نوع مقاله : مقاله پژوهشی
نویسندگان
گروه زبان و ادبیات فرانسه، دانشکده ادبیات و علوم انسانی، دانشگاه شهید بهشتی، تهران، ایران
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Introduction
Pour créer un univers romanesque, l’auteur doit prendre recours à un ensemble de techniques narratives qui favorisent, au début du roman, le passage depuis l’univers sensible (hors-texte) vers l’univers imaginaire et fantastique du roman; à la fin du roman ces techniques permettent au lecteur de quitter le monde de l’imagination et passer vers le monde concret et sensible. Nous pouvons alors dire qu’on voit dans tout roman un seuil d’ouverture et un seuil de clôture. Or, l’étude de la structure du roman, y compris les deux seuils qui participent à créer des potentialités langagières et artistiques, peut nous amener à mieux comprendre l’univers romanesque de l’auteur. Selon Hamon: «La critique structuraliste et la narratologie contemporaine considèrent le roman, la nouvelle et la pièce de théâtre comme un texte doté d’un système fermé» (Hamon, 1975, p. 495).
Il semble alors très clair que l’auteur d’un texte littéraire, en créant cet univers sémiotique, doit recourir aux éléments qui génèrent ce «système fermé». Cela montre l’importance de l’incipit et de la clôture du roman. L’incipit a une position de marque dans le texte car il programme les modalités de la lecture chez le lecteur. Donc nous devons y connaître et chercher les caractéristiques de l’énonciation. Le schéma narratif est une notion fondée sur la linguistique structurelle et selon lequel chaque récit est composé d’une succession d’évènements composée selon un ordre logique visant à créer le sens. Dans le même sens Todorov pense que:
«Un récit idéal commence par une situation stable qu’une force quelconque vient perturber. Il en résulte un état de déséquilibre; par l’action d’une force dirigée en sens inverse, l’équilibre est rétabli; le second équilibre est bien semblable au premier, mais les deux ne sont jamais identiques» (Todorov, 1968, p. 96).
Nous pouvons donc préciser que l’incipit est le lieu où nous voyons la description de l’équilibre préliminaire et cela fait état de la situation initiale; dans la même lignée, la clôture marque l’état d’équilibre final qui a des points communs avec la situation initiale mais qui préserve encore des différences.
Dans cette étude, nous cherchons à répondre à la question fondamentale de savoir quels mécanismes et techniques l’auteur a utilisés pour traiter ces deux positions stratégiques du texte en examinant l'incipit et la clôture du roman Le Grand Vestiaire de Romain Gary.
En menant cette étude, nous avons également l’intention de répondre à des questions telles que: existe-t-il des similitudes entre les deux seuils initial et final? Quelles techniques l’auteur a-t-il utilisées pour attirer le lecteur dans le texte et l’encourager à continuer à lire?
Notre principale hypothèse dans cette étude est que l’auteur utilise des astuces et des mécanismes narratifs adaptés à la structure et au message qu’il souhaite transmettre pour façonner correctement les seuils initial et final du texte littéraire comme deux positions stratégiques dans le texte. Une autre hypothèse est qu'il existe des éléments communs entre l'incipit et la clôture qui non seulement démontrent l'habileté de l'auteur à utiliser des jeux de langage, mais contribuent également à la cohérence du texte. Selon la dernière hypothèse de cette étude, l’une des raisons de l’importance du seuil initial est que l’auteur s’efforce d’utiliser des techniques appropriées pour attirer le lecteur dans le monde imaginaire de l’histoire et l’encourager ensuite à continuer à lire.
Notre méthode ne se limite pas à une approche théorique spécifique, le concept même de positionnement stratégique nécessite l’analyse d’un ensemble d’éléments qui donnent au début et à la fin du texte ultérieur un sens stratégique et significatif. La méthode suivie dans cette étude est basée sur la démonstration d’aspects valables dans la production et la réception du texte, ainsi que sur l’analyse de la dimension sémantique du texte étudié. De plus, analyser les deux seuils du texte comme des positions stratégiques nous oblige à les considérer comme des classifications formelles qui nécessitent un chemin analytique donnant la priorité aux mécanismes structurels cachés dans la composition de l’œuvre. La présente étude se situe donc à l’intersection de plusieurs approches de la critique littéraire, telles que la narratologie et la sémiotique, car elle nécessite d’analyser le début et la fin des textes.
Recherches préalables
Parmi les plus importantes figures de la nouvelle critique qui ont effectué des travaux importants et sérieux sur l’incipit dans la littérature, nous voyons des noms comme Genette, Barthe et Rousset.
