روایت به‌‌منزلۀ خلق دوبارۀ خویشتن در نزد املی نوتومب

نوع مقاله : مقاله پژوهشی

نویسندگان

1 دانشجوی دکتری زبان و ادبیات فرانسه، گروه فرانسه، واحد تهران مرکزی، دانشگاه آزاد اسلامی، تهران، ایران

2 استادیار ، گروه فرانسه، واحد تهران مرکزی، دانشگاه آزاد اسلامی، تهران، ایران

چکیده

هر روایت، عمل تولید روایی به‌‌صورت گفتاری یا نوشتاری و نقش عمدۀ آن ایجاد رابطه میان جهان مفهومی و خیالی، یعنی داستان و واقعیت، است؛ همچنین وجود راوی را ایجاب می‌‌کند که بار مسئولیت روایت را برعهده گیرد. آملی نوتومب، نویسندۀ بلژیکیِ فرانسوی‌‌زبان که آثار فراوانی را نگاشته و از بدو کودکی از وطن خود دور بوده است، خالق آثاری است که بخش عمدۀ آن تکرار و بازنویسی دوران کودکی و نوجوانی خود او است. تعدد شیوه‌‌های روایی در آثار آملی نوتومب سبب شده است نوشتار او که با هدف نشان‌‌دادن آگاهانۀ برخی حقایق زندگی انسان‌‌ها و حقوق بشر خلق شده است، از دیگر آثار ادبی متمایز باشد.
با تکیه بر فرضیه‌‌های روایت‌‌شناسی داستانِ ژرار ژونت، بر آن شدیم تا گونه‌‌های روایی در بهداشت جنایتکار، ترس و لرز، متافیزیک تیوب‌‌ها، خرابکاری عاشقانه و زندگی گرسنگی اثر آملی نوتومب را بررسی کنیم تا به گونه‌‌های مختلف روایی در آثار این نویسنده پی ببریم. آیا روایتگر این رمان‌‌ها شخص نویسنده است؟ آیا«من» راوی، همان «من نوشتار» یا شخصیت داستان است؟ علت چنین انتخابی در نگارش آثار ادبی خودزندگینامه‌‌نویسی یا خودزندگینامه‌‌نویسی خیالی از سوی نویسنده چیست؟ پژوهش حاضر، هدف نویسنده را از خلق دوبارۀ خود برای ما آشکار خواهد کرد.

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موضوعات


Le texte littéraire, réel ou fictif, est ce qui est apte à représenter le présent, le passé ou même le futur. Selon Roland Barthes, la langue littéraire est une autre langue, "celle que l'on parle d'un lieu politiquement et idéologiquement inhabitable : lieu de l'interstice, du bord, de l'écharpe, du boitement : lieu cavalier puisqu'il traverse, chevauche, panoramise et offense" (Barthes, 1970 : 20). Cette langue qui a des formes diverses chez les écrivains et qui est la plupart du temps significative, aiderait le lecteur à trouver ce qui est clandestin dans l'écriture ou à vrai dire dans l'inconscient de son auteur. L'étude des différentes formes de narration dans les récits est une approche qui précisera les intentions de l'auteur à créer ou à recréer son monde désiré ou peut-être non-désiré. Pour ce faire, nous allons essayer, à l'aide des théories narratologiques proposées par Gérard Genette, d'aborder certaines œuvres d'Amélie Nothomb, cette écrivaine contemporaine. Hygiène de l'assassin, Métaphysique des tubes, Stupeurs et tremblements, le Sabotage amoureux et Biographie de la faim formeront notre corpus. Nous allons examiner les modes narratifs et le temps - comme ledit -, selon l'approche narratologique.

Bien que les œuvres d'Amélie Nothomb, l'écrivaine belge francophone, aient une intrigue simple avec un humour polymorphe, elles charment le plus souvent le lecteur, mais provoquent aussi parfois une certaine aversion. Jean – Jacques Amette écrit ainsi : "Parfois Nothomb est lumineuse, joyeuse, éclatante. Parfois elle est sadique, malade hargneuse et ses récits tournent un peu à vide (Péplum), ce qui ne l'empêche pas de rester tumultueuse, envahissante, une aubaine dans la saison littéraire" (Amette, 1999 : 10). En effet, l'écrivaine emploie dans la narration de ses récits une certaine tromperie qui la rend polymorphe, lui attribue son ton humoristique et par conséquent une variété de modalité narrative qui fait le charme de son écriture.

Dans l'article présent, nous nous appuyons sur les différents types narratifs dans notre corpus afin de savoir quelle serait la raison de cette multiplicité de modalités narratives dans les textes de Nothomb. Dans la plupart des œuvres de notre corpus, le récit est homodiégétique avec une narration auctoriale. Pourquoi l'écrivaine choisit-elle ce type de récit ? A-t-elle l'intention de se recréer avec sa propre identité ou par contre, elle a envie de recomposer son "Moi" ?  Dans cette perspective, il serait nécessaire d'examiner le temps des récits de notre corpus. Peut-on prétendre que le temps aussi aurait une relation avec ce type de narration ? Laquelle et comment ?

