نوع مقاله : مقاله پژوهشی
نویسنده
دکتری، گروه زبان و ادبیات فرانسه، دانشکدۀ زبانها و ادبیات خارجی، دانشگاه تهران، تهران، ایران
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Introduction
Depuis toujours, l’enthousiasme pour le voyage a fait verser beaucoup d’encre, notamment par les sociologues, psychologues, ethnologues, historiens et les anthologues qui continuent sans cesse d’agrémenter leurs comptes rendus de commentaires et de jugements de valeurs personnels concernant les pays de destination. Les récits de voyage disposent donc d’une partie remarquable des publications de chaque époque.
En ce qui concerne la littérature imagologique ou imagotypique, nous avons choisi comme corpus d’étude l’œuvre de Myriam Harry, l’écrivaine francophone dont le répertoire livresque démontre sa passion pour l’Orient, y compris l’Iran. Notre attention se concentre tout particulièrement sur ses récits de voyage en Iran publiés au début du XXe siècle, en réfléchissant sur les mécanismes qui sont à l’origine de la formation des hétéro et auto-images, fondées sur un imaginaire collectif, résultant du procès indissociable entre altérité et identité. Elle s’intègre ainsi dans le courant de l’orientalisme et l’exotisme prisé en Europe au début du XXe siècle. Cette idée de faire un voyage en Iran se réalise en 1934 et donne naissance aux livres suivants : Les Adorateurs de Satan (1937), Femmes de Perse, Jardins d’Iran (1941), l’Irak[1] (1941) et Djelaleddine Roumi, Poète et Danseur mystique (1947).
La problématique de cet article est la question suivante : comment se présente le regard de l’écrivaine face à l’imagerie culturelle iranienne et comment fonctionne ce regard ? Pour répondre à cette question, nous avons eu recours aux théories de Pageaux. Ainsi, nous nous intéresserons à évaluer la véracité de cette hypothèse qui consiste à élaborer l’image de l’Iran révélée par l’auteure qui se balance entre les deux pôles de la « phobie » et la « manie » tout en se munissant à plusieurs reprises de sentiments d’iranophilies. Afin de vérifier ce constat, nous avancerons à partir de lieux, de personnes et personnages, de coutumes et modes de vie, de littératures et d’idiomes observés et décrits par la plume d’Harry.
Antécédents de la recherche
Harry est présentée pour la première fois en Iran par Djafar Moyeri qui a traduit en 1965 l’un des ouvrages de la romancière, Amina, ma colombe. Bien qu’il s’agisse d’une traduction fidèle, elle conserve son charme en langue cible, le persan. Le traducteur réussit ainsi à refléter l’image de la femme en Orient et en Occident comparée par Harry dans ce roman.
Harry est une auteure oubliée dans le monde et même en France. Bien qu’elle soit la première écrivaine à avoir gagné le prix littéraire « Femina » en 1904, elle reste inconnue. Il y a donc peu de documents sur la romancière. Pourtant, Jules Lemaître, ami d’Harry et correcteur de ses ouvrages consacre le premier chapitre de son ouvrage intitulé, Les contemporains (1918) pour la présenter.
En 1920, Auguste Mailloux publie un ouvrage intitulé Myriam Harry. Ce petit ouvrage fournit aux lecteurs des renseignements détaillés sur la vie et les œuvres d’Harry. Mailloux s’attache à donner des informations précises sur l’auteure encore vivante à l’époque. Mais il faut attendre l’année 2005 lorsque Cécile Chombard-Gaudin[2] dans son ouvrage intitulé : Une Orientale à Paris s’attache à présenter largement la biographie, les voyages et les œuvres d’Harry. Elle est l’une des rares spécialistes de la vie et de l’œuvre d’Harry. Dans une partie de cet ouvrage, Gaudin fait allusion au voyage d’Harry en Iran en 1934. Femmes de Perse, Jardins d’Iran est le récit d’une longue découverte de l’Iran qui venait d’abandonner son nom de Perse (1934), « Découverte de Téhéran, Koum-la-sainte, Ispahan, Chiraz » (Chombard- Gaudin, 2005 : 165).
En 2019, Gaudin s’investit pour publier un autre ouvrage sur la romancière qui s’intitule : L’Orient dévoilé, sur les traces de Myriam Harry. Ce grand travail de recherche prouve l’énorme effort de la part de Gaudin pour accumuler les documents précieux et supplémentaires par rapport à son ancien ouvrage sur Harry. Dans cet ouvrage, elle tente d’exprimer ses commentaires et ses visions personnelles sur la romancière.
