نوع مقاله : مقاله پژوهشی
نویسندگان
1 دانشجوی دکتری زبان و ادبیات فرانسه، گروه زبان و ادبیات فرانسه ، دانشگاه آزاد اسلامی، واحد علوم و تحقیقات تهران، تهران، ایران
2 استادیار زبان و ادبیات فرانسه، گروه زبان و ادبیات فرانسه ، دانشگاه آزاد اسلامی، واحد علوم و تحقیقات تهران، تهران، ایران
چکیده
کلیدواژهها
موضوعات
Introduction
Le terme « personnage » ayant pour origine le vocable latin « personna », désignait le masque que portaient les acteurs sur scène. Depuis longtemps, même au cours de Moyen-âge, le protagoniste ou le héros est tantôt passé pour un demi-dieu, tantôt pour un chevalier vaillant et aventurier, mais sur le tard, il a commencé à s’approprier d’autres attributs pour s’appliquer à une personne, pourvue d’un statut social et d’une identité définie, un individu en évolution au cours de la narration, donnant ainsi l’illusion de faire partie du monde en vrai. De ce fait, plutôt que d’accomplir des actes héroïques, le personnage est censé vivre dans un microcosme aussi réaliste que possible, au sein d’un espace-temps bien défini. Son rôle est indéniable, d’où certains pensent qu’il n’y aurait pas de roman s’il n’y avait pas de personnage d'où Vincent Jouve (1992 :58) qui déclare : « Il n’est pas de roman sans personnages, l’intrigue n’existe que pour et par eux ». La psychologie y voit le désir du lecteur, porteur de ses rêveries, la linguistique le réduit tout simplement en un « signe » qui n’a pas d’existence en dehors du texte.
Chaque écrivain a sa propre façon d’écriture, de regarder le monde, de décrire à sa guise le personnage qui est porteur de signification envisagée par son créateur ; alors il est conçu, dans l’œuvre de Yasmina Khadra, comme un être réel, imaginé par son créateur, possédant des traits distinctifs, lesquels lèvent le voile sur son appartenance sociale et ethnique et véhiculent des valeurs socioculturelles de son milieu. Le personnage principal, décrit par l’auteur algérien d’expression française, est doté d'une qualification et d’une identité, toujours en mouvance et en interaction avec le monde environnant, ce qui le conduit à changer ses comportements, son discours et surtout son caractère. Au cours de l’œuvre, les personnages sont les témoins d’une période tragique et essayent de réinventer une vie en faisant leur chemin, en essayant de s'adapter tant physiquement que moralement aux réalités de la société afghane, sous le joug pesant des Talibans. Alors dans le cadre de la présente recherche, fondée sur une perspective analytique laquelle s'appuie sur des données bibliographiques, nous allons au préalable fait état des antécédents du sujet, pour orienter ensuite notre réflexion sur l’étude de personnage dans « Les Hirondelles de Kaboul » de Yasmina Khadra, depuis la perspective sémiologique de personnage proposée par Philippe Hamon, pour qui le personnage est considéré comme un signe, une unité de signification qui ne se confine pas à son« faire »et perçoit le personnage comme un« être » avec un portrait psychique et physique , permettant de garantir la lisibilité du texte. Il n’est pas uniquement un être mais un participant, c’est une construction associant l’être et le faire et l’importance hiérarchique, il devient alors un concept sémiologique. Notre recherche a pour objectif de mettre l’accent sur le message véhiculé par les protagonistes du roman, en insistant sur des aspects psycho-sociaux et onomastiques de chacun. A ce regard, la problématique qui se pose ici serait formulée ainsi : si le modèle proposé par Philippe Hamon pour l’étude du personnage est applicable au système des personnages de notre roman ? Quel est le rôle de chaque personnage dans la formation de la signification ? Et si les personnages de Khadra, de par leur aspect physique et psychologique et onomastique, reflètent-ils la réalité afghane ? Nous allons tenter au cours de notre analyse de trouver des éléments de réponse à ces questions qui s’imposent dès le départ, mais au préalable, après avoir déterminé les antécédents au sujet, nous nous mettons à définir la notion de personnage et ses différentes catégories, pour passer ensuite à une analyse sémiologique des personnages dans l’œuvre en question.
