نوع مقاله : مقاله پژوهشی
نویسندگان
1 کارشناسی ارشد، گروه زبان و ادبیات فرانسه، دانشکدۀ زبانهای خارجی، دانشگاه اصفهان، ایران
2 دانشیار، گروه زبان و ادبیات فرانسه، دانشکدۀ زبانهای خارجی، دانشگاه اصفهان، ایران
چکیده
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موضوعات
Introduction
L'un des domaines les plus importants dans les études littéraires de la seconde moitié du XXe siècle, la critique littéraire féministe cherchait toujours à défendre l'égalité des droits pour toutes les femmes dans tous les domaines de la vie (Bressler, 2011 :144). La pensée féministe résiste à la catégorisation en écoles de pensée ordonnées, mais elle est assez ancienne pour avoir une histoire complète avec un ensemble d'étiquettes : libérale, radicale, marxiste/socialiste, psychanalytique, centrée sur les soins, multiculturelle/globale/coloniale, écoféministe et postmoderne/troisième vague, etc.
Certes, cette liste de labels est incomplète et très contestable. Cependant, il paraît que les vieilles étiquettes de la pensée féministe restent plus fréquentes dans l’usage. Elles signalent au public que le féminisme n'est pas une idéologie monolithique et que toutes les féministes ne pensent pas de la même manière. Les étiquettes aident également à marquer la gamme d'approches, de perspectives et de cadres différents qu'une variété de féministes ont utilisés pour façonner à la fois leurs explications de l'oppression des femmes et leurs propositions de solutions pour son élimination (Tong, 2009 :1).
Historiquement, la géographie a joué un rôle important dans la détermination des intérêts majeurs des différentes voix du féminisme, ayant émergé : américain, britannique et français (Bressler, 2011 :153). Pourtant le féminisme français est étroitement lié aux applications théoriques et pratiques de la psychanalyse autant de celle de Sigmund Freud que de Jacques Lacan (Bressler, 2011 :155). Hélène Cixous, féministe et écrivaine française, et Julia Kristeva, écrivaine française d’origine bulgare sont considérées comme les pionnières du féminisme français. Immergées profondément dans les théories poststructuralistes de Derrida et nourries par le psychologisme de Freud et de Lacan, Cixous estime que la littérature masculine est basée sur des contrastes binaires, et dans ces contrastes, un pôle est toujours supérieur à l'autre. Elle évoque dans son article éminent Le Rire de La Méduse (1975) que les hommes sont traités toujours de ce qui est positif et les femmes sont connues par des qualités négatives. Cette idée de suprématie masculine a largement inspiré les œuvres romanesques féministes.
Parmi les écrivains contemporains, les œuvres de Chloé Delaume se situent bien dans le cadre des œuvres dites féministes où elle a créé un espace langagier dans lequel elle parvient à briser les codes linguistiques existants dans le système patriarcal.
Nathalie-Anne Abdallah, dont le nom est francisé et devenu Nathalie Dalain, dès l’installation de la famille en France est née en 1973. Connue ensuite sous le pseudonyme de Chloé Delaume, elle écrit depuis deux décennies sous de multiples formes et genres littéraites, du roman d’autofiction à la fiction romanesque en passant par les fragments poétiques et le manifeste. La caractéristique essentielle de ses œuvres s’avère être la forte présence de la voix des femmes. En effet, en créant les espèces imaginaires et avec l’arme de rigolade, Delaume essaie de réveiller les femmes, et pour ce faire, elle critique la société patriarcale et les violences perpétrées à l’égard des femmes. A travers ses œuvres polémiques, elle insiste toujours sur la solidarité et la sororité, afin d’arriver à l’égalité homme-femme et à un changement total de l’image des femmes dans la société.
Cette présente étude entend examiner l’enjeu du féminisme dans l’histoire et l’écriture des deux œuvres de Chloé Delaume, Les sorcières de la république et Le cœur synthétique selon la théorie des oppositions binaires d'Hélène Cixous. Nous tenterons de répondre à ces questions : Quelle représentation a donné Delaume, du statut de la femme dans la société ? Comment ses personnages reflètent-ils les valeurs du féminisme ?
La réponse à ces questions nous mènera d’une part, à analyser le point de vue de l’écrivaine sur le féminisme contemporain à travers la thématique de la sororité qui est assez fréquente dans ses romans et d’autre part, à étudier les aspects individuels et sociaux du féminisme que reflètent les œuvres de cette écrivaine.