Maeva Bovio (2016) évoque également certaines caractéristiques des ouvrages d’Harry dans sa thèse intitulée : « Les voyages en Orient des écrivains français (1919-1952). », soutenue en 2013. Dans ce travail, Bovio reflète le regard féminin d’Harry sur l’Orient. Elle montre qu’au lendemain de la Première Guerre mondiale et suite aux bouleversements politiques dans cette région les écrivains voyageurs comme Harry prennent le chemin vers ce coin du monde pour inventer une nouvelle image. Le fruit de ces voyages apparaît comme des récits qui offrent aux interlocuteurs une nouvelle vision sur l’Orient.
Encadrement théorique et approche méthodologique
Une étude approfondie des images des peuples et des territoires étrangers nous amène à découvrir l’importance des productions littéraires dans le domaine des récits de voyage. On remarque que de telles recherches aboutissent à l’apparition d’un domaine de réflexion connu sous la désignation d’imagologie dont l’apparition se situe dans les années 1940.
Ayant eu des liens assurés avec d’autres domaines des études littéraires et de la littérature comparée (Moura/b, 1998 : 241) tels que les études culturelles ou Cultural Studies, selon la désignation anglo-saxonne, de même la mytho-critique (Brunel, 1992 : 225), les études de réception et de traduction (Chevrel, 2013 : 55), l’imagologie joue un rôle primordial dans le cadre des sciences humaines. Et cela est certainement dû à la prise de conscience que dans le monde actuel il y a nécessité d’avoir un dialogue interculturel.
Pour mieux comprendre la signification de la notion d’image littéraire, nous nous référons à Manuel Machado et Henri Pageaux lorsqu’ils mentionnent qu’il s’agit de « la représentation d’une réalité culturelle étrangère à travers laquelle l’individu ou le groupe qui l’élaborent (ou la partagent ou la propagent) révèlent et traduisent l’espace idéologique dans lequel ils sont situés » (Machado et Pageaux, 2001 : 50-51). Ceci dit, l’image doit être étudiée comme partie intégrante d’un ensemble plus vaste et plus complexe qu’est l’imaginaire.
On trouve donc un ensemble d’idées au cœur de l’image littéraire. Elles peuvent se supposer sur un espace étranger, sur une culture quelconque, sur une société ou sur une nation. Il faut noter que c’est au prisme de la sensibilité du sujet regardant qu’on réussit à découvrir les caractéristiques du sujet regardé.
Méthodologie
Notre méthode de recherche est basée sur les études bibliothécaires. L’approche comparatiste et l’imagologie pourrait être plus adéquates pour mener une telle étude. Nous allons donc esquisser les contours théoriques et la méthodologie de notre travail, avant de déclencher l’analyse. Dans ce travail, la méthodologie de la recherche est basée sur l’analyse des ouvrages de l’auteure sur l’Iran et nous nous appliquerons à emprunter les opinions de Daniel Henri Pageaux concernant ce sujet pour réaliser cet objectif.
La discussion
Selon Pageaux le texte imagologique procède d’une manière systématique, dans le sens qu’il ne peut pas dire n’importe quoi sur le pays de destination, la culture regardée. C’est en se conformant ou s’opposant à l’idéologie du lecteur que se constitue l’image de l’Autre :
« Insistons cependant sur ce que nous avons appelé le caractère programmé de tout texte imagologique, dans la mesure où les représentations de l’étranger ne sont pas en nombre illimité et qu’elles se constituent en fait aisément en système. Système parce que parler de l’Autre c’est aussi parler de Moi par rapport à l’Autre et qu’ainsi se dessinent (plus ou moins nettement dans les textes, concédons-le) les attitudes mentales majeures que nous avons identifiées comme étant la manie, la phobie et la philie » (Pageaux, 1995 : 148).
La lecture de l’œuvre imagotypique d’Harry sur l’Iran nous a révélé le premier mirage dans lequel cette dernière se trouvait depuis son enfance en sujet de la grande civilisation perse et la situation géopolitique de l’Iran sur la carte du Moyen-Orient. Le mirage définit exactement l’attitude maniaque et la fascination de l’auteure faisant face au nom de ce pays :
« L’image de l’étranger est bien ce mode de connaissance indirect, symbolique dirons-nous, grâce à quoi se définit, se pose et s’affirme un individu, où une collectivité, même si celle-ci est tenue pour inférieure par rapport à l’Autre (mirage et manie), supérieure (phobie) ou complémentaire (philie) » (Pageaux, 1995 : 149).
En fait, dans le cas de l’œuvre d’Harry, l’attitude maniaque se forme suite à une idée préconçue, transmise par les lectures préalables sur l’Iran ou les renseignements acquis et provenant des autres. Quant à Harry, elle a connu l’Iran par l’intermédiaire de ce qu’elle avait déjà lu dans les références bibliographiques du domaine de l’anthropologie, l’histoire et la littérature ou bien d’après ce qu’elle avait entendu par la bouche des autres. De la même manière, le sentiment de la phobie envers ce pays vient des retours d’informations reçues des autres personnes qui lui suggèrent d’éventuels peurs et doutes.