Historique
Des études ont été réalisées concernant le statut du personnage, on peut citer entre autres comme antécédents les recherches suivantes : SID Amina (2015-2016), Mémoire de Master présenté par .Le statut de la femme dans les Hirondelles de Kaboul de Yasmina Khadra. Où l’auteure se livre à l’étude de personnage et ses différentes définitions, en passant par les protagonistes du roman, leur fonction et leur rôle actanciel au sein du roman. OUISSI Mohamed Amine (2017), Mémoire de Master présenté par. Étude du personnage féminin dans Les Hirondelles de Kaboul de Yasmina Khadra, Approche thématique. S’agissant ici d’une analyse narratologique, l’étude du titre et de l’espace-temps dans ce roman. Présenté par Bahri Rahila (2018-2019), Mémoire de Master intitulé Étude de la représentation féminine dans « les Hirondelles de Kaboul » de Yasmina Khadra où l’accent a été mis sur des personnages féminins, on assiste à une étude analytique de l’œuvre selon une approche thématique, parallèlement à une étude sémiotique des personnages du roman. Et en Iran, nous pouvons mentionner les études ci-dessous : Firouzabadi & Kahnamouipour (1396) les auteurs de l’article intitulé Habit et Habitant dans deux récits de Dowlatâbâdi, où les auteures se mettent à l’étude de personnage, et sa présence dans l’environnement à travers deux récits de Dowlatâbâdi. Mina Alaei et Ali Abbassi (2020) à travers L’étude sémiotique du personnage chez Dowlatâbâdi, le cas d’étude : Solouk. publiée par Revue des études de la langue Française, ont essayé de démontrer comment le personnage/signe contribue à la formation du silence/signe chez Dowlatâbâdi. Dans Lecture sociocritique Des Hirondelles de Kaboul de Yasmina Khadra Publié par Recherches en langue et traduction françaises, les auteures Zandieh Faranak & Shahrzad Makouii (1400) tentent, à travers l’approche sociocritique de Claude Duchet, d'étudier les discours sociaux dans les Hirondelles de Kaboul.
Cadre théorique
Avant de comprendre la structure d’un roman, il est utile pour mieux le saisir, de dégager le rôle et l’importance de ses éléments constitutifs, y compris la notion de personnage. Notre travail consiste en une analyse de la catégorie textuelle de personnage, qui est la base de la création romanesque, dans le roman « Les Hirondelles de Kaboul » de Yasmina Khadra. Il s’agit donc dans cette recherche, d’étudier les protagonistes du roman selon l’approche sémiologique conçue par Philippe Hamon. Ce qui va nous permettre de saisir le personnage à des niveaux différents : - Au niveau de « l’être » et de « faire » et de « l’importance hiérarchique ».
Définitions de « Personnage »
Le terme personnage, d’après le Dictionnaire Littéraire : « est apparu en français au XVe siècle, dérive de la latine persona qui désignait le masque que les acteurs portaient sur scène, il s’emploie par extension à propos des personnes réelles ayant joué un rôle dans l’histoire, qui sont donc devenues des figures de celle-ci » (Aron, 2002 :213). Dans sa définition classique, le personnage littéraire constitue le cœur de toute production littéraire, c’est un « être de papier », un être fictif, au sein d’une œuvre fictive, conçu par l’auteur, doté d’un certain nombre de traits distinctifs lui offrant l’allure d’une personne réelle, signe de l’authenticité de récit ; il évolue en fonction de la narration et se dévoile dans la progression de l’histoire. Il possède un nom, un prénom, un âge, un statut social et familial, un antécédent, des origines et des traits physiques, pourtant il reste fictif, n’ayant aucune existence en dehors du texte. Il détermine les actions, les subit, les relie et leur donne un sens. De nombreuses études ont été réalisées sur la notion de personnage, des analystes ont proposé des appellations pour désigner toute force agissante, capable de jouer un rôle dans le récit. « Vladimir Propp propose la notion de « fonction » ; Todorov choisit la notion d’ « agent ». Claude Bremond pour sa part a proposé à la fois « agent et patient ». Greimas, lequel à son tour, le réduit à la notion de l’« actant » (Alaei & Abbassi, 2021 :68). Autant dire que c'est une force agissante. Tous ces théoriciens ajoutent à leur liste les êtres humains, les animaux, les choses animées ou inanimées qui jouent un rôle dans une œuvre d’imagination.
