نوع مقاله : مقاله پژوهشی
نویسنده
استادیار، گروه زبان و ادبیات فرانسه، دانشگاه تبریز، تبریز، ایران
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Introduction
La Nuit de feu est un récit d’Éric-Emmanuel Schmitt, paru en France, en 2015, qui raconte un voyage vers d'autres lieux, lointains, exotiques, qui se transforme en une quête intérieure, spirituelle, et qui révèle la foi au héros. Les évènements qui se produisent dans ce roman se déroulent en des espaces désertiques, en Afrique. Ils décrivent l’évolution intérieure du personnage principal du récit, Éric, et la renaissance de son être intérieur. Le protagoniste n’est autre que l’auteur lui-même, un agrégé de philosophie et un professeur des universités, qui raconte l’aventure qu’il a vécue en février 1989, à l’âge de vingt-huit ans, lors d’une nuit glaciale, dans le Hoggar, au sud du Sahara algérien, avant de se consacrer complètement à sa véritable vocation : l’écriture. Le titre de cette fiction autobiographique est significatif. Il est emprunté à un texte de Blaise Pascal, Le Mémorial, une note griffonnée qui relate l’expérience mystique que son auteur aurait vécue pendant la nuit du 23 au 24 novembre 1654, la nuit de sa conversion à Dieu. Les deux auteurs, Éric-Emmanuel Schmitt et Blaise Pascal, ont connu un moment de révélation semblable de la foi et du sacré, ce qui rappelle également le retour au catholicisme chez Charles Péguy. Leurs vies ont été changées à jamais. Le voyage qu’Éric entreprend de raconter reprend à bien des égards une tradition très populaire dans la littérature occidentale, celle des récits spirituels où un héros, à travers la découverte d’une région inconnue ou celle d’un autre pays, va à la découverte de lui-même et donne un sens à son existence. Au cours de cet itinéraire, il se trouve confronté à de nouvelles épreuves. Il atteint à une plus grande perfection spirituelle et morale. Éric part en effet vers des lieux qu’il ne connaît pas, où il affronte un monde différent de celui qu’il connaissait auparavant. Il convient de souligner que, dans ce récit, la découverte de la foi ne se limite pas à une donnée immédiate. C’est un phénomène d’ordre progressif, graduel, dont les étapes sont intimement liées aux quatre éléments dont la nature se constitue, à savoir l’air, l’eau, la terre et le feu. De surcroît, toute une série d’image symbolique y font jour entre lesquelles existent des relations réciproques dont l’analyse permet de déceler l’existence d’une structure plus profonde. Il semble que les théories de Mircea Eliade, de Simone Vierne, de Gaston Bachelard, de Rudolf Otto, et de beaucoup d’autres encore ont nourri l’imaginaire d’Éric-Emmanuel Schmitt. C’est en nous inspirant des théories de ces philosophes que nous allons essayer de savoir comment procède cette découverte de la foi dans La Nuit de feu. Il faut se demander aussi comment ces images symboliques peuvent correspondre à ce parcours spirituel. Dans ce but, il semble que l’étude de la structure de l’imaginaire de l’écrivain serait la démarche la plus appropriée. Dans le même but, nous allons aborder ce qui déclenche le processus de la découverte de la foi, ce qui le prépare, et ce qui en serait le terme tout en essayant de réactualiser les images symboliques qui s’enchaînent et d’en décrypter le sens latent. Nous ne prétendons pas avoir décelé toutes les images, mais nous nous intéresserons davantage à celles qui participeront à parfaire le parcours spirituel du héros. Mais avant d’entamer l’analyse, la présentation des théories des philosophes cités au-dessus, et l’étude des recherches antécédentes sur La Nuit de feu est nécessaire afin de situer la place originale que notre travail occuperait parmi celles-ci.
La plupart des œuvres d’Éric-Emmanuel Schmitt ont fait l’objet d’études mythologiques, mystiques, philosophiques et thématiques. En ce qui concerne La Nuit de feu, un seul article y a été consacré : « Espace et immensité intime dans La Nuit de feu d’Éric-Emmanuel Schmitt », par Hafid Abouelkasem, publié en 2020 dans Litera : Journal of Language, Literature and Culture Studies, aux Presses de l’Université d’Istanbul, qui constitue une source d’inspiration pour nous. Le chercheur y traite la conjonction entre l’immensité du désert et l’immensité intime en s’appuyant sur les théories de l’espace de Gaston Bachelard. Il faut remarquer que La Nuit de feu est un récit qui est resté assez méconnu et qu’il n’a pas beaucoup suscité l’intérêt des chercheurs jusqu’à maintenant, malgré sa richesse philosophique et littéraire. En effet, aucune recherche n’a été effectuée sur sa structure ni sur son imaginaire matériel et symbolique. En ce sens, notre problématique est nouvelle, mais quelques travaux de recherche ont abordé la trame spirituelle de certains récits contemporains, souvent dans une démarche comparative. Nous pouvons citer le mémoire de maîtrise d’Emmanuel Therond, intitulé « Exil et quête de soi chez J.M.G. Le Clézio, (Voyage à Rodrigues), Paulo Coelho (L’Alchimiste) et Rachid Boudjedra (Timimoun) », soutenu en 2001, à l’Université Blaise Pascal-Clermont-Ferrand II ; ou l’article écrit par Maryam Sheibanian et Tahereh Khameneh Bagheri, intitulé « Du voyage physique au voyage intérieur, une étude comparative de Désert de J.M.G. Le Clézio et Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier », publié en 2017, dans la revue Plume. Dans cette dernière recherche, les auteures ont comparé, avec pertinence, les étapes de parcours spirituel des héros, sans les relier à une analyse des quatre éléments. Elle pourrait être encore approfondie en considérant les images symboliques qui y sont inhérentes. C’est pourquoi, dans notre article, nous souhaitons contribuer à une étude plus profonde dans ce domaine.