Le mouvement féministe et son impact sur les études linguistiques et littéraires
Le féminisme, en tant que le mouvement social, cherche à changer les structures sociales, culturelles et politiques suivant le principe de l'égalité des sexes. En d’autres termes, le féminisme est une lutte pour mettre fin à l'oppression sexiste (Hooks, 1984 :26). Compte tenu de l'ampleur de ce mouvement, la théorie féministe n’est pas un concept unique et comprend de nombreuses perspectives dont chacune tente de présenter une description concernant l’oppression des femmes et, de prescrire, en expliquant ses causes et ses conséquences, des stratégies pour en débarrasser les femmes (Tong, 2009 :1).
Le parallélisme des sciences fait que de nombreux penseurs féministes suivent l'une des sectes libérale, marxiste, psychanalytique, socialiste ou existentialiste dont chacune s’avère être une réponse partielle et transversale au problème des femmes. Mais toutes ces pensées féministes se forment dans le contexte de courant moderne dans lequel tous les concepts ont des définitions fixes et universelles.
Alors qu’une grande partie de ces définitions émerge de la couche des femmes privilégiées (bourgeoise et blanche), donc les perspectives sur la réalité incluent rarement la connaissance et de la vie des femmes et des hommes qui vivent en marge. En conséquence, la théorie féministe manque d'intégralité, manque d'une analyse large qui pourrait englober une variété d'expériences humaines (Hooks, 1984 :10).
A cet égard, dans les années 1980, le féminisme a pris la forme d'une opposition ouverte au modernisme, et ses méthodes et théories ont fourni des alternatives à l'évolution du modernisme. Insistant sur le principe du pluralisme et de la différence humaine, le féminisme empêche le féminisme postmoderne de fournir une définition cohérente et universelle des concepts, et il apparait dans ce domaine aussi, une « incrédulité à l’égard des métarécits » selon Lyotard (1979 : 7). En effet, ils s'attaquent à une causalité stricte qui mènerait d'une origine à une fin (Derrida, 1988 : 54). Ainsi les féministes, comme les postmodernes, ont cherché à développer de nouveaux paradigmes de critique sociale qui ne reposent pas sur des fondements philosophiques traditionnels. Ils ont remis en cause le projet philosophique dominant parce qu’ils estiment que les croyances universelles sont non seulement inacceptables, mais seront elles-mêmes les fondatrices de nouvelles oppressions des femmes (Nicholson, 2013 :6).
L'un des concepts universels à la disposition des hommes, c’est le système de langage. Au cours des derniers siècles, le système de langage, en tant que système universel qui fonctionne au service des hommes et pour la plupart du temps, contre les femmes, a fait l’objet d’une grande attention de la part des intellectuels. À cet égard, les intellectuels poststructuralistes comme Jacques Derrida, Julia Kristeva, Hélène Cixous et certains d’autres ont accordé plus d'attention à la façon dont les mots et les expressions expriment des concepts qu'à ce qu'ils signifient. Cependant, les stratégies des déconstructionnistes tentent de montrer comment de telles oppositions, pour se maintenir en place, sont parfois amenées à s'inverser ou à s'effondrer, ou ont besoin de bannir aux marges du texte certains détails insignifiants qui peuvent être amenés à revenir (Eagleton, 1996 :115).
D’ailleurs, Derrida, le philosophe de la déconstruction, rappelle bien que même la métaphysique occidentale se base sur les oppositions, et il mentionne également que tous les métaphysiciens, de Platon à Rousseau, de Descartes à Husserl, ont procédé ainsi : le bien avant le mal, le positif avant le négatif, le pur avant l’impur, le simple avant le compliqué, l’essentiel avant l’accidentel, l’imité avant l’imitant, etc. (Derrida, 1990 :174).
Hélène Cixous souligne la nature hiérarchique de la relation entre les oppositions binaires dans le langage. Selon elle, le langage révèle ce qu'elle appelle la pensée binaire patriarcale, qui pourrait être définie comme une vision du monde en termes d'opposés polaires, dont l'un est considéré comme supérieur à l'autre. Prenons le cas de tête/cœur, père/mère, culture/nature, intelligible/palpable, soleil/lune, activité/passivité (Tyson, 2006 :100). Cixous se demande alors où se positionne la femelle dans cette structure. La réponse est que la femelle tombe toujours du côté droit de la structure binaire. À savoir, la femme représente toujours le cœur, la mère, la nature, le palpable, la lune et la passivité. Elle ajoute également que la structure sociale considère les femmes comme passives et les hommes comme actifs en raison de la norme qui dicte que les hommes et les femmes sont de sexes différents (Tyson, 2006 :100). Il est clair que Derrida et Cixous regardent les oppositions binaires d'un point de vue hiérarchique dont les représentations se manifestent dans le langage aussi bien que dans la société. En profitant également des concepts de Lacan, Cixous a développé sa critique et l’a mise en opposition au discours phallogocentrique. En effet, Lacan appelle ce système de langage fondé sur les oppositions binaires, « l'univers phallogocentrique » dans lequel les hommes sont maîtres de la parole. Ainsi, Cixous met en avant ce qu'on appelle l'écriture féminine comme une forme psychiquement libératrice du discours féminin (Guerin et al, 2005 : 228).