Dans la suite de cette partie, nous relèverons les indices divers que l’auteure reçoit au cours de ses voyages et qu’elle partage avec ses lecteurs dans ses écrits. Ils seront placés dans quatre sous-groupes, en fonction de leur manière de se présenter et leur récurrence. Nous tenterons donc d’effectuer notre analyse en parlant premièrement des lieux. En deuxième partie, les personnes et les personnages seront la matière de notre étude. Dans la troisième partie, nous nous pencherons sur l’étude de la culture, des coutumes et modes de vie. Finalement, nous porterons un regard sur l’image de la littérature classique persane dessinée par Harry.
Les lieux
Les ouvrages d’Harry sur l’Iran prouvent l’intérêt qu’elle porte aux lieux visités. Elle dessine tantôt les paysages sur la route et entre les villes, tantôt elle s’amuse à dresser l’image des sites historiques comme la Persépolis ou Tague Boustan à Kermânchâh. Mais ce qui est bien évident dans ces descriptions, c’est qu’elle établit une relation entre les images qu’elle reflète de ces lieux et les faits historiques, littéraires et culturels. Rejoignons Pageaux sur ce point lorsqu’il dit : « Nommer des réalités géographiques pour éclairer des formes culturelles et littéraires ne pose aucun problème au romancier » (Pageaux, 2010 : 275).
Harry passe une nuit au palais de Darius à Persépolis. Cette visite nocturne éveille chez la romancière une série de scènes où elle mêle la réalité des lieux à ses imaginaires. Le passé historique ressort des rochers et des ruines de ce fameux site historique. L’imaginaire pourrait appartenir aux mondes des images, des figures et des symboles. Selon les termes de Bachelard : « La faculté de déformer les images fournies par la perception, elle est surtout de nous libérer des images premières, de changer les images » (Bachelard, 1943 : 10-11).
Harry décrit Persépolis dans un contexte chimérique alors qu’elle se trouve seule dans une chambre à Persépolis où elle passe une nuit au palais de Darius. La romancière tente de marier ses observations réelles du paysage de Persépolis à ses rêves :
« Retirée dans ma chambre de l’ancien harem royal, étroite et longue comme une cellule, et toute embaumée de fleurs cueillies au jardin des reines l’amoureux alphabet végétal, je rêve aux belles princesses qui hantèrent ici : Statira et Roxana, filles de Darius » (Harry, 1941 :141).
Dans cet extrait, il est difficile de préciser la frontière entre le réel et le rêve. La visite de ce site pousse la romancière à se plonger dans le monde du rêve. La description de sa présence dans une chambre à Persépolis est liée à celle de la vie des reines achéménides. La littérature archéologique contient en soi généralement deux thèmes : celui du voyage et celui du rêve. Harry dans sa visite de Persépolis se déplace de palais en palais, mais ce mouvement l’amène aussi à un voyage en rêve dans le temps.
Harry se balade au cœur des souvenirs de la Perse. En pleine nuit, les différentes parties de ce site archéologique passent comme un tableau devant ses yeux. La mémoire de la romancière conserve les traces de ces images et pendant la nuit, elle les revoit dans son imagination. Le voyage en Perse constitue sans doute l’un de ses désirs les plus profonds, ce que l’on peut appeler son rêve. Elle réalise enfin le sien. C’est ce sentiment d’iranophilie qui éveille chez la romancière une soif de découvrir l’Iran.
Quand elle se trouve une nuit au harem de Darius, son talent d'écrivain la pousse vers un autre désir, ou dans un autre rêve, celui de découvrir le secret de la vie des reines dans ces palais. Pour réaliser ce nouveau rêve, elle prend la route vers une autre destination, le voyage dans un rêve vers le temps passé de l’Empire des reines persanes. Le mot « rêve » dans ce contexte est synonyme de l’imagination qui contient une part de la réalité. Elle se trouve dans un état demi-réveillé et demi-endormi. Ainsi, Pageaux décrit la situation dans laquelle Harry se trouve :
« Le scénario est l’expression de ce que nous pourrions nommer la fonction symbolique du texte littéraire. Ici, dans le cas du texte imagotypique, elle se confond avec la rêverie sur l’Autre. II faut prendre le mot rêverie dans le sens plein autorisé par la poétique. La rêverie sur l’Autre repose en partie sur les deux grands principes sa symbolisation que sont la métaphore et la métonymie » (Pageaux, 1995 : 145).