La trame narrative de La Nuit de feu semble être construite sur les thèses de Mircea Eliade, expliquées dans son œuvre Initiation, rites, sociétés secrètes, un livre publié en 1959, et celles de Simone Vierne, précisées dans Rite, Roman, Initiation, un ouvrage paru en 2000, à propos des caractéristiques du rituel spirituel ainsi que son objectif. Cette dernière précise en quoi consisteraient les trois étapes du schéma canonique des récits spirituels: la préparation, la mort et la renaissance. Le néophyte, c’est-à-dire, celui qui est élu pour entreprendre l’aventure spirituelle, doit transcender son état d’homme en pleine « crise des profondeurs » (Eliade, 1959 : 273) et connaître « une mutation ontologique du régime existentiel » (Eliade, 1959 : 10). Pour Simone Vierne, le but consiste à « renaître autre » (Vierne, 2000 : 25). La prise de dispositions pour se préparer à ce changement fondamental est nécessaire et ne se réalise que lors de l’installation dans un lieu sacré, séparé des lieux profanes en éprouvant un sentiment d’«angoisse religieuse ». Cet endroit peut être un temple, une montagne et, surtout, un désert. Loin de toute civilisation, ils permettent de découvrir le monde de l’au-delà. Simone Vierne précise que, une fois entré dans le lieu sacré, le néophyte, impur par ses « actes passés », doit se purifier comme s’il devait revenir à l’état prénatal (Vierne, 2000 : 16). Un autre rituel, celui de mise à mort, est la seconde phase rigoureuse de cette expérience, marquée par la souffrance, destinée à prouver que le myste a surpassé sa condition antérieure, qu’il s’est détaché de tout, et qu’il a accédé au néant, pour parvenir à une mutation totale (Eliade, 1959 : 122). Cette épreuve est poursuivie par la renaissance de l’ancien novice qui est devenu un Autre, un être qui revient de rentrer du monde sacré. Mircea Eliade, dans un autre livre, Image et symbole, insiste sur l’importance du langage symbolique afin de transmettre cette expérience intérieure : « le symbole, le mythe, l’image appartiennent à la substance de la vie spirituelle » (Eliade, 1959 : 12). Ce sera un bon moyen pour visualiser les faits complexes qui ne seront pas compréhensibles seulement par la parole et « mettre à nu les plus secrètes modalités de l’être » (Chevalier, 1997 :14). Dans La Nuit de feu, à part des images symboliques, il y en a certaines qui sont créées sous l’influence des quatre éléments: la terre, l’eau, l’air et le feu. Gaston Bachelard dans l’Air et les Songes, l’a bien expliqué. Anthropologue et philosophe au départ, critique littéraire par la suite, il s’est consacré à l’étude du processus d’imagination créatrice du poète. En examinant certaines œuvres poétiques, il s’est rendu compte que l’univers imaginaire du poète baigne, au moins, dans l’un des éléments de la nature, en raison de la récurrence abondante de ce dernier dans leurs poèmes. Selon lui, l’imagination du poète a besoin d’un support matériel, celui qui constitue l’univers, au sens cosmologique du terme, pour faire surgir les images poétiques dans un état qui s’approche de celui du rêveur. « On rêve avant de contempler. Avant d’être un spectacle conscient tout paysage est une expérience onirique », écrit-il dans L’eau et le rêve (Bachelard, 1942 : 11). Fabriquées par une activité onirique, les images reflètent donc les structures profondes de l’esprit humain. Nous parlerons des différentes manifestations des quatre éléments dans le corps de notre analyse, mais comme hypothèse, nous pouvons avancer que, dans La Nuit de feu, les quatre éléments permettent au néophyte de parvenir à une transformation intérieure.