«En examinant et interprétant la première phrase du roman A la recherche du temps perdu, l'œuvre mémorable de Marcel Proust, Roland Barthes suggère que le thème de cette phrase, à savoir le sommeil, a non seulement une valeur fondamentale dans la configuration du roman, mais établit aussi un lien étroit avec le thème principal de l’ouvrage, à savoir le temps, mentionné deux fois dans cette même première phrase» (Ghavimi, 2006, p. 117).
Aragon a, pour sa part, étudié l’incipit du roman dans son Je n’ai jamais appris à écrire, ou les incipit. En tant qu’un auteur il a essayé de clarifier ses idées et ses réflexions d’écrivain dans ce livre. Pour lui, les premières lignes d’un roman en constituent la ligne directrice et définissent la fonctionnalité du texte.
Raymond Jean considère l’incipit comme le moment où l’on passe du silence vers la parole: «L’importance des premières phrases du texte résulte du fait que cette partie du texte effectue le passage du silence à la parole» (Jean, 1978,
p. 13).
On voit presque la même idée chez Claude Duchet qui analyse l’incipit du point de vue sociologique et qui pense que l’incipit est le seuil entre le monde réel (hors-texte) et imaginaire (texte). Dans son optique, «l’auteur utilise des techniques particulières pour faire passer le lecteur du monde réel au monde imaginaire» (Duchet, 1973, p. 9).
Philippe Hamon a aussi travaillé sur le côté extralinguistique de l’incipit et de la clôture qu’il considère comme des positions où émergent des réflexions discursives contenant les codes significatives de l’œuvre.
Charles Grivel, dans Production de l’intérêt romanesque essaie de théoriser ces deux notions. Parmi les différentes approches dont il fait usage la sémiotique et la narratologie sont prioritaires parce qu’il étudie le roman en tant qu’un signe et essaie d’analyser les procès esthétiques et narratifs qui rend le texte intéressant.
Jacques Dubois a étudié vingt incipits tirés des Rougon-Macquart de Zola. Christianne Moatti reprend les travaux de Duchet, de Dubois et de Hamon et analyse des romans de Malraux surtout La Condition Humaine. Selon lui pour étudier l’incipit, il faut considérer une partie du texte «du début à la fin de la première séquence, délimitée par un blanc typographique» (Moatti, 1984, p. 113).
Cadre théorique
Ces deux positions sont en vérité des lieux où les jeux sémiotiques et esthétiques prennent forme. Les notions comme codification, réception, programmation, lisibilité du texte et même la question du métalangage pourraient y être débattues.
Selon les bases narratologiques qui nous apprennent d’étudier les structures initiales et finales d’un texte, nous pouvons chercher à répondre à ces questions: comment le récit se forme-t-il à partir de la situation initiale? comment elle favorise le transfert du sens vers le lecteur?
La pragmatique nous permet de connaître et d’évaluer les mécanismes du début et de la fin d’un texte pour en illustrer les jeux littéraires. En effet, la pragmatique par ses points communs avec la théorie de la réception, nous familiarise, dès le début, avec la position du lecteur.
D’autre part, la sémiotique admet qu’on étudie la présence et l’utilisation des différents signes métalinguistiques, typographiques ou même topographiques qui nuancent le texte.
Etudier le lien entre la première et la dernière partie du récit nous permet de suivre le procès narratif des sujets énonciatifs pour qu’on puisse finalement en faire usage afin de décoder les techniques sensées à favoriser le va et vient entre le hors-texte et le texte. Ce passage permet au lecteur d’accepter ce jeu de l’imagination de passer depuis le monde réel vers le monde imaginaire. Nous pouvons alors analyser les protocoles d’entrée et de sortie du texte.
Incipit/Clôture: importance
«Combien coûte le premier pas?» cette question posée par Jean-Jacques Lecercle montre clairement l’importance du début d’un texte pour son auteur. Dans les premières lignes de son article il pose la même question du point de vue du lecteur: «Et si nous nous demandions ce que cela me coûte à moi, lecteur, de franchir le seuil de l'incipit» (Lecercle, 1997, p. 102). Il existe, en effet, une relation dialectique entre la production et la réception du texte qui nécessite qu’on étudie ce sujet du point du vue de l’auteur et du lecteur. C’est la même relation dialectique qui génère une valeur déterminante pour l’incipit au niveau de la création et de la lecture. Pour chaque début il faut concevoir une fin; c’est pourquoi «le cercle du sens» prend forme. Le début de chaque roman nécessite un mouvement circulaire parce que la fin du texte concorde son début; la fin du texte est un retour vers le début après des passages narratifs. Or, nous ne pouvons pas étudier l’une de ces «positions stratégiques» (de Biasi, 1990, p. 26-28) sans prendre en considération l’autre et sans analyser la valeur de chacune par rapport à l’autre.