Dans l'objectif de trouver des réponses à ces questions, et de saisir l'intention de l'auteure, il ne serait pas sans intérêt de savoir comment on pourrait expliquer l'"identité". Ensuite, l'examen du temps du récit et du temps de narration, toujours dans un cadre narratologique, nous servira d’un phare qui illuminera notre voie pour trouver la relation possible du temps du récit dans cette recherche du "Moi" chez Amélie Nothomb. Cette affirmation de l'écrivaine confirme que nous avons choisi le chemin correct dans notre étude :

 

"Je crois même être plus pudique dans l'autobiographie que dans la fiction. Quand il s'agit de personnages qui ne sont pas moi, je suis moins obsédée par l'idée de cacher leur nudité que par celle de cacher la mienne. A supposer que des lecteurs veuillent avoir mon portrait complet, je leur conseillerais de faire la synthèse entre mes romans fictifs et ceux autobiographiques " (Nothomb, 2009).

 

Antécédents

Cette écrivaine, bien connue pour son écriture illimitée et vedettes des médias occidentaux, a été le sujet de bien de recherches dans plusieurs pays, y compris en Iran. On la connaît surtout pour ses best-sellers et ses romans adaptés au cinéma, au théâtre ou à l'opéra et traduits dans le monde entier, parfois appréciés et même critiqués. Nous allons citer quelques –unes des études faites sur Nothomb.

Christine Suard de San Jose State University a rédigé son mémoire de maîtrise sur " Les variantes de l'autobiographie chez Amélie Nothomb" (Suard, 2008). Elle prétend que la source de ses inspirations était Amélie Nothomb qui avait répondu à ses questions. Suard a commencé son travail en parlant de la définition de l'autobiographie et ses problèmes dans les textes littéraires. Ensuite, elle a développé ses études en fouillant le domaine de l'écriture autobiographique féminine en général, et puis chez Amélie Nothomb, tout en classant les œuvres de cette écrivaine en les nommant autobiographiques ou ayant une allusion autobiographique. Suard a tiré cette conclusion que les thèmes des œuvres de Nothomb sont répétitifs ou expéditifs.

Patrizia Crespi a mené son étude sur La Métaphysique des tubes en s'appuyant sur le caractère linguistique de cette œuvre. Cet article montre combien l'autofiction dans les œuvres nothombiennes fait confusion, surtout dans cette œuvre où l'on voit un " mélange de faits vrais et de passages fabuleux" (Crespi, 2019 : 115).  Crespi explique la cause de son choix et prétend que ce roman de Nothomb est parfait du point de vue de l'analyse linguistique, du fait que " le langage est mis au centre du récit" (Crespi, 2019 : 100). Dans le cadre de la Théorie sens-texte, Crespi fait une analyse dans l'objectif de découvrir la fonction lexicale : elle a précisé l'état de référence et l'état intensifié (Crespi, 2019 : 102) et conclut que "la syntaxe nothombienne, remplie d’expressions de l’intensité, est capable de donner naissance à une réalité pleine et véridique, s’inscrivant de droit dans le cadre de l’autofiction" (Crespi, 2019 : 103).

"La représentation du Japon dans les deux livres d'Amélie Nothomb ; Stupeur et tremblement et Ni d'Ève ni d'Adam" est un article rédigé par Reandri Ballot en novembre 2014, en tant qu'un mini – mémoire d'honneurs. L'auteur y fait une analyse des deux livres cités de Nothomb, et donne des explications non seulement sur le japonisme qui hante l'écrivaine mais aussi sur d'autres thèmes y compris l'anorexie, un thème fréquent de la littérature contemporaine. Ballot reprend le terme de "nécrologie" employé par Claudon et Éva : " […] le japonisme n'est pas le seul thème principal qu'utilise l’écrivaine. Elle se focalise aussi sur la solitude, les relations interpersonnelles, le corps humain – sa beauté, sa décadence, l’alimentation, la nourriture et la mort, une sorte de nécrologie" (Claudon & Éva, 2010 : 47). Dans la conclusion, l'auteur compare le Japon représenté dans les deux œuvres en insistant sur les différences entre la culture japonaise et occidentale et affirme que l'image de ce pays d'enfance de Nothomb est plus positive et douce dans Ni d'Adam Ni d'Ève et plus rigide dans Stupeur et tremblement.

Chantale Gingras dans "Amélie Nothomb, survol d'un oiseau rare" publié dans "Érudit, Quelques figures du roman français contemporain" commence par l'enfance de Nothomb et précise tout au début le succès rapide de ses œuvres en les qualifiant comme simples mais avec un certain ton mordant. L'auteure ajoute encore : " On est également sensible à la faculté qu'elle a de faire d'une histoire simple, en apparence anecdotique, un récit étrange, déroutant dérangeant" (Gingras, 2003 : 39). Gingras y donne des explications sur les thèmes chers à Nothomb ainsi que sur les sources d'idées qui hantent l'esprit de l'auteure et qui forment l'intrigue de ses romans. Chantale Gingras met fin à ses études en appréciant la plume de Nothomb qui permet une lecture facile.

"L’écriture du corps : pulsion de mort dans l’œuvre d’Amélie Nothomb" (Bugnot, 2017 : 2), article rédigé par Marie-Ange Bugnot est centré sur le rôle des corpographies extrêmes et prétend que parler du corps est un motif essentiel dans l'œuvre d'Amélie Nothomb. L'auteur se centre non seulement sur la représentation physique et morale de certains personnages, mais aussi sur la perception qu'ils ont d'eux-mêmes. Le texte commence par une brève historique de l'image du corps dans la littérature pour arriver enfin à la représentation double de ce motif littéraire dans les œuvres de Nothomb. Cette dualité, à savoir, le corps dans la jeunesse/vieillesse, la minceur/l'obésité, la beauté/la laideur et encore la vie/la mort, est expliquée par l'auteur en s'appuyant sur un corpus où la notion de "corpographie" est récurrente et extrême. 