Il est donc intéressant de voir comment l’écriture féminine exige de mettre en cause ces oppositions pour faire avancer les objectifs du féminisme.
Chloé Delaume, une écrivaine féministe
L’une des écrivaines majeures de la littérature française contemporaine, Chloé Delaume a exploité au cours de plus de vingt ans de sa carrière littéraire, tous les genres et les champs de la fiction. Si l’écriture du « je » s’imposait au début, mais la tendance vers les questions sociales ne sont pas non plus ignorées, dans la mesure où la publication de Les Sorcières de la République (2016) et Mes bien chères sœurs (2019) l’ont fait connue dans les milieux littéraires, comme une grande écrivaine féministe contemporaine (Cornelio, 2020).
Cette autrice féministe dépeint dans sa dystopie, Les sorcières de la république, un tribunal en 2062 qui, selon l’ordre du président de l’époque, est formé pour clarifier les événements de 2017 à 2020 survenus en France. Les déesses de l'Olympe sont venues sur la terre en 2012 pour empêcher l'apocalypse. Bien que l'apocalypse n’ait pas eu lieu, les déesses ont réussi à amener les femmes au plein pouvoir, en formant une communauté appelé Le Parti Du Cercle, mais cette communauté ne dure plus, au point qu’en 2020, les gens décident d’une amnésie collective pour oublier ces trois ans du pouvoir absolu des femmes. Au tribunal, une prophétesse appelée Sibylle, en tant que chef de ce parti, décrit la situation de cette période pendant cinq jours et nuits.
Delaume apporte dans son roman, des histoires mythiques et celle de la création mentionnée dans la Bible avec une légère modification. Elle les réécrit avec un regard féministe et pour ce faire, elle tente d’examiner la racine de l'oppression des femmes depuis le début de la création. Dans chaque partie du roman, Delaume raconte l'histoire de l'une des déesses de la bouche d’une prophétesse nommée Sibylle, qui dépeint l'histoire du rejet et de la négligence de chacune et montre leur motivation à former un gouvernement centré sur la liberté des femmes. Mais les femmes veulent se venger des hommes et abuser de leur pouvoir. Celles qui persécutent les hommes, règnent une telle atmosphère dans la société, qui conduit finalement tout le monde à ramener le pays à son état d'origine.
La thématique se répète, mais d’une autre manière, dans son dernier roman autofictionnel, intitulé Le cœur synthétique où, Chloé Delaume, raconte l'histoire d'une femme appelée Adélaïde et attachée aux maisons d’éditions, qui divorce à la veille de la seconde moitié de sa vie et vit ensuite seule. Au fil du temps, elle se rend compte qu'elle s'éloigne du « marché d’amour » et ne peut plus supporter cette solitude. A quarante-six ans, Adélaïde n’a pas d’identité indépendante et elle ne voit son existence qu’à travers le regard des hommes. Dans cette histoire, Delaume nous dépeint l’image d’une femme de l'âge moyen dans une société moderne du XXIème siècle, qui est toujours aux prises des problèmes patriarcaux dans la société. Bien que l'histoire parle de la solitude, du célibat et du début de l'âge moyen de l’héroïne, mais aussi c'est une façon de montrer concrètement, avec de petites scènes, à quel point sont importantes la sororité et la solidarité féminine.
Cette thématique est bien renforcée par le style d’écriture de l’écrivaine. En effet, dans Le Cœur Synthétique, elle a recours à une écriture fragmentée mélangeant les genres et les formes d'écriture différents à savoir le récit, le journal intime, la poésie, les dialogues, etc. Cette fragmentation crée une certaine confusion chez le lecteur qui éprouve alors un sentiment de désorientation et de déséquilibre, qui reflète l'état d'esprit des personnages du roman. Ce sentiment est encore renforcé par des ruptures narratives et des sauts temporels, ce qui reflète bien le sentiment causé par la marginalisation des femmes dans la société patriarcale.