Harry était, depuis longtemps avant son voyage, fascinée par la civilisation de la Perse et la majesté de ce nom. Cette fascination est d’autant plus sérieuse qu’elle s’obstine à l’appeler sous sa forme ancienne, celle qui venait d’être officiellement changée par le premier roi Pahlavi juste avant qu’elle parte en Iran. Ailleurs, elle fait allusion au désordre et au chaos que cette modification de nom causerait dès ce jour-là dans la communauté des artistes iranophiles et probablement iranomaniaques. Dans les autres ouvrages de la romancière, nous pouvons trouver le même enthousiasme pour découvrir ses villes rêvées. La rêverie imagotypique, ou « l’imagerie culturelle » (Pageaux, 1995 : 141), est forcément liée au sentiment maniaque d’Harry envers ce territoire.
On peut déceler grâce à la classification donnée par Pageaux, l’attitude iranophile de Harry qui s’efforce de voir la culture étrangère comme complémentaire de ses expériences vécues et de sa culture de départ. L’étude imagologique permet de constater un jeu d’observation mutuelle qui existe entre observant et observé. De ce point de vue, on remarque ce jeu d’observation chez Harry et dans ses récits de voyage en Iran.
Personnages et personnes
Harry s’emploie à brosser les caractères, les attitudes, les traits psychologiques, les relations sociales des Iraniens dans ses récits de voyage. Mais elle porte un grand intérêt à tracer l’image des Persanes dans ses récits de voyage. L’auteure présente les femmes de toutes les catégories sociales : comme les reines de Saba et Cléopâtre, les princesses des Qadjar, les filles de Darius, les ouvrières qui tissent le tapis persan, les femmes dans les harems orientaux et celles dans les foyers. Elle présente également ses homologues écrivaines comme Lucie Delarue-Mardrus, son amie poète et l’épouse de Joseph-Charles Mardrus, le traducteur des Mille et une nuits dans un ouvrage intitulé, Mon amie, Lucie Delarue-Mardrus (1946).
Dès son enfance, le « moi » de Harry cherche à connaître l’Autre. Elle s’intéresse à découvrir la voix féminine en Iran. Dans cet état d’esprit, la romancière relate les sujets accumulés dans son cerveau depuis sa jeunesse jusqu’à ce moment-là et lors de sa visite.
Dans ses récits de voyage, Harry se penche consciemment ou inconsciemment à faire sans cesse une comparaison entre les Persanes et les Françaises. Il convient de signaler que d’une part l’écrivaine a passé une période de sa vie, son enfance et une partie de sa jeunesse, en Orient et d’autre part elle a fait des études en Allemagne avant de s’installer en France d’une manière définitive. On peut conclure que ce mélange de ses connaissances et ses prérequis sur l’Orient et l’Occident pousse l’auteure à porter un regard particulier issu de son expérience. Selon Pageaux, « nous ne pouvons pas nier les liaisons qui existent entre la biographie de l’auteur et les images présentées par lui dans ses productions littéraires » (Pageaux, 1995 : 144).
L’imagologie, comme un domaine de recherche lié à la littérature comparée se penche plus particulièrement sur la manière de représenter la réalité des pays étrangers telle qu’elle est conçue par tel ou tel écrivain. Ce dernier ne procède jamais en copiant le réel. Il sélectionne par contre un certain nombre de traits jugés pertinents pour la représentation de l’altérité.
Dans cette condition, la représentation que l’on a de soi-même s’attache à celle de l’Autre. L’image créée par l’auteur qui observe un étranger prend la forme d’un double, l’image de soi-même s’incarne dans celle de l’Autre. C’est à partir de l’Autre que Harry trouve la partie cachée d’elle-même.
Les écrits de Harry sur la femme sont issus de ses voyages et de ses rencontres
avec les femmes. Elle consacre également une grande partie de son ouvrage intitulé
Femmes de Perse, Jardins d’Iran pour présenter la femme iranienne dans plusieurs aspects de sa vie au début du XXe siècle. La romancière compare la vie des femmes dans les harems pendant la dynastie des Qadjar à celle des femmes émancipées pendant le règne du premier roi de la
dynastie Pahlavi.
Elle consacre également tout un livre intitulé Les derniers harems (1933) pour parler de ce sujet. Elle y expose largement sa vision sur les conditions de la vie de la femme en Orient. La romancière essaie de transmettre la réalité pure sans donner ses avis personnels. Malgré cela, on trouve dans ses écrits un degré de dépréciation et dévalorisation (latent) ou une prise de partie iranophobique au sujet de la condition de vie des femmes iraniennes. Pourtant, elle s’efforce de rester impartiale et de ne pas mêler à ses enquêtes des jugements de valeur pour ou contre.