3.1 Un sentiment déclencheur
Malgré son enracinement dans la société française, Éric se sent tenu de partir. « Depuis un an, je cherchais ma place dans la vie, ma fonction, mon métier. Cette retraite au désert allait me permettre de progresser » (Schmitt, 2015: 42), avoue-t-il, tout confus. Ce serait ce sentiment d’inadaptation à la vie, cet état d’ignorance et de trébuchement, dans une société profane où « les intellectuels tolèrent la foi mais la méprisent » (Schmitt, 2015: 78) qui l’incite à partir. Il se sent invités d’une manière mystérieuse par des prémonitions intérieures. Sur la proposition d’un réalisateur, un metteur en scène de cinéma prénommé Gérard, il tente de retrouver les traces d’un grand mystique, Charles de Foucault, entré dans les ordres en 1890 et devenu un moine trappiste après avoir été officier de cavalerie. Charles de Foucault est aussi connu pour avoir exploré une partie du Sahara au sud de l’Algérie et du Maroc. Gérard et Éric ont décidé d’écrire un scénario sur la fin de la vie de ce mystique et de parcourir les endroits qu’il avait traversés avant de mourir, assassiné lors d’une révolte des Senoussis, en 1916, à Tamanrasset, une petite localité située dans la région montagneuse du Hoggar. Outre ce motif, Éric cherche la raison qui l’a amené à venir dans cette région. « Quelle aventure m’avait conduit au Sahara ? » (Schmitt, 2015 : 20), se demande-il. Une intuition obscure l’aurait guidé vers ce pays. Mais, peut-être a -t- il reçu un avertissement venu d’ailleurs. Il le ressent commet un phénomène semblable à un rêve, qu’il perçoit comme un message venu d’un monde supérieur, céleste : « les étoiles ruisselaient, proches, palpitantes, vivantes, à portée de main. L’infini me souriait. En une seconde, je flairai que j’avais rendez-vous avec l’exceptionnel » (Schmitt, 2015: 13), éprouve-t-il en regardant le ciel à travers la fenêtre de son hôtel. L’aventure à laquelle il s’attendait est vécue comme une évasion en dehors de l’existence ordinaire, habituelle. Une phrase dont le personnage ne connaît pas l’origine ne cesse de résonner en lui et revient comme un motif récurrent : « Quelque part, mon vrai visage m’attend » (Schmitt, 2015 : 39, 40, 42). Il ne cesse de penser à ce désir venu de ses propres profondeurs. L’auteur décrit cette aspiration en ces termes : « À l’évidence, je n’avais pas débarqué dans un pays inconnu, j’avais atterri dans une promesse » (Schmitt, 2015:14). Ce terme de « promesse » pourrait renforcer l’intention initiale du narrateur pour préciser la nature de ses sentiments. Il recouvre une signification religieuse. Il apparaît plusieurs fois dans la Bible dans différents contextes, par exemple, à propos de la promesse que Dieu fait à Abraham que, un jour, « toutes les nations de la terre seront bénies en ta postérité » (Genèse, 22.18). C’est cette vision claire, intuitive, d’avoir été touché par une aide supérieure, par la Grâce divine, qui l’entraîne.
3.2. Des conditions préparatoires
Les événements rapportés se déroulent en des contrées très éloignées cependant. Une fois son voyage entrepris, Éric est confronté à un monde étranger, déconcertant, dont la découverte semble être une condition nécessaire pour transcender sa situation et pour recevoir une révélation du sacré. Il est sensible à cet environnement troublant, mais aussi souvent bienveillant, et même complice parfois. Le désert dont il découvre des aspects très différents inspire des sentiments ambivalents chez le personnage de ce roman. C’est un mélange d’exaltation et de frayeur, d’attirance et de crainte. En avançant sur le chemin de son voyage, le héros décèle autour de lui la présence de nombreuses correspondances symboliques, parfois imperceptibles, entre le désert et lui-même. Le silence et l’absence sont pourtant les premières caractéristiques du désert dans ce récit. Les événements se déroulent en des endroits très isolés, loin de ce que l’on considère d’ordinaire comme la civilisation. Ces lieux sont présentés comme très étranges. Le désert du Sahara est décrit comme vide, sauvage et mystérieux. Il est dépourvu de vie et d’habitants : « il n’y avait rien d’autre qu’un sol sec de sable, de caillasse et de roches » (Schmitt, 2015 :7), constate ainsi Éric. La contemplation presque extatique du désert, ample et magnifique, invite à la méditation : « aux braises qui rougeoyaient encore, je repérai le campement, ne le lâchai pas des yeux en le gardant comme point de référence ; je n’avais pas l’intention de me perdre, j’avais juste envie de silence et de méditation entre le sable et les étoiles » (Schmitt, 2015 : 73). Ce silence du désert répondrait à un besoin intérieur chez le jeune homme qui, de formation philosophique, chercherait à y écouter l’indicible, « l’insondable mystère de Dieu » (Jankélévitch, 1983: 93). Les vocables « braises » et « rougeoyaient » s’inscrivent dans des catégories symbolistes utilisées pour représenter concrètement l’élément du feu comme moyen d’illumination et de purification. Elles participent à l’élargissement de la conscience du héros pour surmonter les ténèbres et voir clairement. Cette tentative fait référence à l’anéantissement de l’ignorance et à « la conquête de l'esprit qui prend peu à peu conscience de sa clarté » (Bachelard, 1943 :72).