Dans son roman Les Sorcières de la République, Chloé Delaume utilise un style d'écriture très particulier pour transmettre sa vision critique de la société patriarcale. Elle utilise des images poétiques et symboliques, ainsi que des réflexions intérieures de ses personnages, pour explorer les thèmes de l'oppression et de la marginalisation des femmes dans la société contemporaine. Elle utilise des phrases courtes et percutantes qui créent un rythme rapide et haletant, renforçant le sentiment de tension et d'urgence lié aux problèmes sociaux qu'elle aborde.
D’ailleurs, Delaume utilise l’ironie de manière subtile et efficace pour mettre en question les normes sociales. Elle met souvent en scène des situations absurdes ou des personnages excentriques pour souligner l’absurdité de certaines normes sociales. Le monde créé dans Les Sorcières de la République en est un bon exemple où les femmes sont au pouvoir et où les hommes sont opprimés, inversant ainsi les rôles traditionnels. Cette inversion est ironique dans la mesure où elle montre à quel point les normes sociales sont arbitraires.
En nous appuyant sur les concepts proposés par Hélène Cixous comme outil d’analyse, nous allons démontrer comment Chloé Delaume essaie de briser dans l’histoire de ces deux romans, les oppositions qui visent à renforcer le système patriarcal.
Vers une société idéale à travers le renversement des oppositions
Trois paires d’oppositions seront ici mis en considération : Origine/Autre, Activité/Passivité et Nature/Culture.
L’un des concepts les plus fondamentaux de la théorie de la déconstruction des oppositions binaires de Cixous, est l'opposition entre l'origine et l'autre. Ce point de vue a son origine dans la théorie féministe de Simone de Beauvoir, exprimée dans son livre Le Deuxième Sexe, où elle rappelle que les normes de la société poussent les femmes à être reconnues comme une créature du deuxième sexe, un étranger, un autrui : « On ne naît pas femme : on le devient. Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine; c’est l’ensemble de la civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu’on qualifie de féminin » (Beauvoir, 1976 : 7). Selon ce point de vue, cette opposition nous est donc imposée par des stéréotypes définis par les sociétés patriarcales. Les stéréotypes qui ont existé depuis l’antiquité et dans les histoires mythiques, jusqu’aux temps modernes et à la propagande médiatique. Alors, influencée par la pensée de Beauvoir, Cixous a mis l'accent sur la rupture de l'ordre des sociétés patriarcales.
Lilith s’avère être bien la figure représentante de la mise en cause de cette dichotomie chez Delaume : « Lilith, la première femme créée bien avant Ève et en même temps qu’Adam. Lilith la première femme créée non pas d’une côte mais des entrailles du temps. Nous sommes tous les deux égaux, Disait-elle à Adam, Puisque nous venons de la terre » (Delaume, 2016 : 210).
Contrairement à Ève, qui était très dépendante d'Adam et sous ses ordres, Lilith avait une personnalité très indépendante. Elle se considérait comme l'égal d'Adam et désobéit à ses ordres. Adam a offensé Lilith avec son comportement et Lilith a quitté le paradis. Ensuite, Adam, bouleversé par la solitude, a demandé à Dieu de la ramener, mais Lilith n'a pas accepté et Dieu était également mécontent de lui. Plus tard et dans la mythologie religieuse, Lilith a reçu une identité démoniaque. Il est dit dans des sources religieuses qu’elle essaie toujours de se venger des enfants d'Adam. Pour se venger, Lilith devient le serpent qui provoque la Chute d’Ève, et incite Caïn à tuer Abel (Descamps, 2002). C'est ainsi qu'elle a été retirée des mythes : « Et Dieu créa Adam et Dieu créa Lilith. La légende rapporte, ces pages n’inventent rien. Ici un épisode égaré dans l’histoire. Ici se revisite l’antre du mythe fondateur. Bible, Talmud, Zohar ; et parmi d’autres livres la Kabbale se répand » (Delaume, 2016 : 210).
Alors, tant que la femme se soumet à la demande de l'homme, son nom restera dans l'histoire, mais si elle lui désobéit, elle subira le sort de Lilith. Ainsi, depuis le début de la création, l'homme a toujours été l'original, et la femme a été le deuxième sexe et soumis aux désirs des hommes.