Philippe Hamon et le statut du personnage
Parlant de personnage dans son ouvrage intitulé « Le Personnel du roman », Philippe Hamon a proposé la définition suivante:« Le personnage est une unité diffuse de signification construite progressivement par le récit, support des conservations et des transformations sémantiques du récit, il est constitué de la somme des informations données sur ce qu'il est et sur ce qu'il fait » (Hamon,1983:220).A la différence de Vladimir Propp, pour qui le personnage est uniquement étudié en fonction de ses actions, Philippe Hamon tient à d’autres aspects de cette création littéraire. Selon lui, il y a trois types de personnages romanesques d’après leur rôle: «les personnages principaux qui jouent un rôle affectif au sein du récit et leur présence est obligatoire ; les personnages secondaires qui de par leur fonction complètent les personnages principaux ; et enfin les personnages dynamiques qui évoluent au cours du récit sans l’affecter directement» (Rahila, 2019:25). Pour Hamon le personnage romanesque n’est qu’un signe linguistique se composant d’un signifiant et d’un signifie et qui subit des évolutions au cours du récit, quand il dit : « (…) considérer à priori le personnage comme un signe, c’est-à-dire choisir un point de vue qui construit cet objet en l’intégrant au message définit lui-même comme une communication, comme composé de signe linguistique» (Jouve, 1992: 57). Il est donc le fruit d’une alliance entre les qualifications que lui prête l’auteur et les fonctions qu’il remplit au fil de l’histoire. Dans son article « Pour un statut sémiologique du personnage », Hamon retient trois champs d’analyses pour le personnage : « -Le " être” :(nom, dénomination et portrait physique et moral, l’habit, la biographie) -le "faire" (rôle et fonction, les rôles thématiques et actanciels) et "-l’importance hiérarchique” (statut et valeur) » (Hamon, 1972 :94).
1- L’être :
L’être du personnage comprend son portrait physique et les qualifications que lui attribue le romancier. L’être se compose de :
2-Le dire : A l’exemple de l’être et du faire du personnage, sa parole participe nettement à la cohésion du récit, et il prend en charge son discours, dans le cadre d’un dialogue ou un monologue ; il met l'accent sur ses aptitudes langagières, sa façon de penser, ses sentiments, sa voix intérieure, etc. L’auteur a recours aux dire des personnages afin de les décrire, alors d'où :« qu’un personnage de roman nait seulement des unités de sens, n’est fait que de phrases prononcées par lui ou sur lui » (Wellek & Warren,1971 : 208).
3-Le faire (rôle et fonction) : le personnage dans le roman ne joue pas seulement un rôle de l’être, mais détient également une fonction au fil de la narration, ce qui fait référence au personnage comme type psychologique ou social ; il existe certains domaines d’actions appelés « axes préférentiels » permettant de déterminer les personnages principaux. Dans un roman, le personnage se manifeste et s’impose par ces actions et ses rôles, il contribue à la cohérence du récit : « Tout comme il ne saurait exister de roman sans actions, il ne peut y avoir d’action sans personnage » (Erman, 2006 :10). Il joue un rôle effectif dans le récit et remplit certain nombre de fonctions, donc il passe de l’être au faire (de la description à la narration). Hamon affirme que le faire du personnage est étroitement lié à son être, qui est : « Le résultat d’un faire passé » ou « un état permettant un faire ultérieur » (Hamon, 1985 :105). Donc son être est difficilement séparable des autres aspects du personnage : de son faire, de son dire, ou de son rapport aux lois morales.
Les rôles du personnage se divisent en : a. Rôle thématique : qui comprend les rôles joués par un personnage dans le récit conformément aux thèmes généraux présents dans le roman. b. Rôle actantiel : traite du personnage comme force agissante ou assise de la dynamique narrative. D’après les travaux de Greimas, « le personnage » est devenu « actant », s’inspirant de Propp qui a travaillé sur une centaine de contes russes dont il dégage 31 fonctions, Greimas n’a gardé que 6 fonctions qu’il faut partager en trois axes: « axe de transmission entre le destinateur et le destinataire ; axe du vouloir entre le sujet et l’objet et axe du pouvoir entre l’opposant et le sujet et ce dernier et l’adjuvant (Ouissi, 2017:24).Selon Hamon, pour étudier le rôle d’un personnage, il faut étudier son programme narratif par rapport aux autres.
3-l’importance hiérarchique (statut et valeur) : qui comprend la qualification (caractéristiques attribuées au personnage), la distribution (fait référence au nombre d’apparition du personnage), l’autonomie (s’agit-il d’un personnage indépendant au secondaire), la fonctionnalité (celui qui accomplit des actions décisives).