Le désert est aussi présenté comme un lieu privilégié, un refuge plein de tranquillité et de sérénité où l’homme peut se livrer à un retour sur lui-même, à un exercice d’introspection. C’est un miroir qui reflète les différentes dimensions de l’être humain, tel qu’il est : « Un à un, le désert pointait mes défauts » (Schmitt, 2015 : 91), remarque le narrateur en prenant conscience de ses impuissances et de ses faiblesses. C’est aussi à la description d’un lieu aux frontières de l’être, d’un océan de dunes, de cimes et de pierres que le texte de La Nuit de feu est consacré. Cet espace provoque chez Éric une émotion de l’infini: « Une fois arrivé au sommet, une joie abyssale me submergea. Le toit du Sahara …L’infini devant, derrière, sur les côtés, […] je jouissais de voir, de humer, d’exhaler » (Schmitt, 2015: 121). Le néant est partout présent. L’immensité des espaces désertiques où le rien règne paraît fasciner le narrateur. Son spectacle splendide ne le lasse pas : « nous observions la terre à l’infini » (Schmitt, 2015: 97). L’observation du désert engendre en lui des moments d’enthousiasme et devient une ascèse quotidienne. L’explication de cette grâce est donnée ensuite. Elle tient à cette connivence entre les sables du désert et lui-même : « Je gisais, poussière au milieu de l’immense » (Schmitt, 2015: 89), note le personnage. Tous les deux, le sable et le personnage, formés de la même matière terrestre, sont les microcosmes au sein des macrocosmes. Le terme « infini » et ses variantes : « immense », « grandiose », sont récurrents dans le récit. C’est une métaphore de l’expansion intérieure qui permet de s’affranchir de l’impossible.
La traversée du désert constitue aussi une expérience effrayante pour le personnage du récit. Il veut franchir un massif que « les caravanes arabes évitaient car elles l’appelaient le pays de la soif et de la peur » (Schmitt, 2015: 119). Cette scène nous rappelle du même coup, la traversée dangereuse du désert par Moïse et son peuple en vue d’atteindre la terre promise, la félicité, d’où sa portée symbolique, archétypale et religieuse. Dans La Nuit de feu, Donald, leur guide américain met Éric et ses compagnons de voyage en garde contre les dangers que l’on risque d’affronter dans le désert: « je suis votre chef, il faudra m’obéir. Sinon…Il désigna un crâne de chèvre qui gisait au milieu de touffes d’herbes… .Vous finirez comme ça » (Schmitt, 2015 :29). Éric connaît des états épouvantables, imposés par le caractère imprévisible du désert. Au début de son récit, il se plaint de la chaleur, de la fatigue et de l’insomnie. Il était distrait alors qu’il aurait dû prêter une plus grande attention aux informations que le guide donnait. Il se moquait des appréhensions que ses compagnons de voyage manifestaient. C’était un moyen d’échapper à la peur, inhérente à qui prend conscience de ses limites. Il finit par avouer ses inquiétudes. « M’abandonner au sommeil dans cet environnement menaçant ? » (Schmitt, 2015:50), s’interroge-t-il, angoissé. Il continue d’être hanté par des rêveries horribles et par des cauchemars : « J’eus peur. Peur de la nuit. […] Je craignais le scorpion qui se nicherait au creux de mes chaussures durant la nuit », continue-t-il. Le monde extérieur, si hospitalier jusqu’alors, change complètement de signification. Il est devenu un univers hostile avec lequel le voyageur ne possède plus aucune espèce de relation d’intimité. La solitude, le désespoir, la désolation, la mort sont autant d’épreuves et de sources de souffrances qui paraissent dépasser le courage d’Éric.
Il semble que le désert fascine Éric-Emmanuel Schmitt en raison de cette conciliation de ces deux aspects contraires du divin. Cette description d’un état affectif double, bipolaire, est évoquée par Rudolf Otto dans Le Sacré. Selon lui, loin de se manifester comme univoque, l’expérience de ce qu’il appelle le « numineux » apparaît très ambiguë : d’un côté, le numineux, le sacré, implique une sensation d’effroi devant une puissance démesurée, supérieure ; d’un autre côté, il est une crainte, une appréhension, par laquelle s’expriment des forces d’attraction vers quelque chose d’extraordinaire, de solennel. Autrement dit, « l’analyse du sacré révèle donc une profonde ambivalence, un couple de sentiments d’attraction et de répulsion, de plaisir et de peine » (Wunenburger, 2009 :9). Cette réaction ambivalente est rapportée clairement par Éric-Emmanuel Schmitt à propos de ses expériences nocturnes : « La nuit, qui m’avait tant effrayé la veille, m’attendait, telle une récompense au bout du chemin » (Schmitt, 2015 : 57). Le personnage qui explore le désert durant la journée ne cesse pas de le faire non plus pendant la nuit. Éric est émerveillé lorsqu’il constate que, « quoique plat, le désert nous élevait jusqu’aux cieux » (Schmitt, 2015: 65). Les paysages nocturnes du Sahara l’invitent à des méditations métaphysiques. Le désert en est un guide muet. La nuit semble être surchargée de sacralité et l’obscurité devient un emblème de secrets mystérieux et d’événements imprévus dans ce récit. L’absence de bruit, le calme et la sérénité pendant la nuit suscitent une émotion sacrée. On se trouve au seuil d’un mystère. Le cadre désertique en est le réceptacle. Le désert, intimidant et exotique au début de cette aventure devient ainsi bienveillant et complice au fur et à mesure que le récit progresse. C’est une présence salvatrice, agissante. Cette transformation du désert suit les étapes de différentes enquêtes que mène Éric au cours de son aventure respective. Il est devenu un observateur attentif de tout ce qui l’entoure et il se transforme en un explorateur.