Un autre exemple de stéréotypes qui présente les femmes comme le deuxième sexe dans les sociétés modernes, est lié à la propagande du système capitaliste pour le consumérisme, « le véritable message que délivrent les média T.V et radio, celui est décodé et consommé » (Baudrillard, 1970 : 187-188). Les valeurs du consumérisme comme piliers du système capitaliste, présentent des modèles idéaux pour les femmes. Dans ce sens-là, le corps des femmes est utilisé comme un outil pour faire avancer les objectifs du capitalisme. En effet, « la publicité, la mode, la culture de masse [...] tout témoigne aujourd’hui que le corps est devenu objet de salut » (Baudrillard, 1970 : 200). En présentant des modèles et des normes de beauté, les médias amènent les femmes à avoir un corps idéal : « une femme jeune, mince, blanche et valide. Alors, il n’y a pas de « vieille belle » car la femme âgée s’éloigne des rôles qui lui sont imposés par la société patriarcale : plaire et enfanter » (Janssens et Malcotte, 2020).
A cet égard, dans son roman Le cœur synthétique, Delaume cherche également à renverser l'identité prédéterminée et l'indépendance supprimée de son protagoniste. Et ainsi, Adélaïde essaie toujours de surmonter la pensée patriarcale traditionnelle de la société et d'atteindre l'indépendance identitaire. Elle essaie de rejeter le rôle de « l'autre » et de trouver l'authenticité. Au début de l'histoire, nous voyons qu'Adélaïde succombe aux stéréotypes mis en avant par la société patriarcale afin de se débarrasser de sa solitude, et elle est constamment déçue dans ses efforts pour se marier. Mais, elle a honte de ne pas avoir pu s'adapter aux normes de la société patriarcale : « Adélaïde vieillit, son cœur s’est endurci, Aphrodite est partie, depuis longtemps maintenant elle a fait le deuil du mot amour » (Delaume, 2020 : 131).
Ce que Delaume essaie de souligner dans cette histoire, c'est l'inégalité des chances à laquelle les hommes et les femmes sont confrontés dans le choix d'un partenaire de vie. Une femme qui s'est séparée de son mari, sur le seuil de cinquante ans et s'est éloignée des standards de la femme idéale de la société, aura très peu de chance de choisir un époux. Cette femme est connue comme le deuxième sexe et donc, comme « l'autre », tandis qu'une telle limite n'est pas définie pour les hommes. Un homme est toujours connu comme « l’origine » et peut entrer en relation quand il le souhaite sans aucune pression de la société. Cette différence entre Adélaïde et son ex-mari, Elias, est bien mise en relief : « Élias a mis quinze jours à retrouver quelqu’un. Adélaïde aimerait que ça lui arrive aussi. Elle suit tous les conseils que lui donnent ses copines, [...] Elle y croise des hommes de tous âges, qui pour certains pourraient convenir mais chaque fois, c’est la même histoire » (Delaume, 2020 : 35).
Après un long conflit avec les traditions imposées aux femmes de la société patriarcale, Adélaïde trouve une solution définitive pour perturber l'ordre existant. En fait, selon Chloé Delaume, toute femme devrait s’affranchir de son besoin d’être désirée par un homme et se rapprocher d’autres femmes pour vivre mieux.
Ainsi, le féminisme de Delaume, ne consiste-t-il pas seulement à exprimer des pensées protestataires, mais sous différents angles de ses histoires, elle cherche à renverser complètement les normes d'une société patriarcale, de telle sorte que dans ce renversement, les femmes sortent de la situation d'isolement et de passivité.
Etant donné que dans une société patriarcale, la femme est toujours considérée comme un Autre, nous pouvons constater que « l’Autre, c’est la passivité en face de l’activité » (Beauvoir, 1976 : 111). En fait, elle est vitale pour la composition de l'homme et la reconnaissance de son identité. Sous le patriarcat, le mâle est toujours le vainqueur. La victoire est égale à l'activité et la défaite à la passivité (Eagleton, 1996 :153). Cixous souligne l'existence des femmes est toujours reconnue associée à la passivité. En effet, selon elle « les femmes sont soit passives, soit inexistantes » (Cixous, 1975 : 64). En d’autres termes, chaque fois que les femmes sont citées quelque part, elles sont souvent présentées comme un sexe secondaire. Elles apparaissent toujours en arrière-plan ou ne mentionnent jamais leur existence. Cixous essaie donc de contredire une telle équation qui conduit à la passivité des femmes. Elle fait de son mieux pour défaire cette idéologie logocentrique. Alors, elle tente d’habiliter un nouveau langage féminin et de subvertir la combinaison de schémas binaires patriarcaux, de phallocentrisme, ce qui opprime les femmes et les fait taire.