Dans ce cas, Harry compare l’image déjà présente dans sa mémoire avec celle de la société iranienne dans le contexte temporel où elle visite ce pays. Rejoignons Gaden pour mieux connaître l’avis d’Harry sur ce sujet :
« M. Harry est conviée à boire le thé avec des féministes « repenties » se plaignant de leur nouvelle condition de femmes. N’étaient-elles finalement pas plus heureuses, auparavant, lorsqu’elles partageaient un mari avec d’autres épouses, à l’intérieur du harem ? À présent, les hommes ont toujours plusieurs épouses, mais à l’extérieur du harem, hors des cadres réglés et institutionnalisés » (Gaden, 2012 : 169).
En fait, c’est à travers l’image de la femme iranienne que Harry réfléchit sur sa propre personnalité et son propre statut de femme. Elle voyage et observe minutieusement la vie des Iraniennes. Mais dans ses textes, nous sommes témoins de sa présence. L’auteure garde sans doute en soi une partie de ses souvenirs et de son passé dans son pays d’origine. Elle observe un Autre et un Ailleurs mais une forte relation est établie entre le sujet regardant et le sujet regardé. Garban dit :
« En effet, le regard sur l’autre réfléchit le regard sur soi, le regard de l’autre révèle le moi, le moi manipule le regard de l’autre et s’écrit à travers lui. Dans l’écriture autobiographique du récit de voyage au féminin, le « privilège exceptionnel » […] est au cœur de la quête (et conquête) d’un statut valorisé par et pour les femmes » (Garban, 2010 : 86).
Harry ajoute inconsciemment ses prérequis à tout ce qu’elle observe. Ce fait pousse l’auteure à faire des commentaires. Elle admire tantôt des éléments observés dans ce pays et elle tente tantôt de critiquer des éléments qui lui déplaisent. Selon Pageaux le « Je » de l’auteur qui observe est placé vis-à-vis d’un Autre observé. Nous lisons :
« Je regarde 1’Autre, mais l’image de l’Autre véhicule aussi une certaine image de moi-même. Impossible d’éviter que l’image de l’Autre, à un niveau individuel (un écrivain), collectif (une société, un pays, une nation) ou semi-collectif (une famille de pensée, une opinion), n’apparaisse aussi comme la négation de l’Autre, le complément, le prolongement de mon propre corps, de mon propre espace. Je veux dire l’Autre (et pour d’impérieuses et complexes raisons le plus souvent) et en disant l’Autre « Je » le nie et me dis moi-même. L’image de l’Autre apparaît comme une langue seconde parallèle à la langue que je parle, coexistant avec elle, la doublant en quel en quelque sorte, pour dire autre chose » (Pageaux, 1995 : 135).
Culture, coutume et mode de vie
Harry observe minutieusement les habitudes et les coutumes des Iraniens au cours de
son voyage. La courtoisie, les habitudes alimentaires et les fêtes nationales sont les sujets récurrents de ses récits de voyage. Par l’emploi de mots-signaux, l’auteure tend à renseigner son lecteur, européen et plus particulièrement francophone, sur la nature des mœurs et des modes de vie. Il paraît ici intéressant de se référer aux idées de Pageaux lorsqu’il met l’accent sur les « mots » comme l’un des éléments constitutifs de l’image, aux côtés de la « relation hiérarchisée » et du « scénario » (Pageaux, 1995 : 142). Selon lui « l’imaginaire culturel d’un pays à l’égard d’un autre est basé au premier degré sur un large échantillon (diachroniquement) de mots qui permettent la définition et la diffusion plus ou moins immédiate d’une image de l’Autre» (Pageaux, 1995 : 142).
Une partie considérable de l’œuvre d’Harry est consacrée à la description du mode de vie des Iraniens y compris leur manière de s’habiller sur la scène publique. Lors de son entrée en Iran, elle remarque le chapeau noir de son chauffeur qui lui donne une impression dégoûtante. Suivons son regard qui s’attache à révéler l’aspect « affreux » de ce chapeau noir opposé aux belles couleurs des robes des femmes et des nomades qu’elle rencontre sur la route de Kermânchâh. Le terme « affreux » relate parfaitement le sentiment de Harry qui n’aime pas ce changement d’habitude vestimentaire. Selon les termes de Pageaux :
« L’analyse lexicale relèvera toute trace d’itération, répétition ; elle pratiquera le comptage de certaines occurrences concernant le marquage des lieux (espace étranger), les indicateurs de temps (saisie historique ou anachronique de l’Autre), la saisie extérieure et intérieure des personnages étrangers, le choix de l’onomastique (symbolique de prénoms préférentiels), bref tout ce qui, au niveau du mot, permet un système d’équivalences entre l’Autre et Je » (Pageaux, 1995 :142).