Selon Bakhtine «Le chronotope du seuil est toujours métaphorique et symbolique, parfois sous une forme explicite, mais plus souvent implicite» (Bakhtine, 1978, p. 389). Pour Bakhtine ce chronotope du seuil est aussi celui de la crise parce qu’il pose des questions de base comme: comment faut-il commencer le texte et comment faut-il le finir?
Incipit
L’incipit, à savoir la première partie du roman, est en effet le seuil d’entrée du lecteur dans l’univers imaginaire. C’est un mot tiré du latin qui signifie «il commence» et dans son sens général montre le début de tout texte. Au début, ce terme était utilisé pour désigner les premiers mots ou premières notes d'un ouvrage vocal ou instrumental ainsi que les premiers mots d'un document ecclésiastique, d'une bulle, d'une encyclique, et par lesquels on désigne ce document. Après un certain temps on a élargi le sens de ce mot qui, selon le dictionnaire Robert, signifie désormais: «les premiers mots ou la première phrase d’un livre». Il y a eu d’autres critiques comme Claude Duchet et Raymond Jean qui, en partant de l’étymologie du mot pour en donner une définition plus restreinte.
Pendant ces dernières années, la définition de l’incipit a subi des modifications différentes et couvre plutôt «la première partie du texte» sans être limitée à la première phrase du texte. D’autant plus que selon d’autres théoriciens comme Graham Falconer ou Jacques Dubois, l’incipit est conçu comme «entrée en matière». Etant donné que l’incipit est un découpage de l’histoire, la définition présentée par Andrea Del Lungo qui le délimite plus que les autres, nous semble plus logique.
«Un fragment textuel qui commence au seuil d'entrée dans la fiction (...) et qui se termine à la première fracture importante du texte ; un fragment textuel qui, de par sa position de passage, peut entretenir des rapports étroits, en général de type métonymique, avec les textes qui le précèdent et le texte qui le suit, l'incipit étant non seulement un lieu d'orientation, mais aussi une référence constante pour le texte suivant» (Del Lungo, 2003, p. 137).
Pour Aragon «la première phrase d’un texte littéraire est un don des dieux, une inconscience ou une autre œuvre littéraire» (Aragon, 1981,
p. 89). Selon lui, tout le texte constitue un effort déployé pour découvrir et décrypter les données linguistiques présentées dans l’incipit.
D’autre part, l’incipit est le lieu de rencontre entre les désirs de l’auteur et les attentes du lecteur. Les objectifs de l’écrivain se réalisent dans cette ambiance qui est comme un pont permettant au lecteur de se rendre dans le territoire inconnu que l’auteur lui a conçu avec délicatesse.
«En fait, l’incipit d'un roman ou d'un nouvel est l'intersection des deux mondes, le monde réel et le monde imaginaire, c’est la frontière du texte et la frontière claire de l’ouvrage, ainsi que le fossé entre le silence et la parole, la blancheur des papiers et l'écriture pour l'auteur, c’est un territoire parfois ambigu et imprévisible pour le lecteur, passant du monde réel et extérieur au monde intérieur de l'histoire qui est le monde de l'imagination» (Ghavimi, 2006, p. 123).
Selon Jakobson, «le texte est un message qui crée une relation linguistique. Dans ce point de vue, l’incipit est le premier moment du contact entre l’auteur et le lecteur où la fonction poétique ou littéraire prime les autres. » (Jakobson, 1977, p. 77) Etant donné qu’il existe un décalage temporel considérable entre le moment de la production et de la réception du message, l’auteur doit rester très attentif à la fonction conative. Cela signifie que, par le biais des méthodes et des moyens différents, l’auteur doit essayer d’attirer le lecteur et de créer une telle ambiance que ce dernier soit motivé à poursuivre l’histoire du roman. Comme Aragon l’a précisé l’incipit est le lieu de rencontre entre «des parcours d’écriture» voire «un carrefour entre se taire et dire, entre la vie et la mort, entre la création et la stérilité» (Aragon, 1981, p. 91).