Les Hirondelles de Kaboul
Yasmina Khadra (1955) de son vrai nom Mohamed Moulesshoul est un écrivain algérien d’expression française, très connu sous son nom de plume. Il a choisi ce pseudonyme pour rendre hommage à sa femme qui l’a aidé durant sa carrière littéraire et l’a encouragé à écrire et publier ses romans, dont certains ont marqué la littérature francophone. Khadra, témoin de son temps, écrit en suivant l’actualité et ses personnages, inséparables de leur contexte, sont dotés des attributs ayant trait à leur milieu, qu’ils extériorisent de par leur aspect physique et social, même leur appellation étant en harmonie avec le milieu où ils vivotent. Sont abordés dans ses romans les thèmes actuels, transmettant ainsi sa vision du monde et son point de vue sur les évènements contemporains. Bien que cet ouvrage ne soit pas la copie conforme à la réalité du terrain, il se fait pourtant l’écho de l’actualité afghane et témoigne de la tragédie d'une époque qui a marqué profondément les esprits des années durant. L’auteur y peint et analyse le réel en développant les thèmes de la ville, de la violence et du terrorisme. La situation désastreuse des uns et des autres dans la société afghane justifie le choix de l’auteur dans ce roman, où il évoque les conditions dans lesquelles languissent les femmes et les hommes afghans. A travers cette œuvre l’auteur relate les calvaires d’une foule « anonyme » y compris ceux de quatre protagonistes qui languissent dans l’atmosphère suffocante de la capitale afghane sous le règne des Talibans : d’un côté, un couple ordinaire et de l’autre, une famille issue d’un milieu lettré et autrefois favorisé : Atiq Shaukat, un ancien Moudjahid reconverti en geôlier et son épouse Mussarat, aux prises avec une maladie inguérissable, qui traîne sa peine. Le goût de vivre a également quitté Mohsen, qui aspire à la conformité et son épouse Zunaira, aux antipodes de son compagnon sur le plan de caractère, ancienne avocate, est désormais condamnée à l’obscurité du « tchadri ». Un univers au sein duquel les femmes s’offrent en fantômes, dépourvues de tout droit élémentaire de mener une vie comme des êtres humains dignes et respectueux, dans cet univers féminin marginalisé et humilié par l’intégrisme. Les quatre protagonistes : Atiq, Mohsen, Zunaira et Mussarat, pourvus des aspects physiques et psychiques en symbiose avec le milieu où ils habitent, livrent une bataille acharnée pour conserver leur humanité là où l’amour constitue un péché et la mort devient monnaie courante. Dans ce qui suit, nous nous intéressons à l’étude de ces personnages et nous allons dresser leur portrait physique et psychologique ainsi que leur rôle actanciel.
Etude sémiotique des personnages principaux
Afin de procéder à l’étude des personnages principaux du roman de Khadra » Les Hirondelles de Kaboul », nous nous appuyons sur la théorie de Philippe Hamon (1977), déjà exposée, laquelle se focalise sur un triple champ d’analyse : l’être (nom, dénomination et portrait), le faire (rôle et fonctions) et l’importance hiérarchique (statut et valeur). Dans le cadre de cette analyse nous allons aborder, à l’aide de quelques bribes essentielles sur la biographie des protagonistes dont nous disposons, des aspects tels que la dénomination, l’âge, la tenue vestimentaire, des traits physiques et moraux de deux couples.
Atiq Shaukat : Ce prénom a un aspect antiphrastique à travers tout le roman, l’auteur prête à ce personnage une appellation en total dysharmonie avec ses qualifications et traits de caractère. Vivant en réprouvé et figure de haïssable, ce personnage, noyau de l’histoire, à qui l’auteur attribue un statut particulier, est omniprésent dans l’histoire, et se distingue des autres personnages de par son caractère, il joue le jeu des intégristes, aussi bien au niveau de l'apparence que sur le plan psycho-social (portrait moral):« ce personnage joue la figure de conformisme social et de l’Afghan ordinaire et s’accommode bien de la situation » (Zandieh & Makouii, 1400 :14). Il a quarante-deux ans (âge), Son aspect physique est effrayant, négligé, presque abandonné (portrait physique). Personnage obscur, simple gardien de prison, il a la triste charge de mener les condamnés vers la mort (le faire), qui au lieu d’inspirer du respect, représente le côté méprisable. Un type bizarre, un râleur qui parle tout seul (portait moral), et n'ose plus rentrer chez lui de peur de se retrouver face à sa femme mourante, qui souffre en silence d’un mal incurable. L'enfer de la maison lui est à peine plus tolérable que celui du dehors. Il en souffre mais ne se résout pas à répudier sa femme, parce qu’elle lui a sauvé la vie des années auparavant:« elle m’a sauvé la vie rappelle-toi» (Khadra, 2002:24). Comme de nombreux hommes afghans, il ne connaît qu’un seul visage féminin, celui de son épouse : « Pour lui, à part Mussarat, il n'y a que des fantômes, sans voix et sans attraits, qui traversent les rues sans effleurer les esprits » (Khadra, 2002 :111), (Le dire). Atiq trouve finalement un sens à la vie lorsqu’il découvre pour la première fois le visage d'une femme autre que la sienne, dès que Zunaira enlève son voile, il en tombe éperdument amoureux et décide de la sauver.