Nombreuses sont les études faites sur les œuvres d'Amélie Nothomb, mais nous profitons d'en citer quelques-unes.

 

 

 

Confusion dans le classement des œuvres

Les œuvres d'Amélie Nothomb, l'auteure belge contemporaine, paraissent assez bizarres : par plusieurs aspects, on pourrait dire que son travail d'écriture se place au croisement des deux sous-champs de production, ce qui rend ambiguë sa position au sein du champ littéraire par ses choix stylistiques qui sont preuves qu'elle est inscrite pleinement dans la postmodernité.

D'abord, nous distinguons que son écriture est un mélange de genres et de techniques littéraires, à savoir, elle sait habilement insérer le tragique et le comique dans ses œuvres. De même, ses ouvrages sont conformes aux règles littéraires sans être soumis aux contraintes et on y distingue une intertextualité rigoureuse se reposant sur le dialogue.

Un autre point à ajouter, c'est que Nothomb écrit seulement par plaisir, par besoin et non pas pour le marché ; cela se voit dans l'affirmation de Francis Esménard : " L'argent n'est pas le moteur de son travail. Elle n'a pas du tout le profil d'un écrivain carriériste. L'écriture est un besoin, une nécessité. Elle n'écrit que ce qu'elle veut" (Zumkir, 2003 : 60).

En effet, nous pouvons diviser les œuvres d'Amélie Nothomb en deux groupes : fiction/autobiographie. Jacques de Decker (2003) classe neuf romans de Nothomb dans trois catégories :

 

" Ceux qui font une place royale au dialogue, si grande que, la confusion aidant, la pièce fut présentée comme un roman elle aussi : il s'agit de Hygiène de l'assassin, des Catilinaires et maintenant de Cosmétique de l'ennemi. Ceux qui sont écrits à la troisième personne (la trilogie Péplum, Attentat, Mercure), et ceux où l'auteur se raconte en disant « je ». Cette dernière manière lui a inspiré ses meilleurs livres et, ce qui ne gâche rien, valu ses plus grands succès : Le Sabotage amoureux, Stupeur et tremblements et Métaphysique des tubes" (De Decker, 2003 : X-XII).

 

Un autre classement possible de l'œuvre nothombienne est proposé par Margaret-Anne Hutton : les œuvres autobiographiques et celles qu'elle a nommées les "sous-catégories". Le Sabotage amoureux, Stupeur et tremblements et Métaphysique des tubes, sont comptés parmi les autobiographies, mais étant donné que Péplum relate l'histoire d'un quelconque nommé "A.N." qui a vécu les mêmes événements que Nothomb, il semble logique d'établir un lien entre l'auteure et la narratrice. Voyons comment l'explique Hutton : 

 

" Bien que ces textes mettent en scène des combats en face à face, ces luttes ne sont pas à mort ; les trois […] textes s'achèvent par des trêves difficiles et ambiguës, des matchs nuls où l'on ne peut établir lequel ou laquelle des protagonistes remporte la victoire. Dans ces trois textes c'est un conflit qu'on pourrait qualifié d'inter- subjectif qui prime : les combattants s'affrontent en tant que sujets autonomes. Par contraste, dans le deuxième groupe de textes (Hygiène de l'assassin, Les Combustibles, Les Catilinaires, Attentat, Mercure), il s'agit de combats qui se terminent sans exception par la mort (assassinat ou suicide provoqué) de l'un des « duellistes », ainsi que par un processus d'incorporation : dans chacun de ces textes l'un des protagonistes se voit en quelque sorte assimilé à l'autre. Dans ces cinq textes c'est un conflit intra- psychique qui prédomine) (Hutton, 2002 : 225).

 

La narration dans notre corpus

Il est évident que la narration dans les œuvres citées plus haut comme autobiographiques se fait par "je" ; mais la narratrice est, la plupart du temps, fictive. C'est le cas de certains des ouvrages de Nothomb dont le  "je" narrateur donne l'impression d'être l'auteure elle-même. Le personnage principal ressemble à sa créatrice, il a une famille identique à celle de l'auteure et avec le même vécu, les mêmes aventures et expériences qu'elle. Ainsi, le lecteur ressent un étourdissement, du fait que les critiques ont classé les œuvres de Nothomb dans la lignée des écritures autobiographiques tandis que la lecture le met face à un personnage confus. Certes, il s'attendait à avoir sous les yeux une autobiographie selon les théories de Philippe Lejeune, mais cette écrivaine a fait de sorte qu'on doute de l'identité réelle ou fictive du personnage.

 " Il y a une coïncidence physique, bien sûr, entre l’écrivaine et son alter ego belgo-japonais, mais la construction identitaire de la première passe souvent par l’affirmation et le développement du second" (Crespi, 2019 : 98).

Dans Mercure (1998) et Robert des noms propres (2002), la narration se fait à la troisième personne. Quant à Péplum (1996), on peut y trouver non seulement la narratrice qui s'exprime par un "je" et qui donne un caractère autobiographique à ce récit avec une narration de type auctorial, mais l'essentiel est que ce récit est fait de dialogues. 

Hygiène de l'assassin (1993), des Combustibles (1994) et de Cosmétique de l'ennemi (2001) aussi peuvent être classées dans cette troisième catégorie nommée des "romans dialogués".