Autrement dit «on peut considérer l’incipit comme la représentation de l'effort stylistique de l'auteur et de ses recherches esthétiques, qui vise à inciter chez le lecteur l'enthousiasme d’étudier» (Ghavimi, 2006, p. 123).
Limites de l’incipit
La nouvelle critique considère l’incipit comme «un fragment textuel qui commence au seuil d'entrée dans la fiction» (Del Lungo, 2003, p. 51). Le seuil d’entrée dans le texte est parfois limité par les premières phrases du texte mais il en couvre parfois les premières pages. En 1996, Claude Duchet et Isabelle Tournier ont rédigé un livre où ils ont étudié la clôture des textes différents mais ils n’ont pas déterminé les limites et frontières précises pour l’incipit et la clôture.
Selon Jean Corneille qui a analysé l’incipit de L’Etranger, «le premier chapitre de ce roman peut être considéré comme l’incipit» (Corneille, 1976, p. 49). Or, nous pouvons déduire que l’incipit n’est pas limité seulement à la première phrase ou au premier paragraphe d’un texte. Selon Del Lungo pour délimiter l’incipit il faut être à «la recherche d'un effet de clôture ou d'une fracture dans le texte, soit formelle soit thématique, isolant la première unité» (Del Lungo, 1993, p. 135-136).
Mahvash Ghavimi, qui s’est inspirée de Del Lungo a, pour sa part, fait allusion à des signes qui montrent la fin de l’incipit (Del Lungo, 1993, p. 53):
En général, un changement dans le temps des verbes marque très souvent la fin de l’incipit. Le passé simple montre l’entrée en scène de la force perturbatrice et désigne ainsi un changement radical dans le texte.
Fonctions de l’incipit
Pour l’incipit on peut considérer quatre fonctions de base: codification, séduction, informative, narrative.
«Les deux premières fonctions (codification et séduction) en sont les parties intégrantes et, même sous une forme implicite, elles existent dans tous les romans; pourtant les deux dernières fonctions (informative et narrative) sont les fonctions variables et changeantes parce qu’elles répondent aux besoins du lecteur pour être informé et présenté au cours de l’histoire» (Kotin-Mortimer, 1985, p. 15).
En dépit de cela, selon Jouve les fonctions de séduction et informative sont plus importantes que les autres parce que dans chaque incipit on peut avoir une tension entre ces deux fonctions assez contradictoires. «La fonction informative nécessite qu’une grande quantité d’information soit fournie au lecteur, mais en même temps, la fonction de séduction sollicite que le lecteur y soit très rapidement présenté » (Jouve, 2001, p. 19).
Clôture
La clôture ou la partie finale de l’histoire qui constitue la conclusion de l’action principale et qui détermine la fin de l’histoire, c’est une analyse du trajet parcouru et on y voit parfois les changements radicaux chez les personnages et les évènements. Donc la clôture est selon Todorov «le deuxième équilibre» dans l’histoire qui est un peu différent du premier. Armine Kotin-Mortimer utilise l’expression «clôture narrative» qui dépend très souvent d’un sentiment de satisfaction selon lequel toutes les données de la narration du projet narratif ont touché leurs objectifs et les problèmes présentés par l’acte de la narration sont résolus; or, rien n’est inachevé du point de vue narratologique. On peut donc dire que tout ce qui était ouvert est fermé maintenant (Kotin-Mortimer, 1985, p. 15).
Pourtant, cette définition n’est pas exhaustive et n’est pas applicable à tous les textes. Par exemple dans les textes de Beckett, Robbe-Grillet ou Aragon on ne peut pas toujours clore ce qui était ouverte. Parfois on rencontre des romans dont la fin n’envisage pas de solution pour les problèmes posés, et parfois on voit des romans dont la fin reste totalement ouverte.
Frédérique Chevillot en s’inspirant des notions narratologiques présente le concept de «réouverture». Pour Greimas et Courtés «dans les discours narratifs on peut toujours trouver un schéma narratif canonique. Si ces discours sont arrêtés dans un moment donné de ces schémas et suspend le caractère prévisible de l’histoire et dans cette situation, la fin du discours est la seule condition pour trouver une réouverture» (Greimas et Courtès, 1993, p. 38).
On peut considérer la fin du texte comme la fin du sens quand le texte est conçu comme un ensemble clos et achevé. Ben Taleb nous donne une définition plus précise pour la fin du texte; selon lui «la fin du texte est une position du texte à la fin de la narration dont la fonction consiste à préparer la fin de l’acte narratif. Il considère la fin du texte comme un lieu ou un temps où l’acte de lecture touche sa fin»
(Ben Taleb, 1984, p. 131).