Dans Les Sorcières de la République, Delaume dépeint l'incarnation de cette passivité dans l'histoire de la vie des déesses. En revenant sur le passé de chacune d’elles, Delaume montre subtilement leur confrontation avec les dieux en ce qui concerne la binaire activité/ passivité. Elle mélange cette question sociale avec des histoires mythologiques pour montrer ainsi la longue histoire de l'oppression des femmes. L'histoire de la vie d'Hestia en est un témoin. Celle-ci représente en effet, une classe des femmes travailleuses domestiques dont le travail est considéré comme sans valeur.
Selon la Convention nº 189 d’Organisation d’International du Travail, le « travail domestique, désigne le travail effectué au sein de, ou pour un ou plusieurs ménages. Ce terme couvre un ensemble de tâches et services qui varient de pays à pays et qui peuvent être différents selon l’âge, le sexe, et etc. ». L'histoire d'Hestia, la déesse du feu et du ménage, dont le nom est omis de l'Iliade et l'Odyssée d'Homère et remplacé par Ares, dieu de la guerre, fait visiblement allusion à cette forte tendance de considérer les femmes comme les êtres inactifs, donc inexistantes : « Relisez l’Iliade et l’Odyssée, mon nom n’apparaît pas une fois. Homère avait beau être aveugle, ça n’excuse pas le révisionnisme » (Delaume, 2016 : 91)
Avant la montée du capitalisme, la famille était le lieu de production. Les parents avec leurs enfants essayaient tous, de perpétuer leur génération et le travail des femmes, y compris la cuisine, la culture des plantes et l'éducation des enfants, était aussi important que le travail des hommes dans l'activité économique. Cependant, avec l'industrialisation et le transfert de la production de biens de la sphère privée au public, par rapport aux travaux des hommes considérés comme productifs, les femmes qui souvent n'entraient pas dans le domaine public du travail au départ, étaient considérées comme non productives (Tong, 2009 :105).
C’est par là que Delaume plaide de la bouche d’Hestia : « Qui nous a raturées de l’histoire, qui nous a réduites à la marge sans même nous consulter sur le cahier des charges ?» (Delaume, 2016 : 92).
Ainsi, le système capitaliste, en qualifiant le travail domestique d'improductif, a poussé les femmes à la passivité dans la société. Alors Hestia, avec l'aide d'autres déesses, décide de former une société matriarcale pour sortir de cet état passif. Elles ont décidé de prendre le pouvoir en retournant sur terre et en formant un gouvernement entièrement féminin. En tout cas, elles entreprennent une action violente pour se venger des dieux et de toutes les lois qui les ont forcées à la passivité. Alors, elles viennent sur terre et se préparent pour former un gouvernement matriarcal. Les déesses prennent des mesures radicales pour sauver les femmes : elles ont formé une société dans laquelle, la priorité est donnée à l’émancipation des femmes. Mais, malgré le pouvoir réservé aux femmes, dans la société matriarcale imaginée dans le roman, cette société a échoué et l’utopie s’est transformée en dystopie. Et cela s’est produit lorsque la vengeance et la rivalité prennent le pas sur la sororité et la solidarité entre les femmes.
L’accent mis par Delaume, sur la sororité, donne un résultat différent à l’histoire. Contrairement aux préceptes mis en avant par les poststructuralistes comme Cixous, essayant de renverser la position supérieure de l’homme au profit des femmes, Delaume met dans ses romans, le concept de la sororité en relief. Elle nous souligne bien que l'activisme des femmes sans sororité et solidarité n'aboutit qu’à l'échec.
D'ailleurs, mettre l'accent sur les valeurs de consommation que le système capitaliste a atteint pour sa survie est un autre élément de la marginalisation et passivité des femmes. « Le processus d’invisibilité des femmes dans le vieillissement s’apparente à celui qui régit leur place dans les autres champs scientifiques et sociétaux, à savoir leur absence ou leur oubli dans les analyses ou les politiques, du fait du biais androcentrique, et leur particularisation quand il s’agit de les prendre en considération » (Membrado, 2013: 2).
D’autre part, placer des normes stéréotypées et définir un modèle d'apparence répétitif, présenté sous le nom de la mode, c’est nuisible ; Le mythe des femmes jeunes, blanches et maigres, à la peau fraîche et sans rides en est l’exemple le plus remarquable. Mais la présentation constante de tels modèles entraîne la marginalisation de la majorité de la société qui n'a pas ces caractéristiques, y compris les femmes âgées.
