistrées. L’analyse de l’usage des marqueurs argumentatifs dans les discours des étudiants montre que ces derniers n’emploient pas suffisamment ces marqueurs dans leur discours et qu’ils recourent à une variété très limitée.
Les étudiants utilisent les locutions comme je pense que et par exemple à la place des marqueurs argumentatifs pertinents, quand l’impératif discursif se présente et pour maintenir la continuité de leur discours. Ce manque de la quantité et de la qualité des usages des marqueurs argumentatifs affecte négativement la cohésion de leurs discours argumentatifs et peut constituer dans un autre niveau une source de l’incohérence de leur discours.
La discussion des résultats
Dans le présent article, nous avons cherché à étudier d'une part, comment les connaissances sur l’argumentation disponibles dans les autres disciplines sont exploitées ou exploitables pour permettre aux enseignants et aux apprenants de FLE d’atteindre leurs objectifs d’enseignement-apprentissage du français et, d'autre part, à mener une discussion à partir des résultats obtenus des analyses de la pertinence des discours argumentatifs des étudiants, afin de proposer des pistes susceptibles de servir de bonnes pratiques pour développer la compétence argumentative des étudiants.
En considérant les résultats qui découlent de l’analyse des données de notre enquête, nous avons constaté que pour aborder le discours argumentatif dans les cours de FLE une connaissance générale de l’acte argumentatif s’impose. Nous avons aussi vu que la qualité d’un discours argumentatif dépend de sa cohérence et de sa cohésion. L’étude de la cohérence dans les discours des étudiants, à partir des critères déjà proposés, a montré que les étudiants de notre échantillon utilisent sans difficulté les formes d’argumentation, si celles-ci font l’objet d’un enseignement spécifique. L’incohérence des discours argumentatifs des étudiants est plutôt faute de savoirs généraux et de la connaissance des formes d’argumentation. Les résultats ont révélé que les usages corrects des marqueurs argumentatifs dans les discours des étudiants iraniens ne sont pas suffisants.
A considérer la thèse selon laquelle il faut que la classe soit un lieu de savoir et de construction de savoir, un lieu de socialisation où les règles de vie sont élaborées et discutées, un lieu d’ouverture pour favoriser la compréhension du monde et la réflexion sur les valeurs et la diversité culturelle (Dolz & Schneuwly, 1998), force est de constater que la compétence argumentative des étudiants est loin d’être satisfaisante. En effet, l’analyse des données sur la qualité des discours argumentatifs des étudiants en langue et littérature françaises pousse à penser que, malgré les différents avantages que la maitrise du discours argumentatif présente comme valoriser les idées des étudiants, leurs réflexions, leurs sentiments et leurs intérêts à propos d’un sujet, l’enseignement spécifique du discours argumentatif demeure encore très marginal.
La conclusion
Comme nous l’avons mentionné dans notre problématique, aucune étude antérieure à la présente recherche n’a été effectuée sur les discours argumentatifs des étudiants iraniens lors de l’expression orale. Afin de pallier cette lacune, notre projet avait comme but, entre autres, d’apporter notre modeste contribution à ce champ de recherche en identifiant les caractéristiques des contenus argumentatifs dans les discours des étudiants et les obstacles auxquels se heurtent les étudiants quand ils argumentent en langue étrangère. Afin de nous informer sur le cadre conceptuel et les outils de recherche pouvant aider à aborder la problématique de l’argumentation lors de l’expression orale en français, nous avons d’abord parcouru la littérature sur l’argumentation en didactique des langues étrangères pour constater que les données sur l’argumentation dans l’enseignement provenaient d’un cadre de référence organisé de manière pluridisciplinaire. C’est à partir de cet éclaircissement que cette recherche s’est appuyée sur un cadre conceptuel varié afin de mieux appréhender la problématique de l’argumentation dans les discours des étudiants dans le contexte universitaire en Iran.
Les données qui ont conduit à la rédaction de cet article, ont été recueillies par le biais de l’observation d’un cours de licence à l’université de Téhéran qui s’intitule le débat. Selon le programme de l’université, les étudiants choisissent ce module en dernière année de licence. Nous avons observé, enregistré et analysé le contenu de trois séances de ce cours. Les résultats de nos analyses ont montré que si les formes d’argumentation sont enseignées aux étudiants, ils peuvent s’en servir sans problème lors de l’expression orale et que l’utilisation de ces formes lors de l’expression orale augmente la cohérence du discours argumentatif produit. Mais nous avons constaté que les activités argumentatives nécessitent aussi des savoirs généraux sur les sujets différents. En d’autres termes la cohérence des discours argumentatifs d’un étudiant dépend aussi de son niveau de connaissance de la culture générale. La qualité d’un discours argumentatif dépend de sa cohérence mais aussi de sa cohésion. L’analyse des données sur la cohésion des discours argumentatifs des étudiants a montré que les usages corrects des marqueurs argumentatifs dans les discours des étudiants iraniens ne sont pas suffisants. Dans ce cadre nous concluons, d’après les analyses qui précèdent, que la compétence argumentative constitue un objet d’enseignement pertinent pour améliorer la compétence communicative et l’expression orale des étudiants iraniens. Toutefois, la rédaction de cet article nous a montré les limites de notre recherche. C’est dans cette perspective que nous proposons d’autres pistes à explorer afin de développer la qualité des discours argumentatifs des étudiants. Nous pensons qu’une étude des erreurs les plus fréquentes dans l’usage des marqueurs argumentatifs chez les étudiants, ainsi que l’étude de la qualité des discours argumentatifs des apprenants dans les instituts de langues pourront élargir ce champ de recherche et faciliteront l’intégration des activités argumentatives dans les cours de FLE en Iran.