En effet, Nothomb est une auteure qui a la capacité de renouveler les motifs, ainsi que les structures narratives dans ses récits.

Dans Hygiène de l'assassin, le premier roman de cette auteure, considéré comme un roman dialogué, on distingue des phrases courtes et blessantes, ayant le crime comme motif. L'intrigue policière de ce récit s'avère être comme métaphore de l'invention de Nothomb.

Bien que ce roman soit dialogué avec une allusion autobiographique, on peut bien distinguer les éléments essentiels à la construction d’un récit narratif : narration, description et dialogues ; les parties narratives sont insérées à trois moments précis :

  • au début du récit pour préciser le cadre et la situation du personnage,
  • lors de l'entretien de Nina,
  • et à la fin du roman lorsque celle-ci commet le meurtre.

 

Ces dialogues sont liés les uns aux autres de façon que le lecteur puisse facilement saisir l'histoire, car la description, le cadre spatio-temporel, les thèmes, les personnages, leur psychologie et les idées exprimées y sont insérées de manière occulte. De même, ce sont ces dialogues qui révèlent la dramatisation et la narration qui est faite au style direct. Cette forme de narration fréquente dans les œuvres nothombiennes altère le temps du récit et la focalisation et perturbe même les habitudes de lecture. Cette écriture dialoguée rend difficile la distinction des genres littéraires.

Dans le cadre de notre étude, nous pouvons citer l'affirmation de Gérard Genette qui nous éclaire notre chemin, face à cette forme hybride employée par Nothomb. En effet, Genette prétend que dans un récit moderne, le dialogue prend plus de place que la narration :

 

" Curieusement, l'une des grandes voies d'émancipation du roman moderne aura consisté à pousser à l'extrême, ou plutôt à la limite, cette mimésis du discours, en effaçant les dernières marques de l'instance narrative et en donnant d'emblée la parole au personnage"(Genette, 1972 : 193).

 

Pourtant chez Amélie Nothomb, c'est le contraire, car ses romans dialogués sont formés selon la logique du roman. Elle insiste sur ce que ses œuvres soient conçues comme "roman". Le narrateur précise l'intrigue dès le début selon le schéma narratif traditionnel de Greimas. La situation initiale donne des renseignements généraux sur les personnages et les relations qui les unissent par un narrateur extradiégétique afin de préparer le terrain de la lecture ; " Quand il fut de notoriété publique que l'immense écrivain Prétextât Tach mourrait dans les deux mois, des journalistes du monde entier sollicitèrent des entretiens privés avec l'octogénaire" (Nothomb, 1992 : 7). Par la suite, nous aurons en général l'élément perturbateur qui modifie la situation initiale et favorise les péripéties, mais dans le roman dialogué de Nothomb, la situation initiale renvoie à la conversation. Dans Hygiène de l'assassin, après la première entrevue avec un journaliste, le narrateur prend de nouveau la parole pour annoncer le départ du journaliste, et une deuxième fois nous aurons encore le narrateur qui complète le portrait de son personnage. En effet, les interviews ne sont pas racontées par une instance narrative : le narrateur a seulement le rôle d'annoncer l'entrée des journalistes. Lorsque Nina, la cinquième journaliste entre et commence la conversation, nous pouvons dire que la situation initiale est terminée et ce personnage est l'élément perturbateur. Finalement, Nothomb met fin à son récit avec la mort du personnage Tach, sans que le lecteur découvre pour quelle raison logique ce crime avait eu lieu. Dans ce récit, la narration a non seulement le rôle d'exposer le roman, mais aussi de fournir des informations sur la nature des échanges entre les personnages sous forme de discours attributifs ou des parties informatives. Souvent le narrateur apparaît après les dialogues pour marquer la fin d'une scène, comme un narrateur omniscient : ce qui est équivalent à la didascalie dans un théâtre.

En effet, si l'on s'appuie sur l'affirmation d'André Belleau, Hygiène de l'assassin dont le narrateur est hétérodiégétique peut être considéré comme un roman du code : " Il est concevable que la mise en relief de la liaison de la littérature non pas à l'intériorité mais à des conditions "externes" ait quelque chose à voir avec l'usage de la non-personne" (Belleau, 1999 : 113).

Le Sabotage amoureux est le deuxième roman de Nothomb qui raconte la période de son enfance entre cinq et huit ans, passée en Chine. Elle y relate " la guerre mondiale du ghetto de San Li Tun, qui dura de 1972 à 1975" (Nothomb, 1993). Contrairement à son premier roman raconté par un narrateur misogyne pour mettre en quelque sorte en scène la condition féminine, la narratrice de ce récit est l'auteure elle-même à l'âge de 7 ans qui parle de ses réflexions sur la guerre et les ennemis. Si l'on se réfère aux pactes autobiographiques de Lejeune, on peut dire, au premier abord, que ce roman est autobiographique : c'est un récit rétrospectif  qui raconte une partie de la vie individuelle de l'auteure en employant le pronom personnel à la première personne, et dont le lecteur comprend bien que la narration est autodiégétique auctoriale  avec une auteure – narratrice – personnage ; pourtant Nothomb y insère des réflexions et des fragments d'imaginations qui causent des doutes sur l'identité de la narratrice et celle du personnage principal, surtout que nulle part dans le roman, elle n'a mentionné son nom. Cette affirmation de l'auteure prouve que Nothomb fait exprès de créer cette confusion :

  