3.3. Des explorations intériorisées
La sagesse qui est entrevue à travers ce spectacle du désert incite le personnage à poursuivre son enquête. Il va entreprendre d’autres explorations, parallèles ou complémentaires, qui sont plus intériorisées. Toutes vont essayer d’en révéler un double but : l’identité et la transcendance. Ces explorations sont décrites comme une descente à l’intérieur de soi. Éric éprouve d’abord une sensation de devenir étranger à lui-même : « Moi… Qui était-ce, moi ? » (Schmitt, 2015: 21), se demande-t-il avec anxiété. Le « je » du narrateur promène son regard sur son monde intérieur, en se parlant de ce « moi » qui est le foyer de toutes les perceptions et le lieu vers lequel convergent toutes ses réflexions. Cette instance s’exprime à la troisième personne, en révélant peut-être une espèce de dissociation du sentiment de l’identité : « Je ne me reconnaissais pas », observe-t-il encore. Éric subit une évolution intérieure illustrée par un mouvement d’ascension verticale qui représente symboliquement le passage des ténèbres du monde profane à la lumière du monde sacré. Une image traduit ce principe ascensionnel : « nous franchissions des portes qui nous amenaient vers le ciel » (Schmitt, 2015: 120). Gaston Bachelard, dans L’air et les songes: essai sur l’imagination du mouvement, exprime que le ciel est une substance aérienne et tente de traduire l’aspiration à l’ascension : « tout nous porte vers les hauteurs, les nuages, la lumière, le ciel puisque nous volons intimement, puisqu'il y a du vol en nous » (Bachelard, 1943 : 61,62).
Dans La Nuit de feu, le narrateur, ravi d’être parvenu au sommet du mont Tahat, le plus haut sommet du Hoggar, transpose ses sensations de cette manière : « je marchais, je sautais, je m’élançais, je galopais […] Je déboule durant des heures. Des heures qui filent comme des minutes. Aucune fatigue ! » (Schmitt, 2015 : 123). En escaladant ce mont, le narrateur éprouve un sentiment d’apesanteur en lui-même. Plus il avance vers le sommet, plus il retrouve l’énergie qui stimule le désir d’accéder à un ailleurs. Les mouvements de montée et de sauts d’Éric, semblables à l’envol de l’oiseau, s’inscrit ainsi dans le dynamisme ascensionnel. Dans son parcours, Éric « fixait un aigle qui virait au zénith, juste au-dessus de l’oued » (Schmitt, 2015: 119). La présence de ce rapace ailé a une grande valeur symbolique. Comme Jean Chevalier et Alain Gheerbrant l’expliquent dans le Dictionnaire des Symboles, les oiseaux sont des messagers et des intermédiaires entre le ciel et la terre (Chevalier, 1997 :695). Éric-Emmanuel Schmitt a choisi une espèce d’oiseaux de proie qui a joué un rôle spécial dans les différentes mythologies et les religions. Dans la mythologie grecque, l’aigle est un emblème de Zeus, le dieu de la puissance et de la supériorité. Dans les sociétés chamaniques, cet oiseau de proie est un animal totémique, un être supérieur, surnaturel, qui est considéré comme l’ancêtre symbolique d’un clan ou d’une tribu. Dans les créations artistiques du Moyen-âge, l’aigle s’identifie parfois au Christ et il exprime l’Ascension, l’élévation au ciel de Jésus-Christ. Le livre des Psaumes y fait allusion dans la Bible pour sa puissance régénération spirituelle. Pour Bachelard, des images comme celles d’un envol ou d’ailes d’oiseau, sont empruntées au registre de « l’énergie qui donne légèreté et allégresse » (Bachelard, 1943 : 107). Selon ce critique, elles « sont des opérations de l’esprit humain dans la mesure où elles nous allègent, où elles nous soulèvent, où elles nous élèvent » (Schmitt, 2015: 52). L’oiseau par son vol incarne l’air et provoque l’être à la libération et à l’ascension. Le néophyte arrive à une étape de son processus où il désire davantage de hauteur. Une autre image symbolique, issue de l’élément aérien, qui renvoie à l’existence de ce dynamisme ascensionnel et de ces désirs d’élévation, c’est le vent. C’est le vent Paraclet, le Saint-Esprit, une puissance d’intercession ou de consolation. Il évoque d’abord la mobilité. Il est ensuite le symbole d’une toute-puissance supérieure. C’est le dieu Éole, le maître des vents dans la mythologie antique, par exemple. Dans La Nuit de feu, le vent est doté de cette même caractéristique pour Éric : « Pas moyen de s’installer. Le vide nous attirait et le vent nous secouait » (Schmitt, 2015 :128), dit-il. Ce vent faciliterait les tentatives pour s’élever spirituellement. Il provoquerait des transes en lui.