Mussarat Shaukat : comme par ironie, l'auteur se sert encore une fois d'une antiphrase pour désigner son héroïne, lequel prénom est déphasé par rapport à la qualification accordée à ce personnage morose, dépressif et sombre ; tout au long du roman nous pouvons constater son état dépressif. Elle est en proie à une maladie incurable, sans que l’on sache laquelle, pourtant elle s'évertue à remplir ses obligations de femme de ménage (portrait moral):« parfaite figure de la femme sacrificielle, un être médiocre et sans qualités remarquables qui s’efforce de remplir ses tâches ménagères sans réclamer sa situation»(Zandieh & Makouii,1400:22).Une femme victime d’un malheur total, prisonnière de sa maladie et qui subit le changement de son mari (portrait moral), lequel ne la traite pas comme auparavant, pourtant elle cherche à aider son mari à retrouver le goût de la vie en lui rappelant leurs souvenirs de jeune couple. Oubliant sa faiblesse, Mussarat essaye de se montrer forte pour prouver à son époux qu’elle est encore en vie et qu’elle peut encore s’occuper de lui et de sa maison comme une femme normale et sainte : » Elle se montre enfin, la figure chiffonnée, mais debout sur ses jambes. Sa main ne peut s’abstenir de s’appuyer contre l’embrasure, cependant on la sent batailler avec toute l’énergie qui lui reste pour tenir sur ses jambes comme si sa dignité en dépendait » (Portrait physique), (Khadra, 2002 : 42). A quarante-cinq ans (âge), elle est condamnée par le sort, elle anticipe sa propre mort : « Cette fois-ci, je sens que le mal qui m’habite ne s’en ira pas sans moi » (Khadra, 2002 :46) (le dire). Dès qu’elle se rend compte que son mari est plus heureux depuis sa rencontre avec Zunaira, elle décide à la fin d’oublier sa propre vie, en prenant la place de la jeune femme en prison. Dans un monde où les hommes ont imposé aux femmes de se sacrifier pour eux, Mussarat échange sa place contre celle de Zunaira, dans une scène aussi brève que déchirante. Elle renonce à sa vie avec honneur et détermination : « De toute façon, je suis condamnée. Dans quelques jours, au plus tard, dans quelques semaines, le mal qui me ronge finira par me terrasser. Je ne voudrais pas prolonger inutilement mon agonie » (le dire), (Khadra, 2002 :134). En tout cas, Mussarat renonce à sa vie afin d’en sauver une autre, faisant preuve d’un amour sans condition pour un mari dévoré par la passion.
Mohsen Ramat : à l'opposé de son épouse, il représente l’humanité faible et facilement influençable dans les situations difficiles ; c’est un homme qui agit par peur et craint d’être puni, alors il préfère obéir aux ordres. Son portrait psychique tranche avec celui de son épouse laquelle incarne la femme libre, insoumise et libérale. Sa principale motivation est de retourner chez lui, auprès de sa femme aimée chez qui il trouve du réconfort et de protection ; c’est un intellectuel à bout de force et malgré ses études, il manque d’opinion propre et il est trop dépendant. Il erre jours et nuits dans les rues (portrait moral). Mohsen Ramat est décrit comme un homme : « Grand, le visage imberbe et beau qu’enguirlande un mince collier de poils follets. Ses cheveux longs et raides, lui tombent sur les épaules qu’il a étroites et fines comme celle d’une jeune fille » (portrait physique), (Khadra, 2002 :40). Ancien étudiant, il a connu sa femme dans un campus : « ils s’étaient connus à l’université. Lui, fils de bourgeois ; elle, fille de notable (…) il était un jeune homme sans histoire, pieux sans excès ; elle était musulmane éclairée, portait des robes décentes (…) le foulard en exergue » (Khadra, 2002 :58). Le couple vit sur les restes de situations aisées de leurs familles (statut et valeur). Mohsen, de nature effacée, s’adapte bien aux circonstances, il semble s’y résigner. Un jour, il se laisse aller à la haine ambiante et de ses propres mains participe à la mise à mort d'une femme accusée de fornication. Un des cailloux qu'il lance atteint la victime à la tête. Il se croyait objecteur de conscience, l'ennemi de personne : « ce matin-là, simplement parce que la foule hurlait, j'ai hurlé avec elle, simplement parce qu'elle a réclamé du sang, je l'ai exigé » (Khadra, 2002 :31).