La clôture est considérée comme une partie de l’acte de lecture pourtant cette définition ne semble pas être exhaustif parce qu’à maintes reprises nous pouvons trouver des récits qui ne sont pas terminés après la fin de l’acte narratif. D’autant plus que dans la littérature moderne on voit des histoires qui, du point de vue structurel et narratif, ne s’achèvent pas après la fin de la narration. Larroux nous parle de «l’épuisement» qui est, en effet, l’issue d’un programme narratif achevé qui a touché sa fin. «Quand on parle de l’achèvement d’un programme narratif, cela veut dire que toutes les possibilités narratives doivent être accomplies» (Larroux, 1995, p. 33).
Or, conformément à tous ces points on peut conclure que la clôture est une position stratégique dans un texte narratif. Parce qu’elle en définit la fin du sens, et qu’elle arrête le texte voire l’acte de narration. Pourtant, quand le texte s’est arrêté cela ne signifie pas que le sens se trouve au point final. Mais on peut dire qu’à ce moment-là c’est seulement la lecture qui a touché sa fin.
Indices de la fin du texte
On peut diviser les indices qui marquent la fin du texte en deux parties:
Résumé de l’histoire
Le Grand Vestiaire est un roman de Romain Gary publié en 1948. Ce roman raconte la vie de Luc Martin, un adolescent de quatorze ans qui a perdu son père dans les derniers jours de la Seconde Guerre Mondiale, et son seul bien au monde est sa chienne Roxane. Faisant la queue dans un centre pour orphelins de guerre, un vieil homme nommé Vanderputte (qui s'occupe également de deux autres adolescents nommés Léonce et Josette) lui dit que s'il veut être placé sous la garde du gouvernement, on lui prendra sa chienne. Craignant de perdre sa chienne, son seul souvenir de sa vie passée, Luc fuit le centre et se dirige vers l'appartement de Vanderputte qui travaille sur le marché noir. Luc tombe amoureux de Josette, mais la mort de Josette à cause de la tuberculose met fin à cet amour. Pendant que Luc vit dans l'appartement de Vanderputte avec Léonce et Josette, il rencontre d'autres personnes qui changent le cours de sa vie et il se trouve mêlé à la confusion générale des années d’après-guerre. Il commet quantité de vols et cambriolages. Grâce aux notes de son père en marge du livre de Pensées de Pascal, Luc se rend compte que son père a sacrifié sa vie pour le bien des humains. Et une question ne cesse d'occuper l'esprit de Luc, il se demande où sont les hommes pour qui son père a été tué? Sur le chemin de la vie de Luc, aucune main d'humanité et de gentillesse ne lui est tendue. Luc voit les gens comme des vêtements vides et le monde comme un grand vestiaire. A la fin du livre, alors que les autorités françaises s'intéressent à ceux qui ont trahi la France, Vanderputte se révèle pire qu’un collaborateur, un dénonciateur de Juifs. Luc Martin qui l'avait suivi jusqu’au bout dans sa fuite à travers la France, décide finalement de le tuer afin de pouvoir retourner auprès des humains.
L'étude de l’incipit et de la clôture
Pour commencer cette étude, il faut tout d’abord préciser les frontières de l’incipit et de la clôture dans ce roman. Le sous-titre I, à savoir les trois premières pages de la première partie intitulée Les ratons, en constituent l’incipit. Cette frontière est détectable par la mise en page et les indices spatio-temporels. Dans le sous-titre suivant (II), à la suite des changements survenus dans le temps, l’espace et les personnages, les situations narratives changent. En effet, l’incipit du roman montre Luc Martin et monsieur Jean dans le cimetière de Vieuxgué après les funérailles du père de Luc Martin. Mais le deuxième sous-titre montre Luc Martin accompagné par Roxane, M. Jean, le préfet et le public présent dans la cérémonie qui avait lieu sur la place Gambetta. La clôture de ce roman en est le dernier sous-titre (IV) de la troisième et dernière partie intitulée Le vieux où la lecture s’arrête.
En ce qui concerne les fonctions de l’incipit, il faut dire que dans ce texte l’incipit a une fonction de codification directe parce que le texte révèle explicitement son genre; en lisant l’incipit on voit des descriptions spatio-temporelles très visibles et le lecteur devine très rapidement qu’il s’agit d’un roman où la langue courante prime le texte. En d’autres termes, l’incipit nous donne des informations à propos du registre de la langue du texte.