Un autre mouvement apparaît aussi, celui de la descente : « exalté, je commençai à descendre » (Schmitt, 2015: 123), s’exprime Éric avec délice. Bachelard considère que cette chute, illustrée par l’image de la descente, évoque symboliquement une envie de se tourner vers ses propres profondeurs intérieures. Elle « constitue le "voyage en soi", le "voyage imaginaire" le plus réel de tous, celui qui engage notre substance psychique, celui qui signe d'une marque profonde notre devenir psychique substantiel » (Bachelard, 1943 : 33). En ce retour en soi, le narrateur parvient jusqu’à ce qui en serait le stade embryonnaire, jusqu’à la matrice originelle, la vie utérine, le lieu où l’individu a été créé. Le terme n’est pas cité directement dans le récit mais une image la matérialise d’une manière métaphorique : pour se protéger du froid du désert pendant la nuit, Éric se « cale entre des rochers qui gardent la mémoire du soleil » (Schmitt, 2015 : 128) et il y enfouit son corps jusqu’à ce qu’il se transforme aussi en une matrice : « J’ai souhaité me rouler en fœtus sur le côté » (Schmitt, 2015:132), reprend-il. Ce lieu clos renvoie à un même archétype, celui de la mère, d’une Grande Mère cosmique ou tellurique, une image première, matricielle, à l’origine des processus d’individuation. Éric trouve un refuge semblable à l’intérieur de l’élément terrestre, comme s’il retrouvait le ventre maternel. Il fait aussi l’expérience d’une mort symbolique, qui « est symbolisé », selon Mircea Eliade, « par les ténèbres, par la Nuit cosmique, par la matrice tellurique, la cabane, le ventre d'un monstre, etc. Toutes ces images expriment plutôt la régression à un état pré-formel […]. Ces images et symboles de la mort rituelle sont solidaires de la germination, de l'embryologie : ils indiquent déjà qu'une nouvelle vie est en train de se préparer » (Eliade, 1959 : 18). Cette mort qui vise à un éveil spirituel chez le néophyte aura des influences radicales sur sa vie future. À ce geste de s’ensevelir dans le sable pourrait être conférée une autre signification symbolique. La terre recouvre ici un aspect purificateur. Dans la religion islamique, la terre peut remplacer l’eau pour l’ablution, c’est-à-dire, l’acte rituel par lequel on se purifie avant de faire la prière, lorsqu’on n’a pas accès à l’eau. Les images de la terre paraissent dominer l’imaginaire d’Éric-Emmanuel Schmitt en raison de l’abondance de référence à cet élément sous forme de sable, de pierre, de montagne, etc.
Cet élément, l’eau, surenchérit aussi sur la description de l’évolution du narrateur. D’après Gaston Bachelard dans son essai sur L’Eau et les Rêves, paru en 1942, l’eau est « un destin essentiel qui métamorphose sans cesse la substance de l’être » (Bachelard, 1942 : 17) et qui le purifie comme la terre. Pour Éric, l’eau est indissociable de la régénération et de la purification. Dans La Nuit du feu, l’eau apparaît aussi bien dans sa forme originelle, une source, que par des substituts. Un jour de randonné dans le désert, le narrateur poursuivant Abayghur, dissimulé aux yeux des autres compagnons de voyage, est invité à boire l’eau d’une source « transparente, lisse, onctueuse » (Schmitt, 2015 : 84). À travers cette source, apparaît le motif de la naissance qui parcourt le roman. Elle donne vie à une rivière. Éric manifeste un émerveillement extrêmement solennel une fois qu’il en but : « je m’abreuvai avec une sorte de respect sacré, le sentiment de m’initier à un mystère, la boisson, cet incommensurable cadeau » (Schmitt, 2015:84). Le narrateur fait de cette source une sorte de divinité en utilisant le mot « sacré ». On voit à nouveau affleurer un imaginaire de type mythologique. C’est dans les récits mythologiques que l’on révère ainsi les sources. L’allusion au dieu Poséidon se révèle à travers des signes. De plus, la source d’eau est présentée comme une récompense, ce qui fait du narrateur un être à part, car il est élu pour recevoir l’eau en cadeau. Il ressent d’une manière prémonitoire qu’il va bientôt s’élancer vers une aventure religieuse, il lui faut alors une purification des péchés commis. Quand Éric, épouvanté par l’espace inconnu du désert, a du mal à s’endormir, Abayghur lui sert du thé à la menthe et de la tisane à l’armoise. « Pour l’imagination matérielle, tout liquide est une eau » (Bachelard, 1942 : 139), affirme à ce propos Gaston Bachelard. Ce dernier en décrit ainsi les sensations olfactives et les significations qui y renvoient : « l’odeur de la menthe aquatique appelle en moi une sorte de correspondance ontologique qui me fait croire que la vie est un simple arôme, que la vie émane de l’être comme une odeur émane de la substance, que la plante du ruisseau doit émettre l’âme de l’eau » (Schmitt, 2015:18). Ces tisanes produisent en Éric une sensation de calme et de paix et lui procurent le sommeil. L’eau possède ainsi un rôle vital et permet au protagoniste de reprendre le cycle de la vie.
Dans ce cheminement, l’évolution se termine par l’apparition d’un sentiment de renaissance intérieure. Une fois de retour du Hoggar, Éric semble aussi accéder à une nouvelle naissance. « Je suis né deux fois : une fois à Lyon en 1960, une fois au Sahara en 1989 » (Schmitt, 2015: 178), avoue-t-il. Cette altérité est une alliance avec un autre. C’est la prise de conscience de la maturation de la personnalité, de l’achèvement de l’ignorance et de l’entrée dans l’univers des valeurs religieuses. L’expérience du désert lui a permis d’être « un être nouveau, totalement différent de celui qui avait entrepris la périlleuse quête initiatique » (Vierne, 2013 : 48). Chez lui, se plonger dans la lecture des grands textes sacrés et des poèmes mystiques de toutes inspirations religieuses qui aboutissent à la création de nombreuses œuvres littéraires à grand succès, et être ainsi arraché de sa vie passée en abandonnant sa carrière universitaire pourraient être interprétés comme le commencement d’une nouvelle vie sociale et spirituelle. C’est dans l’épilogue de Mes évangiles, paru en 2004, qu’il en fait part (Schmitt, 2004 : 10-11). Il est devenu l’Autre en subissant une transformation dont il décrit ainsi la nature : « inépuisable, cette nuit de feu continue à modeler mon corps, mon âme, ma vie, tel un alchimiste souverain qui n’abandonnera pas son œuvre » (Schmitt, 2015: 183). C’est une transmutation psychique, un changement fondamental aussi bien au niveau physique qu’à celui moral et caractériel qui permettent au personnage un accès à l’unité. D’après Gaston Bachelard, « ce qui a reçu l’épreuve du feu a gagné en homogénéité, donc en pureté » (Bachelard, 1949 :169).