« Une autre réforme difficile à introduire malgré la douceur d'une population zélée à se civiliser, c'est notre incivilité. La Perse restera longtemps encore le pays des belles manières et des grâces de l'esprit. Vous ne vous imaginez pas la courtoisie qui règne du haut au bas de l’échelle ! » (Harry, 1941a : 34).
Elle présente toutes les catégories de la société iranienne pour parler de la courtoisie. Au début, elle observe le comportement des marchands dans les bazars. Séduite par la beauté de la relation entre le commerçant et le client, elle cite quelques exemples. Un client ne reçoit jamais une réponse négative de la part du vendeur car une réponse négative entre l'acheteur et le vendeur est considérée comme un signe d’impolitesse. Nous lisons :
« Ainsi, si vous passez devant les étalages et qu'on s'enquiert de ce que vous cherchez ne répondez pas « rien » mais « votre salut ». Ne dites pas « non » mais « mieux » - une négation n'est jamais agréable – « oui » manque également d'élégance, dites Chachin ! « Mes yeux », c'est plus amical : Chachin ! Chachin ! Ah ce qu'on entend des « mes yeux » dans une matinée de bazar ! » (Harry, 1941a : 3).
« Chachin », ce terme persan signifie « les yeux ». Quand on l'utilise, il montre que vous êtes tout à fait prêt pour subvenir aux besoins de la personne qui vous demande un service et que vous allez faire de votre mieux pour elle. Harry réussit ainsi à relater une image sublime de la société iranienne et surtout les relations basées sur le respect.
Vers la fin du chapitre III de cet ouvrage, la romancière aborde les aspects similaires entre la courtoisie persane et celle qu'on peut observer en Europe. Elle se réjouit de voir les Iraniens qui applaudissent longtemps un intervenant durant son discours, à la manière des Européens :
« Dans les discours officiels, cette titulaire doit revenir au moins toutes les dix phrases, et chaque fois, on se lève et on applaudit, autre fois par des soupirs, à présent par le claquement des mains, comme chez nous. On applaudit pendant dix bonnes minutes, alors on conçoit la durée, en Perse, d'une belle harangue » (Harry, 1941a : 37).
Bien qu'au début de cette partie, M. Harry admire l'originalité de cette riche culture elle est satisfaite de trouver les nouveaux aspects suggérés par les Occidentaux dans les attitudes des Iraniens. Ce dernier exemple sur l'applaudissement lors d’un discours nous amène à rejoindre l'opinion de Sarga Moussa qui considère le voyageur à la fois comme un témoin et un interprète possédant un pouvoir pour analyser ses observations. Il dit :
« Ce dernier, médiateur privilégié entre le monde de l'Ailleurs et celui de ses lecteurs, prétend superposer le texte au réel, comme si le premier n'était qu'un calque du second. La vue et l'ouïe, nos deux sens principaux, établiraient ainsi un pur rapport d'immédiateté avec notre environnement. Pourtant on le sait, le voyageur se déplace, parfois au sens propre, avec une bibliothèque, c'est-à-dire qu'il véhicule un savoir qui oriente et configure, en fonction de sa propre culture, ce qu'il croit être une perception directe de la réalité. Le témoin est donc aussi un interprète, qui donne sens à ce qu'il voit et à ce qu'il entend » (Moussa, 2006 : 248).
Harry apprécie dans les longs paragraphes « la Grâce persane », celle de la courtoisie. Pourtant, la romancière en tant que témoin tente consciemment ou inconsciemment de flatter l'une des particularités de sa propre culture qu'elle trouve imitée par les Iraniens. Ils manifestent leurs accords avec un intervenant par les claquements des mains et non par les soupirs comme ils faisaient autrefois.
Certes, la guerre a totalement troublé la vie quotidienne des Européens. En ce qui concerne l’Iran, ce pays a également subi les ravages de la Première Guerre mondiale : la famine, la maladie, la misère et l'instabilité politique. Bien qu’il soit resté neutre dans cette guerre, il n’arrive pas à s'éloigner des mauvaises conditions de vie qu’elle a causées. Harry apprécie la courtoisie du peuple pendant cette dure période de l'histoire de l'humanité. Elle reflète donc une image trop parfaite de la société. Elle observe un Orient « féerique et mystérieux » selon l'expression de Francis Ambière. Nous lisons :
« Longtemps, le seul mot d'Orient a évoqué à l'esprit de l'homme occidental un éclatant joyau aux mille facettes. (…) Sans limites bien déterminées, situé quelque part vers l'est de la Méditerranée, cet Orient, à la fois féerique et mystérieux, comprenait aussi bien les vastes possessions de l'empire ottoman - accessible seulement aux diplomates et aux marchands par les échelles- que la Perse légendaire, l'antique Mésopotamie, l'inquiétante Arabie Pétrée. Cette imprécision même favorisait les inventions les plus propres à enchanter un public peu soucieux d'exactitude. Elle permettait de créer un monde où beaucoup de fantaisies se mêlaient à la réalité - un monde de rêve d'où la violence n'était pas exclue et où la vie se déroulait comme une luxueuse tapisserie tissée d'or, de soie, de perles et de sang » (Ambière, 1956 : 26).