" Je me dis 'personne ne va savoir que c'est moi, donc je peux y aller : je peux déballer, déballons' [...] personnellement je ne fais pas tellement de différence entre les deux genres, roman autobiographique et roman non-autobiographique. Après tout, le thème est toujours le même : le thème de l'humain : qu'est-ce qu'un être humain ?" (Bainbrigge et al., 2003 : 195)

 

Ce récit est marqué par certains faits réels : la narratrice a passé trois ans à Pékin, de 1972 à 1975, avec sa famille et puis à 8 ans, elle est allée à New-York. Elle a même fait part de son expérience d'amour enfantin qui sera la base de l'amour à l'âge adulte, ainsi que la guerre mondiale et ses ravages dans la cité-ghetto, à Pékin. Elle a appris qu' " un pays communiste, c'est un pays où il y a des ventilateurs, que de 1972 à 1975, une guerre mondiale a fait rage dans la cite-ghetto de San Li Tun, à Pékin, qu'un vélo est en réalité un cheval et que passé la puberté, tout le reste n'est qu'un épilogue" (Nothomb, 1993).

En effet, Le Sabotage amoureux est représentatif de la vision subjective de Nothomb sous forme d'une histoire d'enfance et d'amour entre deux petites filles : Amélie et Elena, fille d'un diplomate italien. L'auteure fait revivre son passé ; on peut dire que la matière de toutes ses œuvres est prise dans sa vie et que la trame de Le Sabotage amoureux est faite du regard d'Amélie adulte sur sa petite enfance. Pourtant, c'est un récit autobiographique à la manière de Nothomb qui prétend que toute œuvre autobiographique est un roman. Madeleine Tombeur rapporte ainsi la réponse de Nothomb :

 

"Le Sabotage amoureux est-il autobiographique ? Totalement. Je n'ai même pas changé le nom des personnages. Je me souviens très bien de mon enfance et de ma petite enfance. Les enfants du monde entier font la guerre, c'est le premier jeu. Le fait que notre guerre ait pris de telles proportions était dû à notre enfermement à Pékin et peut-être au fait que les adultes étaient diplomates et ne vivaient pas comme nous" (Tombeur, 1998).

 

Amélie Nothomb aime se présenter dans ce récit d'une manière narcissique : " L'univers existe pour que j'existe" (Nothomb, 1993 :30). L'image de cette fille égocentrique est, à vrai dire, significative dans cette écriture autobiographique car elle renseigne en quelque sorte le lecteur sur l'auteure et sa relation avec le monde. Pourtant, il ne faut pas négliger que c'est l'auteure elle-même qui essaie de donner une illusion de son "Moi" qui ne soit pas si loin de la vérité. Cette intention de Nothomb, nous pouvons la voir encore dans Métaphysique de tubes rédigée en 2000. Ce roman est un retour au passé, recouvrant une période d'enfance de zéro à trois ans, l'âge dont on ne se souvient généralement de rien. Laureline Amanieux explique que "Métaphysique reprend des faits véritables, que la romancière sait montrer dans un style vif, avec le désir intense de leur trouver une cohérence" (Amanieux, 2005 : 15). La narratrice – auteure – personnage prend d'abord la parole en employant la troisième personne du singulier : " Au commencement il n’y avait rien. Et ce rien n’était ni vide ni vague : il n’appelait rien d’autre que lui-même. Et Dieu vit que cela était bon. Pour rien au monde il n’eût créé quoi que ce fût. Le rien faisait mieux que lui convenir : il le comblait" (Nothomb, 2000 : 4).

Bien que ce récit soit considéré comme autobiographique, cette forme de narration auctoriale inhabituelle dans l'incipit n'est imprégnée d'aucune marque d'identité et de subjectivité. En outre, la phrase qui inaugure le récit donne l'impression qu'il s'agit d'une pensée mystique : "Au commencement, il n'y avait rien" (Nothomb, 2000 : 4) ; ce qui pourrait en quelque sorte pousser l'esprit vers la fiction, surtout que la narration est faite par une instance narrative impersonnelle.

Ce n'est qu'au bout de quelques pages que le lecteur pourra décoder le roman et distinguer qu'il s'agit d'un récit autobiographique relatant l'enfance d'Amélie Nothomb. Désormais, la narratrice s'exprime par un "je" âgé de zéro à trois ans et prétend ainsi : "Depuis février 1970, je me souviens de tout". (Nothomb, 2000 : 21) Elle insiste aussi sur l'incrédibilité de son histoire : " Une affirmation aussi énorme – « je me souviens de tout » – n’a aucune chance d’être crue par quiconque. Cela n’a pas d’importance. S’agissant d’un énoncé aussi invérifiable, je vois moins que jamais l’intérêt d’être crédible" (Nothomb, 2000 : 21). Certes, ce qu'elle raconte est mêlé de témoignages de ses proches et aussi de la fiction car un tout petit enfant se souvenir de ces événements, cela est incroyable : " Avant le chocolat blanc, je ne me souviens de rien : je dois me fier au témoignage de mes proches, réinterprété par mes soins. Après, mes informations sont de première main : la main même qui écrit" (Nothomb, 2000 : 21). Alors, les deux premières années de la vie de Nothomb, qui basculent entre sa vie réelle et fictive, sont peintes selon les théories de l'autofiction de Doubrovsky.