En éprouvant ce sentiment de ne plus faire qu’un avec l’Univers, le personnage se découvre une autre perception de soi. Il arrive à accéder à l’immortalité dans un mouvement de la montée vers le Ciel. « Une nuit sur terre m’a fait pressentir l’éternité » (Schmitt, 2015: 183), commente-t-il. Il dépasse l’emprisonnement du temps alors que, au début du roman, il errait entre deux temporalités. « Je ne suis qu’une seconde entre deux éternités », constate-t-il. Le désert où Éric est resté isolé pendant un certain temps ressemble ainsi au laboratoire d’un alchimiste qui lui aurait permis de réaliser une opération alchimique, car « les métaux, comme les êtres humains, étaient des choses terrestres avec un potentiel céleste » (Tresidder, 2002 : 226). Il serait parvenu au terme de la quête de lui-même.
Une autre recherche fait jour : celle de la transcendance. Éric ne s’émerveille pas du tout en observant l’étendue désertique qui s’étend devant lui. Il n’y discerne pas l’existence d’une transcendance supérieure. Une sorte de négation à l’égard de l’existence de Dieu se manifeste au départ chez lui : « Où était-il ce Dieu ? », s’interroge-t-il. « Il restait indiscernable à partir de sa prétendue création. La nature ne parle ni de lui ni pour lui » (Schmitt, 2015: 102), ajoute-t-il aussi. Dans ce roman, la question demeure sans réponse. En maints passages, c’est plutôt une position agnostique qui s’exprime. Dans son esprit, les mythes, les dieux ou Dieu, deviennent ensuite une pure invention de ceux qui « ne supportent pas l’ignorance » (Schmitt, 2015:68). Ce serait une illusion, une idée trompeuse inventée par les êtres humains afin de justifier. La satire devient plus vive. Selon lui, en Occident, de très nombreux philosophes et savants ont discuté très librement de l’existence de Dieu ou des dieux, soit pour la remettre entièrement en cause, soit pour la défendre. Mais, la question demeure ouverte, car ils n’ont pas pu résoudre ce mystère. Issu d’une famille athée, influencé par des penseurs tels que Friedrich Nietzsche, Jean-Paul Sartre, Søren Kierkegaard, Gottfried Leibnitz, qui ont nié d’une manière plus radicale l'existence de Dieu, son athéisme a atteint une sorte de paroxysme. « Étudiant, je ne croyais qu’à la raison dont j’attendais tout, je vivais dans une espèce d’impérialisme rationnel, avec la volonté que la philosophie soit définitive » (Kareh Tager, 2004), a-t-il révélé dans un entretien accordé au journal Le Monde des religions. Le narrateur professe parfois un athéisme très agressif au cours de ses discussions avec ses compagnons de voyage sur des sujets métaphysiques, et critique volontiers les différents dogmes scientifiques et religieux des grandes religions. C’est ce qui apparente le récit d’Éric-Emmanuel Schmitt à un essai philosophique. La présence imperceptible de Dieu n’est pas discernée par Éric.