Zunaira Ramat : cette figure représente l’évolution de la mentalité féminine à laquelle elle appartient, elle cherche à récupérer la liberté de décider de son avenir et de construire une vision du monde individuelle ; contrairement aux autres personnages du roman, Zunaira ne joue pas au conformisme et navigue à contre-courant. Présente dans une grande partie du roman, elle est conçue par l’auteur pour incarner la force génératrice de motivation, et cherche à défier les paradigmes sociaux établis sous les Talibans. Elle représente l’espoir, la lutte, la rébellion, le savoir, l’ouverture vers un nouveau monde et ses actions tournent autour de cet objectif (portrait moral). Ses aspects onomastiques sont en harmonie avec ce qu’elle représente comme caractère et qualification et aspects physiques : Son appellation signifiant « Sage, Intelligent » rime avec ses traits de caractères, alors ce type crée un « horizon d’attente » positif chez son lecteur ; Comme quoi : « l’appellation du personnage s’appuie sur le repérage de la relation intérieure qui existe entre le personnage et son nom ou son passé, entre la qualification et l’action du personnage» (Firouzabadi & Kahnamouipour,1396 :67). Elle a trente-deux ans(âge), les toutes premières références font état d’une femme d’une beauté admirable (portrait physique), intelligente, intellectuelle, bien élevée, appartenant à un rang social supérieur (statut), elle est très belle avec des yeux immenses, de longs cheveux et un beau visage sans ride, le style de ses vêtements et les aspects physiques la distinguent de la horde féminine(portrait physique):« (…) elle est sublime, d’une fraicheur inaltérable, malgré les inclémences quotidiennes (…) Zunaira n’a pas pris de ride » (Khadra, 2002:28). Personnage rebelle, cette ancienne avocate et militante féministe, demeure cloitrée chez elle, incapable de supporter la contrainte de tchadri ; elle est séduite par l’idée de construire sa propre identité en tant que jeune femme ; elle justifie son refus de le porter : « Avec ce voile maudit, je ne suis ni un être humain ni une bête, juste un affront ou un opprobre que l’on doit cacher telle une infirmité » (le dire), (Khadra, 2002 :62). Dotée d’une nature indocile, sa personnalité entière ne cesse de se cabrer (portait psychique). Zunaira, brillante enseignante à qui le régime a enlevé le droit de sortir de chez elle seule et de circuler librement dans les rues, le droit de rire, de parler, d'enseigner, d'aimer, est désormais incapable d'accéder à n'importe quelle reconnaissance sociale. Elle ne peint que sur les murs de leur maison dissimulés derrière un rideau : « Il faut vivre », répète-t-elle, comme une sorte de défi lancé contre la pression sociale dominante. Elle se révolte contre les coutumes et le paradigme de se soumettre à ces lois qui oppriment la femme. A l’image de son apparence unique, sublime en beauté, son rôle et ses dires sont en parfait accord avec son statut de femme favorite, cultivée et instruite (portrait moral).
Dans le roman, tous les héros périssent tragiquement sauf Zunaira, et pour une raison:« cette femme constitue le seul espoir d’une société souffrante sous le joug du totalitarisme » (Ouissi, 2017 :27).Elle est en dysharmonie avec les autres protagonistes et reste la seule à opposer au régime des talibans une forme de révolte, elle rappelle à son époux qu’elle continue à garder jalousement ses engagements féministes (portrait moral). Il est à signaler qu’à part Mussarat et Zunaira au cœur de l’intrigue, tous les personnages féminins du roman sont décrits dans leur pluralité, dans leur anonymat avilissant et dans leur non-être. Moins que des êtres de complément, elles sont des « objets jetables ». Leur statut reste un soubassement à l’absurde ordinaire qui frappe cette collectivité.