On peut donc conclure que le regard porté par M. Harry pourrait être subjectif concernant ce sujet. La romancière observe ce qu’elle attend de voir ou mieux ce qu’elle a envie de voir. Elle ne reflète pas donc la réalité pure de la société iranienne dans son récit de voyage. Le sentiment d’iranophilie chez Harry est bien remarquable en parlant de la courtoisie en Iran mais elle est satisfaite de voir que ce peuple imite certains aspects culturels des Français.
La littérature
Harry tente donc de lier l’image d’un lieu réel à ce qu’on pourrait trouver au milieu des pages de la poésie persane. La romancière mélange chaque objet et chaque situation à une interprétation ou à une intention. Elle donne ainsi une configuration et une poésie à toutes les choses. Dans ses ouvrages sur l’Iran, on trouve une inspiration exotique. Elle est fascinée par la poésie persane. Nous sommes témoins d’un sentiment de « philie » de l’auteure dans ce domaine. Harry est consciente que la poésie en Perse représente le vestige d’une riche civilisation ancienne. Empruntons les termes de Westphal :
« L'approche imagologique est fréquemment adoptée ; sa portée est interdisciplinaire ; elle rencontre la faveur de tous ceux qui mettent en relation une culture regardante et une culture regardée, toutes deux séparées par un écart différentiel, qui sera saisi dans une représentation plus ou moins stéréotypée, et donc plus ou moins proche d'une image type » (Westphal, 2000 : 12).
Dans son ouvrage, Femmes de Perse, Jardins d’Iran, Harry visite le site historique Tage-Boustan. Mais elle ne se contente pas de décrire ce lieu. La romancière s’emploie à raconter l’histoire de l’amour entre Khosro et Chirine qui est considérée comme l’une des plus fameuses poésies de la littérature classique persane.
Elle consacre des pages pour parler de la littérature persane. Dans cette partie du récit de voyage d’Harry, on peut dégager une nouvelle forme de description. Ce passage montre que la romancière visite cette ville en possédant des connaissances sur un sujet littéraire. Elle tient à lier ses observations à ses connaissances. Elle fait aussi allusion à une légende racontée sur cette piscine de Dagué Boustan et dont Chirine, l'épouse de Chosroês est l'héroïne de cette légende populaire. Nous lisons :
« D'après la légende, elle vient encore hanter la profondeur mystérieuse des eaux. Même aujourd’hui, elle monte parfois au clair de lune, pleure et chante tour à tour. Celui qui l'aperçoit est guéri de tous les maux, et les amoraux obtiennent des grâces de la douce magie de Chirine » (Harry, 1941a :15).
Harry évoque ainsi l'image légendaire de Chirine créée par le peuple qui est liée à l'histoire littéraire de « Chosroês et Chirine ». L’écrivaine après avoir consacré de courts paragraphes pour décrire ce site se met tout de suite à raconter dans de longues pages l'histoire d'amour de « Chosroês et Chirine ».
L’auteure a également écrit un livre pour présenter Rumi, poète mystique persan en France. Une curiosité l’invite à découvrir les idées de Rumi. Elle est en quête pour connaître ce monde exotique créé par un mystique comme lui. Dans cet ouvrage et à plusieurs reprises, Harry s’efforce de connaître et faire connaître sa doctrine. Dès les premiers chapitres de ce livre, la romancière tente de trouver la racine de cette doctrine. Un lien est établi entre elle et celle de grandes figures de sagesse en Occident comme Platon et Aristote. Une similitude entre les idées de ces deux penseurs occidentaux et la doctrine de Rumi est exprimée. Les points de vue du père de Rumi qui était lui aussi un grand savant mystique sont présentés dans ce passage. Nous lisons :
« À peine avait-il repris son enseignement sur la droiture, l’humilité, la pure lumière de Platon et la Grande Morale d’Aristote, qu’il vit arriver au pied du pilier où il était assis, une procession de trois cents muftis des Medressés[3] de Balk et des environs, l’informant qu’ils avaient reçu chacun, isolément, la visite du prophète de l’Islamisme, disant : « À partir de ce jour, donnez à Behaeddine le titre de Sultan-des-Savants » (Harry, 1947 : 17).