Un autre ouvrage de Nothomb basé sur ses souvenirs est Stupeur et tremblements (1999) qui relate une seule année de la vie de l'auteure, lorsqu'elle avait vingt-trois ans. La narration se fait par un "je" représentant l'auteure, la narratrice et le personnage principal, or comme à propos de la plupart de ses œuvres, certains critiques ont  conclu que cette forme de narration de type autodiégétique n'a pas  respecté  les règles du pacte autobiographique de Lejeune, du fait que c'est un récit entre le réel vécu par l'auteure et la fiction qu'on peut bien distinguer dans le choix de noms et de lieux, même si, dans un entretien avec Christine Charrette, l'auteure a tenté de dérouter son lecteur : 

 

" Cette histoire m'est réellement arrivée et je suis allée au Japon avec l'idée de devenir japonaise et non pas pour aller faire la révolution. Et le fait de vouloir devenir réellement japonaise, supposait une réelle résignation mais aussi une détermination car je me suis accrochée autant que possible et je n'ai quitté cette entreprise japonaise que quand j'ai compris, à la lumière de mon dernier poste, que vraiment il n'y avait plus d'espoir" (Charrette, 1999).

 

Nothomb insiste sur l'authenticité de son écriture tout en attribuant le titre de "roman" à son ouvrage, ce qu'elle a avoué dans un entretien avec Étienne Turpin : " [Ce livre] est pour moi d'abord un roman car il s'agit avant tout d'écriture, ce n'est pas un reportage mais de l'écriture avant toute chose" (Turpin, 2007). Cet engagement de l'auteure affirmé dans ses entretiens pourrait être accepté car Stupeur et tremblements est rédigé huit ans après avoir vécu réellement les événements relatés. Par conséquent, ce récit est introspectif surtout lorsque la narratrice-auteure-personnage raconte ses difficultés en voulant démissionner ; par contre si l’on s'appuie sur le regard de l'auteure sur le passé, nous pouvons dire qu'il s'agit d'une rétrospection.

En somme, dans Le Sabotage amoureux et Stupeur et tremblements, la narratrice est autodiégétique et ce qui est relaté se trouve à un niveau supérieur en comparaison avec l'acte narratif producteur. Ainsi, le lecteur aura l'impression que la narratrice est présente dans le récit.

 

L'Autre ou le Moi

Avant d'aborder le sujet de l'altérité et de la mêmeté, il ne serait pas sans intérêt de voir pourquoi on se raconte. Selon Paul Ricœur, un récit, c'est raconter qui fait quoi et comment il le fait, à savoir idem et ipse. Idem ou le même est " l'ensemble des dispositions durables à quoi on reconnaît un individu" (Ryckel & Delvigne, 2010 : 232) et l'ipse ou soi-même " renvoie à ce qu’il y a de plus auto­nome en soi, à ce qui nous donne l’intuition de notre liberté" ( Ryckel (de) & Delvigne, 2010 : 232).

Raconter à quelqu'un qui écoute ou qui lit, une période de sa vie, son vécu dans le passé, sa joie, son impatience, sa timidité ou n'importe quel trait de son caractère, c'est faire mien son caractère, c'est se voir. En effet, le caractère est une figure emblématique de l'idem et a deux notions : l'habitude et l'identification. Sans vouloir entrer dans les détails, nous nous contentons de donner cette brève explication que l'habitude est faite de répétitions tandis que l'identification du caractère est le résultat de la stabilité des habitudes déjà acquises : " Le se-reconnaître-dans contribue au se-reconnaître-à" (Ricœur, 1990 : 146).

Avec ces explications, on pourrait mieux juger Amélie Nothomb, ses œuvres autobiographiques pures ou autofictives.

Certes dans un récit, le nom du personnage lui attribue son identité. Dans un récit où la narration est autodiégétique, le nom du personnage principal qui est le narrateur et l'auteur, doit être identique. Comme l'explique Philippe Gasparini : " Le nom est chargé d’établir l’identité de l’héroïne, mais, dans le même temps, il mesure le degré d’identité, c’est-à-dire de symbiose, que la créatrice entend maintenir avec sa créature" (Gasparini, 2004 : 54).

Choisir un nom différent de celui de l'auteur dans une œuvre fictive qui paraît être autobiographique, entraîne une distanciation entre le "je" narré et le "je" narrant, à savoir entre l'auteur et le "Moi" créé. Ce choix dans la création littéraire produit une certaine confusion dans la distinction du "je" narrateur- comme nous l'avons vu chez Amélie Nothomb-, car ce pronom ne réfère plus à l'auteure mais à un Autre mystérieux pour le lectorat. En effet, l'auteure se permet d'être libre dans sa création, de se recréer avec une autre identité, tout en se basant sur ses souvenirs personnels. Au cours de son entretien avec Haget, Nothomb justifie ainsi son choix : "Je crois que c'est dans les œuvres fictives qu'on a encore le plus de liberté de parler de soi. Mais ce n'est pas pour ça que ce n'est pas sorti de l'imagination ; elle ne se nourrit pas de rien. Le combustible de 1'imagination, c'est ce que l'on a vécu" (Haget, 2001). 

Pour Amélie Nothomb, cette distanciation dans la narration devient non seulement l'objet énigmatique de son travail d'écriture mais aussi son succès. En tant qu'exemple, dans Métaphysique des tubes, la vision de l'écrivaine est neutre ; cela renforce cette distanciation narrative. Le lecteur aura ainsi l'impression que l'auteure se montre comme objet de son écriture. Dans une lettre adressée à Fannie Demeule, Nothomb insiste sur l'importance de cette distanciation entre son "Moi" et l' "Autre" qu'elle a créée en affirmant que c'est un travail " […] d'autant plus important et difficile dans le cas de l'anorexie. C'est un sujet qui [la] fait trembler physiquement" (Nothomb, 2014).