À cet égard, dans Le cœur synthétique, Delaume traite d'un personnage aux prises avec le sentiment de marginalisation au seuil de l'âge mûr. « Personne ne pense à elle et elle ne pense à personne. Elle est de son vivant, pour le monde, un souvenir » (Delaume, 2020 : 36). Le personnage de notre histoire, Adélaïde se considère comme une féministe, elle ne veut pas d'enfants, « Adélaïde se réjouit chaque jour de ne pas avoir fait d’enfants » (Delaume, 2020 : 122). Elle se sépare de son mari volontairement, et commence à vivre seule : « Elle se veut seule et libre, désormais affranchie du carcan conjugal » (Delaume, 2020 : 14). Mais, la solitude et la pression de la société patriarcale sont trop fortes pour une femme de cinquante ans. Elle essaie d'oublier ses problèmes en travaillant à la maison d’édition, mais sur le lieu de travail aussi, la question de l'invisibilité et de la domination masculine est évidente :
« Adélaïde est attachée de presse dans l’édition. Elle est passeuse, doit convaincre les journalistes d’écrire des papiers sur les livres de son catalogue. Elle doit aussi gérer les écrivains, [...] Adélaïde souvent ne sait plus qui elle est, ni parfois ce qu’elle pense, à force d’être devenue, tout le temps, la voix des autres » (Delaume, 2020: 16). Et devenir perpétuellement la voix des autres mène sûrement la femme à cacher sa nature.
Dans ses deux œuvres, Chloé Delaume fait référence au rapport des femmes à la nature à l’aide des déesses d’Olympes. La déesse de l'agriculture et des moissons, Déméter, dans Les Sorcières de la République, illustre bien ce rapport-là. Alors que les déesses décident de l'apocalypse prédite en 2012, Déméter s'oppose à elles. Les déesses destinées à sauver les humains de l'apocalypse prédite par les Mayas, ont vu cette fois comme une opportunité pour les hommes de se souvenir et de les vénérer à nouveau. Longtemps oubliés des humains et des dieux, elles ont vu le 21 décembre 2012 comme la dernière chance de sauver la terre et de la gouverner. Mais Déméter, profondément troublée par la domination de l'homme sur la nature, a commencé à s'y opposer : « Je refuse de descendre. [...] Je leur ai tout donné, tout, et qu’est-ce que je récolte ? Une rhinite allergène. [...] Je leur ai tout donné, les clefs de la nature, les graines et les outils. Je ne sais pas très bien ce qu’ils ont fabriqué depuis qu’on est parties. Mais ce n’est pas mon problème. Ce n’est pas notre problème » (Delaume, 2016: 82).
La question fait référence à un nouveau courant de pensée, dit l'écoféminisme qui met en rapport deux entités ici déployées : la femme et la nature. L'écoféminisme est un mouvement pragmatique et académique qui examine de manière critique la relation entre la domination de la nature et l'exploitation des femmes et il est lié aux femmes qui sont devenues les principales actrices de la prévention des risques environnementaux. Pour la première fois en 1974, la féministe française Françoise d’Eaubonne a utilisé le terme d'écoféminisme. Oppermann (2023) l’explique ainsi : « Plus qu'une théorie sur le féminisme et l'environnementalisme, ou les femmes et la nature, comme son nom pourrait l'impliquer, l'écoféminisme aborde les problèmes de dégradation de l'environnement et d'injustice sociale en partant du principe que la façon dont nous traitons la nature et la façon dont nous nous traitons les uns les autres sont inséparablement liées » (Oppermann, 2013 :21).
Les autres représentations de l’écoféminisme se manifestent dans Le cœur synthétique, où Adélaïde qui s'est rendue au supermarché végétalien sur les conseils de son amie Bérangère pour avoir un mode de vie plus saine, propose des descriptions de l'espace, très intéressantes du point de vue écoféministe. Mais après un certain temps, la peur et le doute envahissent son existence : « Au milieu des produits qu’elle ne reconnaît pas, elle se sent une touriste. Les gens ont tous leur propre tote bag, Adélaïde n’a pas de sac, ici pas de panier en plastique, elle n’ose pas demander et aussitôt panique tant tout lui semble hostile, parfaitement étranger » (Delaume, 2020 :69). Adélaïde qui a été indifférente à la nature toute sa vie, est aujourd'hui profondément troublée de voir des humains tous soucieux de leur santé et de la préservation de l'environnement, et craint que la nature ne se venge d'elle.