Entièrement convaincu par l’athéisme dialectique, il nie toute tentative de « quête de Dieu» (Schmitt, 2015: 102), mais il connaît une sorte de communion avec le sacré qui suit un processus dont les différentes phases sont décrites à travers des images et des descriptions assez évocatrices. L’expérience de transe est accompagnée par celle de l’absolu, c’est-à-dire celle du dépassement des limites de soi dans l’espace et dans le temps dans un phénomène de dédoublement et d’expansion du corps, et de fusion avec l’espace, ce qui engendre en lui un état de « paix » et de « suavité » que les mots arrivent à peine à exprimer : « les mots, ces pauvres mots, n’offrent pas la porte d’accès à ce que je vis […] je pénètre dans l’au-delà du monde » (Schmitt, 2015: 134). Sur le mode de l’ascension, il se retrouve dans un autre monde, au-delà du monde ordinaire, où il entre en contact avec le sacré : « la force fonce. Je me laisse prendre. Elle me pénètre le corps, l’esprit. Me voici irradié. […] cette énergie inébranlable, indomptable, à l’œuvre dans l’univers, je m’absorbe en elle » (Schmitt, 2015:134). C’est une communion avec l’énergie cosmique, la puissance divine, celle qui relie la nature à tous les êtres terrestres et universels et qui est à l’origine d’une création en perpétuelle régénération : tous les êtres, toutes les choses naissent et renaissent sans cesse pendant la durée du cycle cosmique de l’union avec la nature. Le sacré se traduit ainsi, dans le texte, directement par le recours à la métaphore de la lumière et du feu. « J’épouse la lumière […] J’embrasse… J’embrase… Flamme. Je suis flamme […] Soleil ardent. Je brûle, je fusionne, je perds mes limites, j’entre dans le foyer. Feu… » (Schmitt, 2015:134-135), déclare-t-il, en précisant plus loin dans le récit que « je devrais probablement le baptiser Dieu. Ou Feu… Dieu ? Pourquoi pas… Oui, disons Dieu ! » (Schmitt, 2015:138). Le verbe « épouser », utilisé dans ce sens figuré, serait la forme la plus significative de l’alliance qui pourrait s’établir avec le divin. L’image du sacré représenté sous la forme du feu paraît provenir des croyances religieuses occidentales et orientales. Il correspond souvent à la révélation divine. Dans le christianisme, Dieu montre sa présence à Moïse, « sous la forme d’un buisson ardent » (Exode 3, 2), sur le mont Sinaï, situé au Nord-Est de l'Égypte, ce qui est confirmé aussi dans le Coran. Gaston Bachelard, dans son œuvre posthume, Les fragments d’une poétique du feu, déclare que le feu se manifeste d’une manière très concrète dans les productions littéraires à l’image du phénix, l’oiseau fabuleux, capable de renaître de ses cendres après avoir été brûlé. (Bachelard, 1988 : 61). Dans une autre œuvre, La psychanalyse du feu, il précise que « seuls les changements par le feu sont des changements profonds, frappants, rapides, merveilleux, définitifs » (Bachelard, 1949 : 102). Les rêveries en rapport avec le feu se réfèrent donc à un renouvellement évident. Dans La Nuit de feu, le symbolisme du feu contenu dans le titre du récit aurait la signification de la résurrection et de l’immortalité, ce qui est une incarnation du mythe de Phénix. Le passage par le feu semble constituer une étape essentielle pour Éric, le novice, pour qu’il acquière une nouvelle naissance. Le fait de s’unir avec le sacré en ayant recours au feu est très significatif. Le narrateur de La Nuit de feu semble s’assimiler à un prophète et se situe dans la lignée des messagers inspirés. Après cette expérience de communion, le narrateur exprime son sentiment de cette manière : « la confiance du croyant offre une façon d’habiter le mystère » (Schmitt, 2015: 181). Il paraît avoir acquis une connaissance nouvelle. Il aurait ouvert des portes vers des mystères perdus. Chez Éric, il s’agit d’une attitude théiste, gnostique, fondée sur une croyance en une révélation intérieure de l’existence d’un dieu mythologique situé entre déisme et une force vivante, sacrée, confusionnelle, indifférenciée qui est dans tout.
Conclusion
La Nuit de feu d’Éric-Emmanuel Schmitt aborde ainsi l’histoire de la découverte de la foi chez le héros, Éric, le narrateur dont l’identité se confond avec celle de l’auteur. La lecture de ce roman rappelle un modèle de construction qui a été éventuellement réfracté chez l’auteur par les œuvres de Mircea Eliade et de Simone Vierne. Il s’agit d’une matrice narrative qui serait caractéristique des récits spirituels. Le personnage est sensible à un appel mystérieux surgi des profondeurs de son être et décide de partir pour un long voyage, à la découverte du monde, au bout duquel il arrive à une maturation spirituelle. Le cheminement prêté à lui est constitué des étapes. Il est animé par une volonté d’évasion et de transformation. La nature, le désert traduit aussi ce même phénomène de métamorphose intime. Le héros est parti à l’aventure et se retrouve dans des situations imprévues. Il en est quelquefois très étonné. Il apprend aussi à déceler et à apercevoir de secrètes correspondances entre le désert et son état d’âme intérieur. L’action se déroule en un lieu isolé, dans le désert du Sahara, quelque part en Afrique. C’est un lieu métaphorique, sacré. Eloigné du monde profane, le personnage éprouve en son for intérieur un sentiment du désert qui lui paraît simultanément menaçant et prévenante. C’est en son sein, devant son spectacle, qu’il connaît une fusion divine. Les sensations d’altérité, de devenir un autre, sont le résultat d’un emportement, d’une sorte d’accès d’ivresse. Les mots et les images sont organisés selon des réseaux de correspondances symboliques, qui révèlent et masquent en même temps les références mythologiques et religieuses pour décrire cette évolution et y donner une vision poétique. Le lien entre les quatre éléments de la nature avec ce sentiment d’une transformation de soi ont été mis en évidence. En dépassant la frontière entre l’air, la terre, l’eau et le feu et en les réconciliant, le héros parvient à une unification intérieure au terme de son parcours. Les étapes d’une enquête alchimique se trouvent ainsi éclairées. C’est d’abord une tentative d’introspection, de repli sur soi, puis une révélation du sens de la quête qui interfère et qui entre en relation avec une autre quête, celle de Dieu. Il ne s’agit pas à proprement parler de Dieu théologique, mais plutôt le personnage principal de ce roman, Éric, est saisi par une ferveur, une émotion, une puissance vertigineuse qui l’exalte et qui l’entraîne jusqu’au seuil de l’absolu. C’est une expérience spirituelle qu’il vit puisqu’elle se sépare ainsi de l’expérience profane.