En nous référant à l'affirmation de Laureline Amanieux sur l'écriture de Nothomb qui prétend : "L’écriture constitue aussi un langage qui permet à Nothomb de mettre à distance les souffrances antérieures, même s’il y a une mise en danger constante d’elle-même" (Amanieux, 2005 : 266), nous pourrons dire que Nothomb, à l'âge adulte, a envie de s'éloigner de son passé, de se re(composer) d'une autre manière. Cet "Autre" qui prend le rôle du personnage principal est celui qui l'a remplacée, celui que Nothomb désirait être. Cette altérité se voit aussi dans Stupeur et tremblements où cet "Autre" se présente sous une figure double : il est à la fois le "Moi" de l'auteure belge et un "Étranger" japonais.

Prenons l'exemple de Hygiène de l'assassin. Le nom du personnage principal est étrange : Prétextat Tach. On peut distinguer certaines ressemblances entre Nothomb et son personnage ; ils ont presque le même âge, ils sont tous deux graphomanes et ont une immense production littéraire. Comme Nothomb, Tach est atteint d'une anorexie, mange le minimum de nourriture et dort très peu. Dans un entretien avec Madeleine Tombeur, Nothomb précise sa position en prétendant qu'elle partage les mêmes idées que son personnage principal :

 

" Je suis totalement d'accord avec lui. II porte la moindre de mes idées à son comble, la pureté, par exemple, ce qui le rend monstrueux. Mais il est plus courageux que moi. Je ne partage pas son avis quand il dit du mal des Nègres et des Irakiens, évidemment, mais ses idées sur Sartre ou Céline sont les miennes. Ce qu'il pense des femmes, je le pense aussi, même si j'en suis une" (Tombeur, 1998).

 

Choisir un personnage fictif pour Nothomb est, non seulement un moyen de réaliser cette mise en abyme mais de mettre en cause les institutions littéraires ; elle essaie de révéler les mensonges de cet univers. Frédérique Godefroy confirme cette idée : " le personnage-écrivain est en position de partager, plus qu'aucun autre, le regard de son auteur non seulement sur le processus créateur, mais également sur l'univers social et culturel dans lequel il évolue" (Godefroy, 2000 : 13).

A vrai dire, l'auteure avait l'intention de rester libre pour dire tous les inédits et toute sa pensée, c'est pourquoi elle a choisi de mêler la fiction au réel : " Pour être bien claire, Tach, c'est moi. Je suis déguisée en mon contraire, un vieux bonhomme obèse, très célèbre et mourant, pour dire tout ce que je pensais” (Godefroy, 2000 : 13).

Nothomb recrée son passé pour comprendre mieux ce qu'elle a fait, ce qu'elle a vécu ; ainsi elle se rend compte de son caractère et de son évolution au cours du temps. L'asexualité, l'anorexie, la solitude, le corps humain, l'alimentation et la mort sont autant de motifs représentés dans les ouvrages d'Amélie Nothomb. En effet, toute sa vie elle était obsédée par le beau et le laid, le corps et ses transformations, les mots et leurs influences sur les autres, la peur d'être abandonnée, la mort et surtout le Japon et la relation qui l'unissait avec ce pays. Tout cela forme un réseau de thèmes exprimés par des mots qui ont chacun leur poids dans son écriture, ayant comme but de renforcer les rapports humains.

Dans Stupeur et tremblements, l'action se déroule au Japon, thème cher à Nothomb, et la narratrice donne une étude interculturelle de ce pays et de ceux occidentaux. L'autofiction sera dans cette œuvre un moyen pour cette auteure belge, de discuter sur l'influence de ces deux pays sur la formation de son identité. La comparaison de l'Autre – ici le Japon -inséré dans le récit est faite par l'auteure, non pas pour énumérer les différences ou confirmer que l'Autre est un autre ou est le même, mais pour imposer le Japon comme l'Autre dans son récit, dans l'objectif d'insister sur l'étrangeté du Japon et en vue de le dépouiller de tout mystère : l''Autre a pour Nothomb, le rôle de mettre en relief le Moi, et il semble que parler de l'altérité, c'est à vrai dire, pour parler de la Belgique, inconnue pour Nothomb jusqu'à l'âge de 18 ans quand elle y rentre et se sent étrangère. Nothomb écrit dans Le Sabotage amoureux : "C’est donc le récit d’un double exil : exil par rapport à nos pays d’origine (pour moi le Japon, car j’étais persuadée d’être japonaise" (Nothomb, 1993 : 127).

Quant à Métaphysique des tubes, Nothomb y expose ses pensées en tant qu'enfant. Elle réincarne la Genèse et l'évolution d'un être divin qui subit trois étapes d'évolution : d'abord, il n'y avait rien, ensuite, ce rien se transforme en Fœtus dans le ventre de la mère du personnage appelé "Dieu" et qui devient enfin "tube". Sur le plan narratif, nous pouvons distinguer trois niveaux d'énonciation :

  • l'auteure qui écrit l'histoire : Amélie,
  • la narratrice qui raconte : la même que l'auteure,
  • et le personnage qui est présent dans le récit : l'auteure et la narratrice.