De plus, dans cette histoire, Adélaïde a une relation symbolique avec la nature. En fait, on dirait que l’esprit d’Adélaïde correspond aux descriptions de la nature présentées dans l’histoire. A cet égard, nous voyons qu’au moment de la déception et de la frustration d’Adélaïde, la narratrice pointe son indifférence envers la nature : « Septembre s’emballe un peu. Adélaïde se demande si ce n’est pas le moment de changer radicalement de travail, de mode de vie. [...] Adélaïde déteste la nature, la compagne, son projet existentiel ne peut qu’être à la ville. » (Delaume, 2020 : 102).
Alors qu’à la fin de l’histoire, quand Adélaïde trouve la paix dans l’unité et la solidarité des femmes, les descriptions de la nature deviennent beaucoup plus agréables et la relation de personnage avec elle également améliorée. « Le cœur d’Adélaïde n’avait aucun regret. Quand le cercueil a flambé, le crépitement des flammes, ça faisait comme une chanson. L’herbe est danse sous le vent. La musique, paraît-il, c’est très bon pour les plantes » (Delaume, 2020 : 132-133).
En effet, en créant un lien symbolique entre les sentiments du personnage principal de son histoire et la nature, Delaume donne réalité au lien entre les femmes avec la nature. Enfin, en précisant un destin affranchi des normes et de cadre stricte que la culture patriarcale a déterminé, l’écrivaine montre que le rapport des femmes à la nature est indispensable pour se débarrasser de l’exploitation des hommes.
Le féminisme a déjà parcouru une longue marche des premières revendications mises en avant par Simon de Beauvoir, et reformulées par tant d’autres philosophes et théoriciens du mouvement telles que Hélène Cixous, Luce Irigarie et Julia Kristeva, et suivies par les combattant(e)s dans les domaines politiques, sociaux et esthétiques. Les divergences entre ces approches et leurs manières du traitement du sujet sont parfois aussi importantes que leurs convergences. Mais, chacune cherche à atteindre ses propres objectifs et par ses propres moyens, même si cela soit infime ou imparfait vu la totalité du mouvement. Chloé Delaume, écrivaine française contemporaine a tenté de se situer dans la lignée de ses maîtres féministes, à sa propre façon et dans une perspective plus personnelle et subjective de la mise en scène de la question du féminisme. En effet, elle prend ses distances avec ses prédécesseurs par son style percutant et son ton ironique dans ses œuvres.
Une lecture déconstructiviste, basée sur l’étude des oppositions binaires, de deux romans de Cholé Delaume aboutit à provoquer chez le lecteur des réflexions émises par Hélène Cixous, grande écrivaine et féministe française confirmant que les oppositions binaires hiérarchisent la pensée et créent l’inégalité des genres. Les femmes que dépeint Delaume dans ses histoires sont toujours confrontées aux lois qui tentent de les éloigner de la société, de les marginaliser et qui les poussent à la passivité depuis l'enfance, les ignorent toujours et créent ainsi une opposition évidente entre les deux sexes. Cela montre également que la société patriarcale, alors qu'elle domine la nature et n'utilise ses ressources qu'à des fins d'exploitation conformes à ses objectifs capitalistes, essaie également de dominer les femmes et de les utiliser uniquement conformément à ses propres objectifs.
Mais ce que Delaume montre bien, ce sont les efforts des femmes pour enfreindre ces règles. Les personnages des histoires de Delaume luttent contre ces stéréotypes patriarcaux, sortent de la passivité et de la solitude, et prouvent leurs capacités. Par leur relation symbolique à la nature, elles montrent comment la destruction de l'environnement entraîne la destruction de leur personnalité féminine.
Mais l’originalité de l’approche féministe de Delaume repose ailleurs, là où elle met en avant le concept de la sororité : La victoire du mouvement féministe n'aura lieu que si les femmes sont unies et empathiques. Tant que les femmes considéreront le sexe opposé comme un ennemi et rivaliseront avec d'autres femmes pour se venger des hommes, la victoire du féminisme et la réalisation de l'égalité des sexes seront loin d'être atteintes. Le but n’est pas de militer contre les hommes, mais que les femmes se tiennent la main et avancent ensemble pour lutter contre les stéréotypes et le sexisme dont elles font face quotidiennement. C’est en effet, cette solidarité des femmes qui conduira à l’expression de soi dans différents secteurs de la société et introduit une rupture réelle dans le système patriarcal. Cette rupture fera prospérer une société dans laquelle les hommes et les femmes sont égaux en droits humains fondamentaux. C’est de ce point de vue que selon Delaume, le slogan du féminisme devrait être « liberté, égalité et sororité » pour que ce mouvement porte ses fruits.