Grille de personnages : modèle sémiotique de Philippe Hamon
Personnage dénomination |
Traits physiques |
Traits psychologiques |
Tenue vestimentaire |
Rôles actantiels |
Rôles thématiques |
Atiq Shaukat |
Quarante-deux-ans Maigre, enturbanné, crâne dégarni, barbu, figure chiffonnée, visage hâlé et ridé, des yeux ternes, anciennes blessures au genou |
Un ancien Moudjahid, Personnage obscur, taciturne, malheureux , pauvre et généreux, isolé, renfermé, dépourvu d’aucune sensibilité |
il porte une loque, un long gilet, une ceinture, des savates, toujours armé d’une cravache |
Adjuvant / Destinateur, destinataire, sujet |
Geôlier, garde- chiourme |
Mussarat |
Elle a quarante-cinq ans, Femme mourante, figure violacée |
Infirmière, Courageuse, douée d’un grand sens de responsabilité, esprit de sacrifice et de femme dévouée, de gentillesse et de bonté |
Portant un foulard crasseux à la tête, |
Destinateur/ sujet/ destinataire adjuvant |
Image de la femme sacrifiée et souffre -douleur |
Mohsen Ramat |
Grand, le visage imberbe, faciès racorni, il a des cheveux longs et raides, des épaules étroites et fines, Jeune homme, portant des sandales et une robe, fils de bourgeois, |
instruit, symbole de la chute et de désespoir, un être sans sentiment, sans espoir, nostalgique de passé, et exemple d’un être résigné |
|
Opposant Destinateur destinataire et sujet |
Conformiste et nostalgique du passé |
Zunaira |
Elle a 32 ans, Fille de notable, musulmane éclairée, elle est d’une beauté admirable, se maquille avant de sortir, elle a des yeux immenses, |
Incarnation de la beauté et de la femme afghane, sublime et charmante, obstinée, douée d’une présence d’esprit formidable, révoltée, têtue , courageuse, intellectuelle, bien élevée, appartenant à un rang social supérieur ,ancien avocate |
elle porte des robes décentes, un tchadri, des sarouals bouffants, un foulard |
Destinateur/ sujet/ destinataire |
Image de la femme révoltée, militante et féministe |
Le rôle actanciel : chacun des personnages de ce roman a un rôle, une fonction, et des liens qu’ils s’entretiennent s’inscrivent dans un schéma actanciel. Ce schéma nous permet d’identifier les forces agissantes qui s’exercent sur le sujet. Les personnages sont classés selon leur fonction et le rôle qu’ils jouent au sein du récit.
Rôle actanciel de Atig : le rôle actanciel se réfère à la fonction de personnage par rapport à la dynamique narrative ; Atig joue le rôle d’un garde-chiourme affligé, à la recherche du bonheur, il endosse les rôles de destinateur, destinataire et sujet de cette quête ; il perd le bonheur avant même de pouvoir en jouir. Il est sujet en ce sens qu’il est au centre du schéma, détenteur du rôle principal dans l’œuvre, il en est le noyau et c’est autour de lui que se passent la quasi-totalité des actions dans le roman : c’est lui qui se charge de prison des Talibans et conduit les condamnés à l’exécution. Par ailleurs il cherche à sauver la belle Zunaira pour l’épouser, laquelle tentative est vouée à l’échec suivant la disparition de la beauté et le lynchage du maton par la foule déchainée.
Rôle actanciel de Mussarat : image de la femme sacrifiée, elle joue le rôle de destinateur : c’est elle qui envoie son époux en « mission » et l’exhorte à libérer Zunaira, sa dulcinée ; elle remplace celle-ci dans la camionnette qui la conduit à la mort. C’est toujours elle qui se met en quête de l’objet qui comblera un manque : l’amour de son mari, qu’elle croit ne mériter qu’après avoir accompli un acte aussi désespéré que celui d’offrir sa vie pour sauver sa bien-aimée. La maladie sera son adjuvant car elle lui fera prendre conscience de ce manque et l’amènera à endosser le rôle de suppliciée à la place de Zunaira lors des exécutions publiques. La mort sera un opposant farouche car elle emportera Mussarat avant que cette dernière ne voie son rêve exaucé.
Rôle actanciel de Mohsen : incarnation d’un type désespéré, celui-ci cumule les trois rôles de destinateur, destinataire et de sujet. Il est en quête d’un passé rêvé auquel s’opposent les Talibans ; Zunaira, joue le rôle d’adjuvant sans laquelle son époux ne peut continuer à vivre. Elle l’aide à réaliser ses rêves et fait tout pour que celui-ci accomplisse sa « mission ».