 

Bien que l'auteure, la narratrice et le personnage soient une même personne, on voit dans le récit que parfois la narratrice sait plus que le protagoniste et que grâce à une focalisation par en- dessus, elle pourra projeter le lecteur dans le futur de l'enfant, après ses trois ans. Voyons la fin du roman :

 

"Lorsque j’avais trois ans, ils proclamaient « ma » passion pour l’élevage des carpes. Quand j’eus sept ans, ils annoncèrent « ma » décision solennelle d’entrer dans la carrière diplomatique. Mes douze ans virent croître leur conviction d’avoir pour rejeton un leader politique. Et lorsque j’eus dix-sept ans, ils déclarèrent que je serais l’avocate de la famille. […] Revenons à mes trois ans" (Nothomb, 2000: 132-133).

 

Dans Métaphysique des tubes, l'Autre est le Moi et la découverte du Moi dans le récit se fait lorsque la grand-mère donne à l'auteure-narratrice-personnage du chocolat blanc de Belgique, sinon dans la situation initiale, l'enfant atteint d'un autisme dès sa naissance jusqu'à ses deux ans, vivait dans un état végétatif. La fin de l'état divin de l'enfant qui se croyait Dieu, donc la situation finale sur le plan narratif provient lorsque l'enfant frôle la mort à deux reprises : quand à la plage elle risquait de mourir en se noyant, ce qui fait qu'elle saisit son impuissance devant la mort, et encore cette dépression et cette peur devant la mort qui la pousse une deuxième fois vers le suicide. Grâce à son personnage, Nothomb retrace son identité sous deux aspects : physique, lorsque la narratrice a deux ans et demi, et métaphysique lorsque le bébé semblait ne pas vivre. Nothomb insiste sur le fait que la métaphysique est l'évolution de la physique et le montre dans ce roman lorsque l'enfant se rend compte de son "Moi", et que le "je" narrateur intervient ayant le rôle de raconter ses observations sur son évolution. 

Dans Le sabotage amoureux, la narratrice découvre l'Autre grâce à son amour pour la petite Elena. Loin d'être le récit de la guerre du ghetto, cette œuvre est l'histoire d'une guerre amoureuse avec toutes ses souffrances, ses mépris et ses malheurs que l'auteure a voulu recomposer par les yeux et la langue de l'enfant qu'elle était. L'amour d'Elena sera une expérience malheureuse pour le "Moi" de la narratrice du fait qu'elle se rend compte qu'elle est devenue le jouet de l'Autre, que cette dernière voulait seulement être regardée et que l'existence de son Moi était dépendante de celle de l'Autre. "Il me faudrait du temps pour comprendre qu'une seule chose importait à Elena : être regardée […]" (Nothomb, 1993 : 58).

Cela serait une défaite pour la narratrice qui se croyait jusqu'alors le centre du monde. " C'est elle qui m'a appris à regarder les gens. […] Quand je la voyais, j'oubliais que j'existais". (Nothomb, 1993 : 87).

Étant donné que dans les œuvres autobiographiques, on s'attend à voir une fonction d'introspection et de rétrospection, il serait crucial de dire que la rétrospection- à savoir, le regard de l'auteure sur son passé-, est bien évidente, tandis qu'il est difficile de discerner l'introspection. En recréant les situations vécues à l'âge de 7 ans, Nothomb essaie de montrer les effets de ces événements sur sa vie et ses sentiments, mais d'une façon si aigue dans son ouvrage qui fait douter si c'est l'auteure adulte qui parle ou l'enfant de 7ans qu'elle était. Pourtant, il est évident que ces propos sont teintés des visions du monde, actuelles de l'auteure.  En outre, le "je" de narration n'est jamais nommé dans le récit, ce qui fait que le lecteur éprouve un sentiment de doute et de tromperie.    

 

La conclusion

Depuis la seconde moitié du XXe siècle, suite aux avancées cartographique et géographique d’un côté et à la collaboration de géographes/cartographes et de critiques littéraires de l’autre, des champs croissants de recherches interdisciplinaires ont vu le jour comme celui de la géopoétique avec à sa tête Kenneth White dont nous avons démontré les différents aspects de l’œuvre sur fond de spatialité et de cartographie en nous appuyant sur des exemples.

En réponse à l’une des questions posées dans l’introduction en ce qui concerne la représentation de la spatialité, nous pouvons avancer que notre appréhension spatiale dépend entièrement des modes de perception et d'expérience, qu’ils soient directs ou indirects. Par conséquent, notre connaissance géographique des lieux et des cartes est largement affectée par nos expériences sensorielles de l'espace. La collaboration entre la littérature, la géographie et la cartographie se traduit par une évaluation fiable de la spatialité dans les œuvres littéraires car la littérature est aussi un produit d'idées, de sentiments et d’expériences façonnées ou influencées par des conditions spatiales et environnementales spécifiques.

Pour répondre aux autres questions de la problématique, nous avons passé en revue l’approche de différents chercheurs tels que Franco Moretti‌ et Barbara Piatti, et nous les avons comparés avec Kenneth White. Nous avons remarqué que les multiples façons dont les cartes avaient été utilisées dans les productions littéraires révélaient le potentiel multifonctionnel et l'importance de la cartographie. Chez White, il est basé sur l’autobiographie et la relation Homme-Terre.

Notre travail suggère que les progrès incessants de la cartographie littéraire et sa coopération avec la critique littéraire pourraient offrir aux chercheurs des opportunités afin de produire de nouvelles représentations spatiales, associées aux pensées réelles ou imaginaires d’espaces, de lieux ou de paysages dans les œuvres de fiction.

 

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