Dans un autre chapitre, M. Harry cite le nom de Platon et parle de la sainteté de la musique mystique chez Rumi. Une relation se noue entre cette musique qu’il introduit dans les mosquées et celle de Platon entrée dans les lieux saints :
« Enfin, ici, dans la molle d’Asie, soumise aux charmes de Vénus, le roseau mélodieux ne cessait guère son concert, semblait le souffle même de l’antique Iconium[4] où le divin Platon avait exalté les bienfaits de la danse et de la musique. Djelaleddine les avait introduits dans les mosquées » (Harry, 1947 : 60).
L’aspect religieux accordé aux philosophes est relaté dans ce passage. C’est pourquoi on appelle ce philosophe « le divin Platon ». Les aspects similaires sont évoqués ainsi entre ces deux musiques, l’une qui appartient à « la molle d’Asie » et l’autre à « l’antique Iconium [5]» en Occident.
La danse et la musique dans les lieux saints apportent des bienfaits aux religieux. Il faut signaler qu’on trouve également l’origine de cette philosophie chez les grands poètes mystiques orientaux comme Attar. La rencontre de Rumi enfant avec Attar est reprise plusieurs fois par la romancière. Attar offre son fameux ouvrage mystique, Le langage des oiseaux, à Rumi.
Harry saisit une similitude entre la philosophie en Orient et en Occident d’où elle est issue. Une comparaison est faite entre la culture d’un Autre et la sienne. Une intertextualité règne dans les passages écrits sur Rumi. M. Harry évoque les poèmes de grands poètes iraniens. Cependant le pays compte peu de livres philosophiques comme en Occident. La philosophie en Iran a été largement intégrée dans les poèmes. Même dans les poèmes romantiques il y a toujours une leçon de morale et de sagesse. On a beaucoup appris des Grecs anciens comme Aristote et Platon. L’Occident a beaucoup appris des visions mystiques et sur la vie d’au-delà et la signification de la vie et de la mort en Orient. La comparaison de ces deux visions ouvre indubitablement d’autres horizons. Pageaux a bien raison de penser que : « le voyage est une pratique culturelle. » (Pageaux, 1994 : 31).
Conclusion
Dans cet article, nous avons étudié les aspects de l’altérité élaborés à travers les quatre ouvrages d’Harry sur l’Iran tout en nous référant à l’approche imagologique de Pageaux. La relation qu’établit l’auteure-narratrice de ce corpus avec l’Autre, c’est-à-dire l’Iran et les Iraniens, est présentée par des exemples d’images culturelles relatives aux lieux (les villes et les monuments), personnes (vivants ou défunts), coutumes et modes de vie (les habits, les cérémonies, les habitudes et les traditions), et idiomes (la langue et la littérature persane).
Dans ce contexte, nous avons constaté que ces ouvrages sont élaborés par le biais d’une approche subjective, tout en s’approchant des réflexions stéréotypées et des clichés culturels étendus sur le sujet de l’Iran. En ce sens, nous avons recouru aux idées de Pageaux sur les quatre types d’attitudes du sujet regardant envers la réalité étrangère. Ainsi, nous avons pu confirmer l’hypothèse initiale de notre recherche qui disait que l’auteure balance dans son parcours imagotypique, entre différentes phases de « phobie », « manie » et « philie » tout en prétendant grosso modo rester comme un contemplateur à l’égard du contexte iranien qui l’a inspirée.
Harry fait constamment des comparaisons entre l’Orient et l’Occident. Ce regard comparatif révèle cette idée que l’auteure regarde l’Autre sans le juger mais qu’en réalité il est impossible de rester neutre à l’égard de l’Autre et de l’Ailleurs. L’écrivaine mêle inconsciemment et sans cesse les éléments de sa culture d’origine à celle observée pendant son périple. C’est ainsi que l’altérité entre dans le jeu. Le lecteur observe les images révélées par l’auteure ainsi que les ressemblances et les différences entre ces deux cultures.
L’interlocuteur est influencé tantôt par les aspects séduisants de l’Iran décrits par Harry, tantôt il est satisfait de trouver les points communs entre lui, observant, et l’Autre observé. Au cœur de ces deux tendances, les sentiments de « philie » de l’auteure à l’égard de la culture iranienne sont tellement forts qu’ils dominent et maîtrisent ses craintes et ses angoisses.
Le voyage devient ainsi un moment paisible qui permet à Harry de mettre en équilibre ses prérequis. Harry saisit donc la réalité de la culture iranienne et ses sentiments de « manie » donnent la place au plaisir de découvrir un Ailleurs et un Autre : l’Iran et les Iraniens.
[1] Cet ouvrage comprenne de multiples passages sur l’Iran.
[2] Gaudin, diplômée des lettres classiques à la Sorbonne fait des recherches au CNRS
[3] École en arabe.
[4] Konia.