La structure énigmatique du texte est un outil dans les mains de l’auteur pour encourager le lecteur à continuer à lire. Celui-ci rencontre des vides de sens dans l’incipit: il se demande pourquoi M. Jean propose-t-il à Luc Martin de l'adopter?
«- Veux-tu venir avec moi à Marseille? Je t'adopte, tiens?» (Gary, 1948, p. 8)
Luc Martin n'a-t-il personne au monde? Pourquoi se rendrait-il à Paris quinze jours plus tard?
«J'arrivais du Véziers pour assister aux obsèques de mon père et repartais quinze jours plus tard pour Paris» (Gary, 1948, p. 8).
D’autre part, l’auteur en utilisant les techniques narratives essaie d’insérer le lecteur dans le fil des évènements pour l’inciter à décrypter le passé des personnages et à s’intéresser à leur avenir et au parcours narratologique.
Dans cette première partie du roman nous pouvons trouver les trois fonctions différentes conçues pour l’incipit informatif: on trouve des informations très précises à propos du monde réel, la narration est formée très délicatement et les éléments constitutifs du roman comme les personnages, le temps et l’espace sont décrits en détail. En lisant l’incipit de ce roman on comprend que le personnage principal est Luc Martin, il est un adolescent de quatorze ans qui a perdu son père dans les derniers jours de la guerre.
En ce qui concerne le cadre spatio-temporel, l’incipit nous donne de très bonnes informations : les évènements se déroulent d'abord dans le cimetière de Vieuxgué et puis Luc Martin partira à Paris, nous sommes au vingtième siècle et après la Libération. Ici, l’auteur, en faisant allusion aux réalités extérieures et aux éléments qui se réfèrent à une référence dans le monde actuel, essaie de désigner des aspects de la vérité dans son texte et faciliter la lecture du texte en assurant le lecteur de la véracité des informations qu’il fournit dans le texte. Des phrases comme «Nous nous promenions, après les obsèques, dans le cimetière de Vieuxgué» (Gary, 1948, p. 8) ou «Nous n'étions plus au Far West, lui expliqua-t-on, en insistant lourdement sur le mot «plus». La résistance, c'était fini, la libération aussi» (Gary, 1948, p. 9). Ou encore «La guerre était presque finie, les Allemands en fuite, on allait enfin avoir une vraie armée.» (Gary, 1948, p. 9) font preuve de la volonté de l’auteur pour fournir des informations sur le temps et l’espace de son roman. En effet, l'ancrage spatio-temporel de l'incipit (cimetière de Vieuxgué, post-Libération) relève d'une esthétique néoréaliste, mêlant référents historiques ("La guerre était presque finie", "les Allemands en fuite") et effets de focalisation interne (la perception adolescente de Luc). La mise en page (alinéas courts, dialogues elliptiques) crée un rythme saccadé, reflétant la dislocation psychique du protagoniste.
Au niveau de la structure de l’histoire, on voit un incipit dynamique in medias res parce que le lecteur se trouve, d’une manière ou d’autre, au milieu de l’histoire à laquelle l’auteur fait parfois des allusions implicites. Pour cet objectif il utilise des moyens différents comme flash-back ou des voix hors du cadre de l’histoire. Ainsi, l’auteur répond-il aux questions que le lecteur se serait posées pour approfondir sa connaissance sur les personnages et les évènements. La structure in medias res n'est pas qu'un artifice rhétorique: elle reflète l'épistémè traumatique de l'après-guerre. Les flash-back (mort du père, allusion au Véziers) forment un palimpseste mémoriel où le non-dit pèse plus que l'explicite.
Dans la clôture, Vanderputte est recherché par la police pour trahison donc il est en fuite et Luc Marin l'accompagne. Il souffre d'une rage de dents. Ils se sont cachés dans la roseraie d'un garde-barrière qui essaie de les chasser mais Luc Martin dit que Vanderputte est quand même un homme. Alors Luc va chercher le seul dentiste du coin qui est un juif polonais. Vanderputte révèle un antisémitisme qui était intolérable dans la France d'après-Auschwitz.
«– On ne peut pas dire que je sois vraiment un traître. Je n'ai pas donné de Français, vous savez. Je n'ai donné que des juifs...» (Gary, 1948, p. 267).