Rôle actanciel de Zunaira : Dans ce cadre, Zunaira, image de la femme rebelle, joue le rôle de destinateur, sujet et destinataire de l’objet de sa quête : à savoir la liberté, celle de pouvoir exercer son métier de magistrate, de se permettre de s’habiller comme elle le désire, en quittant le tchadri qui la momifie et lui confisque son identité, elle désire jouir d’une liberté qui lui laissera de se soustraire à l’autorité des Talibans. Pour elle, Atiq, instigateur de son évasion et à qui il évitera la sentence de mort, est un auxiliaire positif, qui tente de l’aider à survivre et à accomplir sa « mission ». Kaboul et Mohsen (opposants) font obstacle à sa quête et entravent sa marche vers la liberté et l’accomplissement de sa mission, la première par ses lois strictes et le second dont la mort accidentelle vaut à Zunaira sa condamnation à la peine capitale.
La conclusion
Alors de par son statut dans la nouvelle critique et vu son importance dans le roman, le personnage joue un rôle du premier plan au sein de la création littéraire, comme ce qui fut le cas dans notre étude des Hirondelles de Kaboul qui nous a conduits à passer en revue l’effet exercé par les aspects psycho-physiologiques et onomastiques des personnages du roman aussi bien sur les rôles qu’ils jouent au sein du récit que dans la formation de la signification. De ce fait, le caractère de chaque personnage, son apparence et sa dénomination reflètent l’image réelle de ladite société à une époque bien définie, à savoir celle du règne des Talibans. Comme nous l’avons vu, le personnage est un élément essentiel dans cette œuvre, et Khadra décrit avec beaucoup de force l’accablement et le désespoir de vivre de ses personnages à travers leurs comportements. Dans ce roman chaque personnage se charge d’une fonction nécessairement narrative puisqu’il est présent dans l’ensemble du récit. C’est-à-dire que Chaque personnage a une fonction ou un rôle spécifique à exécuter. Yasmina Khadra a essayé de donner une dimension réelle à ses personnages, en leur attribuant des qualifications et des attributions en harmonie ou dysharmonie avec leur caractère et les circonstances : tous les personnages donnent l’impression qu’il y a une similarité entre « la vie littéraire » et « la vie réelle ». Dans le cadre de la présente recherche nous avons appliqué la théorie sémiologique de Philippe Hamon aux personnages du roman et afin de répondre à notre problématique nous avons essayé de nous intéresser aux aspects qui nous semble les plus appropriés pour définir l’image des personnages, nous nous sommes focalisés sur l’analyse de leur nom et leur rôle dans la création de signification véhiculée par l’œuvre, leur portrait physique et leur qualification ainsi que les portraits onomastiques ont été également abordés. Lors de notre lecture du roman plusieurs questions se sont imposées à nous, concernant les personnages, personnage actant, personnage signe et notamment les protagonistes. Dès l’abord, nous avons tenté de cerner la notion du personnage romanesque, porteuse de sens divers. Ensuite en nous appuyant sur la théorie de Philippe Hamon qui s’intéresse à la sémiologie du personnage, nous avons tenté d’analyser les divers aspects physiques, psychologiques et onomastiques des personnages, en prenant en considération le contexte social et politique dans lequel ils évoluent et le malaise identitaire qu’ils vivent. Notre problématique nous a aussi conduit vers une autre facette de la théorie de Philippe Hamon qui est la plus convenable et applicable à notre recherche, laquelle théorie comprend trois axes, qui sont l’être, le faire et l’importance hiérarchique. Chez Khadra, les personnages marchent en file dans l’œuvre, donnent l'air d'être de figures romanesques tirées de l'imagination débordante de l’écrivain. Ce dernier, en fin observateur, force les traits de caractère, suivant la dureté décrite au sein du roman, nous remarquons également que c’est à travers le regard de ces personnages que la violence est perçue. L’œuvre choisie pour cette analyse, est un best-seller du romancier algérien Yasmina Khadra, qui aborde de façon originale le conflit qui sévit dans le Moyen Orient. Ce qui nous a poussés à choisir ce roman, c’est d’une part l’histoire émouvante et tragique qu’ont vécu les deux couples, marqués à jamais par des conditions tragiques, d’autre part l’aisance avec laquelle l’auteur nous plonge au cœur de l’horreur que peut vivre le peuple afghan.