Le dentiste refuse de le soigner car il ne le considère plus comme un homme. On peut considérer cette scène comme l'incarnation de l'argument de Sartre dans ses Réflexions de la question juive selon lequel l'antisémitisme n'est ni un goût ni une opinion, telle que la détestation des tomates ou l'opposition au socialisme, mais une fausse conscience qui met son détenteur en dehors de la société humaine. Comme Sartre, Gary estime qu'un antisémite est hors du cercle de l'humanité, ce qui place Luc Martin dans une position décisionnelle. Il comprend qu'il faut abandonner certaines valeurs pour en conserver d'autres. Jusque-là, il considérait Vanderputte comme un «être humain pitoyable», et l'accompagnait essayant de sauver un être humain parce que son propre père s'était sacrifié pour les humains. Mais maintenant que le voile de l'antisémitisme de Vanderputte était levé, il n'y avait plus d'être humain, et la première partie de la composition «être humain pitoyable» étant remise en question, alors la deuxième partie n'avait plus aucun sens.
«Ce que j'avais essayé de sauver, ce pour quoi mon père était mort, me paraissait à présent inexistant et vide de sens, trahi par tous, abandonné depuis longtemps. Il n'y avait plus rien à défendre» (Gary, 1948, p. 269).
La clôture inverse les motifs initiaux selon une dialectique hégélienn:
- Espace: Du cimetière (lieu de deuil ritualisé) à la roseraie (nature corrompue).
- Relations humaines: De l'adoption potentielle (M. Jean) au parricide symbolique (Vanderputte).
- Temporalité: De l'immédiat post-guerre à l'ère post-Auschwitz, où l'antisémitisme devient crime contre l'humanité.
Une comparaison faite entre l’incipit et la clôture de ce roman nous montre le passage narratif parcouru par Luc Martin qui subit des évolutions; c’est, en effet, cette évolution qui, dans une texture stable pourrait créer le sens. Pour atteindre cet objectif l’auteur utilise des moyens très délicats et des descriptions soignées pour dessiner son personnage principal; Dans la partie initiale comme la partie finale, Luc Martin est accompagné par un homme, dans l'incipit il est accompagné par M. Jean et dans la clôture, par Vanderputte. Au début de l'histoire, jetant par la fenêtre du train le carnet contenant l'adresse de M. Jean, Luc Martin coupe les ponts avec M. Jean. Et à la fin de l'histoire, il coupe complètement ses liens avec Vanderputte en le tuant.
L'histoire commence par une mort et se termine par une autre. A l'incipit comme dans la clôture, nous rencontrons le thème de la mort. L'histoire commence à la suite de la mort du père de Luc Martin dans le maquis et se termine avec la mort de Vanderputte aux mains de Luc Martin. La mort au début de l'histoire est héroïque ayant une valeur positive, mais la mort à la fin de l’histoire est le retrait d’une créature qui a été retirée du cercle de l’humanité à cause de ses trahisons.
Comme nous voyons, ce thème commun
(la mort) crée un parallélisme entre ces deux scènes; dans les deux scènes, à la suite d'une mort, Luc Martin doit entrer dans la société et rejoindre les humains. Alors l’incipit et la clôture nous décrivent des situations assez similaires, ce qui explique la structure cyclique de l’histoire. Ce retour vers le point initial pourrait même symboliser un retour vers son origine. Pourtant il faut qu’il existe des changements et des différences sans lesquels le sens ne sera pas produit. Ce changement de caractère, d’attitudes et de regard sur le monde est à la base de la production de sens. Au cours de l'histoire, le caractère de Luc Martin a beaucoup changé psychologiquement : au début de l'histoire, il est passif, mais à la fin il passe à l'action, il tue Vanderputte. Il pense que des millions d'humains s'attendent à ce qu'il supprime Vanderputte car il est un obstacle à l'entrée de Luc Martin parmi les humains.
«Je crois que je cédais ainsi à ma rancune et à la lassitude, au désir d'accomplir enfin le geste que des millions d'hommes demandaient de moi» (Gary, 1948, p. 268).
La dernière phrase du roman, prononcée par Luc Martin est:
«Je pouvais maintenant retourner parmi les hommes» (Gary, 1948, p. 270).
Conclusion
L’étude des seuils textuels dans Le Grand Vestiaire de Romain Gary a permis de mettre en lumière les mécanismes narratifs et esthétiques qui structurent le passage entre le hors-texte et le texte, entre le réel et l’imaginaire. L’incipit et la clôture, en tant que positions stratégiques, jouent un rôle fondamental dans la construction du sens et dans l’engagement du lecteur.
Dans l’incipit, l’auteur prend recours à des techniques différentes pour présenter le lecteur au milieu des évènements. L'incipit de ce texte a une fonction de codification directe parce que l’incipit nous donne des informations à propos du registre de la langue du texte, ainsi que de son cadre spatio-temporel. En faisant allusion aux réalités extérieures existant dans le monde actuel, assure le lecteur de la véracité des informations qu’il fournit dans le texte. Alors du point de vue informatif, il s’agit d’un texte très fort parce qu’il raconte une histoire qui se passe au XXe siècle, après la Libération, à Paris ; ces informations facilitent l’acceptabilité de l’histoire. Or, l’auteur essaie d’attirer le lecteur et faciliter son passage du monde réel au monde imaginaire ou son passage du hors-texte vers le texte.
Mais en même temps, le lecteur rencontre des vides de sens dans l’incipit, il se pose des questions, ainsi grâce à une structure énigmatique, l’auteur encourage le lecteur à continuer à lire. Dans ce roman, il s'agit d'un incipit dynamique in medias res parce que le lecteur se trouve au milieu de l’histoire à laquelle l’auteur fait parfois des allusions implicites. Ces procédés créent une tension narrative immédiate, tout en établissant un «contrat de lecture» qui guide les attentes du lecteur.
La clôture, quant à elle, opère une clôture narrative tout en maintenant une ouverture symbolique, marquée par le geste radical de Luc Martin – le meurtre de Vanderputte – qui scelle son retour paradoxal vers l’humanité.
En comparant l’incipit et la clôture de ce roman, nous apercevons le passage narratif parcouru par Luc Martin qui subit des évolutions. Dans le seuil initial comme le seuil final, Luc Martin est accompagné par un homme, à savoir M. Jean et Vanderputte avec qui Luc Martin coupe ses liens, d'abord en jetant par la fenêtre du train le carnet contenant l'adresse de M. Jean, et finalement en tuant Vanderputte.
Dans ces deux seuils, nous observons un thème commun, la mort, qui crée un parallélisme entre ces deux scènes. L'histoire commence par une mort et se termine par une autre. Ce parallélisme des scènes mortuaires cache une transformation anthropologique; la mort du père c'est un sacrifice héroïque relevant de l'éthique de la conviction mais la mort de Vanderputte c'est une nécessité politique relevant de l'éthique de la responsabilité. Les thèmes répétitifs dans l’incipit et la clôture fortifient l’homogénéité du texte d’autant plus qu’elles font état de l’habilité de l’auteur pour former les deux seuils initial et final. La comparaison entre l’incipit et la clôture a fait émerger une structure cyclique, où des motifs similaires (la mort, l’accompagnement masculin, la quête d’appartenance) sont repris, mais transformés. Le protagoniste évolue d’une passivité adolescente à une agency tragique, reflétant ainsi les bouleversements moraux de l’après-guerre, il tue Vanderputte. Il pense que des millions d'humains s'attendent à ce qu'il supprime Vanderputte car il est un obstacle à l'entrée de Luc Martin parmi les humains. La circularité narrative, loin d’être une simple répétition, souligne la dialectique entre mémoire et redemption, entre héritage et rupture.
On peut donc conclure que pour établir le véritable sens dans un roman il faut toujours considérer le rapport qui relie l’incipit à la clôture. Ce parallélisme est le facteur principal de la création du sens.
La dernière réplique ("Je pouvais maintenant retourner parmi les hommes") actualise le paradoxe du héros garyen: l'intégration sociale passe par une exclusion violente. Cette circularité amère rappelle Camus ("On imagine Sisyphe heureux"), mais avec une dimension générationnelle spécifique: Luc incarne les enfants de la Résistance confrontés à la banalité du mal.
Enfin, cette étude confirme l’hypothèse selon laquelle les seuils textuels sont des espaces sémiotiques privilégiés, où se nouent les enjeux esthétiques, éthiques et historiques du roman. Le Grand Vestiaire, à travers ses seuils, dépasse le cadre d’un récit individuel pour interroger les limites de l’humanité dans un monde marqué par la trahison et la reconstruction. Romain Gary y déploie une écriture à la fois réaliste et symbolique, où l’ouverture et la clôture ne sont pas seulement des bornes textuelles, mais des portes vers une réflexion universelle sur l’identité et la responsabilité.
Ainsi, l’exploration des seuils dans ce roman ne se limite pas à une analyse structurale ; elle révèle comment la littérature peut cristalliser, dans ses marges mêmes, les crises et les espoirs d’une époque.